De retour [Nathanaël & Ulysse]

Non, il ne l'était pas, Nate se trompait. Il ne l'avait pas vu essayer d'arrêter et rechuter de plus belle. Il ne l'avait pas vu dans ses pires moments et Ulysse s'était d'ailleurs arrangé pour que peu le voient. Il laissa Nate lui prendre la main, sans parvenir à calmer les tremblements. Il ne se sentait vraiment pas bien, sans qu'il puisse dire si c'était le cauchemar, le manque d'alcool, la fatigue ou un peu de tout ça. Il crevait de froid, tout en transpirant. Et ça ne faisait pourtant pas si longtemps qu'il n'avait pas bu. Pouvait-il endurer d'avantage ? Il hocha la tête, sans parvenir à dire quoi que ce soit. L'aide de Nate était déjà précieuse, sans ça. Mais était-il prêt à arrêter, vraiment ? En était-il vraiment capable ? Ce n'était peut-être pas insurmontable mais de son point de vue, c'était tout comme. Il ne supporterait pas cet état très longtemps sans devenir fou.

Sa main se resserra sur celle de Nate. Il aurait besoin d'aide s'il décidait d'arrêter, c'était certain. Mais l'idée n'était pas facile à accepter. Ce n'était pas dans ses habitudes de se laisser prendre par la main. Et c'était encore moins facile, de se montrer dans cet état de vulnérabilité face à Nate. De ne plus cacher toutes ses fêlures, alors qu'il voulait paraître fort et solide devant lui -oui, là, c'était raté-. Mais à partager son quotidien... ça en devenait impossible. Et ce soir en était une preuve supplémentaire, s'il en fallait encore une... Au moins, ça le décidait à se confier. Déjà, il acceptait. Il avait cessé de se mentir à lui-même. Il avait conscience que c'était un gros problème. Mais il n'avait pas la solution pour autant.

"Je ne sens pas vraiment bien, je ne suis pas sûr de réussir à me rendormir..."

Il ne savait pas trop de quoi il avait envie. A part d'alcool, de toute évidence. Juste un peu, ça l'apaiserait, déjà. Il sortit des couvertures, laissant pendre ses jambes hors du lit tout en gardant la main du pâtissier dans la sienne. La présence du pâtissier lui faisait du bien, à n'en pas douter. Mais il aurait toutes les raisons de ne plus fermer l’œil de la nuit s'il restait avec lui dormir. Et de toute façon, le cauchemar était encore trop ancré. S'il essayait de se rendormir, il savait que son frère viendrait le rattraper, que son cerveau le replongerait immédiatement au beau milieu de ses pires craintes.

"Tu peux te recoucher, t'as une longue journée qui t'attend, va pas..."

Ce n'était pas la peine que Nate s'épuise pour lui, vraiment. Il faisait déjà beaucoup. Et il n'avait aucune idée de l'heure qu'il pouvait être mais nul doute qu'elle était bien avancée.

"Mais si tu veux bien ... je crois que je vais avoir besoin de prendre un peu l'air... tu as envie d'une promenade au clair de lune ?"

Il lui proposa, même si c'était tout sauf une bonne idée. Nate avait besoin de ce sommeil. Mais s'il était seul, il savait que plutôt que dans un parc, ses pas le mèneraient au premier bar qu'il trouverait. Parce que c'était surtout pour ça qu'il avait besoin de sortir. Etait-ce une mauvaise chose ? Son corps criait que non. La main de Nate, qu'il ne parvenait pas à lâcher, lui rappelait l'inverse. Au moins, s'il était avec lui, il aurait des scrupules à faire ce détour-là...

Comme si Nath allait avoir envie de se recoucher, après ça. Si encore Ulysse avait fait mine de se recoucher, il aurait peut être pu. Mais sachant qu'il n'allait pas essayer, et qu'il allait probablement passer le reste de la nuit à trembler et à être mal... nope. Il soupira en lui souriant, comme s'il pensait à ça tout fort. Il finit par lui lâcher la main.

« Tu me laisse enfiler quelque chose ? »

Parce que bon, ce pantalon de pyjama en révélait un peu trop. On lève les yeux, Lyssou ! Il alla passer un jean plutôt, et une veste, et demanda à Ulysse s'ils pouvaient emmener Cosmo avec eux. L'animal avait toujours besoin de se dépenser ! Et en peu de temps, Ulysse les emmenait tous les trois prendre l'air grâce à l'Apparition. Cosmo était parti loin, tandis que les deux hommes marchaient dans la nuit fraîche. Quelque chose travaillait le pâtissier, qu'il avait entendu un peu plus tôt, mais qu'il n'osait pas forcément aborder. Est-ce qu'il avait bien entendu le nom d'Hector quand Ulysse cauchemardait ? Il préféra mettre ça de côté, et laisser l'autre respirer un peu. Après tout, c'était pour ça qu'ils étaient venus ici pas vrai ? Ca lui faisait du bien aussi, sur le moment. Mais il allait morfler le reste de la journée, pour sûr.

Il proposa à Ulysse de rentrer quand ils eurent passer un moment là, à discuter rapidement, mais pas de choses trop importantes (à moins qu'Ulysse ait voulu ? Il n'avait pas trop l'air). Mais une fois à nouveau à la pâtisserie, l'heure du réveil approchant trop, il proposa à ce dernier quelque chose qu'il ne faisait jamais -et il avait fallu des MOIS à Jesus pour passer ce cap là.

« Ca te dirait de venir avec moi à l'arrière boutique ? »

Non Ulysse, on ne pense pas à des choses salaces, là. Nate lui propose de venir là où il a du mal à accepter du monde : dans sa cuisine. Avant toute chose, il l'invita à se laver les mains, et à mettre quelque chose sur ses bouclettes. On n'allait pas risquer quoi que ce soit ! Et puis, petit à petit, il lui expliqua son rituel matinal. Déjà, café. C'était un autre type d'addiction que le genre qui hantait Ulysse, mais il était pas mal dans son genre aussi. Ensuite, les ingrédients pour la majorité de ses pâtons. Il y avait beaucoup à faire, et ils ne seraient pas trop de deux pour une fois. D'habitude, il laissait l'autre homme roupiller jusqu'à l'heure de l'ouverture, ou au moins de la préparation de la boutique. Là, il verrait ce qui se tramait pendant qu'il ronflait. Le mélange des ingrédients, dans un ordre précis mais qui allait extrêmement vite quand il était seul, par habitude. Là, il décortiqua tout pour qu'Ulysse, à côté de lui, puisse faire la même chose.

« Ca me vide la tête... généralement. Quand je pense à trop de choses, il suffit que je me mette à la tâche et... tout s'en va. »

Il expliqua. Il aimerait aussi lui dire que pour lui, c'est quelque chose qui lui tient terriblement à coeur. Il essaya, en quelques mots simples, de lui raconter que c'est comme ça que ses parents les avaient élevés, et qu'il les avait vus s'aimer. Et c'était comme ça -à moindre occurrence parce que Hyacinthe était une catastrophe en cuisine- qu'il avait élevé son petit frère. Et en parlant de frère...

« J'ai... cru entendre le nom d'Hector, un peu plus tôt. Est-ce que tu veux en parler ? »

Il demanda prudemment. Le passé contenait tant de non dits... tant de choses qui ne se régleraient probablement jamais. Peut être qu'en parler aiderait. Est-ce qu'il en serait capable, de son côté ?

Une grande bouffée d'air frais. Ce n'était pas exactement ce qu'il lui fallait mais ça faisait déjà un bien fou. Ulysse était reconnaissant au pâtissier d'avoir accepté de l'accompagner. Même s'il se doutait que ce dernier aurait préféré finir sa nuit... Il avait rapidement enfilé à son tour un jogging au lieu de son pyjama et ils avaient transplané, avec Cosmo, dans une forêt environnante. Ils marchèrent en silence un moment, venant le rompre pour échanger quelques mots sans que l'un ni l'autre n'ose vraiment crever l'abcès et parler de choses embarrassantes. L'heure n'était peut-être pas la mieux choisie non plus. Et puis le silence faisait du bien. On n'entendait que les craquements des branches mortes et des feuilles sous leurs pieds et les pas de course plus lointains de Cosmo.

Ils marchèrent un moment avant que Nate ne propose de rentrer. Ulysse attrapa à nouveau le bras du pâtissier et Cosmo dans l'autre bras et ils transplanèrent à nouveau devant la pâtisserie. La nuit était bien avancée mais le jour était encore loin de se lever. Alors c'était à cette heure-ci que Nate commençait ses journées ? Ulysse regarda l'horloge. Habituellement, il dormait encore à poings fermés, lorsqu'il ne manquait pas d'alcool pour trouver le sommeil. Cette nuit, c'était peine perdue. Alors il accepta sans même prendre le temps de réfléchir, lorsque Nate lui proposa de l'aider dans l'arrière boutique. De toute façon, c'était ça ou tourner en rond et se manger les doigts jusqu'à ce que la première épicerie ouvre ses portes.

Suivant ses instructions à la lettre, il enfila un couvre-chef, se lava les mains, l'écouta lui expliquer sa routine. Le café ne serait pas de trop pour lui non plus. Même si niveau nervosité, il n'avait pas besoin de ça. N'en perdant pas une miette, il le regarda mélanger les farines, préparer les levures. Passa beaucoup trop de temps à fixer le petit flacon de levures, se demandant si ça pouvait remplacer l'alcool et si ça se buvait -non-. Et essaya de s'appliquer, imitant les gestes de Nate. Ce qui n'était déjà pas facile en temps normal devenait vraiment compliqué avec les mains qui tremblaient. Il s'y reprit à plusieurs fois pour le dosage et ne dût qu'à l'usage d'un sort de récupération de ne pas voir toute la farine s'éclater au sol.

"En général, c'est la musique qui me fait cet effet-là..."

Commenta-t-il simplement, en tentant de former son pâton. Il comprenait, partiellement au moins. Chanter et jouer du ukulélé avait le don de lui vider la tête aussi, de l'apaiser. Il ne pouvait penser à rien d'autre quand il était occupé à ça et ça faisait vraiment du bien. Là... on ne pouvait pas dire que la cuisine avait cet effet-là. Il était trop concentré pour ça mais surtout, le pâton collait, ses mains tremblaient, il n'arrivait absolument à rien. Et ça n'aida pas tellement, d'entendre Nate remémorer son enfance. Et encore moins de l'entendre évoquer Hector. Il tenta de se défaire de la pâte, qui collait à tous ses doigts. Rha. Un long soupir plus tard et il reprenait toute la mixture en main, la malaxant avec maladresse et nervosité.

"C'était juste... un mauvais rêve..."

Il secoua la tête. Ce n'était que ça, oui. Un cauchemar. Mais il avait semblé si réel. Les images lui trottaient encore dans la tête et lui collaient des frissons -à moins que ça ne soit le manque, ça-. Est-ce qu'il voulait en parler ? Non, sûrement pas. Comme l'alcool et bien d'autres choses, il était habitué à enterrer ces choses là et à faire comme si les problèmes n'existaient pas. Mais Nate n'était pas n'importe qui. Si quelqu'un connaissait -ou avait connu - Hector, c'était bien lui.

"Je sais pas pourquoi il était là, dans mon rêve.. comme s'il faisait partie d'Eux... ça n'avait pas de sens... Il ne pourrait même pas. Enfin.. les rêves, ça n'a jamais trop de sens."

Et cette boule qui ne voulait pas se décoller de ses mains non plus. Nate avait déjà multiplié les pâtons, d'une forme régulière et d'une texture parfaite. Loin du massacre qu'il tenait entre les mains. Il tenta de le rouler dans la farine encore étalée sur le plan de travail et de gratter ses doigts les uns avec les autres pour décoller ça.

"J'vais pas y arriver... comment tu fais ? Ça colle de partout..."

Oui, l'urgence, c'était d'abord ça. Parce que comment passer toute sa nervosité s'il ne pouvait même plus se servir de ses mains, hein ? Et puis ça commençait à tirailler de partout. Il attendit que Nate l'aide et le défasse de ce premier essai raté et soupira à nouveau. Et maintenant qu'il avait les mains libres, l'une d'entre elles passa dans sa nuque, pendant que les doigts de l'autre se faisaient manger les uns après les autres. Il faudrait se relaver les mains pour se remettre au travail...

"Je repense à lui parfois ... Je culpabilise toujours de les avoir laissés et... J'aurais aimé être là et lui venir en aide, j'avais juste aucune idée de comment faire, à l'époque. Je lui en voulais pour tellement de trucs et ... je sais que ce n'était pas un ange, loin de là mais beaucoup... n'était pas vraiment de sa faute. Et si je l'avais compris à l'époque... "

Il ne savait pas ce qu'il était advenu du reste. C'était une autre vie, vraiment. Et ça ne faisait pas toujours du bien de se replonger dans celle d'avant.

"Mais t'as peut-être pas envie d'en reparler. Je sais que... c'était pas simple entre vous non plus..."

Même s'ils n'en avaient jamais vraiment parlé. Il savait que Nate et Hector avaient eu une relation compliquée, sans trop savoir comment et pourquoi elle s'était terminée. Son frère n'avait pas toujours eu le beau rôle à l'époque, il l'avait vu colérique, possessif et surtout jaloux. Des autres mais plus que tout de la magie dont il se sentait dépossédé. Ulysse l'avait supporté, aidé un temps et puis il n'en avait plus eu les épaules. Et une partie de ce fardeau était retombée sur celles de Nate, il avait cru comprendre.

Le pâtissier est attentif, en règle général mais bien sûr là en particulier avec un débutant dans son espace de prédilection. Il voit qu'Ulysse a du mal, il voit ses mains qui tremblent mais ne le conseille pas outre mesure, le laissant essayer. Il ne veut pas qu'il se décourage. Il ne veut pas qu'il se sente assisté non plus, il veut juste l'aider à passer le temps en faisant quelque chose de ses 10 doigts. Parce qu'il sait qu'il ne faut pas un master en pâte pour y arriver, même si ça peut être difficile au début. A force de trop la malaxer, la pâte s'est réchauffée et il explique ça à Ulysse avant de lui redonner de la farine. Lui il fait ça les yeux fermés, mais après tant d'années, c'est un peu normal. Il comprit alors pourquoi Ulysse faisait la comparaison avec la musique. Quand Ulysse n'y arrivait plus du tout, il lui montra, reprenant la pâte martyrisée de ses mains pour lui donner un autre pâton tout frais.

« Tu me donnerais une guitare entre les doigts je n'en sortirais pas grand chose... Mais c'est le même principe. Du doigté, de la légèreté, et ne pas trop s'acharner... j'imagine ? »

Il aimait bien sa musique, lui. Il lui avait dit déjà de nombreuses fois, c'était d'ailleurs une des raisons qui l'avait poussé à lui proposer de jouer de temps en temps à la boutique. Faire un genre d'événement spécial, quand il n'y avait pas trop de monde mais des gens qui avaient envie de se poser tranquillement. Ils auraient pu ouvrir plus tard un soir par semaine, peut être, exprès pour ça.

Il écouta Ulysse répondre à sa question, se faisant invisible pour ne pas l'empêcher de se confier. C'était si rare. Il comprenait sa frustration et sa culpabilité mais selon lui elles n'avaient pas raison d'être. Ca n'était pas à lui d'endosser ce rôle, vraiment. Il y avait beaucoup dans ce que disait le jeune DiSciptio qui n'allait pas, mais comment le lui dire sans que ce soit mal pris. Sans qu'il paraisse être en train de dépasser les limites de son rôle ici ? Il le regarda, quand Ulysse s'adressa directement à lui, l'air complètement pris au dépourvu. C'était la première fois, alors que cette histoire avait plus de quinze ans, qu'ils en parlaient ? C'était même la première fois qu'Ulysse disait qu'il était au courant, à cette époque là. Nat qui avait toujours gardé cette relation secrète, autant pour lui que parce qu'Hector le voulait. Colérique, possessif et jaloux, ça Hector l'avait été. Mais surtout il manipulait son petit monde pour qu'on pense que c'était normal la façon dont il vous traitait.

« Non... Ca n'était pas simple. Je suis désolé je ne savais pas que tu étais au courant... »

Le pâtissier s'était un peu refermé, plus triste en réalisant le mensonge qui avait été le sien alors que son ami savait. Et puis, aussi, en se rappelant que c'était comme ça que la relation avait vivoté un moment. Aussi heureux, amoureux, envoûté qu'il ait pu être au début, ça ne justifiait pas que ce genre de choses continue maintenant.

« Tu n'aurais pas pu faire autre chose, Ulysse. Et ça n'était pas à toi de gérer la colère de ton frère et l'injustice qu'il ressentait. Ce n'était pas de ta faute. Il n'a jamais été... très juste. Qu'il ait souffert ne justifie pas tout. »

Il finit par dire, calmement mais sûrement. Il avait mis du temps à retenir cette leçon. Longtemps il s'en était voulu, s'était débattu comme Ulysse, en vain. Il avait beaucoup souffert de ça, et il ne voulait pas qu'Ulysse en souffre aussi. Il finit par le regarder et lui faire un petit sourire. On les connait, ces sourires là, Nathou. Ils sont là pour rassurer alors que dedans c'est pas la joie. Mais hey, au moins ils avaient trouvé quelque chose en commun, dans tout ça ?

Au moins, le but que Nate recherchait était partiellement atteint. Occuper l'esprit d'Ulysse pour qu'il ressente moins la sensation de manque. Mais c'était difficile, de se concentrer sur une toute nouvelle tâche quand ses mains ne répondaient pas très bien et de mener de front une conversation délicate. Alors il s'était senti obligé de momentanément cesser l'une des deux. Le pâton d'après était resté sur la table, ce qui lui évita de finir malaxé comme une boule anti-stress et bon à jeter à la poubelle. Et ses mains tremblaient joyeusement alors qu'il se mordillait ongles et cuticules. Ils n'avaient jamais parlé de Hector tous les deux. Sujet tabou ? Délicat, en tout cas.

"Y'a aucune raison d'être désolé... Hector essayait d'être discret mais.. il y a certaines choses qu'on devine facilement, entre frères... "

Il sourit. Peut-être un peu nostalgique de l'époque si lointaine où ils étaient encore complices. C'est vrai, il n'en avait jamais parlé à Nate. D'abord parce qu'il avait fallu encaisser la peine de cœur, quand il l'avait appris -ou plutôt compris-. Et puis après parce qu'il s'était éloigné de l'un, de l'autre puis de tous ceux qu'il connaissait. De toute façon, qu'il y aurait-il eu à dire ?

"Il ne m'en a jamais rien dit, si ça peut te rassurer... Je l'ai juste déduit..."

Ajouta-t-il, voyant que Nate semblait mal à l'aise, sans en connaître les raisons exactes. Peut-être aurait-il voulu que cette relation reste secrète. Et Ulysse venait de perdre une occasion de se la boucler. Mais il avait promis d'être plus ouvert envers le pâtissier et de cesser de tout garder pour lui. Alors ça allait dans ce sens, il lui semblait... Tout comme avouer sa culpabilité. Il ne s'en déferait pas comme ça, bien sûr, rien n'était aussi simple. Mais ça faisait du bien de la décharger un peu, de pouvoir en parler à quelqu'un qui l'avait connu et qui ne le jugeait pas. Même s'il n'était pas tout à fait d'accord avec ce que Nate avançait. Il aurait pu faire autrement, c'était évident. S'il n'avait pas été aveuglé par Ariès, s'il avait pensé un peu moins à lui-même et d'avantage à sa famille... A côté de tout ce que Nate avait fait et sacrifié pour son petit frère, il passait pour un monstre d'égoïsme.

"Non, ça ne justifie pas tout, c'est vrai mais..."

Il reprit un pâton, que Nate lui avait posé et tenta d'y aller plus délicatement cette fois-ci. Sans franc succès. Mais un peu mieux que le premier essai tout de même. Au moins, ça collait moins à ses doigts. Dont il n'avait pas vraiment retrouvé toute la maîtrise.

"De toute façon, c'est vieux et enterré. C'est bien trop tard pour y changer quoi que ce soit, je ne sais même pas pourquoi je remue ça..."

Ca, les vieilles histoires. Pas la pâte qu'il était en train de triturer. Quoi que... Il suffisait qu'il dise ça pour qu'il s'acharne à nouveau sur le pâton.

"Ce n'était pas non plus à toi de gérer sa colère et ses sautes d'humeur..."

Et pourtant, un temps, Nate l'avait fait et il avait encore probablement dû y faire face lorsqu'Ulysse était parti. Ce dernier l'aura remarqué, sa nervosité passait dans ses mains et lorsqu'il avait quelque chose à triturer, il n'y allait pas avec délicatesse. Evidemment, il ne s'en rendait pas vraiment compte. Il soupira en constatant qu'il se mettait à coller dans ses mains, comme le précédent, pour les mêmes raisons de toute évidence. Il essaya de se défaire quelques doigts pour reprendre un peu de farine et reformer le pâton, avant de le reposer. Et pour faire honneur à la patience d'ange de Nate, il fit une troisième tentative. Un peu plus réussie que les deux premières, essentiellement parce qu'il ne parlait pas de Hector en même temps.

"Heureusement que c'est pas pour la cuisine que tu m'as demandé de l'aide, tu aurais vite déchanté !"

Il préféra le constater sur le ton de la plaisanterie, en déposant le troisième pâton à côté des autres. Celui-là serait peut-être consommable, contrairement à ses aînés. Il jeta un coup d'oeil à l'horloge accrochée au mur. Le matin semblait encore si loin.

"Je ne vais pas arriver à tenir.. Juste arrêter comme ça... C'est pas possible. Va me falloir plus de temps..."

C'était peut-être une évidence mais il préférait que ça soit dit. Ne pas décevoir Nate, lorsqu'il le verrait à nouveau une bouteille à la main. Déjà, il envisageait d'essayer d'arrêter et c'était un pas énorme. Mais pas comme ça, de but en blanc. Il ne savait pas ce que Nate avait en tête ou s'imaginait mais il n'en était pas capable. Et il n'attendait qu'une chose, pouvoir acheter de quoi soulager ce manque avant que ça ne vire à l'obsession.

Parler, c'était ce qui avait manqué aux deux hommes depuis leurs retrouvailles, c'était certain. Parler en général, surtout des choses difficiles et personnelles, c'était difficile pour un Nathanaël même en forme alors autant dire que là... Mais il sentait ce besoin de crever l'abscès qui flottait dans l'air. Surtout après ce qu'Ulysse avait tenté envers le pâtissier. Et on ne parlait pas de leur nuit torride, là. Son premier rapprochement avait été plus... personnel ? Plus sentimental ? Nate n'avait jamais osé chercher de ce côté là, pour ne pas rouvrir la plaie. Surtout qu'il était bien incapable de répondre à ses sentiments, même si maintenant sa propre blessure ne le faisait plus autant souffrir. Il voyait toujours Ulysse comme... Presque un frère. Un plus jeune frère, en tout cas. Pas comme l'adulte qu'il était.

« Ca ne me rassure pas... Je pensais juste que... Tu aurais préféré ne pas savoir. »

Pourquoi ça le rassurerait, maintenant. Ho, à l'époque ? Ca aurait été une catastrophe que qui que ce soit le sache. Et probablement autant pour Hector que pour lui, qui n'assumait pas le moins du monde ce qui lui arrivait pour la première fois. Maintenant... Il avait juste peur de lui faire plus de mal qu'autre chose. Il avait envie de s'excuser. Mais Ulysse avait raison, c'était vieux, tout ça. Et il ne pouvait pas changer ce qui s'était passé à l'époque. Par contre, entendre ce dernier dire qu'il n'était pas responsable de ce qui s'était passé... Ca le toucha. Plus qu'il ne s'y attendait.

Ils continuèrent à travailler comme ça, un peu plus silencieusement finalement mais sans que ça n'ait l'air de leur peser. C'était comme si briser la glace avait un peu apaisé le pâtissier, en tout cas. Il montra d'autres techniques, pour aider un peu Ulysse, mais oui clairement ça n'était pas lui qui l'aiderait en cuisine avant... jamais. C'était un petit regret, parce que finalement, il le connaissait depuis plus longtemps que Jesus et il aurait aimé... Cette image, celle de ses parents travaillant ensemble en cuisine parfois et la nostalgie qui y était attachée le travaillait.

« Merci... pour tout ça. »

Il dit, sortit de nul part, à un moment.  Et puis il reprit sa tâche jusqu'à ce qu'Ulysse aborde la question importante. Oui. Bien sûr. Mais ils n'allaient pas reporter indéfiniment, Nathanael veillerait à ça.

« Non, bien sûr. Ne t'en fait pas Ulysse... Ca ira. »

Il lui assura, en posant son regard doux et rassurant sur lui. Il serait là, et il ne le lâcherait pas. Ils finirent avec Ulysse qui tend les instruments et les ingrédients à Nate pendant que ce dernier bosse, jusqu'à ce que les premières boutiques ouvrent. C'était difficile de voir Ulysse partir mais il ne le stigmatiserait pas. Ils passeraient un bon Noël ensemble, et ils verraient. Il avait confiance en lui, tout se passerait bien.