Le chant des Sirènes (Octave et Silène)

Silène avait longuement hésité. Mais l’envie de le revoir était trop forte. Il avait quand même attendu un long moment avant de craquer. Un trop long moment ? Octave ne lui avait pas écrit, peut-être qu’après tout, il n’y avait que lui qui avait vraiment apprécié leur soirée du Nouvel An ? Peut-être qu’il s’était fait des idées… Peut-être qu’Octave n’avait absolument pas envie de le revoir ? En fait, il n’arrivait pas à se fixer sur ce point mais… Mais il voulait le revoir. Au moins pour savoir ce qu’il en était. Pour savoir s’il se berçait d’illusion à croire qu’il pouvait y avoir plus qu’une ou deux soirées de débauche entre eux. Alors, il lui avait envoyé un hibou, pour l’inviter à une soirée. Il lui avait juste laissé l’adresse d’un bar, et une invitation pour une soirée spéciale. Bien sûr, il n’avait pas précisé la teneur de la soirée. Sinon, ça n’aurait pas été drôle !

Il était lui arrivé dans l’après-midi au bar, rejoignant sa troupe de Queens. Ils avaient une sacrée soirée à préparer, des chorégraphies à caler dans l’espace, des vannes à se lancer, forcément. Sinon, ça aurait pas été ses pétasses préférées. Le thème de la soirée était les contes de fées, sauf que là, les princesses étaient loin d’être des puritaines. Silène avait travaillé son costume autour de la sirène, son décorum aussi. Il était plutôt fier de sa naissance de Venus qu’il allait revisiter. Il avait travaillé dur pour que ça ait de la gueule. Pour que ce soit du grand Art. Peut-être qu’il avait invité Octave juste pour lui faire ravaler son air contrit face à son art. Il allait lui prouver qu’il était un artiste. Enfin… S’il venait. Ce serait vraiment dommage qu’il ne vienne pas.

En plus, il avait le dernier créneau sur le show. Mais des coulisses, il n’arrivait pas à voir la place qu’il avait réservé à Octave. Il avait beau demander aux autres pétasses, il n’y en avait pas une pour lui dire si il était là. Bon. Il ne saurait pas avant d’être sur scène alors. Il entra donc derrière cette coquille de St Jacques enchantés qu’ils avaient réussi à créer, enfermé dedans. Et alors que la coquille s’ouvrait, une musique qui ne serait pas inconnu à Octave commença à se faire entendre. Un choix qui tranchait vraiment avec les chansons précédentes. Oui, Emmenez-moi, ce n’était pas un chaud habituel. Et la voix de Silène remplaçait celle d’Aznavour -il avait fait quelques arrangements pour éviter les écueils et les fausses notes-.

Lentement, il sortit du coquillage, révelant un costume de sirène plein de couleurs et de paillettes. Il avança d’abord timidement, ses jambes entravées par les écailles et une queue trop serrée. Et puis, à la faveur du refrain, il dégraffa le tissu, libérant ses jambes maquillées de paillettes imitant des écailes multicolores et chatoyantes. Et il se mit à tournoyer au gré des notes, sans perdre le fil des paroles. Et petit à petit, il s’approchait d’Octave. Il était là. Et le sourire de Silène s’agrandit en voyant cela. Il descendit de la scène, et sur la fin de la chanson, il s’assit sur les genoux d’Octave. Se laissant théatrâlement choir dans ses bras, comme une princesse s’abandonnerait dans les bras de son prince charmant. Il eut un petit rire quand la musique fut coupée, et déposa un discret baiser sur sa joue avant de se relever pour s’en aller sous la pluie de billets. Comme quoi, sa performance avait du succès. Il eut un clin d’oeil pour Octave avant de filer.

Il revint avec les autres reines sur scène. Il n’y avait pas de compétition ce soir, alors elles firent juste un numéro collectif pour achever l’exhibition. Il tardait à Silène de savoir ce qu’Octave en avait pensé. S’il l’aimait bien avec des écailles… Il fut le premier à arriver dans la salle, se faufilant entre les gens qui se levaient pour soit sortir, soit aller commander un verre. Il réussit à trouver Octave, lui faisant de grand signe de la main.

“Je suis super content que tu sois venu ! Alors ? T’en as pensé quoi ? Tu as vu, j’ai bossé les paroles d’Aznavour !”

Il eut un rire joyeux et serra Octave dans ses bras, se fichant bien de mettre du maquillage sur sa veste, quoique, ce fut plus des paillettes qui restèrent sur son épaule. Il secoua sa grande perruque bleutée et bouclée.

“Tu vas bien ? Je t’offre un verre ? Tu veux quoi ?”

Oui, l’euphorie de la performance le rendait beaucoup trop énergique…

“L’orgasme est super bon ici !” conseilla-t-il naïvement. Oui, naïvement.

Pour te faire une idée du make-up et costume :

S'il y a bien une chose à laquelle Octave ne s'attendait pas, c'était de recevoir un hibou du jeune homme avec qui il avait passé la nuit de nouvel an. Il ne l'avait pas oublié, ça non. Pour lui aussi, ça avait été une première, et une plutôt mémorable. Et depuis ? Il avait été bien occupé et c'était un euphémisme. A nouvel an, il était en plein dans les derniers préparatifs de l'inauguration du théâtre. Les choses s'étaient enchaînées très vite depuis. La renommée se faisait, petit à petit. Ca prenait du temps et beaucoup d'énergie mais c'était une immense fierté de voir que les salles se remplissaient de plus en plus et de revoir des visages, satisfaits de leurs représentations. Alors nouvel an ? C'était loin, très loin derrière lui. Il avait néanmoins ouvert la lettre et lu le message avec curiosité. Le nom du bar lui était vaguement familier. Il savait qu'on y faisait des shows, d'un autre registre de ce qu'il se déroulait dans son théâtre.

Ce n'était habituellement pas le type de spectacle qui l'attirait. Et spontanément, il n'y mettrait pas les pieds. Mais il n'en était pas moins curieux. Et puis ça serait l'occasion de revoir Silène. La date tombait à pic. Ils étaient entre deux spectacles et s'il ne manquait pas de travail en journée, les soirées étaient un poil plus calmes lorsqu'il n'y avait pas de représentation le soir. Il avait d'abord mis l'invitation de côté. Mais en rentrant du théâtre ce jour là, il l'avait reconsidérée. Après tout, pourquoi pas ? Ca ne lui ferait pas de mal de sortir du travail un petit peu.

Avec une certaine appréhension, Octave se prépara pour cette soirée, le jour J. Il était revenu un peu tard du travail et dû se trouver à la hâte une tenue digne de ce nom. Que portait-on dans un pareil endroit ? Il n'en avait pas la moindre idée. Il considéra la quasi entièreté de sa garde robe avant d'opter pour un costume -originalité, quand tu nous tiens ... -. Mais attention, un peu de fantaisie tout de même, il avait opté pour une chemise bordeaux. Pour Octave, c'était presque une folie, hein. Et pas de noeud papillon, pour avoir l'air détendu. Si, si...

Pas qu'il le soit réellement, d'ailleurs. Il craignait de dénoter dans un endroit pareil. Mais aussi d'être reconnu. Il savait que les rumeurs pouvaient très vite partir. Et certains directeurs d'autres théâtres ne demandaient pas mieux que des ragots servis sur un plateau d'or, pour décrédibiliser le dernier venu. Certains devaient considérer que Londres n'était pas assez grande pour accueillir un théâtre de plus... Il passa un coup de peigne dans ses cheveux, se rasa de près. Pour ce soir, il semblerait qu'il ait accepté de prendre le risque.

Et le voilà prêt à se rendre à l'adresse indiquée. On lui indiqua une place au tout premier rang lorsqu'il tendit le carton d'invitation. Il n'y en avait qu'une. A sa droite comme à sa gauche, des visages inconnus. Ce qui confirmait ce qu'il redoutait déjà. Silène ne serait pas à ses côtés ce soir, il serait plutôt sur scène. Et ça n'était pas pour le réjouir, malgré sa curiosité de savoir ce que le plus jeune avait à lui proposer. Parce qu'il se serait senti un peu plus à son aise, avec une tête connue à côté de lui. Là, il avait juste l'impression de vraiment faire tâche dans le décor. Au moins, il n'y avait pour l'instant pas l'ombre d'un visage familier. Peut-être qu'il parviendrait à passer incognito. Ce qui atténuerait un petit peu la gêne de se retrouver dans un endroit dont toutes les conventions lui échappaient.

Les lumières s'éteignirent, le show commença, plus extravagant et surprenant qu'il ne l'aurait imaginé. Les interactions des performeuses avec le public le mettaient un brin inconfortable. Il va sans dire qu'il n'avait pas ramené de billet à jeter sur la scène, contrairement à ses voisins de gauche et de droite. Et qu'il espérait bien être aussi transparent que possible. Ce qui fut relativement le cas... Jusqu'à ce qu'une certaine sirène monte sur scène. L'illusion était déroutante. Il n'aurait jamais reconnu Silène sans cette musique un peu trop familière qui accompagnait son entrée. Qu'il s'agisse de lui ? Ça semblait évident. Qui d'autre, pour passer du Charles Aznavour dans un pareil spectacle, à Londres ? Ça le fit sourire. Il était le premier surpris par ce choix. Mais surtout, même en ayant une quasi certitude qu'il s'agissait bien du jeune homme avec qui il avait passé nouvel an, il était incapable de le reconnaître alors même que ce dernier s'approchait de lui. Octave lança des regards à droite, à gauche. Sous une lumière plus crue, on aurait sans doute distingué ses joues rouges. Il était pourtant plus qu'habitué à être sur le devant de la scène. Mais ici ? De cette manière ? C'était vraiment perturbant. Une chose était certaine, il ne pourrait pas nier son talent pour l'illusion. Ni son savoir faire pour se rendre terriblement attirant. Octave ne fut que plus gêné quand Silène vint prendre place sur ses genoux, braquant les projecteurs sur eux deux.

Autant dire qu'il se sentit soulagé, lorsque la musique se termina et que les lumières s'en allèrent loin de lui, le laissant replonger dans l'anonymat. Et il profita un peu plus détendu du dernier numéro, qui réunissait toutes les queens. Enfin, la lumière de la scène s'éteignit, celle de la salle fut rallumée un tout petit peu plus fort et les spectateurs commencèrent à se relever.

Le temps qu'il se lève et se demande s'il devait se prendre un verre en attendant Silène, il le vit arriver vers lui. Octave lui sourit et se rapprocha, un petit peu déboussolé par l'enthousiasme du plus jeune -et par sa tenue, et tout le reste-. Il le laissa le serrer dans ses bras, sans trop quoi savoir faire de ses mains, un peu penaud.

"C'est... surprenant."

Il allait peut-être falloir développer un peu ça, oui. Octave regarda autour d'eux. A la fois soulagé que les regards soient tournés vers Silène et non vers lui et peut-être un peu jaloux aussi de voir tant de paires d'yeux sur le jeune homme.. femme.. sirène... allez savoir.

"Bravo pour les paroles d'Aznavour, elles étaient parfaites. Et bravo pour le show. Je... ne m'attendais pas vraiment à ça !"

Et clairement, ça changeait des spectacles qu'il était habitué à voir. Certes, au théâtre ils n'étaient pas avares en costumes et en illusions mais... ce n'était clairement pas le même genre de représentations. En tout cas, il n'était pas certain de préférer ce Silène là à celui plus naturel mais il faudrait reconnaître qu'il était hypnotique. Difficile de détacher son regard de son visage qui brillait de mille feux et de sa chevelure féérique. Octave eût un petit rire au conseil cocktail.

"Un orgasme, ça ne se refuse pas, n'est-ce pas ?"

Et puis si Silène le proposait, ça serait dommage de passer à côté de ses suggestions. Il le suivit jusqu'au bar et le laissa commander leurs consommations.

"Tu as du succès, tous les regards sont sur toi. Je crois que je n'aurais jamais imaginé voir du Aznavour si sexy."

Et pour l'instant, c'était encore bien trop déstabilisant pour qu'il sache si c'était une bonne chose ou non. Il semblerait que ce soir, il lui faille se laisser juste porter, sans tenter d'essayer de se raccrocher à la réalité parallèle qui se déroulait hors des portes de cet établissement.

Est-ce que Silène avait vu le trouble d’Octave en finissant sur ses genoux ? Juste un peu. Il était surtout concentré sur sa performance, mais, il avait noté un peu de rouge à ses joues, et c’était amusant. Il se doutait bien qu’Octave n’était pas du genre à mettre du blush pour avoir meilleure mine. Mais bon, qui n’aurait pas rougi d’avoir une sirène sur ses genoux ? Et puis, Silène savait bien que le Sang-pur n’était pas ici dans son élément. ça devait être vraiment bizarre pour lui tous ces gens peu habillés, couverts de paillettes ou de couleurs et qui communient dans l’amour et la bienveillance. Enfin, en quelque sorte.

En serrant Octave contre lui, il se sentait bien. Il lui avait manqué ? Oui. Sans doute un peu. Même s’il était hors de question qu’il lui dise, voire qu’il se l’avoue. Il était ravi d’apprendre qu’il avait surpris Octave. Il avait un petit sourire victorieux au coin des lèvres. Il aimait vraiment causer ce genre d’émotion. Surprendre, c’est ce qui rend la performance intéressante. Si tout est attendu, à quoi bon ?

“Tant mieux ! Je m’en serai voulu si tu avais trouvé ça plat et ennuyeux !”

Il rigola à la remarque sur l’orgasme, réalisant après coup les sous-entendus de ses paroles. Il était si habitué ici à commander ce cocktail, que la blague graveleuse ne le choquait plus. Mais avec Octave… Oui, elle avait du sens. Il espérait bien lui en offrir d’un autre genre dans la soirée. Quoi ? Il avait attendu des mois, c’était pas pour le laisser repartir après une telle surprise. Il avait pas fait tout ça juste pour une petite accolade…

“Jamais ! Surtout pas en ta compagnie !” renchérit la jolie sirène avec un air mutin.

Il passa donc la commande des deux cocktails, et se retourna vers Octave, souriant un peu en voyant l’emprunte de ses paillettes sur sa veste. Il essaya de les chasser en frottant le tissu mais… Sa main en rajouta de nouvelles. Oups. Il se mordit un peu les lèves, et eut un regard désolé pour Octave.

“C’est l’effet paillettes ça ! Je te jure, ça a un effet magnétique sur les gens !” rigola-t-il à la remarque du grand brun. “Hey, si tu avais pu l’imaginer, ça aurait perdu de son charme, c’est mon job d’être encore plus fort que tes rêves les plus fous !”

Il avait un petit air sexy en disant ça, son regard pensant à d’autres choses qu’ils avaient pu faire quand il était son bel inconnu d’un soir. Leurs cocktails arrivèrent.

“Mais tu sais, t’attires les regard aussi… Tu devrais peut-être enlever ta veste pour te fondre un peu dans le décor… Sinon, on va croire que t’es mon sugar daddy… Pas que ça me dérange mais pour toi…”

Ouais, valait mieux éviter les mal entendus. Surtout pour Octave en fait. Lui, il se fichait bien des rumeurs, mais Octave, il avait un boulot à responsabilité, et puis, une famille importante qui pouvait lui tomber dessus sans doute. Le but, ce n’était pas de lui causer des soucis. Loin de là. Alors, il lui ôta sa veste et la confia au barman qu’il connaissait bien.

“Et tu seras plus à l’aise en plus ! T’auras qu’à lui demander, il te la repassera ! Enfin… En vrai, si tu voulais vraiment te fondre dans le décor, tu devrais peut-être tomber la chemise…”

Est-ce que la situation amusait Silène ? Oui, beaucoup ! Ils s’éloignèrent un peu du bar, pour avoir un peu plus de tranquillité. Mais Silène n’eut pas le temps de reprendre la conversation qu’on le sollicitait pour prendre une photo. Il se fit un peu embarquer contre son grès, il jeta un regard désolé à Octave. Il prit la pose avec les deux ou trois personnes et revint vite vers son invité qui avait été rejoint par une des Drag Queens.

“Tu veux pas une photo toi aussi ?” rigola-t-il en prenant une pose lascive contre son torse.

Il avait bien vu qu’elle lui avait touché quelques mots, mais il n’avait pas idée de ce qu’elle avait pu dire.

“Tu me dis si cette pétasse t’embête, je lui arrache sa perruque…” plaisanta-t-il en envoyant une oeillade à son ami.e.

L’insulte était affectueuse. N'allez pas croire que Silène soit exclusif avec Octave, quoique, il apprécierait de ne l'avoir que pour lui ce soir...