De retour [Nathanaël & Ulysse]

Le départ de Pandora pour la cure de désintoxication avait été un coup dur, un de plus. Après quelques semaines à avoir tenté d'être un pilier pour elle comme elle avait su l'être, il avait fallu se rendre à l'évidence. Il n'était pas suffisamment solide et stable pour pouvoir l'aider. Et elle avait réellement besoin de soutien. Il était allé lui rendre visite, plusieurs fois. Et c'était difficile. Ce qui avait poussé cette décision, peu aisée elle aussi. Il avait besoin d'air frais, d'autre chose, d'une coupure. Et il n'avait plus vraiment de point de chute. Alors il avait rassemblé le peu d'affaires qu'il avait, jeté ça dans son sac à dos et avait repris la route quelques temps. L'avantage de la musique, c'est qu'on pouvait en faire partout. Il était parti en Italie et avait parcouru le pays du nord au sud. Il n'avait plus vraiment d'attaches là bas. Il avait cherché un retour aux sources, dans son pays natal. C'est surtout du dépaysement qu'il avait eu. En tout cas, ça lui changeait les idées. Pour quelques temps au moins.

Plusieurs semaines s'étaient écoulées avant qu'il ne se décide à prendre le chemin du retour. Il n'y avait rien qui le forçait vraiment. Et malgré tout, il fallait accepter l'évidence. S'il avait un chez lui, quelque part dans ce monde, c'était la ville de Londres. L'italie, c'était ses origines mais ça n'était pas chez lui. Et il avait besoin de ce sentiment-là. Celui-là même qui l'avait d'abord poussé à se rendre, un peu par automatisme, devant l'immeuble de Pandora. Et de se rappeler. Il n'était pas repassé par la pension où elle était en cure. Il n'était pas certain que ça ferait du bien à la journaliste. Ni qu'il en serait prêt, lui-même. Alors il s'était dirigé vers la seule autre adresse qui faisait figure de phare dans l'obscurité pour lui. La boutique et l'appartement des MacDougall. En espérant y trouver quelqu'un à cette heure déjà avancée. Une longue hésitation plus tard et il frappait à la porte. Avec une sale impression de déjà vu. Il espérait que la situation serait différente cette fois. Même si après tous ces mois, pas grand chose n'avait changé chez lui. Le moral peinait à remonter et chaque obstacle le faisait dégringoler plus bas que la petite pente qu'il essayait de grimper. Le temps d'automne n'arrangeait rien. Malgré les quelques sorts de confort, ça devenait difficile à nouveau de dormir dehors. Se frottant les mains, il attendit d'entendre un bruit puis que la lumière perce à travers les fenêtres.

"Nate, c'est Ulysse... désolé de te déranger aussi tard..."

Il lui lança ça à travers la porte, que le pâtissier ne prenne pas peur. Après quelques semaines de vadrouille, il ne devait pas avoir la meilleure des allures. Sa barbe avait poussé dans tous les sens, tout comme ses cheveux. Il avait eu la chance de pouvoir être hébergé de temps en temps, de se procurer le minimum d'hygiène, le reste étant assuré par quelques sorts. Mais il n'arrangeaient pas tout, particulièrement pas les cernes sous ses yeux et les traits tirés. On avait connu des jours meilleurs.

La solitude, bien qu'il s'en cache au mieux aux yeux des gens auxquels il tenait, pesait sur le pâtissier bien plus que les difficultés financières. Oh, ce n'était pas une partie de plaisir, d'essayer de recoller les morceaux d'une entreprise qui tenait par un fil. Le fil étant sa volonté de se lever le matin. Mince, hein. D'avoir pu réparer ce qu'il pouvait auprès d'Arthur était un début. Mais un début bien faible, il lui semblait. Il y avait bien d'autres  choses pour lesquelles il devait se racheter. Chaque chose semblait lui demander un effort incalculable. Pour lui, plus que pour les autres.

Il était dans ses papiers jusqu'à tard, ce soir là. Nettoyer la boutique lui avait pris un bon moment, tout ranger, lancer la machine à laver qu'ils avaient installée avec Hyacinthe, remballer les pâtisseries bonnes pour le lendemain et sorti le reste à la poubelle... Et faire les comptes, encore et toujours. Il essayait de rester positif, sachant parfaitement que ça ne durerait pas, mais tenant à faire de son mieux quoi qu'il en soit. Au moins pour son petit frère. Et son nouvel assistant du weekend, par exemple.

Quand il entendit la porte, du côté de la ruelle. Il n'était pas certain au départ d'avoir entendu et puis la voix d'Ulysse se fit entendre. Il laissa les affaires en plan sur la table et enjamba rapidement la distance en un temps record, ouvrant la porte peut être un brin fort. Son visage exprimait la surprise comme rarement. Et pas seulement en voyant l'état de son ami, à vrai dire il n'avait pas pris le temps qu'il l'attirait déjà contre lui pour une accolade franche. Elle traduisait plus que des paroles ce qu'il ressentait, de ne pas l'avoir revu pendant plusieurs mois. Et surtout de ne pas avoir eu de nouvelle durant ce temps là.

« Ah... Pardon. »

Il dit, le relâchant et essayant de lui sourire malgré son air fatigué à lui aussi. Ils étaient beaux tous les deux. C'est là qu'il apprécia réellement l'état d'Ulysse, et qu'il l'invita à entrer après s'être à nouveau excusé de l'avoir étouffé.

« C'est un peu... Monte, je te rejoins dans une minute. »

Il dit, prenant le chemin de la table de la boutique qu'il avait utilisée comme bureau. Sans magie pour l'aider, il rassembla ses papiers en piles en essayant de ne pas tout mélanger, et dès que tout fut à peu près en ordre, il prit le paquet sous le bras pour le rejoindre en haut. Il avait confiance en Cosmo pour accueillir Ulysse comme faisant partie de la maison. Après tout, ils avaient partagé les lieux pendant quelques temps, quand même.

« Tu veux manger un bout ? Ou une douche peut être d'abord ? »

Il passait la main dans ses cheveux, clairement plus habitué à avoir un invité. Et en même temps, il aurait du, vu le passage éclair d'un certain Mthunzi précédemment. Mais il était tellement content de le revoir.

Si Nate était surprise de le voir, Ulysse le fut tout autant, voir d'avantage, de sa réaction. Il eût un sursaut, un mouvement de recul alors que le grand ours l'étreignait sans prévenir. Et passé la surprise, il lui tapota le dos lorsqu'il fut capable de se dégager un bras, pour lui rendre son geste. Au moins, il semblait content de le voir, il ne lui avait pas claqué la porte au nez. Ca restait une appréhension pour Ulysse, même s'il savait que ça n'était pas dans les habitudes du pâtissier. Il n'avait pas vraiment averti qu'il partait, comme toujours. Parce que ça s'était fait sur un coup de tête, qu'il aurait pu tout aussi bien y rester deux jours ou deux ans. Difficile de prévenir de quelque chose d'aussi impulsif.

"Non non, t'as pas à t'excuser, je... "

Il entra, un peu déboussolé par l'air perdu de Nate. Difficile de savoir ce qui clochait, s'il interrompait quelque chose, si c'était simplement la surprise ou le fait d'avoir été réveillé dans la nuit mais le pâtissier n'avait pas l'air serein. Et ses traits étaient tirés. Il hocha la tête, s'apprêtant à dire quelque chose qu'il repoussa à plus tard et obéit, prenant le chemin des escaliers qu'il connaissait suffisamment bien. Il s'en voulait déjà suffisamment de perturber les plans de Nate, il lui laisserait tout le temps de finir ce qu'il avait à faire. Pendant ce temps, il grimpa les marches, déposa son sac en haut des escaliers et ôta les deux vestes superposées qu'il portait pour se tenir chaud. Un cliquettement se fit entendre et il vit deux billes le fixer depuis l'opposée de la pièce. Le doggamy sembla hésiter, le scruter un moment pendant qu'Ulysse lui parlait et le rassurait et il finit par s'approcher et venir saluer l'arrivant comme il se doit. Pas de doute, il se souvenait du squatteur. Ulysse s'agenouilla à ses côtés pour lui flatter la tête et le gratouiller, jusqu'à ce que Cosmo se roule sur le sol. Et les deux sursautèrent lorsque la dernière marche des escaliers grinça et que Nate les rejoignit. Ulysse prit appui sur sa main et se releva alors que le doggamy retournait dans les pattes de son maître.

"Je veux bien manger un bout ouais... t'as déjà mangé j'imagine ?"

C'était toujours un peu gênant de se retrouver seul à manger pendant que Nate l'observait. Il faut dire que c'était arrivé plus d'une fois. Ulysse avait du mal à se caler sur les heures des repas, que voulez-vous... Il alla aider Nate à ramener quelque chose à manger et prit place dans le canapé lorsque tout fut monté. Avant de se rappeler de quelque chose.

"Oh, j'ai quelque chose pour toi !"

Il se releva, alla fouiller dans son sac à dos, glissant une main puis deux, sortit quelques trucs au passage sur le sol histoire de finalement trouver un petit sac, fermé par deux agrafes. Sans trop de délicatesse, il jeta à nouveau sa tente, son sac, des vêtements dans le sac et revint vers Nate, le petit sac à la main.

"Tiens, c'est pour toi ! Ça vient de Vérone !"

A l'intérieur du petit sac, bien emballé dans du papier de soie doré, un petit paquet d'amaretti. Il n'était pas très grand, à hauteur de son budget. Ulysse ne dirait pas qu'à l'origine, il pensait à Pandora en l'achetant et qu'il s'était souvenu par la suite qu'il n'aurait sans doute pas la possibilité de lui offrir. Il espérait qu'ils plairaient au pâtissier. Ce n'était sans doute pas les meilleurs de l'Italie, il n'aurait pas pu se le permettre. Ils venaient d'une petite pâtisserie sans prétention...

"J'étais en Italie, quelques semaines. Après tout ce qu'il s'est passé, j'avais besoin de ... changer d'air."

Et on ne pouvait pas dire que ça l'avait entièrement retapé mais ça l'avait aidé à tenir, malgré tout. Ça aurait peut-être été pire en restant à Londres et en tournant en rond.

"Et toi... tu tiens le coup ? Je suis content de te voir, merci de ... ça me fait du bien, tu sais, de savoir que tu m'accueilles à chaque fois..."

Il espérait qu'il ne bousculait pas tout dans la vie du pâtissier, à chaque fois. Et qu'il ne compromettait pas ses plans. Mais de son côté, c'était vraiment réconfortant, d'avoir un endroit où il se sentait presque chez lui. Où il se savait le bienvenu, en tout cas.

Tout ours qu'il était, oui, ça devait se voir qu'il était content de recevoir Ulysse dans sa grotte. Même si cette dernière était particulièrement mal arrangée ces temps ci. Cosmo lui n'en avait pas grand chose à faire, mais ça embêtait un peu Nathanaël qui n'avait plus l'habitude de tout ça. Il faisait un effort quand son frère revenait pour le weekend entre autre, mais le reste du temps les choses commençaient à s'accumuler, et particulièrement les papiers, là. Mais aussi les livres qu'il lisait le soir, parfois le linge, des choses qui n'auraient jamais trainées à l'époque où la magie était là pour lui donner un coup de main. On sous estime la valeur des choses tant qu'on ne les a pas perdues. Un peu comme la présence d'un petit frère dans les parages, par exemple. Ou d'Ulysse.

« Ah... Non, pas encore, je t'accompagnerai. »

Il dit en posant sa pile de papier sur la table près de la fenêtre qui lui servait de bureau le plus souvent. Il avait oublié de manger, avec tout ça, les heures passaient vite. Il avait sorti Cosmo, chose qu'il ne négligeait jamais, et s'était remis au travail sans y penser. Ils allèrent tout deux chercher une tourte salée -épinards, miam- et un dessert dans les restes de la journée. Nate hésita, il ne savait pas où en était Ulysse dans ses pérégrinations avec l'alcool et se demandait s'il devait lui proposer une bière ou non, quand ce dernier sortit son petit cadeau surprise.

« Tu n'aurais pas dû ! »

Il dit avec sincérité. Il n'était pas très doué pour recevoir des cadeaux (pour en donner, pas de problème par contre) et l'attention le touchait. Surtout quand il découvrit les amaretti. Son cerveau fit tout de suite des associations d'idées, alors qu'il souriait en refermant celui ci et en écoutant Ulysse, d'idées de dessert qu'il pouvait essayer de faire en alliant ces derniers à une recette qu'il connaissait. Mais il se reprit. C'était bien de rêver mais... Bref. Ulysse avait l'air d'avoir apprécié son voyage, même si la route n'était pas de tout repos, il avait l'air mieux ? Ou c'était ce que Nate avait envie de voir pour son ami...

« Je suis content que tu aies passé un bon moment. J'aurais aimé un Patronus pour avoir de tes nouvelles, cela dit. »

Il dit, un sourire très Nathanaël sur le visage. Il était papa poule avec tout le monde, il fallait croire. Le prends pas personnellement Lyssou. Et puis il soupira, prenant son assiette pour entamer son dîner en même temps qu'Ulysse. La seule personne avec laquelle il avait réussi à parler de ses soucis était Arthur. Et avec du recul, c'était peut être parce qu'il savait qu'il ne verrait pas un regard empli d'inquiétude ou de pitié chez lui. Il devait savoir au fond qu'il ne serait pas touché comme d'autres. Sans aller dire qu'il s'en ficherait, ça n'allait pas l'empêcher de dormir. Triste, quand on pense que c'était de cet homme dont il était toujours amoureux, hein. Ce n'était pas qu'il ne faisait pas confiance à Ulysse, mais c'est vrai qu'il le voyait encore comme plus jeune. Et il ne voulait pas l'inquiéter.

« On fait aller. Tu te souviens de Jesus, de cet été ? Il m'aide le weekend maintenant. »

Ce qu'il ne dit pas, c'est qu'il se met dans un pétrin pas possible pour le payer. Mais le garçon n'a pas à subir les frais de ses problèmes financiers. Le fait est que s'il avait accepté de l'aide plus tôt, il n'aurait peut être pas perdu toute cette clientèle. Ou peut être que si. Beaucoup venaient pour ses gâteaux enchantés, à l'époque, et même si le goût de beaucoup de pâtisseries restait le même, il y avait eu une véritable différence. Et qui voulait d'un pâtissier Cracmol en plein Chemin de Traverse, de nos jour. Bref. Il n'arrive pas à dire le fond de sa pensée, et continue son repas en cherchant des anecdotes pour Ulysse, de choses qu'il aurait manquées. Ca concernera surtout Jesus et Hyacinthe, on remarquera.

« Tu sais que tu es le bienvenu quand tu veux. Cosmo t'aime bien, et... Enfin. Tu fais partie de la famille. »

Il dit gentiment. Ulysse ne manquerait peut être pas les traits tirés, même s'il connaissait Nate comme souvent renfermé, malgré son demi sourire. Mais il était sincère jusqu'au bout. Et honnêtement, même s'il était incapable de le dire à voix haute, la présence de l'autre homme l'aidait lui tout autant.

Pour une fois, il ne mangerait pas seul chez Nathanaël. Un peu surpris que le pâtissier n'ait pas encore mangé à cette heure tardive, Ulysse l'accompagna au rez-de-chaussée pour servir leurs assiettes avant qu'ils ne remontent. Comme à son habitude, il était parti à l'improviste pour l'Italie. Sans mettre personne au courant. C'est qu'il était peu habitué à ce que quiconque se préoccupe de ses allers et venues. Avec Pandora, les choses n'avaient jamais été régulières et la jeune femme semblait accoutumée à l'idée qu'il disparaisse pendant des mois et revienne de temps à autre. Alors il ne put que hocher la tête, comprenant la remarque qui sonnait presque comme un reproche. Ou un peu d'inquiétude... un mix des deux, assurément. Il y songerait, la prochaine fois. Nathanaël faisait beaucoup pour lui, il lui devait au moins ça...

Il entama sa tarte, écoutant Nathanaël lui raconter ce qu'il s'était passé ces derniers temps dans sa vie... ou plutôt dans celle de son jeune frère et de son apprenti. Sur sa propre vie, il semblait plus silencieux.

"Oh, c'est bien... ça doit te soulager un peu d'avoir son aide..."

Et ça compromettait aussi ses plans un peu, ce qu'il se garda de dire pour l'instant. Il avait rapidement croisé Jesus lorsqu'il logeait chez Nate cet été. Sans le connaître suffisamment pour s'en faire une opinion. Le pâtissier semblait l'apprécier en tout cas et ça paraissait être une bonne chose qu'il ait de l'aide pour faire tourner la boutique. Même si dans la voix de Nate, on sentait que ça n'était pas aussi positif que ça en avait l'air. Il sentait une retenue.. ou bien était-ce une certaine lassitude ? Il termina sa part de tarte, ravala un soupir aux quelques mots de Nate. Il ne se rendait sans doute pas compte que ça lui serrait le cœur d'entendre ces quelques mots. Même s'il était touché de se savoir faire partie de la famille... il aurait aimé en faire partie d'une autre façon. Alors son sourire fut un peu forcé, le hochement de tête un peu exagéré.

"Merci. J'aime bien Cosmo aussi !"

Il ne trouva que ça à répondre, en se tournant vers le doggamy qui s'était allongé au pied du canapé. Leurs assiettes terminées, il se leva pour les débarrasser, non sans faire une pause pour gratouiller la tête de Cosmo qui réclamait un peu d'attention. Et puis il leur servit leurs desserts et ouvrit le paquet d'amarettis pour en proposer un à Nate.

"Je voulais te dire... tu sais... je sais pas si ça tient toujours mais j'ai repensé à ce que t'avais proposé... si t'as toujours besoin d'un coup de main à la pâtisserie..."

Peut-être qu'il tombait mal. Nate avait maintenant un apprenti et la proposition datait déjà de quelques mois. Sans compter qu'elle avait dû être dite à la légère. Mais elle était restée dans un coin de sa tête...

"Enfin t'as déjà ton apprenti, j'veux pas lui faire concurrence !" Il rit un peu.
"Mais si jamais t'as besoin de mains supplémentaires... il commence à faire froid dehors, c'est moins évident de jouer avec des gants..."

Et puis les gens s'arrêtaient moins, sauf à la période de Noël. Surtout, il avait besoin de se changer les idées et de se sentir utile. De renouveau.

Cosmo montrait des signes de reconnaissance quand on prononçait son nom, et aussi proche de son maître qu'il était, il tournait la tête vers Ulysse au cas où il y avait des caresses à récupérer. Il appréciait effectivement l'homme raton avec lequel il avair cohabité. Peut être même qu'il avait partagé une ou plusieurs promenades avec lui quand Nathanael avait beaucoup de travail. Ce dernier le voyait bien et ça lui faisait plaisir. C'était important pour lui que ses proches s'entendent bien. Même s'ils n'étaient pas proches comme Ulysse aurait aimé.

Il avait pris une sucrerie offerte par Ulysse et n'avait pas eu le temps de l'avaler quand ce dernier décida de balancer sa bombe. Il releva des yeux bien plus surpris et éveillés de la soirée. Il essaya de répondre mais les mots lui manquaient
Heureusement Ulysse comblait le vide par une petite blagounette.

« Jesus ne vient que le week-end... »

Il dit d'abord,  histoire de préciser.  Est-ce qu'il avait envie de sauter sur la proposition ? Oui. Il avait besoin d'aide depuis bien trop longtemps. Il avait l'impression de s'être coincé tout seul dans son mensonge à force d'assurer aux gens que tout allait bien, ce n'était pas la première fois mais celle ci il semblait que ça l'emportait sur une pente dont il n'arriverait jamais à se relever. Il plia le dos, baissant la tête et se massant les tempes une seconde pour se reprendre de l'émotion qui le submergeait sans prévenir.

« Je... Ça sera avec plaisir... Vraiment. »

Est-ce que c'était une larme qu'il écrasait au bord des yeux avant de joindre ses mains nerveuses, accoudé sur ses genoux ? Peut être. Mais encore une fois il essayait de faire bonne figure.

« J'ai... Tu crois que tu pourrais tenir la caisse ? T'occuper des clients ? Ça me permettrait de me concentrer d'avantage en cuisine et de produire un peu plus. »

Comme faisaient leurs parents à lui et Hyacinthe,  au départ. Ses souvenirs étaient encore vifs malgré les années qui avaient passées. Et il avair fait ses propres souvenirs avec Hyacinthe derrière le comptoir aussi. C'était ce qu'il se reprochait parfois. Avoir voulu garder égoïstement son commerce et avoir été incapable de demander de l'aide, ça allait lui coûter ce dernier.

« Je n'y arrive plus seul, depuis... Ton aide serait précieuse.  »

Il conclut avec un maigre sourire. Il ne voulait pas accabler son ami.

Allez savoir à quoi s'attendait Ulysse en proposant ça. En tout cas, pas à ce que Nathanael réagisse comme il était en train de le faire, le laissant face à ses propres anxiétés. Avait-il dit quelque chose qu'il ne fallait pas ? Il s'apprêtait à démentir, à rassurer Nate en lui disant que ça n'était qu'une proposition en l'air et qu'il ne fallait pas qu'il se sente si mal pour si peu. Alors le voir accepter ? Il en leva un sourcil, en garda la bouche ouverte quelques secondes, cherchant à comprendre ce qui mettait le pâtissier dans cet état. Au point d'en avoir les larmes aux yeux ? Hé, il ne voulait sûrement pas ça !

"Tu es sûr... ? "

Il laissa flotter sa question. La dernière chose qu'il voulait, c'était rendre Nate malheureux en proposant son aide. Et il se trouvait bien incapable de le décrypter en cet instant. Son langage corporel semblait en totale contradiction avec ses mots et avec ce qu'Ulysse imaginait.

"Oh... j'ai jamais... tenu de caisse ou quoi que ce soit qui y ressemble mais... je suppose que... si tu me montres... je devrais me débrouiller..."

De son côté, il avait l'air tout sauf sûr de lui. Autant parce qu'il essayait de comprendre Nate que parce qu'il s'agissait de tâches qu'il n'avait réellement jamais accomplies et il n'était pas certain d'être bien à sa place pour servir d'autres gens et encaisser leur monnaie. Ou juste les accueillir déjà. Il comprit un peu mieux, en le voyant s'effondrer ou pas loin. Il était loin du compte, finalement. Et à son tour, il tenta de lui rendre son sourire. La culpabilité d'être parti sans prévenir le gagnait petit à petit. Il n'imaginait pas que Nate se sente tellement seul quand il le voyait pourtant entouré, entre son frère, son apprenti, tous les clients de la pâtisserie qu'il semblait bien connaître... Il laissa échapper un long soupir, ne prenant conscience qu'à cet instant qu'il avait retenu sa respiration un bon moment, tendu comme il l'était. Et il se pencha en avant pour poser sa main sur celle de Nate.

"Tu ne seras plus seul, d'accord ?"

Il enserra la main du pâtissier de ses doigts, un court instant. Il lui sourit et la relâcha, s'installant à nouveau dans le canapé. Pour d'autres raisons, lui non plus n'y arrivait plus, seul. Il n'avait pas de boutique à faire tourner mais juste lui-même, c'était déjà trop par moments. Mais inutile d'accabler Nate de tout ça ce soir. Le pâtissier s'en rendrait compte bien assez vite. Il avait quelques réserves de bouteilles dans son sac, de quoi subvenir à ses besoins pendant plusieurs jours. Mais l'addiction était toujours bien présente. Le voyage lui avait permis de se changer un peu les idées et de réduire les doses mais il restait dépendant.

"Si tu le veux bien... est-ce que je pourrais rester là quelques temps en échange ? J'ai pas besoin que tu me payes bien sûr mais juste un toit et à manger... ça serait d'une grande aide."

Il espérait vraiment pouvoir retrouver un peu d'ordre dans sa vie de cette manière. Combien de temps ça durerait ? Il n'en avait pas la moindre idée. Seule comptait sa détermination pour l'instant. Et le besoin de passer à autre chose pour espérer remonter la pente.

"Je ne compte pas repartir en voyage de sitôt... si ça peut te rassurer..."

Mais est-ce que ça rassurait vraiment Nate de le savoir dans ses pattes pour un bon moment ? Allez savoir. Il avait beau connaître le pâtissier depuis bien longtemps, certaines choses lui échappaient encore.

Nate n'avait aucun doute dans le fait qu'Ulysse pouvait faire tout ce qu'il faisait en caisse et plus encore. Quelqu'un qui parcourt le monde et qui joue de la musique pour les passants se doit d'avoir certains skills, avec les gens, non ? La caisse, ça s'apprenait. Il se sentait toujours avec un poids sur les poumons, ne réalisant pas vraiment qu'il faisait une légère crise d'angoisse à force de prendre sur lui. C'est quand Ulysse lui serra la main seulement qu'il commença à reprendre pieds, et aussi grâce à sa promesse. Il essaya de reprendre une respiration plus calme et de ravaler d'avantage ses larmes, pour lui. Il l'aurait bien gardée, pour se rassurer. Quel adulte pitoyable il faisait, hein.

« Bien sûr. »

Il dit, reniflant un peu à l'idée saugrenue qu'il aurait pu en être autrement, et en regagnant encore un peu de ce qui faisait de lui le pâtissier qu'Ulysse connaissait.

« Je n'imaginais pas la chose autrement. Je n'ai vraiment pas de quoi te payer mais... Tu peux rester autant que tu veux. »

Encore une fois, il n'était pas sûr d'être celui qui offrait le plus son aide, là. Ulysse ne comprenait peut être pas le fond qu'il avait touché, et la catastrophe qu'il avait probablement évitée aussi. Personne n'en saurait probablement rien, à part peut être Mthunzi s'il avait deviné à force de le pousser à bout. Nate tenta un petit sourire pour Ulysse, observant son tas d'affaires. C'était une promesse qu'il était content d'entendre. Il avait trop peu de gens proches de lui, contrairement à ce que l'autre pouvait penser. Il avait beau avoir beaucoup d'affection pour beaucoup de gens, il avait rarement été aussi seul que maintenant. Et la perte de sa magie l'avait doublement isolé. Il proposa à Ulysse de finir leur repas et ils iraient installer ses affaires dans la chambre de Hyacinthe. Il n'y avait pas de raison que ce dernier y voit une objection, le connaissant. Mais il lui enverrait un hibou pour lui demander.

***

Plusieurs jours plus tard, Nathanael était presque prêt à laisser les rênes à Ulysse, mais il travaillait à ses côtés pour les clients du matin, s'assurant qu'il ne se sentait pas trop dépassé. Les gens étaient pressés à cette heure. Et si Nate se levait toujours plusieurs heures plus tôt pour préparer les pâtisseries et viénoiseries du jour pendant qu'Ulysse finissait sa nuit, il était toujours frais et dispo pour lui apprendre les ficelles du métier.

« Tu t'en sors bien. »

Il avait glissé, rangeant la pile de papiers et cartons d'emballage à un endroit plus accessible. Il avait toujours fait attention à ne pas le reprendre devant les clients, et avait ajouté ses remarques quand ces derniers partaient. C'étaient de petites choses mais le pâtissier respectait vraiment les traditions et ses clients du mieux qu'il pouvait. Il pouvait s'agir d'annoncer la monnaie qu'on rendait, souhaiter une bonne journée, demander des nouvelles... Tant de petits détails qui avaient leur importance. Détail qui avait son importance aussi, il présentait Ulysse comme son assistant -il aurait pu dire partenaire mais ça portait à confusion- aux clients qui fréquentaient souvent la boutique. Il ne doutait pas que certaines auraient leur mot à dire là dessus, où bien essaieraient de le séduire, au choix. Ulysse était prévenu.

« Que dirais-tu d'essayer seul, cet après midi ? »

Nate était plein de doute concernant son avenir, mais il croyait en Ulysse. Même s'il voyait ses mains trembler, parfois, et qu'il savait à quoi c'était dû. Parfois il sentait l'alcool que ce dernier avait consommé, et ça lui brisait le coeur... Mais Ulysse avait besoin qu'on lui fiche la paix et qu'on lui fasse confiance. Tout comme lui n'aimait pas qu'on lui rappelle tous les jours combien sa vie était un fiasco ces temps ci.

Ce n'était pas ce soir qu'ils parleraient à cœur ouvert, ni l'un ni l'autre n'étaient prêts à ça. En tout cas, Ulysse ne l'était pas. Mais il sentait bien que Nate n'était pas au meilleur de sa forme. Quant à savoir ce qui le tracassait et ce qui le tirait vers le fond... c'était assez confus et il comptait sur les prochains jours pour essayer d'éclaircir la situation. Tout en espérant que Nate irait mieux d'ici là. Parce qu'il n'était pas forcément le mieux placé pour savoir comment l'aider au mieux. Et que lui-même traversait une période difficile. Le voyage en italie lui avait permis de penser à autre chose, momentanément. Mais le retour n'était pas facile et il sentait que les prochains temps ne le seraient pas d'avantage. Au moins, il ne serait pas à la rue. Et il ferait quelque chose d'utile pour quelqu'un de proche... En tout cas, il essayerait. Parce que s'il était sûr de lui lorsqu'il avait proposé son aide, pour autant il était loin d'être certain de sa capacité à gérer la situation.

Il ne sortit l'alcool de ses affaires qu'une fois seul et installé dans la chambre du plus jeune frère. Juste quelques gorgées, histoire de s'assurer une nuit paisible et d'assouvir l'envie qui le tiraillait depuis le début de la soirée.

~~

Les débuts ne furent pas des plus simples. Il avait emprunté des vêtements à Nate, enchantés pour qu'il ne flotte pas dedans, histoire d'être présentable devant ses clients, mieux qu'avec les guenilles qu'il traînait depuis des années. Le lever piquait les yeux, pour un Ulysse toujours en proie aux insomnies qui avait tendance à ne trouver le sommeil qu'au milieu de la nuit. Mais il faisait de son mieux pour écouter les instructions de Nate, pour l'aider sans lui traîner dans les pattes, l'observant à l’œuvre et mettant la main à la pâte lorsque ce dernier le laissait faire. C'était loin d'être simple. Ce n'était pas vraiment dans ses habitudes de servir des clients, d'être poli avec eux à toute épreuve et de les recouvrir de toutes les politesses possibles et imaginables. Pour une fois, l'envie de bien faire prenait réellement le dessus. Il ne voulait pas être un fardeau pour Nate, il était vraiment venu pour l'aider. Alors il s'appliquait, s'efforçait d'être souriant, de ne pas bailler en public, de contrôler ses bonnes manières aux abonnées absentes depuis très longtemps. Autant dire qu'en fin de journée, il était épuisé. Et pourtant, c'était Nate qui abattait le gros du boulot, toutes les préparations et toute la cuisine.

Sans être métamorphosé, il avait déjà appris beaucoup ces quelques premiers jours. Et les encouragements de Nate lui allaient droit au coeur.

"Je suppose que ça peut le faire, si t'es pas trop loin ?"

Il débarrassa les assiettes de leur rapide pause déjeuner, lança un sort plutôt réussi pour qu'elles se nettoient -un qu'il était en train de réapprendre parce que les sorts ménagers, il en connaissait très peu- et repartit en salle servir les premiers clients de l'après-midi. Quelques recommandations de Nate plus tard et le voilà seul aux commandes, face aux clients qui allaient et venaient au compte goutte. Ca faisait un peu bizarre, de manipuler autant de monnaie. S'il ne s'agissait pas de Nate, peut-être que l'idée d'en glisser quelques pièces dans sa manche l'aurait traversé. Mais pas là. Il était de toute façon beaucoup trop occupé à essayer de tout bien faire, à ne pas oublier de souhaiter la bonne journée aux clients, à sourire même à ceux à qui il manquait le minimum vital de politesse et à ne pas les envoyer paître.

Et comme tout ne pouvait pas se passer à merveille, un groupe d'adolescents, d'une quinzaine d'années, débarquèrent dans la pâtisserie et commencèrent à fureter alors qu'il était occupé avec la commande d'un vieil homme qu'il s'appliquait à emballer de sorte que les gâteaux ne s'abîment pas. Et il ne réagit que trop tard, comprenant en les voyant ressortir qu'ils venaient de voler du chocolat dans la vitrine. Erreur de débutant, il gueula un grand coup, laissa l'homme en plan pour passer de l'autre côté du comptoir et courir après les gamins. Il avait laissé sa baguette derrière. Ce qui valait peut-être mieux, sinon les adolescents auraient fini pétrifiés. Il ne fit que quelques mètres en dehors de la boutique, réalisant rapidement qu'il ne les rattraperait pas. Et revint un peu essoufflé, s'excusant auprès du vieil homme qui semblait clairement fâché.

"Euh... Nate ? Tu peux venir voir ? Je crois qu'il y a un petit souci..."

L'appela-t-il en présentant de nouvelles excuses auprès du vieil homme.

"C'est mon premier jour ici... je ne devrais peut-être pas vous dire ça.. J'apprends encore le métier... mes excuses.."

Sans trop savoir ce qu'il aurait dû faire de plus pour ne pas le fâcher. De toute évidence, il n'était pas aussi prêt et habile à ce poste qu'il l'aurait aimé. Il attendit que Nate arrive pour lui expliquer la situation, le laissant gérer le vieil homme qui serait peut-être moins énervé avec le propriétaire...

Quand on était adulte, les différences d'âge n'avaient plus la même signification vraiment. Plus jeunes, Ulysse était le petit frère d'Hector. Celui dont on doit s'occuper, qui ne comprend pas, qui est immature... Bon, il était certain que niveau maturité et responsabilité, il avait encore du chemin a faire mais Nathanaël aussi, non ? Et clairement, même si le plus jeune des DiScipio n'était pas dans son élément, il l'impressionnait.

Il lui avait fallu du temps avant de lui laisser les commandes de la caisse. Non pas parce qu'il pensait Ulysse incapable de rendre la monnaie ou de faire des paquets convenables (même si maintenant que Jésus était passé maître dans l'art de faire des paquets avec stabilisation magique, les siens étaient d'un niveau risible) mais parce qu'il le sentait très hors de son élément. Pourtant, Ulysse était tout a fait fréquentable, et apprécié par les clients une fois la surprise passée. Bien sûr, son manque de tact parfois surprenait mais il était poli et serviable (et pas moche a regarder, comme le signifiaient sans aucune discrétion les habituées plus âgées qui flirtaient sans la moindre gêne avec Nathanaël d'habitude. Ulysse leur tapait dans l'oeil tout autant.

« Je suis juste derrière, tu n'as qu'à m'appeler. Tu t'en sors parfaitement bien Ulysse. »

Il l'avait rassuré. Il le pensait. Il lui était tellement reconnaissant, son ami avait du entendre des remerciements embarrassants avec le dîner le soir.  Mais aussi il apprenait a connaître Ulysse un peu plus sûr de lui avec le temps. On ne pouvait pas dire qu'il connaissait grand chose de lui a part... Le fait qu'il vivait une vie sans la moindre stabilité. Et avec ses propres règles. Le voir dans un environnement plus cadré était une surprise au quotidien pour le pâtissier. Particulièrement ce jour là. Il avait entendu les cris, et loin de se faire du mouron il était revenu derrière le comptoir pour constater qu'il n'y avait plus personne.

« Ulysse ! »

Il s'était exclamé à son retour, un peu perdu. Il avait passé un moment a finir la commande du vieux monsieur, mais d'avantage à s'excuser du comportement erratique de son "employé" (il avait répété plusieurs fois que c'était un ami qui lui donnait un coup de main mais l'homme ne voulait rien entendre). Il se doutait qu'il y avait un malentendu, mais l'autre ne voulait rien entendre. Et il finit par sortir toujours aussi indigné et en laissant entendre a qui voulait l'entendre que ce magasin n'était plus ce qu'il était depuis que son pâtissier était devenu un vulgaire crakmol. C'était le coup de grâce pour le pâtissier.

Il retourna au travail, disant a Ulysse qu'il n'y avait pas mort d'homme et de toute façon d'autres clients arrivaient. Ce n'est que plus tard, lors d'une accalmie, qu'il remis le sujet sur le tapis.

« Où est-ce que tu étais parti un peu plus tôt ? »

Il n'avait pas un ton de reproche, il cherchait juste a comprendre.

De retour dans la boutique, Nathanaël avait pris le relais auprès du vieil homme. Qui chassa ses excuses du revers de la main comme on chasse une mouche qui vous tourne autour. Il se mit en retrait, volontairement, laissant le pâtissier finir le travail. Et son visage se crispa, en l'entendant vociférer des atrocités. Il fallait une sacrée dose de sang froid, pour ne pas riposter. Nate en avait à revendre, c'était certain. Mais ses traits semblaient fermés, lorsqu'il lui laissa à nouveau les rennes pour retourner dans l'arrière boutique.

Arriverait-il vraiment à faire ce travail ? C'était déjà suffisamment difficile de ne pas sauter au cou du vieil homme pour l'insulter ou le cogner en l'entendant se montrer si désagréable vis à vis de Nate, est-ce que ça serait pire lorsqu'on l'insulterait frontalement et qu'il serait au premier plan ? Il avait toujours répondu, ne s'était jamais laissé marcher sur les pieds. Ça lui avait valu des coups, des fractures, de sales journées à regretter les quelques mots de trop, à se traîner chez diverses connaissances pour se faire rafistoler la gueule. A se dire que la prochaine fois, il la fermerait. Et ça n'arrivait jamais. C'était ancré. Mais bien sûr, il n'avait pas l'enjeu de tenir une boutique, surtout pour un ami cher. Il ne s'agissait que de lui et son ukulele et ceux qu'il venait à insulter étaient rarement ceux qui lui auraient laissé quelques pièces.

Pour le bien de sa torture mentale à venir, les clients affluèrent l'après-midi, ne lui laissant pas suffisamment de répit pour se retourner l'esprit là dessus. Se maintenir en activité avait au moins le mérite de mettre ses réflexions en pause. Et l'après-midi se déroula ainsi, jusqu'à ce que le jour commence à faiblir. Et avec lui le passage des clients. Ceux qui rentraient du travail n'étaient pas encore venus, les autres devaient juger l'heure trop tardive pour sortir.

"J'aurais pas dû partir, je sais... je suis désolé."

Le ton de Nathanael avait beau être doux, les reproches il se les faisait à lui-même. Ulysse soupira, jouant avec la clé de la caisse entre ses doigts. Il se sentait mal d'avoir agi de la sorte.

"Des gamins sont venus.. Je les ai vus faire trop tard, ils se sont emparés des coffres en chocolat de la vitrine. J'ai essayé de les rattraper mais... ouais, en plus d'avoir laissé ton client seul, j'ai pas réussi à leur remettre la main dessus... Pas terrible ton apprenti hein.."

La clé lui échappa des mains, il se baissa pour aller la récupérer sous le comptoir, retrouva au passage sa baguette qui lui avait glissé des doigts un peu plus tôt. Il remit la clé dans la serrure de la caisse, fixa sa baguette du regard. Et la fit rouler à son tour entre ses doigts.

"Ça arrive souvent ? Des clients comme lui ?"

Il lui demanda, calme mais aussi un peu inquiet. A la réaction de Nate un peu plus tôt, il avait eu l'impression que non. A vivre comme il le faisait, il en oubliait parfois les discriminations crasses qui existaient dans ce monde. Et elles lui revenaient aussi brusquement en pleine face. Il n'imaginait pas ce que ça devait être, se prendre ce genre de remarque à longueur de temps. Et être obligé de courber l'échine.

Nathanaël était préoccupé. Mais l'incident était clos, il n'y avait pas eu mort d'homme et il lui semblait que les quelques personnes qui avaient entendu le vieil homme l'insulter n'étaient pas de son avis... Et si c'était le cas, qu'y pouvait-il ? Il avait bien remarqué que certains ne revenaient plus, depuis quelques temps. Et ce n'était pas seulement parce que ses gâteaux n'avaient plus le brillant et la magie d'avant. C'était parce qu'ils ne souhaitaient plus être servis par un Crakmol. Et il n'y avait pas de recours contre ça, a part redoubler de travail pour les clients restants. Il n'allait pas se mentir, c'était un crève coeur pour lui qui se donnait tellement. Il s'epuisait pourtant, pour être au top et combler le manque de magie dans sa vie mais... Ça n'était jamais assez pour certains.

« Je comprends... Ne t'en fait pas Ulysse, ça n'en vaut pas la peine. »

Il finit par lui répondre, un peu soulagé d'avoir eu une explication. Il posa une patte sur l'épaule de son ami et lui offrit un regard compatissant. 

« Je ne te paie pas, et tu es là pour aider au service, pas pour jouer les vigiles ou... Subir l'esprit étroit de certains sorciers. Vraiment, oublie ça. »

La dernière question d'Ulysse eut pour effet s'assombrir son regard. Il y avait souvent de la tristesse dans les yeux du pâtissier ces temps ci, mais il s'efforçait de ne pas peser sur ses proches. Là, il avait répondu même sans rien dire. Qu'est-ce qu'il pouvait bien dire. 

« Ça n'est pas toujours aussi frontal que ça mais... les bruits courent vite dans l'allée de Traverse. Malheureusement. »

Ils servirent les derniers clients ensemble, pour le rush du soir. Nathanaël n'avait plus besoin de préparer de nouveaux produits et le ménage pouvait attendre. C'était au final un bon moment, la fin de journée. Nate aimait aussi le matin. Il avait toujours aimé cuisiner seul dans sa cuisine et préparer les vitrines a accueillir les préparations du jour. Mais maintenant il aimais aussi le moment où Ulysse finissait par émerger et qu'ils partageaient un café avant l'ouverture. La présence d'Ulysse ne chamboulait pas autant sa vie qu'il l'aurait imaginé. Pas dans le mauvais sens en tout cas.

« Tu veux t'occuper du remballage ? Ou du nettoyage ce soir ? »

Il ne tenait pas a l'obliger à quoi que ce soit, il ne le payait pas ! Mais avec sa magie Ulysse avançait plus vite, malgré sa non habitude des sorts ménagers. C'était plus qu'un coup de main qu'il lui donnait grâce a ça. Oui, Nate avait totalement esquivé le sujet évoqué un peu plus tôt. Peut être qu'ils y reviendraient en dinant, si le plus jeune des DiScipio avait du talent pour le faire parler...

Ça n'en vaut pas la peine
Ulysse n'était pas de cet avis. Il soupira, alors que Nate posait sa main sur son épaule. Il le voyait, que ce dernier travaillait dur, pratiquement tous les jours de la semaine. Il consacrait ses journées et même ses soirées à sa pâtisserie. Alors bien sûr que ça en valait la peine.

"Ça devrait."

Se contenta-t-il de marmonner, autant pour lui-même que pour Nate. Il n'était là que depuis quelques jours et avait encore tout à apprendre du fonctionnement de la pâtisserie. Mais il n'y avait pas besoin de longtemps pour se rendre compte des clients désagréables, des longs moments sans voir personne mais aussi de l'état général de son ami, loin d'être au beau fixe.

"On choisit pas ses clients hein..."

Il continuait à faire rouler sa baguette dans ses mains, passant sa nervosité dans tous ces petits gestes. Il sentait bien que c'était pesant pour le pâtissier. Comment ça aurait pu ne pas l'être ? Il savait qu'il vivait mal la perte de sa magie. Difficile d'imaginer ça autrement. Mais il ne s'était pas douté des réactions malveillantes des clients à son égard. Il aurait pourtant dû. Il avait observé de telles réactions envers son père et son frère pendant des années. Il savait la place qu'on octroyait aux cracmols dans ce monde. Il ne s'imaginait juste pas que les sorciers considéraient Nate ainsi.

"Tu ne devrais pas subir l'esprit étroit de certains, toi non plus."

Même s'il comprenait bien que Nate n'avait pas tellement le choix. On ne choisissait pas qui on servait. L'arrivée d'un nouveau client interrompit leur discussion. Il aida le pâtissier à préparer les commandes, jusqu'à l'heure de fermeture. Et une fois fait, il proposa de s'occuper du nettoyage. Aussi peu expert qu'il soit pour les sorts ménagers, il savait que c'était bien plus rapide et moins fatiguant pour lui que pour Nate. Ils finirent de plier la boutique et remontèrent quelques parts pour leur dîner du soir. Ulysse en profita pour raconter au pâtissier le reste de la journée, ce qui s'était bien passé et les doutes qu'il avait concernant certaines choses. Et il repensa au client de l'après midi. Et leur discussion mise de côté un peu rapidement. Alors il profita d'un silence pour sauter du phoenix à la licorne.

"J'ai jamais su comment mon père faisait. Pour supporter en permanence le jugement des sorciers. Quand j'étais gamin, je lui en ai voulu d'avoir déménagé dans le Londres Moldu. A côté d'ici, tout me semblait fade. Et on n'avait rien le droit de faire, il ne fallait surtout pas qu'un moldu nous voie faire quoi que ce soit. Pas de magie, pas de balai, pas de créatures fantastiques. Pour moi, c'était de la faute d'Hector. A l'époque, je lui en ai même voulu..."

Avec le recul, évidemment, c'était absurde. Et égoïste. Mais il était encore gamin à l'époque. Bien trop jeune pour comprendre les enjeux.

"Mais je pense que c'était autant pour protéger Hector que pour se protéger lui-même. Je le comprends, aujourd'hui. Le monde sorcier est tellement intoxiqué par ces histoires de sang..."

Il marqua une pause, le temps de se couper un morceau de tarte, qu'il en oubliait de manger.

"Je ne suis pas en train de te dire que tu devrais déménager... j'sais même pas où je veux en venir... Ce que je veux dire c'est que... tu ne devrais pas avoir à subir ça. On a tous besoin de se protéger. Je sais pas quelle est la bonne solution mais... Y'en a forcément une..."

Il soupira à nouveau. Attrapa la bière qu'il avait prise en bas et en versa dans leurs deux verres. C'était un peu sa protection, à lui. Ou son oubli, plutôt. Dans la rue, les gens n'étaient pas tendres non plus. Il fallait au moins ça pour tenir.

Ils avaient vraiment trouvé une petite routine, là. Nate ne voyait pas tout ce qu'Ulysse voyait négativement, ses batailles intérieures -à part certaines qu'il devinait. Il avait confiance en lui plus que l'autre homme, probablement. Il ne lui aurait pas confié le devant de la boutique sinon. Et si ça avait été difficile pour lui au tout départ, qu'Ulysse voit tout ce qu'il était incapable de faire maintenant... ce dernier ne le faisait pas se sentir inapte non plus. Il ne le regardait pas avec des yeux tristes ou pleins de pitié, comme certaines personnes depuis près d'un an. Il s'occupa de trier la caisse et faire les comptes rapides pour la journée, et le nettoyage des surfaces de comptoir pendant qu'Ulysse faisait le reste, pensif sur le chemin qu'ils avaient parcouru tous les deux. Oh, il n'oubliait pas le reste. Ce qu'Ulysse avait laissé sous entendre. Mais il y avait encore bien trop de barrières, et le passé entre eux pesait trop pour pouvoir rêglé ça maintenant.

Il partagea la bière avec lui, essayant de ne pas avoir l'air trop suspicieux, répondant aux quelques questions de son ami en dînant tranquillement. Et puis Ulysse avait commencé une toute autre conversation que les soucis de caisse et comment emballer un éclair convenablement. S'il se souvenait bien... C'était la première fois qu'il entendait Ulysse parler de choses comme ça depuis qu'il l'avait revu. Non. Depuis qu'il le connaissait. Il n'avait jamais eu ce genre de conversation sur leur famille en réalité, récemment ou même jamais. Parce que même avec Hector, à l'époque, c'était impossible d'en parler. Pourtant Nate sentait bien la haine et la frustration cachée au fond de lui. Celle là même qui faisait qu'il le traitait mal, probablement. Il n'avait pas repensée à cette histoire depuis... longtemps. Et ignorait complètement ce qu'Ulysse ressentait à ce sujet là.

« A l'époque... »

Il avait commencé, une fois qu'Ulysse avait finit. Il hésita. Est-ce qu'il fallait vraiment remuer ces choses là ? Il réfléchit, pour finalement continuer.

« Je pensais être capable de comprendre, mais je ne crois pas qu'on puisse tant que ça ne nous arrive pas réellement. Je grandissais avec de la magie au bout des doigts, même avec de l'empathie c'était impossible... »

Il regarda son verre, le tournant sur la table pensivement.

« Il nous en voulait aussi, à l'époque. Hector. Je n'étais pas capable de comprendre pourquoi... »

Il releva les yeux vers Ulysse, essayant de sortir quelque chose de coincé au fond mais n'y parvenant pas. Il n'était pas fier, de la personne qu'il était à l'époque. Il était faible, il passait bien trop de choses sous silence sous prétexte qu'il aimait quelqu'un et que c'était, de toute façon, un amour interdit qu'il avait mis des années et des années à assumer. Il assumait, maintenant, d'aimer les hommes mais... Il n'assumait toujours pas la relation toxique qu'ils avaient eus tous les deux. Ni l'effet que ça avait eu sur sa propre confiance pendant des années.

« Jamais je n'en voudrais à qui que ce soit de mon choix. Mais c'était ça, pour moi. Un choix. Lui ou ton père n'en avaient pas vraiment... Et oui. Vivre entre le monde dans lequel on est né et revenir à vivre comme les Moldus est une souffrance mais c'est peut être mieux que d'être rejeté tous les jours. »

Il soupira.

« Je ne suis pas certain qu'il y ait une bonne solution. Je pense qu'il y a un choix à faire, et il faut quoi qu'il en soit vivre avec les conséquences. »

Il s'était levé, en disant ça. Ce n'était pas un air grave mais résolu qu'il avait. Il n'y avait pas de miracle. Même le Ministère de la Magie avait abandonné son cas, incurable contrairement aux autres présents ce soir là. S'il n'y avait personne pour essayer alors lui aussi devait tourner la page, pas vrai ? Il avait longtemps pensé que s'exiler résoudrait une partie du problème. Mais ce n'était que remplacer une souffrance par une autre... Il invita Ulysse à passer au salon (enfin, au canapé). Il se fit chauffer de l'eau -manuellement- et proposa quelque chose à Ulysse. Pour tromper la soif, bien sûr. Pas qu'il lui dise comme ça.

« Je suis content que tu sois là, tu sais. »

Il dit gentiment. Des fois qu'Ulysse pense encore qu'il était redevable ou quelque chose comme ça. Nate ne savait pas qu'il avait fini par voir tout ce qu'il traversait. Il espérait lui pouvoir l'aider dans ses soucis aussi, mais ils étaient autrement plus durs à aborder.

C'est vrai, ils n'étaient pas à même de comprendre. Tout comme Ulysse ne pouvait qu'essayer de percevoir ce que Nate traversait. La preuve, les quelques mots de travers de ce vieux lui restaient encore en travers de la gorge. Mais il était certain que des comme ça, Nate en avait plus souvent qu'il ne l'admettait. Il aurait aimé qu'il en soit autrement bien sûr. Il hocha la tête, reprenant une gorgée de bière.

Il avait vu l'enfance de Hector. Il avait vu la magie déchirer leur famille. Leur mère refuser de voir l'aîné. Mais il n'avait pas vécu ce que son frère avait vécu. Et de toute évidence, c'était différent, d'être spectateur ou acteur.

"Il nous en voulait oui. Ça nous a valu de nombreuses disputes, quand on était plus jeunes. Aujourd'hui, je me rends compte à quel point ça devait être compliqué pour lui.. pour eux."

Il esquissa un sourire. Il leur en avait voulu, lui aussi, même s'il savait que ça n'était pas de leur faute. Il en voulait à son père de ne pas pouvoir assister à tous ses matchs importants. De ne pas pouvoir l'aider quand il avait des difficultés scolaires. Et pour toutes sortes de broutilles encore. Bien sûr, avec les années, il avait fini par comprendre et par accepter. Il ne leur en voulait plus, c'est envers lui-même qu'il gardait la rancœur.

Il termina sa bière et le suivit dans le canapé, tout en réfléchissant à ses mots. Il avait tellement envie de pouvoir aider Nate mais il n'avait pas l'impression de pouvoir être utile à quoi que ce soit. Il n'était pas capable de faire de miracles. Il se releva lorsque le pâtissier proposa une boisson chaude et ouvrit le frigo pour se sortir une deuxième bière, déclinant la proposition. Bien tenté Nate mais l'une est plus tentante que l'autre... Et il retourna s'asseoir aux côtés de son ami.

"Moi aussi. Je suis content. Ça me fait du bien."

Il lui sourit un peu plus sincèrement. Ça lui faisait vraiment du bien d'être ici. Même si ses sentiments envers Nate refaisaient surface de temps à autre et venaient un peu entacher le tableau. Rester à ses côtés, ce n'était pas la meilleure façon d'oublier tout ça. Mais d'un autre côté, il était vraiment content de partager son quotidien, même si ça n'était pas de la manière dont il l'aurait souhaité. Il entama sa boisson, se tournant vers son hôte.

"Et je sais que tu te débrouilles parfaitement. Sans ta magie. Je ne sais pas comment tu fais, j'aurais pas réussi à ta place... J'aimerais t'aider d'avantage mais je..."

Il ne savait pas. Il aurait été incapable de faire ce choix, aussi. Il aimait passer du monde sorcier au monde moldu librement et savoir qu'il pouvait se trouver une place -même si elle était précaire et peu glorieuse- ici et là.

"Si t'as besoin de quoi que ce soit... vraiment... ça me ferait plaisir, tu sais."

Il soupira et engloutit sa deuxième bière, qu'il posa sur la table basse, la bouteille pratiquement vide. Il savait que c'était maladroit et qu'il n'était peut-être pas le mieux placé pour lui apporter du soutien. Il avait peur de blesser Nate et il ignorait si c'était le cas.

"Si tu préfères, je peux juste aller mordre les chevilles du vieux monsieur et retourner ses poubelles !"

En raton, bien sûr. On espérait que Nate n'allait pas imaginer Ulysse, le sorcier, en train de croquer les chevilles du vieux.

Aussi bizarre que ça puisse paraitre, ça faisait du bien, de parler de tout ça. Même s'ils n'avaient pas évoqué le noeud du problème. Et concernant Nathanaël ils pouvaient tout aussi bien ne jamais l'évoquer, ça lui convenait parfaitement. De cette façon, il pouvait répondre au timide sourire d'Ulysse même s'il ressentait toujours un peu (beaucoup) de culpabilité, c'était gérable. C'était mieux pour ce dernier qu'il ne sache jamais. Et il n'y avait pas de raison qu'il sache un jour. N'est-ce pas.

« Tu te débrouille très bien déjà. »

Il lui dit, souriant gentiment. Même si le voir boire une deuxième bière ce soir ne lui disait rien qui vaille, bien sûr. Il aurait aimé lui aussi être d'une quelconque aide à Ulysse. Manifestement, ni l'un ni l'autre n'était suffisamment stable pour pouvoir les  supporter tous les deux. Par contre, Nate avait rit à sa blague sur le vieux monsieur de l'après midi. La vérité ? Il était déjà passé à autre chose. Mais l'idée d'Ulysse qui essaie de le venger sous la forme d'un raton enragé, c'était beaucoup trop drôle.

« Je pense qu'on va éviter ça... Mais j'avoue que tu me tente, tu fais vraiment un adorable raton. »

Il dit sans trop se rendre compte s'il s'agissait d'un compliment ou non. Il l'avait surtout cherché, en raton, parce qu'il se faisait beaucoup de soucis à une époque. Le nombre de part de tartes qu'il mettait sur le rebord de sa fenetre dans la rue pendant un moment... à ne pas beaucoup dormir parfois quand les paquets ne disparaissaient pas. Ces souvenirs transparaissaient peut être sur son front ridé. Généralement le pâtissier était difficile à décrypter, mais en ce qui concernait son inquiétude... Enfin, ça n'était rien comparé à lorsqu'il voyait Ulysse finir ses bouteilles, comme là. Si ce dernier prenait une nouvelle bouteille il ne serait pas capable de se retenir. Mais il semblait que ça serait tout pour ce soir. Il aurait pu ne pas en racheter du tout. Il essayait de faire au minimum, au goutte à goutte même, avec toute la discrétion dont il était capable, pour ne pas sevrer Ulysse trop vite. Mais ça ne suffirait pas si ce dernier n'avait pas envie d'essayer d'arrêter.

Ils discutèrent encore un peu, Nate proposant à Ulysse ses livres si jamais ce dernier avait envie, et puis ce fut chacun son tour pour la salle de bain, et au lit. Pour le McDougall, il n'y avait pas photo. Sa vie était bien mieux avec Ulysse dedans, mais savoir si c'était parce qu'il se sentait particulierement seul, ou si ce genre d'amitié était tout ce qui lui manquait... Non. Il lui manquait autre chose, bien sûr. Qu'Ulysse ne semblait pas pouvoir lui procurer. Au moins il avait arrêté de penser à l'Auror qui avait brisé son coeur, depuis un moment. Progrès ?

« Bonne nuit, Ulysse. »

Il lui lança avant d'aller dans sa chambre. Il y avait Noël qui approchait, et avec les vacances, son petit frère qui revenait à la maison. La vie allait plutôt dans le bon sens, pas vrai ?

La fête battait son plein. Son bras passé autour des épaules de Pandora, un verre à la main, ils trinquaient à cette journée de célébration pour Poudlard. La musique commençait à jouer. Du vieux rock, comme il en écoutait quand il était petit. C'était une belle preuve d'ouverture, que l'école de magie se mette à la musique moldue. Mais cette journée n'était-elle pas placée sous le signe de l'ouverture ? Tout resplendissait. Même le temps, au grand bleu. Et puis le ciel s'obscurcit soudain. Un grand bruit, le chaos. Il perdit Pandora du regard. Et Nate. Et ... il n'y avait plus personne. Il était dans un couloir, devant un million de portes. Il les ouvrit, l'une après l'autre. Un enchaînement de salles sans fin. Et aucun signe de l'un ni de l'autre. Il hurla leur nom. Une porte s'ouvrit et tomba en morceaux. Une silhouette encapuchonnée en sortit et l'attrapa avant qu'il ait le temps de s'enfuir. Il tenta de s'en défaire. Et se figea en voyant le visage de son frère. Ce dernier remit immédiatement sa capuche en place et s'enfuit.

"Hector ! Attends moi ! Hector !"

Il commença à le poursuivre. Et se prit un endoloris en pleine face. Le figeant de douleur. Il se mit à hurler de douleur.

"Arrête ! Hector !"

Il souleva ses draps en sursaut alors qu'un éclair vert lui arrivait droit dessus. Il était en sueur. Il avait terriblement chaud et tremblait. Son corps entier était douloureux, crispé comme après une grosse crampe. Il ne savait pas ce qu'il avait hurlé ou non. Il eût un sursaut de plus en voyant une silhouette devant lui. Avant de reconnaître celle de Nate. Il s'éclaircit la gorge.

"Je ... t'ai réveillé ? Pardon..."

Il tenta d'articuler, encore un peu dans les choux et secoué de ce mauvais rêve. Ses cauchemars s'étaient faits un peu moins présents ces derniers jours. Mais il avait suffi d'une soirée sans rien boire pour qu'ils reviennent le hanter. Les stocks qu'il gardait dans son sac étaient épuisés depuis quelques jours déjà. Et il avait vidé l'une après l'autre les bières de Nate ainsi que les quelques alcools plus forts qu'il gardait dans un placard, jusqu'à se retrouver à sec sans qu'il l'ait vu venir. Il avait bien vu les regards inquiets et désapprobateurs de ce dernier. Mais on ne se débarrassait pas d'une dépendance comme ça. Et le réveil en sursaut en était la preuve.
Etre épuisé de ses journées à la pâtisserie ne suffisait malheureusement toujours pas à lui assurer un sommeil paisible.

Le froid s'installait, quelques flocons commençaient à tomber avec les températures et les jours avaient beau être plus courts, le travail ne désemplissait pas. L'avantage c'était que la présence d'Ulysse en caisse permettait au pâtissier de se concentrer sur la production, et comme chaque années, de tester des recettes de bûches avant la période fatidique. Et cette année, il aurait besoin de temps pour ça. Autant dire que ses nuits étaient courtes, ces temps ci. Il passait du temps à fixer le plafond en cherchant des idées, comment rendre ses recettes plus rapides, qu'elles se conservent aussi longtemps qu'avant mais sans l'aide de la magie... Il cherchait dans les recettes de ses parents une solution qu'il avait sans doute devant les yeux quand il entendit quelque chose venir de la chambre d'à côté. Il lui fallu quelques secondes pour comprendre de quoi il s'agissait.

Et en moins de temps qu'il n'en fallait pour le dire, il était dans l'autre chambre, penché au dessus d'Ulysse qui venais de se réveillé, l'air particulièrement inquiet. Il posa une main sur l'épaule de ce dernier, essayant de le ramener à la réalité.

« Est-ce que ça va... Ulysse ? »

Il avait le coeur qui avait manqué un battement, un moment. Les souvenirs, même lointains, des horreurs dont il avait été témoin le rendaient particulièrement à fleur de peau face à la souffrance de ceux qui lui étaient proches. Il attendit que ce dernier respire correctement, et alla lui chercher un verre d'eau. Mais bien sûr, ça n'allait pas suffire à étancher sa soif. Parce que ça n'était pas l'eau qui lui manquait. L'air peiné, et n'en pouvant plus de ces non dits, il s'approcha pour poser ses fesses au bout du lit, précautionneusement. Et avec autant de précaution, il aborda le sujet.

« Tu n'as pas pu boire ce soir... »

Une évidence, mais en même temps un tabou qui n'avait que trop duré sous ce toit. Il ne voulait en aucun cas juger. Il voulait juste aider...

« Ulysse... Dis moi ce que je peux faire. »

Son ton était celui du grand frère, de l'ami, de celui qui avait mal pour lui et qui cherchait désespérément à ce qu'on ne le laisse pas sur le carreau encore une fois. Il n'en pouvait plus d'être impuissant, pour sur. Mais il n'en pouvait plus qu'on le rejette parce que soit disant il ne pouvait pas comprendre. Bien sûr qu'il pouvait, il avait vu un bon nombre de gens aussi perdus qu'Ulysse, et s'il ne les avait pas non plus sauvés, il avait pu comprendre, aider un peu. Ce soir, il ne laisserait pas Ulysse prendre la poudre d'escampette. Il avait décidé qu'il ne le laisserait plus fuir et qu'ils allaient, s'il le fallait, affronter ça tous les deux. Mais il commençait doucement pour ne pas effrayer le raton blessé.

Difficile de sortir d'un rêve qui semblait aussi réel. Même après un réveil brutal et quelques cris d'angoisse. Il était encore bien secoué et peinait à redescendre sur terre. Le regard hagard, le cœur qui s'emballait, il tentait de reprendre son souffle. De se reconnecter à la réalité et d'oublier l'horrible regard de son frère. Ce n'était qu'un rêve. Un mauvais mais un rêve quand même. Il hocha de la tête sans trop parvenir à répondre, retrouva un peu de calme alors que Nate partait lui chercher un verre d'eau. Qu'il attrapa et but en partie. Au moins, ça atténuait un peu l'impression de gorge sèche et pâteuse.

Il ne s'attendait pas à ce que Nate parle de boisson là, tout de suite. Et reposa son verre sur sa table de nuit, surpris autant que sonné. Il prit le temps de s'installer un peu mieux, de s'asseoir à son tour sur le matelas, son dos appuyé contre la tête de lit, ses jambes encore sous la couverture. Et regarda ses mains tremblantes. Etait-ce vraiment à cause du cauchemar ?

"Je n'ai pas... non, c'est vrai mais..."

Il commença, avec l'intention de tout nier, comme à son habitude. Et ferma les yeux un instant, le temps de rassembler ses esprits. On était au beau milieu de la nuit... Etait-ce vraiment le moment idéal pour engager ce genre de conversation ?

"J'en sais rien..."

Il lui répondit sans agressivité aucune, juste en secouant la tête. Il était sincère. Plus d'une fois il avait tenté de diminuer sa consommation d'alcool mais il s'en était retrouvé incapable. Il en était venu à la conclusion qu'il n'y arriverait pas, pas tant que sa situation ne serait pas un peu plus stable en tout cas. Là, sous ce toit... pouvait-on parler de stabilité ? On était loin de l'indépendance à laquelle il tenait pourtant tellement. Mais c'était plus sûr que la rue, sans l'ombre d'un doute. Il n'avait pas à se demander s'il aurait de quoi manger -et de quoi boire surtout- une fois la nuit tombée ni où il allait dormir. Alors qu'est-ce qu'il manquait d'autre ? Il attrapa le verre d'eau et en reprit une gorgée.

"Je ne sais même pas comment faire... C'est plus fort que moi, tu sais... C'est pas... j'aimerais bien que ça soit autrement mais... j'en ai besoin"

Il soupira et leva le regard vers Nate. Ses mains se mirent à trembler à nouveau, comme pour conforter ses mots, au point de manquer de renverser le peu d'eau qu'il restait. Il le reposa, d'un geste peu assuré, sur la table de nuit.

"C'est une vieille addiction. Je ne peux pas juste arrêter comme ça. Je ne suis pas ... assez solide pour ça."

La constatation était peut-être pour lui-même, plus que pour Nate. Son corps tout comme son cerveau réclamaient leur dose. Et quand il y manquait, il en payait les conséquences, comme ce soir.

Est-ce qu'on pouvait regarder quelqu'un suffisamment gentiment et intensément pour leur faire comprendre qu'on était là, et que mentir n'allait aider personne ? Parce qu'Ulysse, c'est comme ça que Nate te regarde là maintenant. Et tu n'imagines pas le soulagement quand il comprend que cette fois, tu n'essaieras pas de contourner encore une fois la question. Oui, c'était le milieu de la nuit. Mais ça faisait trop longtemps que Nate voyait le garçon brûler à petit feu pour laisser passer une seconde de plus une chance de le tirer de là. Le pâtissier, avait relâché sa pression sur l'épaule d'Ulysse pour lui laisser un peu d'espace pour respirer, toujours assis sur le lit. Il fut tellement rassuré d'entendre les paroles qui suivait.

Ca n'était pas une solution, bien sûr, mais c'était un aveu. Plus un mensonge, une excuse pour faire comme si de rien n'était avec l'éléphant dans la pièce alors qu'il savait qu'il savait. Et Nate savait qu'il savait qu'il savait. Bref. ce dernier se sentit capable de respirer à nouveau, et il récupéra sa main. Et puis il l'écouta, juste. Hochant de la tête, parce qu'il comprenait ce qu'Ulysse lui disait.

« Ton corps te dit que tu en a besoin... Mais tu es plus fort que tu ne le crois. »

Il dit avec sincérité. La vie qu'Ulysse menait, il fallait être sacrément fort pour la mener. Que ce soit un choix conscient ou non. Et puis, il avait été là pour lui, et lui avait prêté un peu de sa force, aussi.

« Si tu as besoin de quelqu'un pour arrêter, je suis là. Aussi dur que ça puisse te paraître, je t'assure que ça n'est pas insurmontable. »

Et sans grande hésitation, il avait pris la main tremblante d'Ulysse entre les siennes qui ne tremblaient pas. Etre fort pour lui même ? Mission difficile pour le pâtissier qui ne savait pas par où commencer, mais être fort pour un ami, un frère, un autre ? Il pouvait. Surtout si Ulysse restait avec lui et vivait ici. Il se doutait que ça n'allait pas être facile, ni pour Ulysse, ni pour lui même, mais c'était un mal nécessaire pour aller mieux. Et il avait l'air de le penser sincèrement.

« Noël approche... Et c'est un moment assez difficile à passer. »

Il ne parlait pas que de la folie que ça allait être à la boutique, mais le fait qu'ils allaient être nombreux, qu'il allait y avoir du stress à gérer... pas le meilleur moment pour larguer les béquilles avec lesquelles Ulysse marchait depuis des années. Faire ça en mode hardcore n'était pas une bonne idée. Il y avait des choses à considérer, comme peut être passer les jours les plus difficiles à Ste Mangouste par exemple... Mais ça, ils pouvaient en parler le lendemain, après quelques heures supplémentaires de sommeil.

« Tu veux que je reste là pour la nuit ? »

Il proposa. Il était capable de passer outre l'autre éléphant dans la pièce, mais c'était peut être plus difficile pour Ulysse. Et en même temps il n'avait pas envie de le laisser seul, là. C'était à lui de faire ce choix.