Jude A. Lewis | Daniel Walcher

00h00 -
Sang. Larmes. Douleur. Bonheur. Tendresse. Déchirement. Cris. Rires.
Un soupire. C'est un garçon, félicitations. Il est en pleine forme, il crie et réagit aux stimulis. Comment voulez-vous le nommer? Jude. Andrew. Les deux, et dans cet ordre.
Jude Andrew Lewis. Il sera comme nous, un Serdaigle, intelligent et doué dans tout ce qu'il entreprend.
Un sourire, une caresse tendre sur le front. Un bébé endormi, promis à un bel avenir : Celui d'un sang pur aimé et chéri.

12h00 -
Un battement, sourd, lourd, puissant. Un battement, puis un autre, suspendus dans le temps. Tout est arrêté. Le temps figé, les secondes ne s'écoulent plus dans le sablier. Et ce coeur qui tambourine, hurle et crie sa panique, ces tempes qui pulsent et suent, ces yeux fermés, délibérément aveugles sur le monde. Serdaigle. Serdaigle. Prière muette, incantation silencieuse, des pensées dirigées vers l'objet sur sa tête. Faites que les voeux de ses parents soient exaucés. Faites de lui un aigle fier et intelligent, un symbole de sagesse et la fierté de ses parents. Faites que tous ces espoirs, tous ces rêves nourris en secret à travers leur fils, que tout se réalise, que tout soit vrai.
Poufsouffle.
Un battement raté. Perdu dans le néant de promesses brisées. Oublié dans les abysses d'espoirs déchus, de rêves morts dans leurs illusions douces.
Poufsouffle.

13h05 -
Une larme roule et coule, trace les rigoles de ses joues d'enfant, meurt sur le creux de ses lèvres. Sa langue la cueille, perle salée de toute la souffrance qui se cache derrière ses paupières. Une main essuie rageusement les traces de son passage, le chemin humide qui fait luire sa peau. Rester fier. Rester sage. Rester droit. Ne pas flancher, ne pas leur offrir ce qu'ils veulent.
Un sang pur à jeter.

15h30 -
L'épuisement, la souffrance. Des années d'école seul, ou persécuté. Rejeté. Maltraité.
Juste un mot, pourquoi. Juste une pensée, un doute qui ronge. Qu'avait-il fait de mal?

16h45 -
Une lueur d'espoir dans la pénombre, un phare dans la tempête. Une main douce, qui se tend pour offrir de l'aide. Un sourire, franc, précieux, éclatant. L'espoir qui luit et scintille, le sentiment d'être quelqu'un. De valoir quelque chose. D'avoir sa place ici bas, que sa valeur n'est pas remise en doute. Un sauveur, un héros.
Un coeur qui bat.

17h00 -
L'incompréhension qui noie, le doute qui torture. Pourquoi? Pourquoi? L'abandon, le goût du sel sur la langue. Une larme a encore tracé son chemin. Il a disparu. La flamme s'est éteinte, et plus rien maintenant ne le guide dans les ténèbres.

18h45 -
La tête relevée. L'échine droite. Le regard déterminé. Finis les jeux où il est le jouet. Fini de le trainer au sol, dans la boue et la poussière, comme une peluche désarticulée qu'on voudrait déchirer. Il se battrait. Il avait apprit sa valeur. Et même si son héros avait disparu, son ombre planait toujours là quelque part, rassurante et douce. Entretenue à coup de lettres envoyées au vent, de réponses cueillies à la mer.

23h59 -
Un nouveau départ, après de nombreuses années d'étude de la médecine animale. Un retour aux sources, un saumon qui remonte la rivière. Un retour dans la ville où tout s'était éclaircit, et un nouvel espoir : un cabinet vétérinaire, et une passion.