Jesus P. Perales | Cykeem White

Aout 2004, 9 ans.

"Et quand tu seras grand, on rajoutera ton nom ici, tu vois ? Ca sert à ça, un arbre généalogique."

"Mais Carmen et Maria, elles n'y sont pas ?"

"Les hommes sont le pilier de la famille, Jesus. Les femmes portent leurs enfants et contribuent à la faire grandir."

Il hocha la tête. C'était pas vraiment juste pour Carmen et Maria, ne pouvait-il s'empêcher de penser. Il n'aurait pas aimé être une fille, ça avait l'air nul. Heureusement, il était le garçon de la famille. C'était à lui que revenaient tous les privilèges. Comme celui de tirer les cheveux de Maria et de la voir se faire gronder elle, plutôt que lui. Mais c'était normal. Sa mère lui avait dit. Il était l'héritier. Il était important. Chacun avait sa place dans la famille. Lui, il porterait fièrement le nom des Pacouill pour toujours.


Octobre 2009, 14 ans.

C'était celle-ci. Il en était pratiquement sûr. La porte rouge vernie, la petite maison bien tenue, les plantes impeccablement coupées. Il avait le cœur qui battait à tout rompre. C'était de la folie. Mais il y croyait dur comme fer. Il n'était pas ses parents. La vie, ça n'était pas un calendrier planifié sur les cinquante prochaines années, sans aucune spontanéité. Alors ça ne pouvait que marcher. La main tremblante, il fit claquer la grosse poignée de métal contre la lourde porte en bois.
C'était ici que vivait sa tante. La dernière fois qu'il était venu ici, il avait à peine huit ans. Avant que sa mère ne se fâche avec sa sœur et décide qu'elle ne lui parlerait plus jamais. Elle n'était pas revenue dessus. Les décisions de sa mère étaient décidément souvent définitives.

"Jesus ? Qu'est-ce que tu fais-là mon enfant ? Où est ta mère ? Entre, ne reste pas là !"

Il attrapa sa petite valise et s'avança timidement. Une silhouette s'approcha puis disparut. Rafael, son cousin, d'un an son aîné. La maison était aussi parfaite que dans ses souvenirs. Une place pour chaque chose et chaque chose à sa place. Il se rappelait encore qu'elle passait ses journées derrière lui à lui répéter cette phase. Il s'installa dans le canapé et commença à lui raconter.

Le chemin avait été rapide. En transplanant, faire Boston-Londres, ce n'était l'affaire que de quelques secondes. Mais la route avait été longue. Il ne savait pas transplaner. Aucun de ses amis de classe ne le savait, pas à leur âge. Alors il avait fallu ruser. Une chance, il s'en était toujours bien sorti en potions. C'est comme ça qu'il avait commencé son petit trafic. Il avait transformé un bout du dortoir en laboratoire de potions. Peu érudit pourtant, il s'était plongé dans l'étude de bouquins après bouquins de potions, pour confectionner des mélanges normalement réservés aux années supérieures. D'autres copains avaient rejoint son petit trafic, se débrouillant pour avoir les ingrédients aux meilleurs prix. Et au bout de quelques mois, il avait amassé tout l'argent nécessaire. Le grand frère d'un de ses potes lui avait trouvé un gars prêt à l'aider contre rémunération. Trois cent gallions pour transplaner jusqu'à Londres et le reste pour s'assurer de ne manquer de rien une fois arrivé.

Il vit sa tante commencer à s'agiter. Alors il calma le jeu et continua ses explications. Non, il n'était pas parti sur un coup de tête, ça n'avait rien d'un caprice. Déjà, il avait eu quelques mois pour y réfléchir, le temps d'amasser l'argent. S'il était parti, c'était pour de bonnes raisons.

Et il continua à tout lui balancer, en vrac. La façon dont le mariage de sa sœur aînée, Carmen, avait été planifié contre son gré. La façon dont ils l'avaient forcée, jusqu'au bout, alors qu'elle voulait juste poursuivre ses études. Ce cousin, de cinq ans son aîné, qu'on lui avait présenté la veille de son mariage. Ça avait été la goutte d'eau. Mais avant ça, il y avait eu l'annonce, le jour de ses quatorze ans, qu'on avait décidé de sa future femme. Sa cousine, Alejandra. Tout était signé, il n'y avait plus qu'à attendre ses dix-huit ans. Il s'était révolté. Les mariages forcés, ça n'était pas interdit, depuis le moyen-âge au moins ?

Il ne parla pas de ce qui avait vraiment motivé sa fuite. Quelques temps avant, il avait commencé à se rapprocher de ce garçon. Celui avec lequel il faisait ses trafics. S'en rapprocher beaucoup trop. Et ... au fond, ça lui avait un peu plu. Et ça lui avait fait peur. Et puis... s'il n'était jamais capable d'aimer une fille ? Ça ne lui était encore jamais arrivé. Et si sa famille s'en rendait compte ? Sa future femme ? Que dirait-elle ? Et l'honneur de sa famille ? Il avait beau vouloir les fuir, ça n'en restait pas moins important. Les Pacouill étaient de grands mages depuis des générations. Il ne pouvait pas salir leur image.

Il savait que sa tante paniquerait. Mais il n'était pas parti sans quelques potions à verser dans son thé pendant qu'elle tournait le dos. S'il fallait la convaincre, il était prêt à tout. Et après des heures de chantage affectif, elle accepta de l'héberger quelques temps.


Janvier 2012, 17 ans.

Toutes ses affaires rangées dans une petite valise, à nouveau. Il aurait espéré que ça attende un peu plus. S'il s'était imaginé que sa tante le foutrait dehors, alors que la veille, elle le considérait encore comme son fils... Peut-être même plus que Rafael, son propre enfant. Jesus avait bien vu la jalousie dans le regard de son cousin. Il aurait sans doute dû y prêter plus d'attention.

"Tu vois maman, je t'avais dit, il est complètement taré !"

Il entendait encore sa phrase résonner dans sa tête. Il revoyait sa tête d'abruti, fier de lui, alors qu'il venait de l'embrasser. Et la tête de sa tante, avec des yeux plus grands qu'il ne l'avait jamais vu. Rafael l'avait balancé. Il n'en revenait pas. Ce petit fils de troll rabougri. Il aurait dû s'en douter. Monsieur parfait, toujours tiré à quatre épingles, la chambre rangée à la baguette magique chaque fois que l'horloge de l'entrée sonnait les quart d'heure. Saloperies d'hormones. Pourquoi avait-il fallu qu'il lui tape dans l’œil, cet abruti ?

La déception dans les mots de sa tante lui faisait presque plus mal que la trahison de son cousin. En plus de ça, elle le prenait pour un abruti. Oui, il le savait bien qu'entre cousins, ça n'était pas toujours bien vu. Il s'était suffisamment fait traiter de consanguin à l'école. Même si c'était ce qu'il avait toujours connu comme modèle. Ses parents, le mariage de sa sœur... Était-ce le fait qu'ils soient deux hommes, qui rendait soudainement tout diabolique ?


Novembre 2013

Il avait fini par la réussir, cette pu*** de dernière année à Poudlard. Pas du premier coup mais le deuxième, c'était déjà pas si mal compte tenu des circonstances. Il en avait profité pour changer de nom de famille. Maintenant que même sa tante ne voulait plus entendre parler de lui, il ne voulait plus porter la honte avec lui. Et puis comme ça, il ne souillerait plus jamais une famille qu'il ne reverrait de toute façon pas.
Après avoir longuement hésité, il avait décidé de rester en Angleterre. Après tout, rien ne l'attendait au Nouveau-Mexique. Même s'il n'avait pas grand chose ici. Pas grand chose, c'était toujours mieux que rien.
A présent, il restait à savoir ce qu'il allait faire de sa vie. Ou.. à défaut, de son année. Il était un petit peu tard pour s'inscrire à la MUL et de toute façon, il n'aurait pas su quoi étudier. Mais il n'allait tout de même pas faire du trafic de potions toute sa vie, si?