After a hurricane comes a rainbow [Sisi & Octave]

Jamais il n'aurait dû accepter de rendez-vous organisé un 31 décembre. Jamais tout court, d'ailleurs. Ses doigts tapotaient nerveusement la table. Ça faisait déjà dix minutes qu'il était là. Qu'est-ce qu'il foutait Edward ? Bon, d'accord, il était venu en avance. Exceptionnellement, il était parti peu après 14h du théâtre, libérant le reste de l'équipe par la même occasion. Ginger, la comptable, lui avait fait un grand sourire en lui souhaitant une bonne soirée. C'était elle qui avait insisté pour qu'il la passe avec cet inconnu-là. Un bon ami à elle "qui sera tout seul aussi le 31, c'est un signe non ?". S'il n'avait pas cherché à cacher quoi que ce soit de ses collaborateurs, il avait tout de même été surpris qu'elle vise juste. Il avait d'abord refusé, bien sûr. Mais sous son insistance, il avait plié. Pour lui faire plaisir. Et puis... il n'avait pas grand chose à y perdre. Même s'il ne serait pas contre un peu de repos, ce soir était bien choisi pour faire quelque chose d'atypique.

Mais il ne s'attendait pas à passer un long début de soirée à guetter en vain l'arrivée d'Edward. Au moins, il connaissait sa tête. Il l'avait brièvement croisé un soir, en sortant du travail. Il était bel homme, c'est vrai. Mais il était surtout absent, là. Voilà qu'il regrettait déjà d'avoir mis le nez dehors. La journée avait pourtant bien commencé. Il s'était pris du temps pour lui, pour jouer de la harpe, ce qu'il n'avait pas fait depuis un moment déjà. Et puis s'était préparé longuement, avait choisi avec soin sa tenue du soir -spoiler : rien d'original, un costume trois pièces noir et une chemise blanche, mais il fallait choisir parmi la multitude de ceux-là  - , avait fait de multiples essayages de cravates pour finalement opter pour un nœud papillon. Il s'était même donné du mal pour mettre en place ses cheveux. Pas que la différence soit flagrante d'un point de vue extérieur mais pour lui, c'était important. Tout comme la légère touche de parfum et la nouvelle cape, récemment acquise. Même s'il ne croyait pas vraiment dans l'aboutissement d'un rendez-vous arrangé, il voulait quand même être présentable ! Et puis c'était le soir de l'an, ce n'était pas n'importe quel soir.

Et ça en faisait aussi le pire soir pour se faire poser un lapin. Il regarda sa montre, pour la dixième fois de la soirée. Ça faisait maintenant une bonne demi-heure qu'Edward aurait dû arriver. A moins d'un accident de balai, ça commençait à faire long pour un retard. Il allait falloir se rendre à l'évidence. Il renvoya avec un peu d'exaspération le serveur venu voir s'il souhaitait commencer. Évidemment que non. Il sentait bien les regards sur lui. Dans la salle, bien entendu, il était le seul à ne pas être accompagné. Enfin il lui semblait. Il osait à peine regarder, avec la sale impression que tous autour de lui le jugeaient. Vraiment, il n'avait pas besoin de ça, il aurait mieux fait de rester chez lui.

Et puis à force de guetter, il remarqua un jeune homme, à l'autre bout de la salle, seul aussi. Il avait d'abord cru que son +1 était parti fumer ou ailleurs. Mais plus le temps passait, plus il se demandait. D'autant qu'à force de le scruter, ce qu'il tentait de faire discrètement pour ne pas avoir l'air malpoli, ce visage lui devenait familier. Un doute subsistait, à cette distance. Alors il fit signe au serveur, visiblement ravi qu'il se manifeste enfin. Et commanda deux cocktails magiques, un pour le jeune homme à la table du fond et un pour lui. Un peu vieux jeu, oui. Mais il ne voulait pas s'immiscer si l'autre n'était pas seul... Il attendit qu'on lui apporte, continuant à tapoter des doigts sur la table. Et guetta le moment où le serveur le pointerait du doigt. Il n'avait plus vraiment de doute, en voyant le jeune homme se retourner. Oui, il connaissait ce visage. Alors il lui fit un geste de la main et un petit sourire un peu gêné. Et il souleva son verre, comme pour trinquer à distance avec lui. Curieux de voir si ce dernier allait se joindre à lui. Il préférait lui laisser le choix. Probable que Silène avait plus de chance que lui et qu'il avait mieux à faire de sa soirée que de la passer avec lui hein. Sinon, il ne resterait plus qu'à rentrer chez lui et maudire Ginger. Il aurait deux mots à lui dire, quand il la reverrait...

Silène avait eu plusieurs propositions pour son 31. Des fêtes avec débauche d’alcool et de potes. Des soirées plus intimistes avec quelques personnes. Et puis, il y avait eu la proposition de tête à tête. Il avait hésité. Faisant mariné son Jules avec un certain sadisme. A dire vrai, il s’était un peu calmé sur les coups d’un soir. Il n’avait plus trop le temps avec son stage, et l’université qu’il suivait avec un peu plus de sérieux, du coup, la relation qu’il avait avec ce mec avait fini par être un peu suivie. Il n’allait pas dire qu’il avait des sentiments pour lui, non, mais… Il l’aimait bien, ils passaient de bons moments ensemble. C’était sympa. Sans avoir la pointe de folie pour que Silène soit vraiment conquis. Il avait attendu le dernier moment pour accepter. Il lui avait donné rendez-vous dans un restaurant sorcier un peu chic. En lui disant de ne pas exagérer sur l’extravagance vestimentaire. Quand il avait lu ça, il avait levé les yeux au ciel et eut un long, très long soupir. Franchement, c’était d’un ennui ce conformisme des gens un peu riches.

Mais il avait fait des efforts. Seulement un peu de paillettes dans les cheveux avec un sort -inutile- qu’une copine de Beaux-Bâtons lui avait appris quand ils étaient encore là bas. Le reste, c’était assez commun, un costume trois pièces, seule originalité, les motifs baroque sur le tissu rouge aux nuances changeantes. Il avait assorti cela d’un ruban à son cou. Franchement, il avait déjà fait plus exubérant. Il avait sorti un manteau noir sobre, pour aller avec. Définitivement, il n’aimait pas les capes. ça faisait trop vieillot. Les sorciers avaient du mal à updater leurs modes vestimentaires franchement… Enfin. Il était arrivé à l’heure au restaurant et avait demandé le nom que son partenaire du soir avait dit de donner, on lui avait demandé le sien, il n’avait pas tiqué et l’avait donné aussi. On l’amena à une table dans un coin de la salle. Un peu isolé. C’était pas déplaisant pour le côté intimiste, mais il se demandait aussi si on avait pas un peu honte de lui. Toujours cette crainte pas très fondée.

Il avait patienté, laissant son regard se balader dans la salle. C’était un restaurant comme un autre au final. La décoration ne cassait vraiment les pattes à un canard. C’était même un peu ennuyeux. Il se mit à réfléchir à comment rendre tout ça plus fabuleux. Rigolant à moitié tout seul en imaginant des portraits de Dragqueens dans des positions obscènes. Roh, ce serait vachement plus drôle. Le serveur vint plusieurs fois le voir… Il finit par commander un cocktail. Qu’il finit assez vite. Mais… Il n’avait pas forcément envie de se bourrer la gueule avant l’arrivée de son jules… S’il arrivait un jour… Soupir. C’était la tristesse de finir l’année sur un lapin… Soupir encore.

Et le serveur vint le voir avec un autre cocktail.

“Mais j’ai pas…”

Le serveur lui désigna un homme. Et… Silène mit quelques secondes à le reconnaître. Et le voir lui aussi seul. C’était… Un peu drôle de le revoir dans cette situation là. Enfin… Il supposait qu’il était seul lui aussi… Victime de l’épidémie de lapinade ? Il hésita une seconde puis se leva pour rejoindre l’homme. Après tout, il allait pas passer sa vie à attendre pour un mec qui ne le fait même pas rêver. Il s’assit en face d’Octave.

“Franchement, s’arranger avec mon rendez-vous pour qu’il me pose un lapin pour m’avoir pour le réveillon, c’est une idée diablement… plaisante.” ironisa-t-il en faisant teinter son verre contre celui d’Octave. “Remercions Edward pour son désistement opportun, et je te prends pour témoin, il pourra se brosser pour toucher mon cul en 2020.”

Bon, il fallait avouer qu’il avait parlé un peu fort exprès. Puis avait pris un air désolé aux regards outrés des gens autour. Il avait attendu quelques secondes, et avait un peu pouffé.

“Désolé, mais j’adore vraiment trop faire ça dans les restaurants de ce genre… Et… T’es vraiment partant pour manger avec moi ?”

Cette sensation de ne jamais être suffisamment intéressant. Cette boule au creux du ventre quand il croise le regard de l’homme.

“Je peux… Enfin je peux me faire discret si ça te dérange mes exubérances…” ajouta-t-il un peu hésitant, presque fragile.

Au stade où il en était, il aurait pu prendre les paris sur la suite des évènements. Viendra, viendra pas ? Lapin, pas de lapin ? Il fut moins surpris que soulagé de voir Silène se lever, cocktail à la main, et venir à sa table. Même s'il essayait de ne rien en montrer. Après tout, il venait peut-être juste lui ramener son cocktail ou l'envoyer paître. Même si à son sourire, il en doutait. Et son visage froncé s'ouvrit pour laisser apparaître un sourire en coin alors que le poufsouffle prenait place en face de lui. Oh, il avait oublié que l'autre ne faisait pas dans la discrétion ni dans la distinction. Ni au niveau de sa tenue et de ses cheveux scintillants, ni dans ses mots. Est-ce qu'il en était gêné ? Il aurait pu l'être. Mais il était presque trop content d'avoir de la compagnie pour lui en tenir rigueur. Et puis un nom vint obscurcir l'horizon alors que leurs verres claquaient l'un conte l'autre. Minute. Edward ? C'était un peu gros comme coïncidence. Déjà qu'ils ne devaient pas être beaucoup à se faire poser un lapin le soir du 31 -on espérait- mais en plus par un homme nommé Edward, les chances étaient vraiment faibles. C'était quoi, ce plan ? S'il n'avait jamais croisé Edward auparavant, il se serait demandé si ce type existait et si tout n'était pas qu'une vaste plaisanterie organisée. Mais non. Il savait ce mec réel et c'était peut-être le pire. Ca et ... les regards outrés des gens autour d'eux. Enfin non. Ca, c'était amusant.

Il fit un geste de la main, désignant par la même occasion la table et la chaise sur laquelle Silène avait pris place.

"Fais comme si c'était ta table ! On sera mieux à deux que chacun avec son lapin non ?"

Il pourrait supporter les exubérances pour la soirée, du moins le pensait-il. Après tout, ça avait un côté amusant. Et puis il doutait que le jeune homme puisse retenir son naturel. Il ne le connaissait pas sobre. Rectification, il ne le connaissait pas tout court, il faudrait un peu plus d'une nuit éméchée pour ça. Mais ça, ça transparaîssait dans sa manière d'être, ses gestes, son apparence, tout.

"Edward hein.. Un grand brun, les cheveux mi-longs, un petit bouc, des lunettes ?"

Il était un peu suspicieux. Soit Silène le connaissait et savait qu'il avait rendez-vous avec -et donc qu'il allait lui poser un lapin-. Soit ils avaient rendez-vous avec le même Edward qui s'était bien payé leur tête. Il ne savait pas ce qui était le pire. Est-ce qu'il faudrait le remercier de n'être pas venu à son rendez-vous avec Silène ? Ca aurait peut-être été pire de le voir à l'autre bout du restaurant, en tête à tête avec un ancien coup d'un soir... Il entama enfin son cocktail, le premier de la soirée.

"Il faut croire qu'il s'est arrangé tout seul pour que je t'aie pour le réveillon."

Est-ce que c'était une bonne nouvelle ? La suite de la soirée le lui dirait. En attendant, les regards étaient tournés vers eux pour d'autres raisons que leur solitude respective et ça les rendait bien plus supportables. Le serveur ne perdit pas une miette de leur échange, débarrassant la table d'à côté à vitesse réduite pour suivre l'échange. Et il parut ravi de pouvoir enfin leur présenter le menu et leur proposer un apéritif. Ils firent tous deux leur choix, parmi les deux menus proposés pour le réveillon. Octave se permit de demander un autre vin que celui proposé par le serveur. Un vin français. Le vin anglais, non merci.

"On peut le remercier, je m'estime gagnant au change..."

Et il se pencha au dessus de la table pour chuchoter, une fois le serveur reparti.

"Tant pis pour lui, ça lui fera deux culs en moins pour 2020... "

Qui êtes vous et qu'avez vous fait d'Octave ? Il semblerait que l'attente et le lapin avaient eu raison de sa bienséance. A moins que ça ne soit la présence de Silène ? Ou la nouvelle année ? Allez savoir. En tout cas, il n'était pas vraiment fier de sa remarque et s'empressa de la noyer dans son cocktail.

C’était vrai, ils allaient passer un bien meilleur réveillon ensemble que chacun dans leur coin. Il ne put qu’avoir une moue, acquiesçant avec un sourire amusé. Par contre, il ne s’attendait pas à ce qu’Octave lui fasse la parfaite description de l’homme qui lui avait posé un lapin. Il manqua de s’étouffer avec sa boisson, et écarquilla les yeux avec un étonnement non feint. Co… Comment il savait qui était Edward ? C’était flippant. Il avait fait comment ? Il l’avait suivi depuis leur nuit ? Naaan. C’était pas un putain de stalker. Son regard se fit suspicieux quelques secondes. Avant de faire les liens. Diantre. Fichtre. Le sacré bâtard. C’était vraiment un fils de chien, ce Edward !

“Le bâtard ! Il mériterait qu’on lui coupe les couilles…” lâcha Silène en français sous la soudaine colère. Il se reprit et continua en anglais. “Franchement, c’est clair qu’on y gagne au change… En plus, il baise même pas bien…”

Il reprit de plus belle la descente de son cocktail. Parce qu’il allait pas se laisser abattre. Au contraire, il allait encore plus profiter de cette soirée. Et il allait être reçu le Edward la prochaine fois. Silène récupéra la carte. Bon… Il allait douiller pour payer sa note… Il détestait ces restaurants de riches où les prix n’étaient pas marqué. Comment il savait le nombre d’organes qu’il devait vendre pour un plat et un dessert, hein ? Merde, il allait pas en plus demander à Octave de payer pour lui. ça, c’était hors de question. Il était pas escort… Il avait sa dignité. Il coucherait pas en dédommagement du restau. D’ailleurs, ils allaient peut-être même pas coucher ensemble. Bon, Silène croyait à peine à cette pensée. Bon de toutes façons, y’avait pas moyen de gruger le prix en prenant juste une salade. Adieu, petit Reim, je t’aimais bien, mais tu serviras à payer le homard.

Silène sourit au compliment. C’était un compliment… Ouais, parce qu’en plus le Edward était pas dégueu, donc mieux que pas dégueu, ça voulait dire que le brun le trouvait plutôt mignon ? Et il se pencha un peu au dessus de la table pour entendre ce que l’autre disait. Et il pouffa en l’entendant. Venant de cet homme si coincé au premier abord, ça surprenait.

“Clairement, c’est une super bonne résolution !” rit-il complice.

Il termina son cocktail -il en restait pas grand chose-. Il posa son regard dans celui du brun.

“Au moins, on va pouvoir faire vraiment connaissance ? Parce que le repas va être long si on discute pas un peu… Alors, Octave, tu me racontes ta vie, ton oeuvre, et je fais la mienne après ? Ou tu veux toujours pas me parler de toi parce que tu es un homme mystérieux…”

La surprise devait se voir dans les yeux d'Octave, en entendant un bon flot d'injures en français. Et ça n'était pas que celle de constater qu'il ne s'était pas trompé et que le même gars leur avait posé un lapin à tous les deux. Il le fixa un instant, les yeux ronds, faisant passer sa langue sur ses molaires. Ses talents d'observateur en prenaient un coup. Silène était français et il ne l'avait pas encore remarqué jusqu'à là ? Il se força de ne pas sourire, même si ses lèvres remontaient un peu. C'était amusant. Et pas très raffiné, on en conviendra. Il préféra laisser l'information dans un coin de sa tête et y revenir plus tard. Qui sait ce que la soirée leur réservait encore comme insultes insoupçonnées ? Il ne fit pas de commentaire sur les talents -ou l'absence de talent- de l'autre homme au lit. Il n'avait pas eu l'occasion de constater ça et ne comptait pas la provoquer à nouveau. Mais il jeta tout de même un œil aux tables à côté, dont leurs voisins de table, beaucoup trop curieux, qui avaient l'air de s'emmerder à deux comme ils auraient pu le faire chacun de leur côté. Et qui semblaient outrés du langage du plus jeune. Octave aurait pu l'être aussi. Et surtout être gêné. Mais pour l'heure, ça l'amusait encore. Ça avait un côté rafraîchissant, tellement de vulgarité dans un lieu pareil. Et il préférait dénoter pour ça que pour sa solitude un soir de nouvel an.

Il rajusta son nœud papillon, une fois rassis sur son siège, un peu honteux de ce qu'il venait de dire. Si lui aussi se mettait à la vulgarité, ils allaient finir par se faire sortir d'ici ! Et vu le prix du menu, ça serait dommage de ne pas en profiter jusqu'au bout. Il avait eu l'honneur d'avoir la carte avec les prix, lui. Et ne se doutait pas un seul instant que le serveur avait fait ses propres déductions et avait choisi qu'Octave avait la tête de celui qui payerait le repas. Ce qui en soit n'était pas un problème pour lui. Les quelques mois derniers avaient été difficiles et son compte bancaire tirait encore vers le rouge mais les premières payes du théâtre lui avaient fait du bien. Et les choses devraient aller en s'améliorant, il l'espérait. En parlant de ça...

"Je serais ravi d'être un homme mystérieux..."

Il lâcha, amusé. Il n'avait rien de mystérieux, en vrai, trouvait-il. Sa vie était d'une banalité affligeante. Peut-être mériterait-elle de garder sa part d'ombre pour faire rêver un peu le poufsouffle justement.

"Mais je suppose que je peux t'en raconter un peu quand même... Je.. travaille à la réouverture d'un théâtre, dont je viens de reprendre la direction. C'est encore tout récent, on va rouvrir début janvier.. C'est vraiment prenant, il y a tellement de choses à voir... J'espère que ça va marcher, c'est la première fois que je suis sur un projet d'une telle envergure. Je croise les doigts..."

Et il s'emballait un peu, avec ses doigts croisés au dessus de la table. Octave, ce n'est pas un entretien d'embauche, juste un dîner. Le pire, c'est qu'il ne surjouait pas, l'enthousiasme était réel, il n'en revenait toujours pas d'avoir été choisi pour ce projet. Même si rien n'était encore fait, il restait énormément de travail rien que pour la soirée d'ouverture et ... On souffle. On n'est pas là pour penser au travail.

"Et j'aime beaucoup la musique, classique surtout. Tu as peut-être vu la harpe et le piano chez moi, j'en joue depuis des années."

Peut-être que Silène ne les avait pas remarqués, on l'excuserait -il n'avait pas eu le droit de finir sur le piano, lui-. Il faut dire qu'entre l'alcool et la gueule de bois, ils avaient été bien occupés à autre chose que faire le tour du propriétaire.

"Voilà pour mon œuvre. J'ai le droit de réserver ma vie pour un peu plus tard ? Et de faire l'impasse sur mon enfance ?"

Et sur beaucoup d'autres choses. Ce n'était pas le divan du psy, ici. Et Silène n'avait pas besoin de connaître tous ses tracas, on le dispensait de ça. Le serveur vint leur apporter le vin alors qu'il finissait. Il présenta la bouteille et l'ouvrit avant de la faire goûter à Octave. Il était bon. Le grand brun n'avait que trop rarement l'occasion de boire du bon vin français, il fallait la saisir. Le serveur remplit le verre de Silène puis le sien et repartit chercher leurs plats. Le temps de les laisser trinquer.

"A Edward ? Qu'on remercie de nous permettre une rencontre opportune ?"

Il lui sourit avant de boire une gorgée et de reposer son verre.

"Et maintenant que tu sais tout de mon œuvre, j'ai le droit d'en savoir plus sur toi ?"

Parce qu'il ignorait vraiment tout de l'homme face à lui. A part certaines choses inavouables qu'heureusement l'alcool avaient en partie effacées et qui le feraient rougir en un rien de temps.

Oh, il se sous estimait, il était plutôt mystérieux dans son genre. En même temps, tout le monde serait plus ou moins mystérieux à ce stade, vu ce qu’ils avaient échangés comme mots la soirée de leur rencontre… Non et puis, il avait un truc un peu sérieux et mystérieux quand même. Ce côté un peu chic et bourgeois. Valait mieux penser que ça donnait un air mystérieux plutôt que coincé, non ? Silène l’écouta curieux de voir le mystère se lever tout doucement. Hm. Directeur de théâtre ? Wow, c’était plutôt cool comme job. Il le voyait pas dans quelque chose de si proche du milieu artistique en vrai. Il était assez agréablement surpris.

“J’espère pour toi aussi… C’est vraiment chouette ! Je croise les doigts aussi !”

Et enthousiaste il montra ses doigts croisés au brun. Comme un enfant l’aurait fait, et avec le même genre de sourire émerveillé aussi. Le théâtre, c’était un peu un lieu de rêve pour lui. Il n’avait pas eu si souvent l’occasion d’aller dans ce genre d’endroit petit, alors, ça avait un côté un peu sacré. Il était toujours ravi quand on lui proposait maintenant d’y aller. Le piano et la harpe décrochent un air mi étonné, mi émerveillé au Poufsouffle. Il n’aurait jamais pensé qu’il était un mélomane. Il était plutôt très agréablement surpris. Après tout, lui, il chantait modestement depuis quelques années.

“J’avais vu le piano seulement… Mais il y a tellement de gens qui ont ça juste pour le prestige… Je serai ravi de t’entendre en jouer !” avoua-t-il charmé. “Oui, gardons ta vie pour le plat, ou le dessert, histoire d’avoir de quoi tenir toute la soirée !”

Il rigola un peu en disant ça. En vrai, s’ils pouvaient éviter de parler de choses trop personnelles, ça arrangeait totalement Silène. Il n’aimait pas franchement faire sortir les violons et faire pleurer dans les chaumières avec sa vie. Franchement, c’était mieux de parler de ce qu’ils aimaient faire, de leurs rêves respectifs, de se tourner vers l’avenir plus que vers le passé ! Il releva son verre, et eut une moue réprobatrice.

“On va quand même pas trinquer en son nom toute la soirée, non ! Non ! Trinquons… hmmm… A la Destinée qui a su nous réunir ce soir pour débuter ensemble une merveilleuse année sous des auspices fabuleux !” énonça-t-il un peu excessif et théâtral.

Il trouvait que la soirée était finalement plus amusante que s’il l’avait passé avec Edward et ses conversations auto-centrés. Au moins, là, il y avait le petit frisson de la découverte, la surprise de découvrir qui on a en face de soi. Et visiblement, Octave était intellectuellement sexy d’après les critères de Silène.

“Tu peux… La plupart du temps, je suis juste étudiant, en vétomagie, je travaille chez un vétérinaire en ce moment, et un jour, je pense que j’arriverai à ouvrir un refuge, il y a beaucoup trop d’abandon ou de maltraitance sur certains animaux… Puis, le reste du temps, je deviens Reine Divine, et je finance mes projets en étant une fabuleuse drag queen ! J’ai réussi à me faire une petite fortune cet été !”

Il prit la pause et eut un petit rire. Il aimait bien l’univers du drag, le côté performance, le côté excessif aussi. C’était un milieu où il se sentait presque timide par rapport aux autres reines. Il n’en ferait pas sa vie, mais ça l’avait bien déconnecté du monde sorcier. Et puis, il devait l’avouer, la magie l’avait un peu aidé pour avoir des tenues viables et variées tout l’été.

“Et il m’arrive de chanter et de danser autre chose que du Gloria Gaynor des fois… Mais j’ai jamais vraiment pris de cours ou quoi. Oh, et je sais faire de très belles compositions florales. On sait jamais, si tu dois envoyer des fleurs à quelqu’un…”

Parfois, ça lui manquait un peu de ne plus être entouré de fleurs. En fait, c’était surtout la présence de son père au milieu des fleurs qui lui manquait… Mais il ne laissa pas la nostalgie l’embarquer et but une gorgée du vin alors qu’on leur amener les plats. Il n’allait jamais réussir à tout manger…

“Et je suis en général économique en nourriture… Je suis le seul à trouver que c’est hyper copieux ?”

Difficile de se sortir de l'esprit tous les préparatifs pour l'ouverture du théâtre. Et le voilà à y penser à nouveau, alors qu'il était attablé un soir de Nouvel An. C'est qu'il restait encore tellement de choses à faire, qu'il espérait si fort que tout se passe bien... C'était vraiment prenant. Mais au moins, ça lui plaisait. Et il était ravi de voir l'effet que ça avait. L'enthousiasme était communicatif. C'est vrai qu'auprès de beaucoup, ça en jetait plus que gratte papier au Ministère -même un gratte papier haut placé...-. Mais même s'il en tirait une certaine fierté, il essayait de ne pas se réjouir trop vite. Rien n'était encore fait.

"Je t'en jouerai avec plaisir !"

Minute. Est-ce que ça voulait dire qu'il comptait le ramener chez lui ce soir ? On se calme, Octave. Non, il ne comptait pas boire autant. Ils étaient juste là comme deux inconnus qui partageaient un moment pour oublier cette déconvenue. Et ils repartiraient chacun de leur côté, à la fin de la soirée. On y croit, hein. Bon. Il semblerait que s'il reprenait du poil de la bête, il n'avait pas encore totalement repris le contrôle sur sa vie. Certaines choses lui échappaient. Comme la raison qui le poussait à partager sa soirée avec ce curieux jeune homme.

Qui avait, il le remarquait avec surprise et intérêt, un sacré sens de l'exagération et du spectacle. Octave sourit, en trinquant avec lui.

"A la destinée alors !"

Il avait bien raison. Edward ne méritait pas qu'on s'attarde tant sur sa santé. Il n'irait pas jusqu'à lui souhaiter du mal, quoi qu'une petite gastro ou une angine lui passerait peut-être l'envie de poser des lapins à tour de bras. Enfin le mieux restait encore de l'oublier et de se concentrer sur le présent.

Son visage se ferma un peu, en l'entendant parler de lui. Un étudiant. Bien sûr. Il s'attendait à quoi ? Il avait déjà tiqué sur l'âge de Silène une première fois -après leur première fois, justement-. Et il venait de se le reprendre en pleine face. Ce n'était pourtant pas une surprise. Il faisait jeune. Octave ne lui donnait pas 25 ans. Mais le savoir étudiant, quelque part, ça rendait ça plus réel. Et gênant.
Octave, qu'est-ce que tu es en train de faire, en tête à tête avec un étudiant bien trop jeune pour toi ?
Il ne prêta pas vraiment attention au reste, bataillant avec ses dilemmes internes. Et s'étonna un peu en l'entendant parler de drag. Comment en était-on arrivé là ? Avait-il loupé un si gros morceau ? Voilà que la surprise gagnait un peu plus son visage. Oh. Ce n'était pas vraiment une forme d'art qu'il comprenait. Il faut dire qu'il ne s'y était jamais intéressé et qu'il ne connaissait le drag qu'à travers des clichés réducteurs et peu flatteurs. Avec un peu plus d'ouverture d'esprit, il aurait pu convenir que ça lui allait bien.

Oh... intéressant..." On avait rarement vu moins déterminé. Il essayait, pour ne pas le froisser mais on voyait aisément que la conviction n'y était pas.

"Tu dois avoir du succès !" Essaya-t-il tout de même. Il avait bien remarqué le sens du spectacle de Silène. Il ne doutait pas qu'il excellait pour faire le show. C'était juste dommage - à ses yeux - que ses talents ne soient pas employés à une plus noble cause.

"Dans ce cas... je serai ravi de t'entendre chanter ! Et de te voir danser !"

Hm.. Oui, danser, jouer du piano chez lui, on savait comment ça finissait. On a dit une soirée sage, Octave... Il était curieux, tout de même. Pas au point de vouloir assister à un show de Reine Divine non plus, il faudrait qu'on lui ouvre un peu plus l'esprit pour ça. Mais d'entendre Silène chanter, ça l'intriguait, il restait grand amateur de spectacle et de belles choses. Il reprit une gorgée de vin, après l'avoir fait tournoyer dans son verre.

"Et j'en déduis qu'il faudra que je prête attention à la composition, si je veux t'envoyer des fleurs... "

Pas que ça soit dans ses plans. Ni d'en envoyer à Silène, ni à personne d'autre. Mais il notait ça dans un coin de sa tête. On ne sait jamais, peut-être aurait-il besoin de faire envoyer un bouquet un jour... Le serveur leur apporta leurs plats et en profita pour remplir leurs verres à nouveau. C'était copieux, oui. En même temps, vu le prix qu'ils payaient, ça l'aurait embêté de ressortir du restaurant en ayant encore faim.

"Profite, c'est pas tous les jours nouvel an ! Et bon appétit"

Il ajouta, en français. En exagérant un peu l'accent anglais. Combien de temps ça l'amuserait avant que Silène ne note qu'il était aussi français que lui ? Allez savoir.

Lui, en tout cas, il avait faim. Et il ne se fit pas prier pour entamer le plat. C'était plutôt bon, pas à la hauteur des prix exercés mais ils payaient avant tout la date et le lieu, ça n'avait rien de surprenant.

"Qui dit plat de résistance dit choses plus personnelles, non ?"

Pile ce que Silène ne voulait pas ? Comment savoir... Lui, il était intrigué par le jeune homme, même si plus d'une chose à son sujet le mettaient mal à l'aise. A commencer par son âge, bien sûr.

"Je suis curieux d'en savoir plus sur toi. Maintenant que je n'ai plus besoin d'un merveilleux inconnu pour satisfaire mes ... rêves." Pas fantasmes, non. Il y avait des voisins de table qui s'ennuyaient, faisaient des nœuds avec leurs serviettes et tendaient l'oreille depuis un petit bout de temps. Il reprit une bouchée, un peu de vin, avant d'ajouter.

"Des choses avouables, pour commencer ? Parce que sur le reste, j'en sais déjà beaucoup trop."

Il chuchota la fin de sa phrase. Même si ça ne changeait pas grand chose, la musique d'ambiance du restaurant ne cachait rien de leur conversation aux oreilles des voisins. D'ailleurs, l'homme ne s'en cachait même plus et avait son oreille tendue vers la table.

"On peut vous aider Monsieur ?"

Il n'avait pas tellement d'autre solution que de lui faire remarquer. Le vieil homme se rassit un peu mieux sur sa chaise et parût gêné un court instant. Avant de leur expliquer qu'il voulait leur demander du sel mais ne voulait pas les interrompre.
Ah. Du sel. Bien sûr.
Il jeta un coup d'oeil à leur table. Ils en étaient au dessert. On espérait que cet homme n'avait pas fait carrière dans les mensonges.

"Bien sûr, je vais vous arranger ça."

Il sortit sa baguette et enchanta le sel qui vint se saupoudrer par dessus l'assiette de miniardises, sous l'air outré de l'homme qui commença à s'énerver.

"Mais enfin Monsieur ! Je ne vous ai pas demandé ça ! C'est inadmissible ! Serveur ! S'il vous plaît ! Cet homme a mis du sel dans mon assiette...."

Il pouffa de rire en se tournant vers Silène. C'était ridicule. On se serait cru à la cantine de l'école primaire. Mais ça avait un côté amusant. Il tenta de reprendre son sérieux en se tournant vers l'homme, se mordillant la lèvre pour ne pas sourire. Au moins, il avait trouvé là une autre distraction que leur conversation, même si le serveur n'allait pas tarder à venir... les gronder ? On ne savait plus à quoi s'attendre ici..

C’était amusant de voir comme l’homme en face de lui semblait se désinhiber à son contact. Comme s’il n’attendait qu’une pointe de folie pour laisser derrière lui son carcan de règles et de bienséance. C’était vraiment drôle à voir. Et si en plus il lui offrait des concerts gratuits, Silène allait finir par croire qu’ils avaient un vrai rendez-vous galant, là… Surtout en trinquant à la destinée, vraiment, ça sonnait comme dans une comédie romantique hollywoodienne. Est-ce que cette idée plaisait à Silène ? Disons, que ça ne lui déplaisait pas ! Sous ses airs flamboyants, il n’en restait pas moins sensible et un brin romantique, pas pour rien qu’il s’était senti un peu écorché aux fils des histoires sans lendemain, il avait sa carapace mais… Sous les écailles pailletées, il y avait toujours un petit coeur qui battait la chamade quand il s’agissait de belle histoire d’amour.

Silène aurait été aveugle s’il n’avait pas vu le léger changement dans la physionomie du brun. C’était son âge le problème ? Probablement… C’était le fait qu’il parle de ses études qui avait laissé l’homme pensif. Mais ce n’était rien à côté de l’évocation de sa carrière de Queen. Ok. Octave n’avait vraiment pas l’air très branché extravagance et questionnement du genre par le spectacle. Il ne put s’empêcher de sourire un peu moqueur. Il n’attendait que ça d’être décoincé, mais pas trop non plus…

“Ne te force pas, je sais très bien ce que les gens pense du drag… Mais c’est une discipline beaucoup trop sous-côté… Il suffit d’essayer de faire un show avec des talons de 15cm pour se rendre compte que c’est un vrai savoir-faire…” Il eut un petit rire. “Un peu, mais je sais rester modeste… J’ai pas encore booké une tournée mondiale mais bientôt !”

C’était amusant de voir que la danse et le chant ça lui disait, mais surtout pas travesti. C’était un peu hypocrite… Faudrait plusieurs rendez-vous pour le rendre vraiment fréquentable ce Octave.

“Je ne te chanterai que des chansons correctes, promis. Pas de Gloria Gaynor, ou de Cher…” lui dit-il avec un clin d’oeil taquin. “Et oui, il faudra que tu ailles voir le meilleur des fleuristes… Mais à dire vrai, je préfère les plantes en pot, ça évite qu’elles meurent pour mon simple plaisir.”

Face au plat, Silène n’était pas aussi enthousiaste que son vis-à-vis, vraiment, c’était trop, et ça avait l’air vraiment calorifique. Non, Silène, c’est le Nouvel An, tu ne fais pas des calculs à propos de ce que tu manges et ce que tu bois, ok ? Il réfréna ses travers et sourit en entamant le plat.

“Bon appétit à toi aussi !” répondit-il en français, c’était rigolo de voir les efforts des anglais à parler dans sa langue natale. C’était cute.

Et il eut un léger arrêt quand l’autre parla des choses plus personnelles. Hm. C’était pas vraiment réjouissant. Il en avait vraiment pas trop envie. Alors… Il allait répondre tout en restant le plus allusif possible.

“Hm… Je suis français ? Je suis né et j’ai grandi à Paris… Je sais pas vraiment quoi te dire d’autre en fait, ma vie n’est pas très intéressante. Et puis, je sais très bien que les nés-moldus comme moi sont incompris la plupart du temps quand on se met à parler de nos enfances…”

En fait, il avait peut-être fait exprès de parler de ses origines. C’était un peu le test. Voir comment Octave réagissait. Est-ce qu’il faisait parti de ces extrémistes sorciers ou pas.

“Vraiment, l’inavouable est plus sympa à raconter…” souffla-t-il à Octave.

Et la suite… Il n’avait vraiment pas prévu qu’Octave massacre le dessert du voisin. Ok. On en était là. Silène avait explosé de rire devant l’air éberlué du voisin. C’était très dur de reprendre son sérieux. Et quand le serveur arriva, Silène prit son air désolé le plus sincèrement feint et accentua son accent français.

“Je suis désoooolé… C’est moi, j’ai mal compris… Je suis désolé monsieur… Est-ce que vous voulez que je vous offre… Euh comment vous dites en anglais… Hm… Une gâterie ? Ce n’est pas le mot ?”

L’air outré de la dame vaut son pesant d’or, mais c’était gênant de voir un air presque intéressé dans le regard de l’homme et du serveur. Il se corrigea en affirmant qu’il offrait le second dessert, mais c’était trop pour la dame qui demanda à quitter le restaurant à son époux. Le serveur s’excusa auprès d’eux, les suivant comme un petit chien. Au moins, ils allaient être tranquilles…

“Tu as prévu qu’on se fasse virer avant la fin du repas ? Pas que ça me dérange… J’aime bien l’inattendu mais bon… T’avais l’air d’apprécier le menu !”

Il rigola un peu. Il prit une fourchette du plat, la savourant, mangeant avec une lenteur maîtrisée. Ben quoi, vous savez pas qu’on est plus vite rassasié quand on mange doucement ?

Que Silène ne se méprenne pas, Octave ne remettait pas en cause les difficultés du drag. Il ne doutait pas que ça soit technique et compliqué. Mais à ses yeux, ce n'était pas une preuve de la valeur de cet art du spectacle, si on pouvait appeler ça ainsi. Ce n'était pas très grave, à ses yeux. Il n'était pas obligé d'approuver tout ce que l'autre faisait de sa vie et vice versa, ils n'étaient pas en train de conclure un pacte ou d'emménager ensemble là. On parlait juste d'un repas. Il se contenta de lui sourire, sans rien ajouter de plus pour ne pas le vexer. Il ne forcerait pas, non.

"Mes plantes en pot ont tendance à mourir aussi, pas pour mon simple plaisir mais plutôt par ma main tout sauf verte !"

Ce n'était pas faute d'avoir essayé. Fut une époque où il avait eu quelques plantes un peu plus exotiques. Mais à la longue, elles y étaient toutes passées. Il avait fini par ne garder que pots à l'entretien extrêmement aisé chez lui. Les autres ne faisaient pas long feu. Alors peut-être préférait-il les bouquets, lui. Au moins, il n'avait pas la culpabilité de les faire mourir. Et puis la magie savait les garder fraîches pendant longtemps.

Alors il était né à Paris... Octave fronça un peu les sourcils en l'entendant parler de né moldu. C'était un peu décevant mais pas si surprenant. Il ne lui reconnaissait pas les manières si chères aux familles de sang-pur et dont il se détachait chaque jour un peu plus. Il n'en était pas encore à se défaire de tous les préjugés qui avaient bercé son enfance. Notamment, la supériorité supposée d'un sang-pur sur un sang-mêlé ou pire, sur un sang de bourbe. Et ce, même après avoir appris que son véritable père était né moldu.

Il n'eût pas tellement le temps de répliquer avant que l'indiscrétion du voisin ne les interrompe. Donnant lieu à une scène qui attira les regards de la moitié des clients du restaurant. Il ne s'attendait pas à autant d'audience pour juste un peu de sel. Ni à ce que Silène ne vienne en rajouter. Il le regarda, à la fois un peu gêné, ses joues prenant de légères couleurs, à la fois amusé, peinant de plus en plus à retenir son rire. L'air outré de la dame n'aidait pas beaucoup.

"Je ne voulais que rendre service à ce pauvre homme qui cherchait désespéramment du sel..."

Quoi, manquait-il de crédibilité ? Il espérait bien qu'ils ne se feraient pas virer avant la fin du repas. Au prix du menu, ça serait dommage. Et puis le dessert des voisins lui avait paru vraiment appétissant -avant l'ajout de sel-. Et vu l'indiscrétion de ces derniers, il estimait qu'il s'était encore bien comporté. Déjà, c'était une honte de coller les tables à ce point vu le prix de la soirée. Il ne manquerait pas d'en toucher un mot au serveur si ce dernier leur faisait la moindre remarque, d'ailleurs. Mais il avait l'air trop gêné par la situation pour ça. Et il ne s'en plaindrait pas. Octave termina son assiette avec son deuxième verre de vin, pendant que son compagnon de soirée picorait son assiette. Il aurait presque pu lui proposer de l'aider à terminer son assiette. Mais il préférait se réserver pour le dessert. Et d'ailleurs, une fois leurs deux plats débarrassés, Octave se pencha vers Silène à nouveau.

"Tu sais, si l'offre tient toujours et qu'ils n'en veulent pas, je veux bien la gâterie ..."

Octave. Qu'est-ce que c'est que ces manières là ?

"Le dessert, bien sûr !"

Il lui fit un clin d’œil et fit un signe au serveur pour commander leurs desserts. Oui, il semblerait qu'on l'aie perdu pour ce soir. Et qu'en présence de ce jeune homme, il se sente des envie de renverser les bonnes manières. Il se faisait honte à lui-même. Heureusement, à part Silène, personne d'autre ne l'avait entendu puisqu'ils étaient désormais débarrassés de leurs voisins de table. Et l'étudiant n'avait pas l'air de lui tenir rigueur de ces propos irrévérencieux.

"J'ai une tête à ne pas comprendre l'enfance d'un né-moldu, si je comprends bien ? Les enfances des sangs-purs ne sont pas toujours plus intéressantes, si ça peut te rassurer."

Il en avait déduit que Silène l'avait catégorisé comme sang-pur. A moins qu'il ne lui aie lui-même confié la dernière fois, il n'en avait que peu de souvenirs.

"Et pourquoi as-tu décidé de quitter Paris pour ici, si ça n'est pas indiscret ?"

Comme si c'était une curieuse idée, d'avoir envie de quitter Paris... Il se demandait, oui. Lui-même ne serait jamais retourné vivre en Angleterre après ses études si son frère ne l'y avait pas obligé. Et pour ne pas paraître trop indiscret justement, il se confia un peu plus.

"J'ai vécu en France aussi pendant longtemps. A Paris puis en Haute-Savoie. J'ai dû en partir pour le travail."

Forcé par Caesar, surtout. Mais il n'allait pas parler de ses histoires de famille à un presque inconnu. Le serveur leur apporta leurs desserts à ce moment-là. Une jolie assiette de mousses de fruits et de différents biscuits, agrémentée de coulis. Vraiment, leurs voisins de table avaient manqué le meilleur.

"Tu as le droit de me poser une question indiscrète si tu veux ! Ou ... tu préfères de l'inavouable ?"

Silène serait peut-être déçu, à côté de ses anecdotes exotiques, sa vie dénuée de paillettes risquait de sembler fade. Mais Octave ne doutait pas que l'étudiant saurait le surprendre de ses questions. Et pour lui laisser le temps de réfléchir, il entama le dessert. L'apparence n'était pas trompeuse, les mousses étaient délicieuses. Si le plus jeune peinait à tout terminer, il ne se ferait pas prier pour l'aider.

Silène était quasiment sûr, vu le niveau de gêne du serveur, qu’on ne les embêterait pas. Plus quelqu’un est gêné par une situation, plus il évite de s’y attarder. Fallait toujours en rajouter une petite couche pour que la situation devienne tellement gênante et absurde pour que plus personne ne se plaigne, tant la simple évocation de la situation leur ferait déjà honte. Mission accomplie visiblement. Sauf que Silène ne s’attendait pas à être attaqué avec ses propres armes. Il regarda Octave avec un air surpris. Damn. Il s’attendait pas à ce qu’il lui sorte ça. Où était le sorcier coincé ? Rendez-le, c’est mal de faire des otages ! Mais Silène rigola plutôt que de s’offusquer. Même si au fond, il aurait peut-être préféré qu’on évite de lui rappeler qu’il n’était probablement apprécié que pour ses talents au lit. C’était une sensation bizarre. Comme une légère amertume. Silène commanda le dessert, même s’il avait déjà trop mangé -comme en témoignait la moitié d’assiette qu’il avait laissé pour le plat-.

“Disons que tu n’as pas l’air très familier du monde moldu. On reconnait vite les gens qui n’ont jamais côtoyé que des sorciers. Je juge pas, on choisit pas où on naît. Et j’imagine que ça doit être terrible de vivre au milieu de consanguins…. Enfin, de ce que j’ai pu comprendre vous en êtes au mariage entre cousins depuis un moment…”

Il y avait toujours une pointe de véhémence quand il venait à parler des Sang-purs. Même si Octave n’était pas responsable du comportement de sa mère et d’autres qui lui ont pourri sa scolarité. Enfin, ont essayé. Parce qu’on ne s’attaque pas à lui sans qu’il réplique. Enfin… Il aurait préféré que l’homme en face de lui fasse pas parti de la caste des privilégiés. Quelque part, ça le crispait un peu. Il préféra boire une gorgée de vin et ravaler toutes les remarques acerbes qu’il aurait pu ajouter. Ils n’étaient pas là pour s’envoyer des piques mais pour passer une bonne soirée.

Oh. Il avait vécu en France ? Alors il comprenait tout ce qu’il disait en français. Oh. Oh…. Merde. Il allait devoir tenir sa langue alors. Et insulter un peu moins dans sa langue natale en présence d’Octave. Il réfléchit quelques secondes à sa réponse à lui. Pourquoi il avait quitté Paris ? Il aurait pu inventer un bobard. Mais il n’avait pas envie de se creuser la tête pour trouver quelque chose de crédible. Autant jouer la carte de la franchise.

“J’avais trop de souvenirs à Paris. J’ai perdu mon père, alors, j’avais besoin d’un nouveau départ. Et ça emmerdait ma mère que je vienne ici sans son aide, du coup, ça me donnait une bonne raison de le faire. Des fois, il suffit de pas grand chose. Puis, le cursus de vétomagie est assez réputé.”

Il haussa les épaules. Au fond, sa vie ne tenait qu’à quelques concours de circonstances. Il piocha dans le dessert. Mais l’évocation de sa famille avait eu pour effet de lui nouer l’estomac. Il en fallait assez peu pour lui couper l’appétit en même temps. Alors il préféra relever la tête, et observer Octave qui lui s’en donnait à coeur joie pour manger les sucreries. Il allait avoir deux assiettes pour le prix d’une.

“Je vais finir par croire que tu aimes me confier toutes les informations licencieuses te concernant…” lâcha-t-il un peu moqueur. “Non… Mais je me demandais, en tant que Sang Pur, tu devrais pas être marié et père de famille à ton âge ? Enfin… C’est les clichés qu’on en a… Après si t’as évité ça, t’as du bol…”

Parce que s’il n’était pas en si mauvais terme avec sa mère, nul doute qu’elle aurait déjà essayé de le marier à une poule au sang pur. Irk. Rien que de l’imaginer, il en avait de l’urticaire.

“Tu veux les miens ?” proposa-t-il en désignant les desserts dans le prolongement de sa question.

C'était de bonne guerre, Octave pouvait comprendre la colère du plus jeune à l'égard des sangs-purs. Quelque chose dont il aurait été incapable quelques années plus tôt. Le recul qu'on l'avait forcé à prendre lui avait au moins apporté ça de bien. un point de vue un peu plus nuancé sur les nés moldus. Même s'il restait très proches des idéaux des sangs-purs sur beaucoup trop de points. Jusqu'à se sentir le besoin de remettre certaines choses au clair.

"Heureusement, on n'en est pas tous au mariage entre cousins non. A part certaines familles vraiment extrémistes, les autres ont compris en partie l'intérêt du métissage génétique."

Dans une moindre mesure, hein. Métissage mais entre sangs-purs, fallait pas pousser non plus. Il se doutait bien que c'était une pique de la part de Silène. Mais c'était lassant d'entendre toujours les mêmes choses. Ils avaient beaucoup de torts mais pas celui-là. Dans sa famille, on ne se mariait pas entre cousins.
Il préféra ne rien dire sur ses supposées non connaissances du monde Moldu. Ils étaient là pour passer un bon moment ensemble, pas pour se voler dans les plumes. Il n'en savait sûrement pas autant qu'un né moldu, c'était bien normal. Mais il en connaissait bien plus que Silène ne semblait se l'imaginer.

Peut-être valait-il mieux changer de sujet. Visiblement, le sang, c'était sensible chez le jeune homme, sans qu'il n'en devine pourquoi. Il faut dire que c'était un sujet tendu chez beaucoup de monde, surtout ces derniers temps. Et qu'on n'attendait pas qu'un né moldu fraternise avec un sang pur et vice versa.

Un changement de sujet qu'il regretta à la réponse de Silène. Il s'en mordit la lèvre. Il semblerait qu'il ait manqué une occasion de ne pas poser de question indiscrète... Il avait l'impression de mettre Silène un peu plus mal à l'aise chaque fois. Ce qui n'était pas tout à fait le but de la manoeuvre...

"Je suis désolé."

Il lui répondit, sobrement mais avec sincérité. Il était passé par là aussi, ayant perdu sa mère il y a quelques années. Au-delà de la douleur de cette perte, tout le drame qu'avait révélé son testament avait changé sa vie.

"Et tu te plais ici ? C'est pas toujours simple de s'acclimater je trouve.  Il m'a fallu du temps, pourtant j'ai vécu ici pendant un moment..."

Vous la sentez, la petite pirouette pour essayer de se racheter ? Il reprit de son dessert, qu'il mangeait avec appétit, notant qu'il n'en allait pas de même pour Silène. C'est bien ce qui l'embêtait. Il s'en voudrait de lui avoir coupé l'appétit avec des questions trop indiscrètes. Raison pour laquelle il lui proposa de lui en retourner une.

"Oh, t'en fais pas, j'en garde beaucoup pour moi."

Lui glissa-t-il avec un sourire. C'est vrai, il avait été prêt à livrer quelques informations scandaleuses la dernière fois, avec de l'alcool dans le sang. Mais aussi compromettantes qu'elles soient, elles étaient loin d'être les pires le concernant.

Et justement, il ne s'attendait pas à ce que Silène touche en plein dans le mile. Octave termina sa bouchée, s'essuya la bouche avec sa serviette en perdant tout sourire. Si tu voulais rendre la pareille, Silène, c'est réussi.

"Ouch. Tu as raison oui, je devrais."

Il termina son verre de vin, le temps de réfléchir à ce qu'il acceptait de dire et ce qu'il gardait sous silence.
Le verre vide reposé sur la table et un soupir plus loin, il releva le regard vers le Poufsouffle.

"C'est moi qui t'ai coupé l'appétit avec mes questions ? J'en suis encore désolé, tu veux bien pardonner mon indiscrétion ?"

C'était vraiment dommage, surtout que les desserts étaient excellents, plus encore que le plat. Ou peut-être était-ce parce qu'il avait un goût particulièrement développé pour les pâtisseries.

"J'aurais dû me marier, il y a quelques années. Pas à ma cousine, contrairement à ce que tu imagines. Mais.. pour la faire courte, le mariage a été annulé et ..."

Et c'est mon frère qui s'est marié avec ma fiancée, joie et allégresse. Non, il se tut quelques instants, soupira à nouveau. Le sujet n'était clairement pas des plus joyeux. Il ne rentrerait pas dans les détails des raisons de l'annulation.

"Pour les familles de Sang Pur, le plus important est la continuité de la lignée et du nom. Mon frère est marié, c'est lui l'héritier de la famille. On n'attend plus de moi que je me marie."

Et surtout, son frère s'arrangerait pour que ça n'arrive pas et ferait tout en son pouvoir pour faire annuler n'importe quel mariage. Il était clair qu'il était à présent le seul héritier de leurs parents.

"Tu es sûr que tu ne veux plus de dessert ?"

Il demanda, avant de prendre l'assiette de Silène si ce dernier n'en voulait vraiment plus. Il ne finirait sûrement pas tout mais quelques cuillères de gourmandise en plus, il ne dirait pas non.

"Et je suis père. J'ai un petit garçon de huit ans et demi. Calixte. Dont je n'ai... malheureusement pas la garde."

Il lui passerait les détails là dessus, aussi. Malgré l'air un peu triste, il avait toujours un sourire qui illuminait son visage lorsqu'il le mentionnait. Contrairement au reste de sa famille, dont il préférait taire l'existence, il ne cachait jamais celle de son fils. Calixte lui manquait énormément. Il ne l'avait pas vu depuis des mois. L'été dernier, il n'avait pas eu l'énergie de se battre. Mais il comptait bien tout faire pour le revoir une fois le théâtre ouvert.
Le serveur venait de débarrasser leurs assiettes, leur proposant cafés et autres digestifs, lorsque les clients du restaurant se mirent à faire le compte à rebours. Oh. Déjà ? Mais pourtant... Ah oui, c'est vrai qu'il avait attendu longtemps seul comme un idiot à sa table. Ils étaient les derniers à finir le repas. Et ils n'avaient même plus de quoi trinquer... Octave fit signe au serveur pour qu'il leur apporte de nouvelles boissons. Du champagne, afin de fêter dignement la nouvelle année. Sauf si Silène souhaitait autre chose. Ils arrivèrent au zéro du compte à rebours sans rien avoir d'autre à table. Tout le monde se leva dans le restaurant. Des bouchons de bouteille sautèrent. A son tour, il quitta sa chaise et s'approcha de Silène. Il lui fit la bise en lui souhaitant la bonne année. Et puis après une petite hésitation, il s'approcha à nouveau de lui, attrapa son visage pour déposer chastement ses lèvres sur les siennes. Juste parce qu'elles avaient un petit goût de sucre, pensez vous...

Le métissage génétique selon les Sangs Purs, au lieu d’épouser ta cousine germaine, épouse celle au troisième degré. Voilà voilà. Il préféra ne pas surenchérir. Ce n’était pas le but de la soirée qu’ils s’envoient des vacheries à la gueule en se basant sur des préjugés et sur un sang qu’ils n’ont pas choisis, ni l’un, ni l’autre. Autant tourner la page.

“LOndres, c’est pas si mal… J’ai pas mal d’amis, l'université est vraiment sympa... Bon après, les terroristes, tout ça, c'est moins ma tasse de thé mais bon..." plaisanta-t-il avec un petit rire.

Mais les questions d’Octave le menaient dans des sujets qu’il aurait d’ordinaire esquivé sans mal. Seulement, le Destin semblait les pousser à la franchise, les pousser l’un vers l’autre. Il ne pouvait pas nier qu’il aimait bien Octave, malgré son sang pur, et leurs différences évidentes. Il ne pouvait pas dire qu’il se voyait passer sa vie avec lui, mais… Un ami, peut-être que cet homme pouvait en être un. L’idée ne déplaisait pas à Silène. Par contre avec sa question sarcastique, il ne pensait pas blesser le brun. C’était un peu trop bien visé. Il eut un regard désolé. Peut-être qu’inconsciemment, il avait voulu contre-attaquer, lui faire du mal comme il avait eu mal pour la question sur Paris ? Peut-être, le subconscient est parfois malicieux.

“Désolé… Je voulais pas être blessant…” souffla-t-il en voyant qu’il avait fait mouche. “Non, non… C’est juste que je mange pas beaucoup… Donc… Là, ça fait un peu trop pour moi… Vas-y, ce serait dommage de gâcher un si bon dessert !”

Il esquissa un mince sourire. Il ne s’attendait pas à ce qu’Octave continue de lui parler sur ce sujet tendu. Il écouta, fronçant un peu les sourcils à l’évocation du mariage, ça avait l’air assez horrible comme situation. En soi que ça soit annulé, c’était une bonne nouvelle non ? Il n’était pas sûr de tout comprendre. Enfin… S’il avait été marié, vu la première soirée qu’ils avaient passé, il aurait probablement rendu son épouse triste… C’était pour ça que le mariage avait été annulé ? Ou pour une autre raison ? Il n’allait pas le demander à Octave. Il essaya de positiver, en souriant.

“Au moins, tu es libre de faire ce que tu veux maintenant ? C’est plutôt une bonne nouvelle…” dit-t-il mal assuré.

Octave hocha la tête. Oui, oui, Octave pouvait se consoler en mangeant ses pâtisseries, vraiment. Il avait l’air de tellement se régaler avec les sucreries. Il n’aurait pas parié sur le fait qu’il soit si gourmand. Pourtant, il avait pas trop de gras stocké sur son corps… Il en avait de la chance… Et la dernière information fit l’effet d’une bombe à Silène. Qu… Quoi ? Oh. Putain. La surprise dut se voir sur le visage du plus jeune. En fait, il était carrément sur le cul. Il voyait pas Octave père. Et en même temps, son sourire prouvait un amour certain. Et la douche froide arriva quand il dit qu’il n’avait pas garde. Waw. Il avait décidé de faire fuir Silène avec toutes ces informations ? En vrai, il était un peu trop surpris pour avoir le bon mot.

“Oh… Désolé. Il… Il a l’air de compter pour toi.”

Et sans qu’ils aient vraiment le temps d’en dire plus, le décompte commença. Ils n’avaient pas de verres, mais ça n’avait pas vraiment d’importance pour Silène. Il se leva aussi pour avancer vers Octave. Se faire la bise semblait une évidence pour deux français. Mais… La suite. Oh. Il ne s’attendait pas à ce baiser au goût de sucre. Il était plus qu’agréable. Vraiment délicieux. Il resta un peu figé, le regard dans le vague, le rouge un peu aux joues. C’était un surprenant début d’année.

“Bonne année…” finit-il par souffler après la seconde de silence.

Il ne pouvait cacher un sourire. La surprise du baiser l’avait touchée. Qu’il l’embrasse ici. ça voulait dire qu’il n’avait pas trop honte de lui. Il y avait eu des hommes qui avaient eu honte de lui après plusieurs rendez-vous alors… Il était vraiment surpris de la tournure de la soirée. Les verres de champagne arrivèrent. Ils se rassirent, même s’ils n’allaient sans doute pas rester très longtemps.

“Le dernier verre, on va le prendre chez toi ?” demanda-t-il curieux.

En fait… Le baiser lui donnait envie de continuer cette soirée encore longtemps. Mais il ne voulait pas s’emballer. Vraiment, fallait pas qu’il laisse son petit cœur s’emballer. Il était pas prêt à une nouvelle histoire qui allait dans le mur. Il fallait vraiment pas qu’il se fasse de faux espoirs…. C’était ce dont il s’autopersuadait en buvant un peu trop vite le champagne.

Ça aurait été du gâchis de ne pas toucher à cette belle assiette de dessert. Alors il ne s'était pas fait prier plus longtemps, d'avantage par gourmandise que par faim. Le repas l'avait déjà bien calé en réalité. Et il risquait de le regretter plus tard dans la soirée. Mais pour l'instant, c'était tentant. Et puis il ne se rendit même pas compte qu'il venait de finir la moitié de l'assiette, à s'épancher sur ses anciens problèmes.

"Oui, j'ai la chance d'être libre comme l'air maintenant."

Il lui fit un petit sourire, pour convaincre Silène autant que lui-même. Évidemment, si on lui avait laissé le choix, il aurait opté pour le mariage. Même s'il l'idéalisait, très probablement. Qui sait s'ils auraient mieux tenu que Caesar et Hermance ?

"Il compte beaucoup oui. Mais j'ai bon espoir de le revoir rapidement, pas de raisons d'en être désolé"

Même si en réalité, il était bien plus anxieux à ce sujet qu'il ne le laissait paraître. Hermance ne lui donnait pratiquement pas signe de vie et il n'avait aucun moyen de faire changer ça si elle ne le souhaitait pas. Sans compter qu'il savait la situation difficile pour elle aussi, depuis le divorce avec Caesar. Son frère pouvait avoir une influence redoutable, il en faisait lui-même les frais.

Heureusement, le décompte arriva, emportant avec lui toutes ces pensées négatives. Les bouchons de champagne s'envolèrent, les coupes furent versées et dans la liesse, il céda à l'envie d'embrasser l'apprenti vétérinaire.

"Bonne année Silène !"

Lui souffla-t-il à son tour, un sourire aux lèvres. Il était vraiment mignon, à rougir comme ça. Il espérait qu'il ne le gênait pas à l'embrasser de la sorte. Et en même temps... On parlait bien du Silène qui l'appelait chevalier pédé et expirait des paillettes par tous les pores ? Il aurait pensé qu'il lui en faudrait plus pour colorer ces joues. Ils se rassirent sagement une fois les coupes de champagne arrivées et trinquèrent plus proprement à cette nouvelle année.

"Tu es le bienvenu pour le dernier verre oui."

Une proposition comme ça, ça ne se refusait pas. Même si dernier verre ne voulait pas explicitement dire dans son lit, le sous entendu n'était jamais loin, en tout cas c'est comme ça qu'il l'interprétait. Il ne serait pas contre finir cette soirée et entamer cette nouvelle année de cette manière, disons. Ils terminèrent leur verre en plaisantant sur des résolutions de nouvelle année. Le restaurant se vida petit à petit, les gens prenant congé une fois le compte à rebours terminé. Le verre de Silène était déjà descendu depuis quelques temps lorsqu'il termina enfin le sien et demanda l'addition. Il prit pour sa part les boissons -après tout, c'était lui qui avait offert le premier verre à Silène, il n'allait pas lui faire payer - et leurs desserts en plus de sa part, laissant au plus jeune le soin de payer son repas. Il avait considéré régler la totalité mais ne voulait pas donner à Silène l'impression de l'entretenir... Mais s'il le fallait, il se rattraperait plus tard.

En attendant, ils récupérèrent leurs affaires, s'habillèrent et Octave attrapa le bras du poufsouffle pour transplaner devant chez lui.

"Mets toi à ton aise, fais comme chez toi."

Proposa-t-il en le laissant entrer avant de fermer la porte derrière eux. Il s'installa à ses côtés dans le canapé après avoir accroché sa veste sur le porte manteau. Et fit venir à eux deux verres à pied ainsi qu'une bouteille de vin blanc. Un enchantement plus tard et elle s'ouvrait puis se versait. Ne restait plus qu'à attraper les verres et à trinquer une fois encore. Une bonne gorgée, histoire de savourer le vin bien sucré et fruité. Et puis il reposa son verre sur la table basse et se tourna vers son invité. Qui était définitivement à croquer avec ses joues rouges. Il se pencha vers lui et une main se faufila dans sa nuque.

"Je peux ?"

Il préférait demander tout de même, malgré la nuit qu'ils avaient partagé quelques semaines plus tôt. Le consentement, ça reste important. Et une fois l'aval obtenu, il se pencha sur lui pour l'embrasser, bien plus fiévreusement qu'au restaurant. Si Silène ne le freinait pas, dans peu de temps il serait à lui grimper dessus et vice versa...

Le dernier verre, c’était surtout pour ne pas se retrouver tout seul après ce début de soirée, ça aurait été un peu triste. Il ne pensait pas forcément à grand chose, vraiment. Même s’il se doutait bien que ça allait probablement finir dans un lit, ce n’était pas forcément ce qui motivait Silène. Il avait juste besoin de ne pas être seul. Ils auraient pu juste boire jusqu’à s’endormir dans le canapé du brun que ça lui aurait aussi été.

Les plaisanteries sur les bonnes résolutions étaient amusantes. Silène parla de parfaire sa musculation pour participer aux concours d'haltérophilie dans l’année. Vu sa morphologie, c’était assez drôle à imaginer. En réalité, Silène n’avait pas beaucoup d’objectifs, à part peut-être reprendre en main ses études et s’y consacrer un peu plus sérieusement. Il n’avait plus de plans. Il avançait au jour le jour. C’était sans doute mieux comme ça. Pas de déception en perspective du coup. Ils finirent par payer leurs additions… Avouons-le, Silène blêmit un peu en voyant le prix de ce fucking restaurant, mais il était bien trop fier pour quémander à Octave de payer sa part. Tant pis, il ferait moins d’excès en ce début d’année !

Le Poufsouffle enfila son manteau et son écharpe, et ne se fit pas prier pour prendre le bras d’Octave et transplaner chez lui. Il y faisait meilleur qu’à l’extérieur ! Silène entra et fit sans doute un peu plus attention à l’endroit que la fois d’avant. C’était assez classe chez Octave, quand même. Il réalisait un peu mieux. Bon, pas du tout le genre de Silène, ça manquait vraiment de fantaisie, mais, ça sentait le luxe sorcier en quelque sorte. L’étudiant posa son manteau sur un fauteuil, et sa veste de costume aussi, se retrouvant en chemise. Il déboutonna d’ailleurs un peu son col, et s’affala dans le canapé qu’il connaissait déjà. Il sourit un peu en se souvenant de ce qui s’était passé là. Franchement, ils étaient quand même bien attaqués cette fois-là…

Silène réceptionne le verre. Franchement, même les verres faisaient classieux. Définitivement, ils ne venaient pas du même monde. Enfin… Une part de sa génétique venait de ce monde, mais clairement, c’était pas le sien. Il but un peu du vin, l’alcool et le froid de leur passage à l’extérieur avaient eu raison de la pâleur de ses joues. Le blanc était vraiment bon. Il en but plusieurs gorgées. Ce n’était pas très raffiné, sa façon de siffler les verres quand il aimait un peu trop l’alcool dedans. Il posa son verre pour ne quand même pas tout boire en une seul fois. Il restait au moins une gorgée dans le fond, non ? Il releva la tête, au contact sur sa nuque. Un petit frisson le parcourant.

“Euh… Oui.”

V’là la conviction. En fait, il s’attendait peut-être à un verre de plus. Ou juste parler un peu. Quelque chose le chiffonait. Oh, bien sûr, il aimait quand même le goût de ce baiser. Mais… Il n’avait pas forcément envie de s’allonger sur le canapé tout de suite et… Enfin vous savez bien. Il voulait… Passer un autre moment avec Octave ? Juste ne pas être que le plan de secours qu’on se fait après une seule gorgée du dernier verre. C’était une trop grande exigence ? Il était un peu perdu. Il ne mettait probablement pas autant de fièvre dans le baiser que ce qu’Octave devait espérer. Et… cette dissonance ne le mettait pas très à l’aise, alors, il préféra se reculer avec un sourire, et… détourner l’attention.

Il se leva et alla s’asseoir au piano, sans oublier de prendre son verre en le remplissant à nouveau.

“On m’a promis une démonstration, et la nuit est encore jeune… Alors comme le jeune homme capricieux que je suis je demande un concert privé ! Je veux être la groupie du pianiste !” plaisanta-t-il en rigolant.

Son regard était rieur, et son air charmant. Il espérait qu’il n’avait pas vexé Octave. Mais… Une part de lui ne voulait vraiment pas être pris pour ce plan cul qu’on allonge avec une facilité déconcertante. Un Silène, ça se mérite. Ou il n’allait pas le revoir… Et ça, ce serait dommage, non ?...

Avouons, pour Octave, "dernier verre chez lui" était synonyme de finir la soirée dans son lit, et pas pour y dormir. Pas directement, en tout cas. Et il lui semblait que c'était comme ça que Silène l'entendait. De ses vagues souvenirs de la fois où ils s'étaient rencontrés, il lui semblait que le plus jeune était assez porté et ouvert sur la question et qu'ils étaient à peu près sur la même longueur d'ondes, là dessus. Alors il n'avait même pas envisagé qu'il puisse en être autrement. Pourquoi serait-il venu boire un verre chez lui après tout ce qu'ils s'étaient enfilé, si ça n'était pas pour terminer la soirée comme ça ?

Du coup, il n'avait pas tellement hésité à se montrer entreprenant. A l'embrasser, sitôt l'accord obtenu, avec fièvre et envie. Jusqu'à ce que Silène recule, le laissant surpris et déconcerté. Un peu déçu, aussi, il faut bien le reconnaître. Avait-il fait quelque chose qu'il ne fallait pas ? Silène n'était-il pas venu pour ça ? Avait-il été trop entreprenant ? Il s'écarta à son tour, lui jetant un regard inquiet.

"Est-ce que ...?"

Il s'interrompit en le voyant se lever et se redressa à son tour. Prêt à le rattraper s'il s'enfuyait, pour comprendre au moins. Et il le vit, tout aussi perplexe, s'installer devant son piano. Bon. Il n'était pas sans savoir que Silène avait des kinks bizarres. Dont il avait préféré oublier l'énumération qui l'avait mis mal à l'aise une première fois. Mais non. Ce n'était même pas LE PIANO dont il s'agissait. En tout cas pas de cette manière là. Il retrouva le sourire, à sa proposition. Si ça n'était que ça...

"Tu sais combien j'ai bu ? Je ne sais même pas si je vais être capable d'aligner deux notes..."

Il exagérait un peu, d'accord. Il n'avait pas bu tant que ça. La preuve, il avait pu transplaner sans difficultés avec un jeune homme à son bras. Son verre à lui resta sur la table basse. Pas de vin près du piano, il y tenait hé !
Il s'assit devant le clavier massif lorsque Silène lui céda la place et commença à jouer quelques notes avant de s'interrompre.

"Désolé si je t'ai brusqué ou quoi tout à l'heure. Ce n'était pas mon intention."

Il préféra préciser et clarifier la situation qui le mettait, il faut bien avouer, un peu mal à l'aise. Et une fois le malentendu levé, il reprit, entamant la fugue en Sol Mineur de Bach. Le moceau l'emporta pendant de longues minutes. Concentré sur ses notes, il ne remarqua pas le temps filer. Et contrairement à ce qu'il avait pu prétendre, l'alcool ne l'empêcha pas de jouer avec virtuosité et talent. Derrière un piano, il n'était plus le même. Depuis qu'il était jeune, c'était son refuge. Avec les années, il avait délaissé la musique pour des obligations plus terre à terre. Mais lorsqu'il y revenait, la magie prenait toujours.

"Bach. C'est l'un de mes compositeurs favoris. Ses oeuvres me touchent beaucoup."

Conclut-il une fois les dernières notes posées. Et c'était sans doute bien plus personnel que n'importe quelle anecdote sur des fantasmes sexuels. Même s'il ne le voyait pas de cet œil là. Son amour pour la musique était l'une des choses qui le représentait le mieux.

"Tu aimerais que je te joue quelque chose en particulier ?"

Il proposa. Son répertoire se concentrait surtout sur la musique classique. Mais il pouvait toujours essayer d'improviser autre chose...

Bon… Même s’il avait du un peu surprendre Octave, il n’avait pas l’air trop vexé par sa requête. C’était déjà ça. Même s’il avait envie de prendre son temps, il avait quand même envie de passer la nuit avec le brun. Juste… Il voulait profiter de tous les talents d’Octave. Pas juste de son entrejambe. C’était quand même tout à son honneur non, de ne pas considérer le brun comme un sextoy sur pattes ? La nuit était longue, il voulait en faire de bons souvenirs. Il sourit en voyant que le grand brun accédait à son caprice. Trop bien ! Un concert privé. Il en était tout content, comme un gamin. Il se poussa pour laisser de la place à Octave sur le siège du piano. Il allait être aux premières loges.

“T’es dans un état bien moins pire que la dernière fois ! Je suis sûr que ça va aller ! Allez !” encouragea-t-il avec une moue adorable.

Il acheva son verre d’un trait, pour éviter tout accident sur le piano et posa le verre à côté du banc par terre. Il regarda les doigts d’Octave. Même si ce n’était que quelques notes, ça l’hypnotisait. C’était une danse pour mains. Il avait de belles mains le pianiste. Quand cela s’arrêta, il releva la tête, et croisa le regard du brun.

“Oh non… T’inquiète ! J’avais juste envie de t’entendre au piano avant de t'entendre ailleurs…” souffla-t-il pour le rassurer.

Les notes reprirent. C’était beau. Silène ne connaissait pas ce morceau. C’était comme un peu tous les morceaux de classiques, on a l’impression de les avoir déjà entendu, mais il n’avait jamais vraiment écouté. Et c’était beau. Il se laissa aller, fermant les yeux pour apprécier pleinement le son de l’instrument. C’était vraiment une belle mélodie. Cela l’emportait loin. Il voyait des animaux courir dans des champs. Pas dit que ce soit l’idée de base, mais c’était ce qu’il voyait quand son imagination se laissait porter par les notes. Et ça lui plaisait bien. Il en eut un petit sourire amusé, enfantin sur le visage. Les minutes défilaient sans qu’il ne les voit vraiment passer. Captivé comme il l’était. La note finale lui fit lentement rouvir les yeux. Et après une petite seconde, il applaudit avec entrain. C’était rudement beau !

“Je connaissais pas, mais c’était très beau ! Merci ! Je comprends que tu apprécies ! Et tu joues bien… Même après quelques verres ! J’avais raison !”

Il était taquin sur la fin, mais sincère. C’était vraiment beau. Octave avait des talents qui dépassait ceux qu’on cantonne aux chambres et à son canapé. A la question de la musique, Silène se retrouva un peu pris au dépourvu. Il se doutait qu’Octave n’y connaissait pas grand chose en musique moldue contemporaine. Et puis… Oh ! Il savait !

“Quand j’étais petit, mon père passait souvent un CD dans sa boutique et… Il y avait un morceau que j’adorais ! Je me mettais au milieu des bouquets et je la faisais passer en boucle… ça faisait quelque chose comme ça…”

Il se mit à fredonner. D’abord assez maladroitement, puis assez justement le début d’un morceau connu de Gabriel Faure, Pavane Op:50, un classique pour les amateurs. Mais pour Silène, c’était juste le souvenir du temps passé avec son père dans l’arrière boutique, à le regarder préparer ses commandes avec précision et passion. En fredonnant, son regard avait changé pour se faire un peu plus mélancolique.

“Tu reconnais ? Je sais absolument pas le nom… Mais ça me ferait très plaisir de l’entendre à nouveau…”

Il sourit.

“Sinon… Ce que tu veux… Si y’a des paroles, je peux essayer de chanter si tu veux… Mais je garantis pas la justesse… J’ai quelques verres d’avance sur toi…”

Il mentait pas, le blanc lui montait un peu à la tête. Après, chanter, c’est comme le vélo, ça s’oublie pas non même un peu éméché ? Il se tourna vers Octave, et en se contorsionnant un peu -qu’est-ce qu’il est grand- il put déposer quelques baisers dans le cou du brun. Comme pour le remercier du premier morceau… Et se faire pardonner de son premier écart un peu brusque ?

Au moins, il n'avait rien fait de mal. Il était rassuré de l'entendre de la bouche du poufsouffle, même s'il restait un peu dubitatif. Il avait dû s'être trompé quelque part. Sur la raison qui l'avait poussé à venir chez lui ce soir ou sur autre chose. Ou alors il avait une haleine d'ail, il y en avait dans le plat, non ? Allez savoir...

Quoi qu'il en soit, toutes ces préoccupations lui sortirent rapidement de l'esprit, lorsqu'il se mit à jouer. Plusieurs fois, il tourna la tête pour jeter des coups d'oeil à son invité, lui fit un rapide sourire avant de voir les yeux clos. Il n'interrompit pas le morceau avant la toute fin. On n'altérait pas une oeuvre pareille ! Et puis le plus jeune avait l'air d'apprécier. Ce qu'il confirma un peu plus tard.

"Merci. Je suis ravi de te le faire découvrir dans ce cas."

Il en aurait plein d'autres à lui faire découvrir d'ailleurs. Rien que dans l'oeuvre de Bach. Mais il pourrait y passer la nuit, juste à lui jouer des morceaux. Et il se doutait que le jeune homme n'était pas venu pour ça. Quoi. que. Il ne savait plus trop pourquoi il était venu finalement. Pour ne pas être seul le soir du nouvel an ? Comme lui ? Ou pour autre chose ?

"Faure ? Bien sûr que je reconnais."

Sans grandes difficultés. Ca faisait partie des classiques qu'il connaissait très bien. Un magnifique morceau, même si ça n'était pas son préféré. Et pas le plus entraînant. Mais on ne pouvait pas dire qu'il aie choisi quelque chose de fondamentalement joyeux, lui non plus. Il frissonna du baiser de Silène et entama les premières notes du morceau de Faure.

"Celui là ?"

Il s'en enquis avant de reprendre.

"Je ne l'ai pas joué depuis une éternité, tu pardonneras les fausses notes !"

Heureusement, il connaissait parfaitement la mélodie et avait une très bonne oreille. A part deux ou trois fausses notes ou recherches de tonalités, il l'exécuta presque parfaitement. La partie principale qu'il connaissait. Il ne pourrait pas aller jusqu'à la toute fin du morceau, qui lui échappait. Il s'arrêta après avoir répété le thème principale une fois encore.

"Pour chanter alors... hm..."

Il fit mine de réfléchir un moment, entama quelques accords avant d'entamer un air qui remontait à si loin. Emmenez-moi, de Charles Aznavour. Avec un français à ses côtés, il ne pouvait que taper dans les classiques de son enfance. Déjà parce qu'il n'y connaissait rien à la musique contemporaine. Et qu'ils n'avaient sans doute pas les mêmes références. Mais celle-là, il supposait que le plus jeune l'avait entendue à de multiples reprises lui aussi.

Il lança quelques notes, recommença une deuxième fois pour se mettre sur le bon octave. Est-ce que ça plairait à Silène, une si vieille chanson ? Si ça prenait et que le plus jeune se mettait à chanter, il l'accompagnerait volontiers. Il ne chantait pas à la perfection mais en bon musicien, il chantait juste. Ou fredonnait, lorsqu'il ne connaissait plus les paroles.

Octave pouvait lui faire découvrir Bach autant qu’il voulait. C’était si appréciable comme moment. Partager la musique avec lui, c’était vraiment très agréable. Il se sentait bien, même s’il se faisait tout petit sur le banc du piano pour laisser au musicien assez d’amplitude pour ses bras. C’était pas vraiment comme ça qu’il avait imaginé sa première nuit de 2020, mais au fond, c’était mieux que ce qu’il avait imaginé. Octave était une bien meilleure compagnie que l’autre plouc.

“C’est l’avantage de ne rien connaître, on a tout à découvrir ! Finalement, j’ai de la chance d’être un ignare…” plaisanta Silène.

En réalité, il se sentait un peu gêné d’avoir si peu de culture face à Octave. C’était un peu la matérialisation de leur différence de classe. Silène n’avait pas eu la chance d’apprendre à jouer d’un instrument, ou les grands compositeurs. Il venait d’une famille relativement modeste culturellement. Son père était un homme manuel, pas intellectuel. Il n’avait pas son pareil pour s’occuper de plantes, ou composer un bouquet, mais il avait souvent été bien incapable de répondre à la curiosité intellectuel de son fils.

“Je connaissais pas le nom…” avoua-t-il quand Octave en parlait comme d’une évidence.

Il devait passer pour un idiot un peu. Il préféra chasser cette idée de la tête. Ce n’était probablement pas le moment pour se dévaloriser plus que de raison. Octave réussit à trouver en quelques mouvements de doigts à jouer le morceau dont il parlait. C’était magique. Silène acquiesça avec un sourire. Il pardonnait tout à Octave, il lui offrait une telle madeleine en jouant ce morceau. Cela lui rappelait tellement de souvenirs. Des odeurs de fleurs, des sensations, la main de son père qui lui ébouriffe les cheveux, une tendresse qui a été souvent rare. Il écouta avec délice cette musique, n’entendant même pas les erreurs, happé dans ses souvenirs, heureux de revivre tout cela.

“Merci…” souffla-t-il quand le pianiste s’arrêta. “Cela me rappelle tellement de bons moments… Merci…”

Son regard était un peu mélancolique, mais son sourire sincère.

“Oh oui ! Chantons !” s’enthousiasma-t-il en se secouant un peu.

Il écouta les premières notes et jeta un regard écarquillé à Octave. Il avait pas plus moderne ? Silène creusa au fond de sa mémoire. Bon. Il devait connaître un peu ! Il marmona le début de la chanson, et ne se réveilla qu’au refrain, le reprenant avec Octave. Il chantait juste, son timbre avait une douceur presque féminine, une tessiture haute. Il aimait chanter, cela se sentait. Même quand il perdait le fil des paroles, il reprenait avec entrain dès qu’il le pouvait, dansant à demi à côté du pianiste. Il conclut la chanson d’un rire cristallin.

“C’était compliqué… En même temps, j’étais pas né quand c’était à la mode… Toi non plus… On est pas sortis du sable…” Il eut un petit rire. “Tu m’aurais joué du Céline Dion, ou du Mylène Farmer, j’aurai mieux connu les paroles… Lana Del Rey...Ou du Britney Spears… J’avoue…”

Il n’était même pas sûr qu’Octave sache de qui il parle… C’était un peu le gouffre culturel entre eux deux… Mais bon…

“T’as échappé à Britney Spears, hein ?” demanda-t-il avec un soupir. “Vraiment… Des fois, je comprends pas le monde sorcier… Je… Enfin, c’est tellement idiot de couper les gens les uns des autres… J’imagine que toi tu trouves ça logique mais… C’est tellement improbable pour moi…”

Il posa une main sur le piano, appuyant maladroitement sur les touches, avant de s’arrêter.

“Pardon.. C’est pas le moment d’entrer dans un sujet aussi polémique… C’est… C’est juste que je comprends pas trop ce que je fais chez toi, là… J’ai… J’ai l’impression que je devrai pas être là… Ok, je suis peut-être mignon mais… J’ai clairement pas envie d’être un plan cul qui fout la honte une fois le jour levé, tu vois ? J’ai trop été cette personne…”

Il sourit à Octave, un peu tristement.

“Vaut peut-être mieux que je m’en aille, Octave. Tu crois pas ?”

Il ne se leva pourtant pas. Il n’avait pas envie de partir. Mais… Il pensait ces mots. Il ne voulait pas être le mec qu’on baise faute de mieux et qu’on oublie. Il demandait pas une relation stable ou quoi. Juste… Ne pas être l’expérience un peu honteuse.

Les paroles lui échappaient par moments, à lui aussi. Mais il avait pris plaisir à le jouer et à entonner le refrain de concert avec Silène. Le garçon avait une jolie voix, il pouvait le reconnaître.
Ca faisait bien longtemps qu'il n'avait pas écouté Aznavour, ni aucun autre chanteur de sa génération d'ailleurs. Non, lui non plus n'était pas né quand c'était à la mode. Mais les vieilles chansons françaises faisaient partie des rares qu'il connaissait et qu'il avait écoutées encore et encore. Pas tant grâce à ses parents que grâce à des amis et la vieille radio moldu qu'il écoutait parfois #nostalgiiiiie. Céline Dion ne lui était pas inconnue, pour les mêmes raisons. Mais les autres ? Peut-être de nom, et encore...

"On peut dire que j'y ai échappé oui..."

Il plaisanta, tout en se rendant compte que pour Silène, le sujet avait l'air bien plus grave que... juste des différences de goûts musicaux ? Pourtant, pour lui, c'était au-delà de son éducation. Certes, dans la plus pure tradition des sangs-purs, on n'écoutait pas de la pop contemporaine. Mais c'était surtout sa passion de la musique classique qui l'avait poussé à continuer dans cette voix. Ces compositeurs, il les avait découverts, parfois sur le tard, au fil de son expérience. Ses parents n'en connaissaient certainement pas le quart. Mais il sentait bien que quelque chose tracassait Silène. Quelque chose que lui... ne trouvait ni logique, ni illogique. C'était juste comme ça. Le jeune homme ignorait sans doute à quel point Octave était coupé, de force, du monde qui l'avait vu grandir. Il n'en voyait que la façade. Mais ça, l'ancien serpentard ne pouvait se le reprocher qu'à lui-même.

"C'est au-delà de ma logique et de ma volonté..."

Et il n'avait pas de prise, là dessus. Et sûrement pas d'influence auprès des sangs-purs. Il ne devait son rang et son statut social qu'à un secret qu'il préservait plus précieusement qu'un oeuf de dragon depuis des années. Et... Hein ?

Ah. Celle-là, il ne l'avait pas vue venir. C'est vrai, Silène avait semblé plutôt mal à l'aise tout à l'heure lorsqu'Octave avait voulu l'embrasser. Mais il avait eu l'impression que ça s'était arrangé par la suite. Que le piano avait aidé à passer outre ça. Et maintenant ? Il prit son temps, soupira et regarda Silène, un peu perdu.

"Je ne comprends pas bien ce qui ... a pu te donner cette impression. Je ne vais pas te forcer si tu préfères rentrer chez toi Silène."

Même si c'était vraiment dommage et que ça l'attristait un peu. Ca rendait cette soirée de nouvel an bien moins joyeuse, soudainement. Il ne comprenait vraiment plus le poufsouffle. C'était lui qui avait proposé qu'ils finissent la soirée ici. Qu'est-ce qui avait vrillé depuis ?

"Je suis désolé si j'ai pu te laisser penser ça. Mes excuses. Tu ne me fais pas honte. Ni cette nuit, ni le jour levé."

En l'occurence, il est vrai qu'au grand jour, il n'assumait pas tout. Même si ces derniers mois, il s'était un peu relâché. Personne ne pourrait plus rien lui reprocher au ministère. Et le monde du spectacle, malgré tous ses défauts, était un peu plus ouvert sur certains sujets. Mais Octave préférait rester discret sur sa vie privée.
Ce qui ne l'avait pas empêché de passer la soirée dans un grand restaurant avec Silène et de l'embrasser en public. Non, il avait du mal à comprendre exactement ce qui tracassait le jeune homme soudainement.
Il soupira. Et se leva pour aller se chercher un verre d'eau. Il en ramena deux et en proposa un à son invité avant de boire le sien. Sa gorge s'était asséchée à chanter un peu faux une vieille chanson française -et pas du tout à cause de tout l'alcool ingurgité bien sûr-.

"Un peu d'eau ?" Il referma le couvercle du piano et s'appuya contre - ouilepiano-, faisant face à Silène. "Ça me ferait plaisir que tu restes. Vraiment. Mais ne te sens pas obligé pour moi. Quoi qu'il en soit... Merci pour ce soir. Pour le restaurant et pour être venu ici. J'ai passé une bonne soirée en ta compagnie Silène."

Et on pouvait dire qu'il avait sauvé sa soirée de nouvel an. Une parfaite fin d'année. La nouvelle année, en revanche, allait commencer un peu plus amèrement, il semblerait.

Silène ne savait pas bien pourquoi son cerveau avait vrillé à ce point. Pourtant tout se passait bien mais l’insécurité était revenue au grand galop. C’était fou, il avait beau essayer de la chasser, elle revenait toujours si vite. C’en était épuisant. Il s’en voulait de gâcher à ce point l’ambiance. Surtout qu’Octave n’y était pour rien à tout ce qu’il ressentait. En réalité, Octave n’avait rien fait de mal. C’était juste la peur qui parlait dans le coeur de Silène. La peur, l’angoisse, la dévalorisation. Combo détonnant pour flinguer une nuit qui se passait pourtant bien. Octave ne comprenait pas et c’était bien normal. Ce n’était pas sa faute. C’était lui qui déconnait encore. Il se mordit la lèvre. Il aurait mieux fait de juste se taire. Une fois de plus. Ses angoisses sont mieux à le bouffer lui.

“Je sais pas… T’as rien fait… C’est…. C’est moi… Je… Je suis désolé…” murmura le Poufsouffle gêné.

C’était vraiment son cerveau qui voulait lui pourir la vie. parce que si on rationnalisait… Octave ne l’avait-il pas embrassé au milieu du restaurant ? L’aurait-il fait s’il avait eu honte de lui ? Non. Alors ferme ta gueule la voix, putain. Silène fixait les touches du piano pour ne pas se mettre à pleurer. Merde. Il était si stupide. Il faisait vraiment tout foirer à chaque fois. Ses mains étaient crispées sur le bord du banc, l’agrippant à s’en faire blanchir les doigts. T’es vraiment trop con Silène. Sa peur de l’abandon le poussait toujours à saborder les choses. Rufus n’avait rien arrangé à ça. Et c’était pas le moment de penser à lui. Bon sang, il en faisait exprès là, de ressasser tout ce qui n’allait ? C’était quoi le but ? Accabler ce pauvre Octave qui n’avait fait qu’être le plus correct du monde avec lui ? Franchement, Silène, tu fais quoi ?

Il releva la tête quand Octave lui tendit le verre d’eau. Il l’attrapa un peu mécaniquement. Le remerciant d’une petite voix. Il releva un regard désolé vers Octave. Il réalisait à quel point ses angoisses lui faisaient voir une réalité déformée. Des fois, il arrivait à faire la part des choses, mais là… Il avait vraiment déraillé. Sans doute parce que le statut d’Octave rappelait à lui un tas de démons. Non, Octave n’était pas comme sa connasse de mère, il fallait qu’il arrête tous les amalgames.

“Ca me ferait plaisir de rester…” commença-t-il d’une voix un peu hésitante. “Je suis désolé… T’as rien fait de mal, c’est juste moi… Et mes angoisses qui ont tendance à prendre le dessus sur mon objectivité.” Il eut un sourire désolé. “Je me sens pas obligé… Et moi aussi je passe une très bonne soirée... C’était louche que ça se passe si bien pour mon anxiété visiblement…”

Il eut un petit rire. Merde. Il se montrait pas franchement sous son meilleur jour.

“Je suis pas spécialement habitué à tomber sur des types corrects faut croire…”

Il termina son verre d’eau. Pour ravaler ses angoisses, et essayer de profiter du temps qu’il leur restait. Après tout, on a qu’une seule première nuit de l’année par an, autant pas la gâcher si bêtement. Il se leva, posant son verre sur le banc -damn, il semait les verres partout-. Heureusement qu’Octave était adossé au piano, ça le rendait un peu moins grand. Il glissa une main dans sa nuque, prenant son temps pour caresser de son pouce ses cheveux. Et puis, il embrassa doucement Octave. Il approfondit le baiser dès qu’il sentit son partenaire de la nuit réceptif. C’était mieux comme ça qu’à douter de tout. Il détacha ses lèvres… Et sourit au grand brun.

“Je crois me souvenir du chemin pour aller jusqu’à ta chambre…” souffla-t-il taquin en prenant sa main pour l’entraîner à sa suite.