Another Friday Night

“Where are you going ?”¹
Alistair ferme précautionneusement la porte de la chambre du petit garçon endormi et n'est pas vraiment surpris de tomber sur sa mère. Cette dernière a l'air tout à fait mécontente. Le chef de clan ne répond pas à la question directe qui lui est posée et s'avance dans les couloirs sombres du château, comme dans l'espoir de la semer.
Il avait entendu parler de ces hommes qui continuent de vivre chez leurs parents, d'année en année, incapable de quérir l'indépendance dont ils auraient pourtant bien besoin. Dans son cas, c'était le contraire : femme du précédent chef, elle avait plus que le droit de vivre sous le même toit que son fils, et ne se privait pas de lui imposer sa présence. Non pas que ça lui plaise, mais il n'y pouvait rien.
Le château devrait pourtant être assez grand pour qu'il n'ait pas à la subir…
“Alistair, answer me.
- I don't have to.”²
Ces derniers temps, l'ambiance est plutôt tendue entre la mère et le fils. Ce dernier n'a pas digéré les fiançailles qu'on lui a imposées. Il l'a même carrément mauvaise. Aoife, quant à elle, a bien remarqué les cachotteries de son fils unique. Cela faisait longtemps qu'il n'avait pas estimé nécessaire de lui cacher des choses, et ça l'intrigue.
Et puis, elle ne voudrait pas qu'il flanque ses projets de mariage en l'air.
“I know you are still mad at me but, again, I'm thinking about the clan, and about you…
- Me ?!”³
Cette fois, elle a toute son attention. Et ce n'est pas nécessairement une bonne chose. Avec une colère froide, il se tourne vers celle qui l'a élevé, le regard incendiaire. C'est un murmure qui s'échappe de ses lèvres – c'est qu'il ne voudrait pas réveiller Lucàs – mais la tension dans sa voix n'en est pas moins palpable.
“I don't want to hear you say that you want me to forget about Charlotte again. I wilna. I canna. It's time you deal with it,”⁴ persifle-t-il sèchement.
Il se détourne et traverse les couloirs d'un pas vif, dévale les escaliers vers le rez-de-chaussé. Il attrape sa veste en cuir de dragon, vérifie la propreté de sa chemise – sait-on jamais, s'assure qu'il a bien sa baguette avec lui.
“I dinna ken when I'll be back. Send me a patronus in case of emergency, aye ?”⁵
Il n'attend pas vraiment la réponse et transplane dans la foulée.

Lorsqu'il réapparaît dans les rues de Londres, il ne peut pas s'empêcher de respirer un instant à pleins poumons. Ils avaient convenu d'un rendez-vous à vingt-et-une heures. C'était un peu tard, lui avait-on fait remarquer, mais s'il voulait mettre son petit au lit avant de venir, il n'avait pas le choix.
Lucàs avait réclamé une histoire supplémentaire, ce soir. Comme s'il avait senti que son père s'apprêtait à sortir. Ça n'aidait pas la conscience de ce dernier, par ailleurs. Entre le regard du petit garçon et la photo de sa mère, sur la table de chevet, Alistair avait bien failli tout annuler au dernier moment.
À quoi jouait-il, au juste ?
Il avait bien fini par comprendre, après un moment, que le thé servi par la potionniste l'avait aidé à se détendre et à se vider l'esprit. C'est ce qui avait levé ses inhibitions. Dès que les effets s'étaient dissipés, il avait été difficile de se regarder dans un miroir.
Il l'avait invitée à dîner.
Mais quel idiot !
Il avait à peine enterré sa femme – enfin, deux ans, quand même Ali ! - et était déjà promis à une autre, et il s'amusait à aller en séduire une troisième !
N'avait-il donc rien appris ?
Etait-il donc toujours le même adolescent, voué à répéter sans cesse les mêmes erreurs ?
Qu'en penserait Charlotte ?
L'Ecossais arrive en vue du restaurant et ralentit le pas. Dans la poche de la veste de cuir de dragon, il joue nerveusement avec son alliance.
Il aurait pu, par courrier, essayer de se soustraire à cette invitation. Mais il s'était souvenu du sourire de la jeune femme, et de l'étincelle dans ses yeux, quand il avait proposé qu'ils se revoient. Et il avait été faible, acceptant de prolonger la parenthèse dans laquelle il s'était engagé. Au diable les conséquences !
Ou pas.
Peut-être était-ce cela qu'Aoife MacFusty avait réussi à déceler. Ce malaise coupable qui pesait désormais sur la poitrine du père de famille.
Pour le moment, l'envie de voir la jeune femme avait été plus forte que le malaise. Il se trouvait des excuses, se disant qu'il ne serait pas très gentleman de lui faire faux bond. Mais en attendant, s'il voulait être franc avec lui-même, il vous dirait qu'avoir attendu plusieurs semaines avant de la revoir avait été bien trop long.

Arrivé devant le restaurant, il vérifie qu'il est à l'heure, et qu'elle n'est pas ici à l'attendre. Heureusement pour lui, ce n'est pas le cas, mais elle ne le fait pas poireauter longtemps non plus : la voici déjà qui arrive, remarque-t-il. Lui l'accueille avec un sourire.
“Good e'en,” salue-t-il. Il voudrait lui faire un compliment sur sa tenue, mais s'abstient ; il flirte déjà bien assez avec la limite de sa conscience comme ça. Il faut dire, aussi, qu'il n'a pas tellement conscience du regard appréciateur qu'il lui a jeté. “May we get in ?”⁶
Galant homme, il lui tend le bras et les fait entrer dans le restaurant. Évidemment, c'est à lui qu'on s'adresse pour savoir à quel nom est leur réservation ; le serveur masque mal sa surprise quand il se fait reprendre par la jeune femme. Il veut les guider jusqu'à une table, Alistair fait le client exigeant, et lui réclame plutôt quelque chose un peu à l'écart… Tiens, comme la table, là-bas !
Le serveur les y guide alors, un peu contrarié de se faire ainsi malmené. Le chef de clan tire alors l'une des chaises, et invite la jeune femme à s'y asseoir, toujours avec cette galanterie habituelle, avant de s'installer face à elle.
“Before ordering your food, maybe would you like a drink ?”⁷
Les deux sorciers – ou presque – commandent leur apéritif, et voici le serveur qui enfin les laisse en tête à tête.
Oh le malaise.
“Hem… I'm… I'm sorry I was so long to send you an owl. It's been a busy couple of weeks.”⁸
On a vu mieux comme entrée en matière.
Mais hey, il fait de son mieux.
_________________________
¹ Où vas-tu ?
² Alistair, réponds moi.
- Je n'ai pas à le faire.
³ Je sais que tu es toujours en colère contre moi, mais, une fois encore, je pense avant tout au clan et à toi…
- Moi ?!
⁴ Je ne veux pas d'entendre dire encore une fois que tu veux que j'oublie Charlotte. Je ne le ferai pas. J'en suis incapable. Il est temps que tu l'acceptes.
⁵ Je ne sais pas quand je rentre. Envoie moi un patronus en cas d'urgence.
⁶ Bonsoir. On y va ?
⁷ Avant de commander, peut-être voudriez-vous prendre un apéritif ?
⁸ Ehm, je suis… Je suis désolé d'avoir été si long à vous envoyer un hibou. Ces deux dernières semaines ont été chargées.

Il n'y a désormais plus de faux-semblants. Plus de circonstances hasardeuses, plus de but particulier à poursuivre. Juste un homme et une femme, face à face, en train de partager un moment ensemble.
Pour apprendre à se connaître.
Le serveur s'en est allé chercher leurs commandes, le premier service se termine et les clients s'éclipsent progressivement pour laisser place à d'autres. C'est le moment où les deux protagonistes tatônnent, cherchent leurs marques ; un moment décisif qui donnera le ton pour la suite, quand les esprits seront réchauffés par la bonne cuisine et le bon vin.
Siobhán résume très bien la situation telle qu'Alistair la ressent, quand bien même ne l'a-t-il pas formulée à haute voix. Il hoche la tête quand elle leur propose de se parler moins formellement – en effet, ce serait déjà un début pour briser la glace.
En tout cas, ça marche pour elle, car la voici qui rebondit immédiatement pour poursuivre la conversation. Elle glisse un compliment – en est-ce vraiment hein ? S'interroge-t-il en haussant un sourcil – rebondit avant de fouiller dans sa pochette. Tout naturellement, il suit le geste du regard et …
A Dhia.
Il ne l'avait pas remarqué jusqu'ici. La cape et l'obscurité avait empêché son naturel observateur de le voir. Mais maintenant qu'ils étaient assis, dans une ambiance baignée d'une lumière douce, il devenait difficile de l'ignorer.
Et maintenant qu'il s'en était rendu compte, il lui était dur de ne pas laisser son regard se faire attirer par les lois de la gravité.
Le petit haut noir que la jeune femme porte est assez transparent pour qu'on voit ses sous-vêtements.
Des dessous fort seyants, certes, mais il n'était pas sûr de bien comprendre le message. Ou bien était-ce elle qui avait mal interprêté ses intentions ?
Mais dans quoi diable s'était-il embarqué ?
L'Ecossais s'efforce de ne pas se laisser aller à mater comme un cochon et tente de se concentrer sur le mouchoir que la potionniste lui tend. Le teint légèrement plus rosé, il s'éclarcit la gorge tout en avançant la main pour reprendre le morceau de tissu, veillant très attentivement à ne pas ne serait-ce qu'effleurer la peau de la jeune femme.
“You may… could have kept it,”¹ répond-il.
Et il est sincère. Non pas qu'il sache très bien ce qu'elle aurait pu faire avec un mouchoir supplémentaire – elle en avait sûrement elle-même tout un tas – mais l'idée qu'elle ait quelque chose à lui dans la poche lui plaisait bien, quelque part.
Sans doute encore pour une raison en rapport avec son égo ou la fierté de savoir qu'il plaît toujours aux femmes. Mine de rien, quand on a quitté le marché, on est toujours bien content de se rendre compte qu'il y a toujours un client pour venir tâter ses pêches.
Amis de la métaphore, bonsoir.

C'est le moment que choisit alors le serveur pour revenir et poser face à eux deux coupes de champagne – Alistair préfère certes le whisky, mais il a préféré s'aligner sur la commande de la demoiselle, pour pouvoir trinquer avec elle.
Il sera toujours temps de goûter leur mauvais whisky en fin de repas. S'il a assez bu, il se trouvera peut-être même la force d'être volubile et d'expliquer à la jeune femme en quoi il est dégueulasse. Ce sera peut-être même l'occasion de constater qu'elle a de belles connaissances en la matière, qui sait !
Ignorant pour l'heure les cartes qu'on pose devant eux – le serveur, qui a compris cette fois qu'il n'était pas le bienvenu, s'éclipse comme une ombre – le chef de clan lève sa coupe, la penche légèrement vers l'avant pour inviter la jeune femme à trinquer.
“Sláinte Mhath !”
Cling !
Et on se regarde droit dans les yeux – quand bien même le regard est-il attiré vers autre chose !
Pourquoi donc avait-elle décidé de mettre ce top là… Il n'allait pas réussir à en détourner les yeux bien longtemps.
Il boit une gorgée de champagne, avant d'ouvrir la carte du menu… Et de constater qu'on a posé la carte des vins à côté de lui.
Ce serveur n'apprenait pas de ses erreurs, visiblement.
“I'm afraid I'd be terrible at choosing the wine, if you want some,”² dit-il en tendant la carte à l'Irlandaise. Encore une fois, il veille à ce que les mains ne se touchent pas…
… Mais louche une fois encore vers le décolleté un peu trop visible, se détourne trop rapidement pour ne pas avoir l'air coupable.
Daingead.
“Hem… Weel,” se râcle-t-il la gorge, pour retrouver contenance, veillant à ne plus jamais laisser ses yeux se faire happer. “If we're to get to ken each other a wee bit more, then… May-… Can I ask you how you became such a talented and weel-kent potion maker ?”³
_________________________
¹ Vous… Tu aurais pu le garder.
² J'ai bien peur d'être incapable de choisir le vin, si tu en veux.
³ Ehm… Eh bien… Si nous voulons apprendre à nous connaître un peu plus, alors… Puis-vous… te demander comment tu es devenue une potionniste d'un tel talent et d'une telle renom ?

Avec un peu de chance, le côté bavard de la jeune femme allait lui permettre d'être assez distrait pour ne plus penser à la vue – ô combien magique – qu'elle lui offrait.
Concentre toi sur autre chose, voyons ! Tu n'es plus un adolescent, tu peux bien te contrôler !
Allez !
Alistair se rabroue mentalement, et peut alors enregistrer, l'air de rien, les détails que Siobhán laisse échapper. Il a conscience que la personnalité d'une personne se loge plus souvent dans les petites pécadilles plutôt que dans les grandes lignes qu'on s'efforçait de montrer au monde entier. Il y trouvait souvent un intérêt nouveau. Par exemple : ce besoin de contrôle que la jeune femme sous-entendait, peut-être même sans s'attendre à ce qu'on l'interprète ainsi, était une information d'une plus grande valeur que les confidences qu'elle pourrait lui faire en répondant à ses questions.
N'oublions pas qu'on parle là de quelqu'un de très observateur.
Alors il retient les petites choses : le soin qu'elle a apporté à sa tenue ; son besoin de contrôle ; son bon coeur. Et il repartira probablement de ce restaurant en la connaissant un peu plus, quand bien même n'échangeraient-ils que des banalités.
C'est que, pour cela, ils sont bien partis.
Il veille bien, donc, à ne pas répondre à sa question rhétorique – lui, par exemple, n'éprouve absolument aucune fascination pour le noble art des potions – et fait mine de boire une gorgée de champagne pour ne pas avoir à répondre de but en blanc à la question qu'elle lui retourne.
Il a bien compris qu'elle n'a pas remarqué les indices pouvant la renseigner sur son identité lors de leur première rencontre. Le kilt, le dragon sur le coffret, le sang de dragon à l'intérieur, l'accent… Rien de tout à fait évident, certes, mais tout de même. Lui, en revanche, avait fini par remettre le nom de O'Ceallaigh. La jeune femme venait d'une famille de sang pur et donc, à n'en pas douter, elle comprendrait très bien à qui elle avait à faire dès qu'il donnerait son nom.
Alors pourquoi en faire volontairement tout un mystère ?
Pour avoir le plaisir de n'être qu'un homme faisant la connaissance d'une personne. Il avait pu, au cours de sa vie, remarquer les changements d'attitude quand on découvrait son identité, son influence – voire son statut marital dans certains cas.
Oh, il comptait bien laisser s'échapper tout cela un jour. Tôt ou tard. Mais pas aujourd'hui.
Pas encore.
L'Irlandaise lui offrait une parenthèse inédite dans son quotidien, et il comptait bien en profiter un maximum.

Bref.
Il pose sa coupe, évite soigneusement le décolleté de la belle ; insuffisamment, visiblement, puisqu'elle se rend compte de son malaise. Elle voulait dissiper l'embarras ? À le relever elle ne fait que l'appuyer, et on peut voir le haut des joues de l'Ecossais rosir légèrement alors que son regard tombe droit dedans.
Raaaaah !
Il faut dire que la vue est superbe.
Tu te répètes mon poussin.
Allez, on reprend la stratégie mise en place plus tôt : on se concentre sur son discours et sur le vert de ses yeux pour ne pas se laisser tenter par tant de goujaterie. Il relève qu'elle parle de mode moldue – tiens, il lui semblait pourtant que les O'Ceallaigh étaient des sang pur, comment connaissait-elle cela ? - et le rassure quant à ses intentions.
Rassure ?
En soi, sans doute. Il aurait été très mal à l'aise de se rendre compte qu'elle venait à cette soirée avec des arrières-pensées. D'un autre côté… Son égo aurait été poli de se rendre compte qu'il avait suffisamment plu à la jeune femme pour qu'elle mette toutes les chances de son côté.
Ahem.
Rangeons l'égo du chef de clan, voulez-vous ?
“No bother,”¹ répond-il enfin.
Que pouvait-il dire d'autre ? Il ne pouvait décemment pas s'en sortir avec un compliment, là. Ç'aurait été du plus mauvais goût. Alors il oublie volontairement la question posée plus tôt, et passe commande auprès du serveur venu auprès d'eux.
Hm. Il a à peine jeté un oeil à la carte.
Il laisse donc la priorité à Siobhán, et pas seulement par galanterie. Puis, quand vient son tour, il commande une entrée à base de poisson, puis un plat lui aussi venu de la mer – du homard, parce que monsieur a des goûts de luxe, et reprend sa conversation dès lors que le garçon de service était reparti.
“I wouldn't have expected you to be so keen on Muggle fashion,” relève-t-il finalement. “I thought O'Ceallaigh's were pure blood. Very few of them are interested in Muggle culture, and even when they are, they poorly managed to understand it.”
Et il en sait quelque chose, bonhomme.
“No offense intended of course. I'm just… pleasantly surprised.”²
Belle pirouette !
C'est qu'il ne voudrait pas la froisser en évoquant des lieux communs. Car elle lui dévoile là un détail sur sa personnalité qui est des plus intéressants. Une certaine tolérance, devine-t-il, et une véritable spontanéité qui l'avait empêché de se rendre compte de sa maladresse.
Une certaine fraîcheur aussi.
Décidément, cette jeune femme lui plaisait vraiment beaucoup – et pas juste pour son décolleté.
“Are they other wee details like this one you're hiding ?”³ décide-t-il finalement de plaisanter, maladroitement – il a toujours eu un humour bien à lui – et surtout, sans se douter de la pierre qu'il était en train de soulever.
Et que son interlocutrice voudrait sans doute voir retomber très rapidement sans qu'il ait le temps de voir ce qu'on pouvait trouver dessous.
_________________________
¹ Pas de problème.
² Je n'aurais pas deviné que tu t'intéressais à la mode moldue. Il me semblait que les O'Ceallaigh étaient des sang pur. Peu d'entre eux sont intéressés par la culture moldue, et même quand ils le sont, ils ont des difficultés à la comprendre. Sans vouloir vous offenser, bien sûr. Je suis juste… Agréablement surpris.
³ Y a-t-il d'autres petits détails de ce genre que vous cachez ?

Ah, ça y est, les défauts d'Alistair commencent à se faire sentir. Ça, c'était bien plus plaisant de le penser ténébreux et mystérieux quand on le côtoie le temps d'une soirée, mais subir sa réserve au quotidien pouvait être pesant. C'est qu'il n'était pas homme à se confier, même à ses proches. Il est plus du genre à vouloir porter le poids du monde sur ses épaules, sans voir qu'il était tout fait possible de partager son fardeau. Ce dernier en serait même allégé.
Pourtant, il ne parvient pas à s'y résoudre.
Il préfère se dire qu'il protège ainsi son cercle proche. Que la pénibilité reste sienne et ne vient pas peser sur quelqu'un d'autre.
Après, comme l'Irlandaise allait très vite s'en rendre compte – sans doute – il n'était pas fermé à révéler des détails qu'il pensait sans importance. Ce qui est un comble quand on sait que c'est sur ces détails que lui-même s'arrête quand il s'agit d'apprendre à connaître quelqu'un.
C'est un homme plein de contradictions.
A ce sujet, il ne se prive pas de relever la commande qu'elle passe, remarque qu'elle ne fait pas dans l'originalité et s'interroge si cela est dû à une carte trop réduite pour lui convenir, ou bien si elle dévoilerait ses cartes au moment du dessert.
Peut-être a-t-il face à lui une éternelle gourmande, plutôt adepte de plaisirs sucrés que salés.

Elle ne tarde pas, d'ailleurs, à rebondir sur sa propre question. Non, il n'avait pas fait d'enquête – quand même, c'est un gentleman, il n'oserait pas ! – mais ne fait rien pour l'aider à comprendre qu'il ne lui a pas fallu beaucoup d'efforts pour savoir toutes ces choses.
Après tout, ne lui avait-il pas confié, bien des semaines plus tôt, la façon dont il avait réussi à la retrouver ?
Elle finit par trouver, et, étonnamment, cela le fait sourire. Un vrai sourire sincère.
Décidément, cette femme a tout pour plaire. Du caractère, de l'esprit…
Elle lui plait.
S'il n'avait pas déjà été pris, peut-être…
Mais tu t'écoutes penser, gros malin ? Tu n'es pas déjà pris !
Remarquez comme, ni pour lui ni pour la narratrice, Artémis est prise en compte dans l'équation.
Revenons en à nos dragons.
Ainsi donc, c'était le mauvais frère dont il avait fait connaissance. Était-ce rassurant de savoir qu'il était l'exception qui confirmait la règle ? Il lui avait fait une si mauvaise impression qu'il était prêt à aller voir Nightingal pour le convaincre d'épouser son amie Irina plutôt que de la voir se lier à lui… C'est dire !
Alors oui, c'est apaisant de comprendre que les deux jumeaux – hop, une nouvelle information à faire entrer dans la boîte à souvenirs d'Alistair – étaient les deux côtés opposés d'une même pièce. Si elle était aussi éloignée de lui qu'elle le laissait entendre, ce n'était que bon signe.
Parce que lui, il était vraiment détestable.
Il hoche la tête quand elle lui explique qu'elle apprécie la compagnie des moldus – tiens un point commun – et hausse un sourcil quand elle lui demande si lui-même en avait déjà fréquenté.
Devait-il répondre ?
Devait-il lui dire ?
N'était-ce pas trop intime ? Trop rapide ? Parler de feue sa femme à une jeune femme avec qui il partageait un dîner lui semblait assez inopportun, sinon inapproprié. Sans vraiment en avoir conscience, il s'est placé dans une situation de séduction – quand même, parlons franchement ! – et a donc les réflexions qui en découlent.
Parler de Charlotte à Siobhán lui semble horriblement déplacé.
Il la laisse alors enchaîner, petite pie bavarde, attendri de voir avec quelle aisance elle parvenait à parler, à meubler, à le pousser à parler à son tour. Il entend le reproche, hausse les épaules d'un air d'excuses.
Si elle savait à quel point elle avait raison… Plus que des secrets, c'est plutôt cette tendance à ne jamais rien confier qu'elle vient d'effleurer du pied. S'en doute-t-elle seulement ?
A Dhia, mais quelle imagination ! Quel moulin à parole ! Elle passe d'une idée à l'autre, fait des suppositions, le taquine, l'interroge, le tout en quelques mots.
Se doute-t-il qu'elle noie le poisson comme lui évite soigneusement certaines questions ?
Non, pas cette fois. Il se contente de trouver cela amusant et de continuer à sourire.
Il sourit rarement autant, d'ailleurs. Il va finir par avoir une crampe aux zigomatiques.
S'il était moins réservé, peut-être même aurait-il éclaté de rire face à cet enchaînement pour le moins pitoresque.
“Okay lass, you got me,” finit-il par céder en levant la main droite, comme s'il enjoignait au calme. “I amn't the talkative kind. Or the most outgoing lad you'd meet.”¹
Quel aveu !
Comme si elle n'avait pas remarqué.
“Let's try something out, shall we ? A wee game to get to ken each other.”²
Oh non. Il a cet air un peu facétieux, celui de l'adolescent qui s'apprête à faire une ânerie. Cet air qu'il finissait toujours par revêtir quand un de ses copains lui lançait un I dare you auquel il était incapable de résister.
En tant que narratrice, je peux vous dire que ça n'annonce rien qui vaille.
“Three questions in a row. We choose to answer two of them each time.” Ah bah quand même, il se laisse une porte de sortie. “And we're allowed… Let's say one ? Two jokers ? In case it gets too… Intrusive, aye ?”³
Mes enfants, ça va encore donner cette histoire. Combien de temps vont-ils tenir ? Assez longtemps, si vous voulez mon avis. Ça dépendra de la mesure dans laquelle ils arriveront, tout naturellement, à faire dériver la conversation.
“Soooo… To answer your question, I'm thirty-two, and I love haggis.”⁴ Non, il n'est pas du tout cliché.
Alistair est un stéréotype sur pattes, quand il s'y met.
“My turn, if you allow me.”⁵ Il prend le temps de réfléchir, ses yeux bleu sombre plongés dans les émeraudes face à lui.
Hypnotiques.
Qu'aimerait-il savoir sur elle ?
Il boit une gorgée de champagne – finit sa coupe, en fait – repose son verre et la darde d'un regard pénétrant.
Il lève l'index de sa main droite. “What would you say your biggest quality is ?” Puis le majeur. “Would you rather live by the sea or in the mountains ?” Et enfin l'annulaire. “What is your best family memory ?”⁶
And may the odds be ever in your favour.
_________________________
¹ Okay jeune fille, tu m'as eu. Je ne suis pas du genre bavard. Ni l'homme le plus extraverti que tu puisses rencontrer.
² Je te propose quelque chose : un petit jeu pour apprendre à se connaître.
³ Trois questions à la suite. On en choisis deux, auxquelles on répond à chaque fois. Et on s'autorise… Disons un ? Deux jokers ? Au cas où ça devienne trop… Intrusif, ça t'irait ?
⁴ Doooonc… Pour répondre à ta question, j'ai trente-deux ans, et j'adore le haggis.
⁵ A moi, si tu le veux bien.
⁶ Quelle est selon toi ta plus grande qualité ? Préfèrerais-tu vivre en bord de mer ou à la montagne ? Quel est ton meilleur souvenir en famille ?

Les silences sont parfois plus éloquents que les mots. Ne dit-on pas que la parole est d'argent mais que le silence est d'or ? Il n'est pas assez manipulateur pour avoir pensé à cela en donnant les règles de son jeu – c'est un Serdaigle, pas un Serpentard –, préférant leur laisser une porte de sortie pour éviter tout malaise, mais, maintenant qu'il y pense, il en apprendrait sans doute plus sur elle en relevant les réponses qu'elle élude plutôt qu'en écoutant celles qu'elle accepte de donner.
Elle se prête au jeu et lui fournit des informations sur elle-même qui ne donne que plus envie à l'Ecossais de la connaître. Il comprend, aussi, de plus en plus, pourquoi le courant passe bien entre eux – et est bien passé depuis la première seconde de leur rencontre.
Ils partagent tout un tas de choses, visiblement. Que ce soit une certaine vision des choses, qui lui parle, ou les préférences qu'elle lui confie.
Une seconde, dans son esprit, il se dit qu'il devrait l'inviter à venir sur ses terres, un jour. Un archipel d'îles escarpées, parsemées de montagnes abruptes, de falaises vertigineuses plongeant droit dans l'océan. Elle adorerait ça, à n'en pas douter.
Puis le sens commun lui revient : ils se connaissent à peine, une invitation à venir chez lui, même en toute amitié, ne pouvait être que très connotée. Il ne voudrait pas qu'elle le pense intéressé. Ce serait horriblement gênant…
Tiens, un décolleté fort seyant…
Les joues roses, Alistair se force à détacher son regard de la magnifique vue qu'on lui offre, et guette l'arrivée prochaine du serveur.
Il faut dire que, même s'il ne se le formule pas, il est complètement sous le charme. La passion avec laquelle la jeune femme s'exprime, le feu brûlant dans ses yeux verts, ses convictions, sa voix, sa beauté… Elle a tout pour lui plaire. Et il aime l'écouter parler, expliquer, s'emporter.
Moui.
Cela ne l'empêche pas de remarquer que la question qu'elle a passé sous silence est celle qui est sans doute la plus personnelle. Est-ce de la réserve ? De la pudeur, sans doute. C'est ainsi qu'il l'interprète. C'était peut-être une question un peu trop intime qu'il avait alors posée.
On ne l'y reprendrait plus.

Puis vient son tour. Il hausse les sourcils en entendant la première, puis la deuxième question, dont la réponse était pour lui si évidente qu'il n'aurait jamais songé à les poser. Il joue pourtant le jeu et la laisse chercher une troisième option, hausse un sourcil en entendant l'interrogation.
Oui, il la trouve étrange. Certes, le transplanage ne permet pas d'aller n'importe où, il y avait des contraintes de distance l'empêchant d'aller trop loin. Mais avec une succession de transplanages, on pouvait se rendre rapidement à l'autre bout de la planète. Combien de temps cela lui avait-il pris d'aller en Nouvelle-Zélande ? Pas plus d'une heure ou deux, dans ses souvenirs, de Portoloin en Portoloin, et en prenant le temps de se remettre des trajets à chaque fois, pour éviter de subir des dégâts physiques.
Plutôt que de se dire qu'elle est incapable d'en faire autant, il se dit plutôt qu'elle doit s'attendre à ce qu'on choisisse un lieu exotique, assez éloigné pour que même les sorciers aient besoin d'y passer un peu de temps.
Pourtant, c'est bien la question qu'il choisit d'ignorer : il est incapable d'y répondre.
“A dragon,” répond-il d'abord, sûr de lui. Après tout, son patronus lui-même ne prenait-il pas l'encombrante forme d'un Noir des Hébrides ? Il avait ce côté sauvage, solitaire, et très protecteur envers sa progéniture. Sans oublier que les enchantements avec lesquels il était le plus à l'aise n'étaient autres que ceux appartenant au vaste domaine de la pyromancie. “And I have a real aversion for trousers. I'm used to wearing kilts, so… I had a hard time with that at Hogwarts, since you canna wear a kilt as a reglementary uniform,”¹ avoue-t-il, non sans auto-dérision.
Le fier Ecossais avait même tenté, quelque part dans son adolescence, la provocation de porter ses kilts sur les temps de cours. Combien de points avait-il alors perdus ?
Beaucoup trop.
“Talking about Hogwarts… What house were you sorted in ?” La question vient naturellement. Elle est Irlandaise, elle est forcément passée par l'école britannique. Logique, non ? “What shape does your patronus take ?” Il s'inspire de ses réflexions, pour pouvoir lui-même répondre à la jeune femme. Sans se rendre compte que par ce qui lui semble être des questions anodines, il la place dans une situation délicate. “And… Well, are you more a sweet or savory kind of lass ?”²
_________________________
¹ Un dragon. Et je voue une réelle aversion aux pantalons. J'ai l'habitude de porter des kilts, donc… J'ai eu des problèmes à Poudlard à cause de ça, puisque le kilt ne fait pas partie de l'uniforme réglementaire.
² En parlant de Poudlard… Dans quelle maison as-tu été répartie ? Quelle forme prend ton patronus ? Et… Bah, tu es plutôt du genre sucré ou salé ?

“You arena answering my question, lass.”¹
Visiblement, il en faut plus pour feinter Alistair, qui remarque très bien qu'elle ne lui répond pas, sans trop savoir si elle le fait par jeu ou parce qu'elle veut lui cacher quelque chose. Ils ont plus ou moins le même âge, lui semble-t-il – quand bien même il ne posera pas la question, tout de même, c'est un homme bien élevé ! – pourtant, il ne lui semblait pas l'avoir croisée à Poudlard. L'école n'est pourtant pas si grande… Et il avait, à l'époque, eu un assez grand penchant pour le sexe opposé pour ne pas être passé à côté d'une aussi belle jeune femme.
Mais il est bien loin de se dire qu'il est face à une personne qui le trompe sur son identité. D'ailleurs, il ne fait pas sa remarque sur un ton accusateur, mais plutôt sur celui de l'amusement, comme s'il rappelait gentiment les règles du jeu à un enfant qui essaie de filouter.
“I'd say you're a… Ravenclaw, though. Or a Slytherin, maybe,” tranche-t-il en haussant les épaules. “You ken, I wilna judge ye if you went to another school than Hogwarts. 'Tis just… Most people here go there, so I expected you to have been too.”²
A-t-il conscience de lui offrir de lui-même une magnifique porte de sortie ? À moitié, sans doute, oui. Il ne réalise pas davantage qu'il lui montre aussi qu'il a un sens de la déduction plutôt développé.
Lui, par contre, c'est un Serdaigle tout ce qu'il y a de plus net. Dire qu'à son adolescence, cette répartition avait surpris tout le monde… Seul le Choixpeau avait su voir clair dans la petite tête rousse.
Mais je m'égare.
Siobhán reprend le jeu – sans répondre, vile jeune fille ! – et l'interroge à son tour, alors que le serveur revient vers eux, mécontent. Et il leur fait savoir. Un sourcil se hausse sur le visage de l'Ecossais, qui hésite une seconde à le rappeler pour lui faire savoir sa façon de penser. Il s'abstient, toutefois.
Il est en bonne compagnie, ce n'est pas le moment.
Ils s'abstiendront de faire un pourboire, voilà tout. Et il en profitera peut-être, au moment de régler l'addition, pour informer le propriétaire des lieux que ce n'était pas la meilleure façon du monde de conserver sa clientèle.
Il semblerait, en revanche, que sa compagne ne partage pas son agacement. Alistair prend donc sur lui, s'attache à son habituel air imperturbable et reprend le jeu qu'ils partagent depuis quelques minutes maintenant.
Mais avant…
“Bon appétit,” souhaite-t-il, dans un français impeccable et sans accent. Une habitude que confère des années de vie commune avec une française et qui tranche, de ce côté de la Manche, où on ne se souhaite jamais ce genre de choses avant un repas.
Il n'y songe pas, pourtant.
Il n'a pas vraiment réfléchi avant de le dire, et, commençant à déguster son poisson, reprend la conversation comme si de rien n'était.
“I think I'm a natural leader,” répond-il, sans se compromettre pour autant. De façon surprenante, c'est plutôt les deux questions les plus délicates qu'il choisit. Il faut avouer qu'il ne se voit pas répondre qu'il n'est ni Fléreur, ni Gytrash, mais plutôt dragon. Il ne faudrait pas qu'il insiste trop là dessus non plus. “Although it's a trait my family wanted to reinforce through my education, I've always been the one that takes decisions in a group.”³
Sans parler de son clan, c'était aussi le cas à Poudlard, dans son groupe d'amis. Seul Serdaigle au milieu de Gryffondors, principalement, il était celui qui réagissait dans l'urgence, prenait naturellement les décisions et, surtout, réparait les dégâts derrière les autres.
Souvenez vous que c'est quand même lui qui a rappelé à Eoin, des années auparavant, que métamorphoser une table en otarie n'était pas une raison pour la nourrir avec du poisson.
“About my family… Well, I think it depends from the point of view.” Il n'en dira pas plus. On annonce pas à quelqu'un qu'on connait à peine qu'on vit dans un château hanté par ses propres ancêtres. Il ne dira pas non plus qu'il considère son clan comme sa famille. “I don't have a big family, stricto sensus. Just my mother and my son, to be honest.”⁴
Pas de frère, pas de soeur, pas de père…
Mais des tas d'ancêtres, une fois encore. Et pas toujours les plus faciles à vivre. Son propre grand-père, Murchadh MacFusty, était dans le top 3 des plus pénibles, avec son regard lubrique et sa facilité à toujours faire des blagues crasses et sexistes en gaélique.
On notera également qu'il n'a pas trop de scrupules à glisser, là, en passant, qu'il a un môme. Ce n'est certes pas la meilleure chose à faire lors d'un rendez-vous galant mais… Ce n'en est pas un, n'est-ce pas ?
Alistair, ôte tes yeux de ce décolleté.
Il prend le temps de boire une gorgée d'eau – puisqu'on ne leur avait pas laissé la possibilité de choisir de vin, finalement – et de manger un peu avant de reprendre.
“So, if you're a sweet kind of person…” Notez le jeu de mot, évidemment volontaire, entre le sucré et le caractère doux d'une personne. “What is your favourite food ?”⁵
Au moins, ça, ce n'était pas une question à laquelle elle essayait d'échapper. Il ne se l'explique pas encore, mais il sent bien qu'il y a des choses à découvrir, chez la jeune femme, et ce mystère l'attire grandement. En bon élève de Rowena, il est curieux et veut creuser, comprendre.
Que cache-t-elle ?
Pourquoi ?
Est-ce simplement pour jouer ?
“What is your wand made of ?”⁶ ajoute-t-il. Il est toujours, ne l'oublions pas, dans cette optique de cerner la jeune femme autant que possible. Les matériaux dont était faite une baguette donnaient souvent bien des indices là dessus. Pourtant, il espère, quelque part, qu'elle choisira d'ignorer une de ces deux questions.
Il aimerait vraiment l'entendre répondre à la dernière.
“If tonight was your last night on this Earth, what would you do ?”⁷
_________________________
¹ Tu ne réponds pas à ma question, jeune fille.
² Je dirais, cela dit, que tu es une… Serdaigle. Ou une Serpentard, peut-être. Mais tu sais, je ne te jugerai pas s'il advient que tu es allée dans une autre école que Poudlard. C'est juste que… La plupart des gens ici y vont, j'ai donc supposé que toi aussi.
³ Je pense que je suis un leader naturel. Bien que ce soit un trait de caractère que ma famille a voulu renforcer par mon éducation, j'ai toujours été celui qui, dans un groupe, prend les décisions.
⁴ Quant à ma famille… Et bien, je suppose que c'est une question de point de vue. Je n'ai pas de grande famille stricto sensus. Juste ma mère, et mon fils, en réalité.
⁵ Si tu es une personne sucrée… Qu'est-ce que tu préfères manger ?
⁶ De quoi est faite ta baguette ?
⁷ Si ce soir était ta dernière nuit sur cette Terre, que ferais-tu ?

Compréhensifs ?
Les O'Ceallaigh ?
Si Alistair avait été plus expressif, il aurait pu en recracher son verre d'eau. S'ils étaient à l'image d'Angus, ce n'était pas tellement le terme qu'il aurait choisi pour les désigner, bien au contraire. Elle lui avait confirmé qu'il était le mauvais frère, mais… La pomme ne tombe jamais loin de l'arbre, et les familles de sang pur ont tendance à toutes être forgées dans le même moule.
Il sent, alors, que quelque chose lui échappe. Qu'il a levé un lièvre. Se doute-t-il de la taille de ce dernier ? Non. Va-t-il se montrer opiniâtre et vouloir déterminer la réalité qui se cache derrière tout cela ? Non plus. Il est curieux, et voudrait en savoir davantage… Mais il a aussi la délicatesse de ne pas vouloir pousser le bouchon un peu trop loin – Maurice. Elle a son jardin secret, il n'en forcera pas l'entrée.
Même s'il serait ravi qu'elle l'y invite.
Ahem.
Elle, en tout cas, essaie de s'inviter dans le sien, visiblement. Il hausse les sourcils en sentant la main venir se poser sur la sienne, mais ne montre rien de sa surprise – ou de son contentement. Quel lien avait-elle fait quand il avait parlé de sa famille pour réagir ainsi ?
Oh.
Oui.
Charlotte.
Évidemment.
Il ne relève pas, pourtant, sans qu'on sache si c'est par pudeur ou pour une autre raison – à tout hasard, celle à cinq doigts qui semblait ne plus vouloir décoller de sa peau. Le contact n'est pas désagréable, bien sûr. Mais depuis combien de temps personne n'avait osé un geste amical, tactile de la sorte ? Pas Irina, beauté froide bien plus habituée à manier les mots. Pas même sa mère, d'ailleurs.
C'était une étrange proximité. Les mains, à ses yeux, étaient une partie très intime du corps, d'autant plus qu'elles étaient accessibles à tous. Chez lui, tout passait par les mains : le travail, qu'il soit auprès des dragons ou à son bureau, l'agacement, la nervosité… L'amour, aussi. La façon dont on peut tenir la main d'une femme, la façon dont les doigts effleurent la chair, dont la paume épouse les courbes…
Alistair, tu es encore en train de mater.
Et ce n'est pas le moment, puisque la jeune femme vient d'accepter de répondre à ses trois questions. Il retient son amour pour le crumble aux pommes – non pas qu'il puisse lui en faire un jour, mais il connaissait une pâtisserie dans Londres qui faisaient des pâtisseries à tomber par terre – et relève le bois et le coeur de sa baguette. Il ne se souvenait plus des particularité de l'ébène… Ce n'était pas un bois particulièrement indiqué pour la métamorphose ?
Il ne s'arrête pas à cela, toutefois. Il est plus intéressé par la dernière réponse, la seule qui l'intéressait vraiment.
Et la réponse lui arrache un sourire des plus attendris.
Que ce soit la réflexion philosophique, son attachement aux autres ou… Ou sa mention des étoiles.
Il se promet intérieurement de l'emmener un jour sur une des îles reculées de son archipel, dans les hauteurs. Elle pourrait alors avoir tout le loisir d'admirer toutes les étoiles du ciel, loin de la pollution lumineuse moldue.
Et sinon, mon lapin, tu n'es pas du tout intéressé par la jeune femme, hein ?
Il se passe la langue sur les lèvres, finit son poisson, la main subitement refroidie par l'absence de celle de l'Irlandaise. Le serveur vient rapidement débarrasser les assiettes, mais cette fois, il n'a pas le loisir de repartir sans demander son reste. Alistair, d'un ton autoritaire, lui indique qu'il serait de bon ton de leur amener du vin. Il pousse le vice à demander conseil et à casser les pieds du garçon avant de faire un choix de bouteille.
“I love winter,” répond-il enfin, une fois qu'ils sont à nouveau seuls et dans l'attente du plat. “Snow covers everything and… I dinna ken, I really like it, when the wind swirls into the sea, and the waves break onto the coast…”¹ Il semble rêveur. Comme s'il évoquait un souvenir pas si lointain.
On remarquera qu'il a soigneusement évité de parler de son métier, bien sûr.
“As far as Hogwarts is concerned… Weel, 'twas something. I was a very hot headed lad, I must confess. I got into quite a lot of fights.” Surtout avec un certain Serpentard. “And… I probably shouldn't tell you that, but I used to be a womanizer back then. I dinna ken, maybe was it because of hormones, or the need to prove something…”
Il secoue la tête. “Young years I'm not proud of.”²
Enfin, le vin arrive. Le serveur leur sert un verre chacun, d'autorité, et leur abandonne la bouteille. Alistair s'empare du sien, trinque poliment, et reprend la conversation sur un ton inchangé.
“My turn, then : what would you change in your life if you were given the chance ?”³ interroge-t-il, faisant le lien avec sa propre histoire et le fait qu'il n'était pas très fier de ce qu'il avait fait dans son adolescence. “What is your biggest dream ? And… Well,” poursuit-il, les yeux plongés dans les siens. On sent qu'il hésite à franchir une limite. Ils sont ici en qualité d'amis, ou du moins de connaissances voulant entamer une relation amicale.
Oserait-il …?
“What do you like most in a man ?”⁴
Bah dis donc.
On notera qu'il boit directement une gorgée de vin derrière. Audacieux, mais pas trop.
_________________________
¹ J'adore l'hiver. La neige recouvre tout, et… Je sais pas trop, j'aime beaucoup ça, quand le vent tourbillonne dans la mer et que les vagues se brisent sur les côtes…
² En ce qui concerne Poudlard… Bah, c'était quelque chose. J'étais très tête brûlée, je dois avouer. Je me battais beaucoup. Et… Je ne devrais sans doute pas te dire ça, mais j'étais du genre coureur de jupons, àl'époque. Je sais pas, peut-être était-ce à cause des hormones, ou du besoin de prouver quelque chose… De jeunes années dont je ne suis pas très fier.
³ A moi, donc : que changerais-tu dans ta vie, si on t'en donnait la possibilité ?
⁴ Quel est ton plus grand rêve ? Et… Hem… Qu'est-ce que tu aimes le plus chez un homme ?

Une bande, peut-être pas. En revanche, oui, il n'était pas très compliqué de le voir avec un petit groupe gravitant autour de lui. Sans doute était-ce plus ou moins le cas, d'ailleurs. Son côté taciturne n'avait pas effrayé les autres, sans doute parce qu'il était aussi celui qui avait les bonnes idées.
Parler peu, c'est aussi veiller à toujours avoir le bon mot au bon moment.
En revanche, il n'était pas du genre à faire régner la terreur. Il avait plutôt été fidèle à lui-même, du genre chevalier servant volant à la rescousse des demoiselles en détresse. Les dites demoiselles n'avaient d'ailleurs pas toujours besoin de lui – souvenez-vous de Lyna, qui lui a envoyé un bien vilain maléfice en plein visage pour se venger de lui…

Revenons en à nos dragons.
Précisons que non, ils ne sont pas du tout en train de flirter. Alistair a posé cette question de façon complètement innocente, par manque d'inspiration, et peut-être par intérêt, mais un tout petit peu alors !
Hey, c'est pas lui qui s'est pointé à un rendez-vous amical en exhibant ses atouts les plus avantageux, okay ?
Et puis, il était quand même content de l'avoir posée, sa question, ne serait-ce que pour le plaisir de voir les joues d'albâtre se colorer joliment. C'est toujours flatteur de voir l'effet que des mots soigneusement choisis peuvent avoir sur les autres, notamment sur une belle femme.
Et sinon, tu n'es absolument pas intéressé.
Il l'observe cacher son malaise dans le verre de vin, mais reste parfaitement silencieux, patient, attentif.
Il apprécie cette timidité, cette candeur. Ou bien est-ce de la pudeur ? C'est attendrissant, dans tous les cas.
Il doit patienter encore un peu, car elle décide de répondre à une autre question en premier. Les sourcils de l'homme se haussent de surprise, d'ailleurs, quand elle lui confie son ambition. Ministre de la Magie ? Voici qui est inattendu. Elle lui semble pourtant novice en matière de politique. Et aussi naïve qu'elle est idéaliste. Ça aussi, c'est attendrissant en un sens. Mais il ne le lui dira pas, il ne voudrait pas paraître paternaliste et être celui qui lui dirait que c'est un monde de requins, composé essentiellement d'hommes prêts à tout pour parvenir à leurs fins. Il en sait quelque chose.
Ses intentions sont louables. Mais a-t-elle les épaules ? Il ne la connaît pas assez pour pouvoir le dire. Il ne peut s'empêcher de s'inquiéter un peu pour elle. Quand il voit les efforts que lui doit faire parfois pour s'imposer, alors qu'il est à sa place de droit, qu'il baigne dans le milieu depuis toujours et qu'il a cette force de caractère qui lui permet, souvent naturellement, de se faire entendre.
Et puis, vient la seconde réponse. L'écossais comprend qu'elle va répondre à la question qui l'intéresse le plus quand les joues de Siobhán s'empourprent.
Et lui de sourire plus largement en l'entendant avouer ce qu'elle apprécie chez un homme. L'honnêteté et la passion ? Tiens donc. Il comprend tout à fait l'idée qu'elle met derrière ces mots et s'il était moins réservé, aurait pu rire en la voyant s'emmêler les pinceaux à la crainte qu'on mésinterprète ses mots.
“Dinna fash lass, I got it,” rassure-t-il de sa voix grave. Auraient-ils été plus proches qu'il aurait, à son tour, posé la main sur la sienne.
Mais non.
C'est un gentleman.
Tout de même.
“I loved Care of Magical Creatures and Defense Against the Dark Arts,” répond-il alors de but en blanc, sans avoir besoin d'y réfléchir. “Pretty unsual for someone from my house.” Il la darde alors d'un regard pénétrant. Est-ce qu'elle aussi l'aurait réparti chez les Rouges et Or sans une once d'hésitation ? “But I've always been a rather unsual Ravenclaw.”¹
Eh ouais. Il guette les signes de surprise sur le visage de la jeune femme, à peu près sûr qu'elle ne s'attendait pas à cette réponse. Peu de personnes comprenaient pourquoi le Choixpeau l'avait placé dans cette maison, même si le choix semblait plus clair depuis qu'il avait atteint l'âge adulte. Sa sagesse, sa tendance à tout intellectualiser, sa curiosité… Tout cela l'avait emporté face à son courage et à sa noblesse d'âme.
“What house would you have put me into, then ? Gryffindor I suppose ? Le coin de ses lèvres se soulève à nouveau, plus légèrement, peut-être un peu narquois. Il attrape son verre de vin et en boit une gorgée. “Most people do. But the Sorting Hat thought I'd fit better in Ravenclaw. My best friend was a Gryffindor though… And I had a lot of trouble with Slyterins as well.”²
Finalement, la sagesse n'avait pas été au rendez-vous tout de suite. Même s'il s'était montré studieux, calme et prompt à raisonner ses camarades.
Du coin de l'oeil, il aperçoit le serveur qui arrive avec les plats. Il s'écarte à peine pour se laisser servir, ne lui accorde pas un seul regard. Le garçon non plus, il faut dire. Il n'aime pas ces deux clients, ils lui cassent méchamment les pieds.
La prochaine fois, il ne faudra pas qu'ils viennent ici.
Comment ça, la prochaine fois ?!
“What would a perfect day be like, to you ?” reprend-il naturellement le jeu, tout en commençant à se battre avec son homard. “You said you know a thing or two about Muggles… How did you get in touch with them ? What do you like most from their culture ?”³
_________________________
¹ J'aimais beaucoup le Soin aux Créatures Magiques et la Défense Contre les Forces du Mal. Ce qui était plutôt inhabituel pour quelqu'un de ma maison. Mais j'ai toujours été un Serdaigle plutôt inhabituel.
² Dans quelle maison m'aurais-tu réparti ? Gryffondor, j'imagine ? C'est le cas de la plupart des gens. Mais le Choixpeau a pensé que j'aurais plus ma place à Serdaigle. Mon meilleur ami était un Gryffondor, cela dit… Et j'avais aussi beaucoup d'ennuis avec les Serpentards.
³ A quoi ressemblerait un jour parfait pour toi ? Et tu as dit que tu connaissais deux trois choses sur les moldus… Comment t'es-tu rapprochée d'eux ? Que préfères-tu dans leur culture ?

Une certaine sagesse est visible dans les paroles de la jeune femme. Passionnée et raisonnée, constate-t-il, le nez dans un nouveau verre de vin. Un mélange détonnant – et il en savait quelque chose. Il apprécie la profondeur de sa réflexion, qu'il ne peut qu'approuver.
Il redouble toutefois d'attention quand elle se met à lui narrer sa jeunesse, faite de voyages et de découvertes. Il aurait aimé en faire autant, il fallait bien l'avouer. Non pas qu'il soit resté dans son archipel tout au long de sa vie, mais chacun de ses voyages avait eu un but précis – diplomatique, commercial, ou en rapport avec les dragons. La vie de bohème était quelque chose qu'il n'avait pas pu expérimenter, et c'était l'un de ses regrets. Quand on a des responsabilités, on ne fait pas toujours ce que l'on veut, contrairement à ce qu'en pensent la plupart des gens.
Quatre longues années au contact du monde moldu, sur le continent sans doute, extrapole-t-il – on ne passe pas quatre ans à sillonner la Grande Bretagne, sinon on finit par tourner en rond. Quatre années à découvrir les trésors d'ingéniosité de leurs voisins, à découvrir leur façon de vivre et comment ils parvenaient à se passer de magie en utilisant la science.
Ça l'avait fasciné. Pour mieux comprendre Charlotte, il avait acheté un dictionnaire de termes moldus, s'était appliqué à comprendre – pour ne pas passer pour un idiot en sa présence, et pour ne pas faire de gaffe. Les voir utiliser des voitures pour voyager plus vite, ou bien des ordinatueurs pour s'épargner la peine de fouiller pendant des heures à la bibliothèque, forçait le respect. C'était particulièrement malin, s'était-il dit, quand bien même la jeune femme lui avait fait remarquer que ces inventions avaient un pendant vicieux d'un point de vue environnemental.
Siobhán, visiblement, trouvait son compte dans cette ingéniosité. Elle collectionnait apparemment leurs appareils, même s'il ne savait plus très bien ce que c'était. Le téléphone, ce n'était pas cet appareil qui permettait de communiquer à distance ? Il n'avait jamais réussi à comprendre comment ça marchait, et s'était contenté d'écrire des lettres. C'était bien plus simple, quand même.
Toujours est-il qu'il écoute la passion que la jeune femme met dans ses explications, lui-même finissant de décortiquer son homard pour le manger avec appétit. Il aime cette façon qu'elle a de s'emporter, de parler avec conviction. C'était plus qu'appréciable de rencontrer une sorcière aussi ouverte sur ces choses là. D'autant plus une sorcière de sang pur.
Vraiment, c'était inhabituel, et aussi surprenant qu'agréable.
Aussi agréable que la vue qui attire son oeil de temps à autre.
Le plaisir qu'il ressent à l'écouter s'éclipse brutalement à la question qu'elle lui pose. Son air s'assombrit brutalement, et il se concentre soudainement bien plus sur le contenu de son assiette. Il l'avait bien cherché, tiens. À se laisser emporter par la conversation, à vouloir connaître les raisons de cet attrait pour les moldus, il s'était piégé tout seul.
Bravo Alistair.
“I was married to one.”¹
Et hop, d'un mouvement vif, il vide d'une traite le verre de vin qu'il avait à la main. Peut-être aurait-il dû se taire, prétendre, utiliser une pirouette pour ne pas répondre. Un joker, peut-être ? Ça aurait éviter de faire retomber l'ambiance. Et puis, il ne veut pas non plus attirer la pitié. Quand il avait évoqué son mariage, la fois précédente, il avait fait face à l'adorable compassion de la potionniste, et n'avait aucune envie de renouveler l'expérience.
Il préfère son sourire, sa joie de vivre, son envie d'en savoir plus.
“Sorry, I… Never mind. Joker.”²
Voilà, il aurait dû dire ça directement. Ça aurait évité le malaise ambiant. Lui qui avait pourtant l'habitude de peser chaque mot… Sans doute avait-il déjà bu trop de vin. Sans être pompette, sa langue se déliait un petit peu trop. Il garde le silence un instant, veille à ne pas relever le regard, mange sans parler.
Bien sûr, elle n'aurait jamais pu savoir. Il avait lancé ce sujet tout seul, et aurait dû se douter que, tôt ou tard, on lui retournerait la question. Quelle idée à la con, ce jeu, sérieusement ! Certes, c'était amusant pour apprendre à connaître quelqu'un, mais pour se dévoiler… Quand on avait un caractère comme le sien, c'était vraiment idiot.
Il s'était laissé emporter. Envoûté par le décolleté de l'irlandaise, ensorcelé par le vert de ses yeux, il avait voulu lui plaire.
La séduire ?
Mais quel idiot ! Oubliait-il seulement qu'il était marié ? Enfin, non, plus maintenant, mais fiancé dans tous les cas ? Qu'en penserait-elle, cette charmante demoiselle, à ce sujet ? Certes, ils étaient ici en toute amitié, mais quand même !
Et Charlotte, qu'en penserait-elle ? Que dirait-elle à le voir ainsi jouer avec le feu ? À papillonner – car entre Artémis, Irina, et Siobhán, même si c'était à chaque fois pour des raisons différentes, n'était-ce pas ce qu'il faisait ?
L'une lui a été imposée.
La seconde lui semblait dans l'impasse.
La dernière lui plaît beaucoup trop.
Mais quelle affaire ! Dans quoi s'embarque-t-il ?
Son assiette vidée, il prend une profonde inspiration, ferme les yeux. Il doit se reprendre. Inutile de ressasser les choses. Charlotte est partie, à son grand regret, et ses interrogations diverses ne la feront pas revenir. Il doit absolument cesser de la voir partout, dans chaque parole qui permet, de près ou de loin, de la retrouver.
Ça ne faisait qu'empoisonner de nouvelles relations qu'il pouvait nouer.
Il s'éclaircit la gorge, redresse fièrement la tête, ses esprits repris.
Ça va le faire.
“I'm sorry,” dit-il à nouveau, en la regardant dans les yeux, cette fois. “It's unusual to meet a witch that is so interested in Muggles, I wouldn't have imagined you to be so close to them.” Et tu ne sais pas à quel point, mon lapin. “Let me make amends for that mood breaker. How about having dessert somewhere else ? I know a place or two where I could take you.”³
Allez, soyons fou.
Il a une idée derrière la tête, bien sûr. Mais ça, il n'en fera pas part tout de suite.
_________________________
¹ J'étais marié à une moldue.
² Désolé, je… C'est rien. Joker.
³ Je suis désolé. C'est inhabituel de tomber sur une sorcière qui est autant intéressée par les moldus, je n'aurais jamais imaginé que tu en sois si proche. Laisse moi me faire pardonner pour avoir briser l'ambiance. Que penses-tu d'aller prendre un dessert ailleurs ? Je connais deux trois endroits où je pourrais t'amener.

Sé décharger ?
La proposition était généreuse, mais Alistair savait pertinemment qu'elle était vaine. Il n'avait pas envie de parler de la perte de sa femme, encore moins à une belle irlandaise aux collines parfaitement vallonnées – bon goût, bonsoir. Il avait fait le choix de faire face au deuil seul. Que ce soit une bonne ou une mauvaise idée, il ne voulait pas remuer le couteau dans la plaie. Il était passé par les cinq phases du deuil, l'acceptation étant encore toute fraîche toute neuve, arrivée au cours des derniers mois.
Il ne voyait pas en quoi parler l'aiderait. Il n'avait jamais évoqué le décès de son père avec qui que ce soit, dans sa jeunesse, se contentant de se renfermer complètement sur lui-même. Mais là, les circonstances sont différentes : il se doit de rester solide pour son fils, et n'a pas envie de démarrer une amitié là dessus.
Non, clairement, Siobhán ne serait pas son premier choix pour s'ouvrir. Non par manque de confiance – bien qu'il ne la connaisse encore pas assez pour qu'on puisse parler de confiance – mais plutôt parce que cela lui semble profondément déplacé.
Néanmoins, il est toujours bon de savoir que l'on peut compter sur quelqu'un. Quand bien même le plus souvent, ce sont de vaines paroles qui ne sont que rarement accompagnées par des actes réels.
Il est trop bien élevé pour le faire remarquer à la jeune femme, en revanche ; ce serait bien trop déplacé. Alors il hoche la tête et, une fois les plats terminés, il veut réclamer l'addition mais se fait devancer par l'irlandaise, qui n'a visiblement pas oublié qu'elle voulait l'inviter.
A charge de revanche.
Encore bien trop ancré dans la tradition et la société patriarcale, Alistair n'aime pas se faire inviter. Beaucoup parleraient de fierté mal placée, et ils auraient sans doute raison. Il a toutefois la délicatesse, une fois encore, de ne pas relever et de conserver cet éternel air imperturbable. Il la remercie, tout de même, hausse un sourcil face à ce clin d'oeil espiègle qu'on lui adresse.
S'il avait été moins maître de lui même, il aurait pu en rougir.
En attendant, les voici sortis, face à la nuit londonnienne. Triste nuit londonnienne, se dit-il.
“Well… Let me guide you then. Il a bien senti le bras qui s'est emparé du sien, et baisse les yeux vers sa compagne, une idée derrière la tête. “I'll ask you to trust me on this.”¹
Décidément, même si ses émotions jouent aux montagnes russes ce soir, l'écossais a l'air d'être particulièrement joueur.

Ils atterrissent, en un rien de temps, sur un îlot de quelques dizaines de mètres carrés, au milieu de la mer. Où sont-ils ? Bonne question. Il y a face à eux une plage minuscule, et ils sont arrivés sur ce qui semble, dans le noir de la nuit, n'être que la roche.
L'homme s'écarte, sourit dans la nuit noire.
“I'll be right back.” Oui, vous avez bien lu. Puis il baisse la voix vers des tons plus graves, plus chauds sans doute. “Enjoy the view.”²
Et il disparaît à nouveau.
Sacré coup de poker, alors qu'il laisse la jeune femme seule, sur son îlot, sans savoir où elle est… Et sans pouvoir partir – mais ça, il ne le sait pas. Il ne l'abandonne pas n'importe où. Entourée par les flots, elle pourrait paniquer, bien sûr. L'océan est calme, aujourd'hui, bien que le vent soit vif. Mais surtout, il l'a laissée dans un lieu où aucune pollution lumineuse ne viendrait les déranger – on ne voit même pas la lumière des côtes.
Elle n'a que les étoiles et la lune pour seul éclairage.
Ce qui, une fois qu'elle aura habitué ses yeux à l'obscurité, devrait dévoiler, en cette nuit dégagée, une vue directe sur un plafond étoilé particulièrement fourni. Si elle patiente assez, elle devrait pouvoir voir la Voie Lactée.
Ah ça, Alistair a le sens de la mise en scène.

Pop.
Il ne revient que dix bonnes minutes plus tard, le bruit du transplanage pratiquement couvert par le mugissement des vagues. Il plisse les yeux, encore inhabitué à l'obscurité, mais devine la silhouette de la jeune femme dans la lueur de la lune. Il a deux petits paquets en carton à la main et vient s'asseoir sur la plage à côté de celle qui, il l'espérait, ne lui en voulait pas trop. Et lui tend un des deux paquets, dans lequel elle trouverait une part d' Apple Shortbread Pie, genre de crumble aux pommes typiquement écossais, avec une petite fourchette en carton.
N'avait-elle pas dit qu'elle adorait ce genre de desserts ?
Et il a pris la même chose, histoire de.
“Thank you for staying,” fait-il calmement. Il avait craint, quand même, qu'elle le prenne pour un énorme con et s'enfuit. Mais non, elle était restée. “These dessert are excellent, but they're made in the middle of Edinburgh, and believe me it is not a place you would like to go to.” Il secoue la tête, et lève finalement les yeux au ciel, ses yeux commençant à distinguer le plafond étoilé correctement. “And I've always prefered a beautiful view to a crowded place.”³
_________________________
¹ Bien… Laisse toi guider alors. Il va falloir me faire confiance sur ce coup-là.
² Je reviens. Profite de la vue.
³ Merci d'être restée. Ces desserts sont très bons, mais ils sont préparés en plein Edimbourg, et crois moi, ce n'est pas un endroit où tu aimerais aller. Et j'ai toujours préféré une belle vue à un boui-boui bondé.