Pilier de comptoir (Vasily)

Les mains dans les poches de la veste de toile un peu trop ample, la cigarette aux lèvres, le regard aux étoiles, les pieds en mode pilote automatique, elle quittait sa résidence sans y penser réellement. Comme si un messie quelconque lui avait soufflé à l'oreille un "lève toi et marche" et qu'elle s'était exécutée, sans réfléchir. D'un côté, la vie était beaucoup plus facile quand on arrêtait de penser. Ne restait que dormir, manger, baiser et ce n'était pas si mal au demeurant. Elle frissonna au bout de dix mètres, elle aurait du se couvrir d'avantage, la grisaille londonienne ne lui avait définitivement pas manqué. Tout comme les histoires anglaises d'ailleurs. Et les cours. Et les gens. Et encore le temps. Le changement d'heure aussi... La liste se faisait longue, elle bouscula un type alors qu'elle était encore à y réfléchir. Insultes en retour, Zelda tira la conclusion définitive qu'il fallait arrêter de faire travailler les neurones : ça déconcentrait, on se faisait injurier après, c'était nul et elle avait froid. Pourquoi était-elle partie déjà ?

Ce fut au moment où elle poussa la porte du Chaudron Baveur qu'elle pigea qu'elle était arrivée à destination. Zelda joua des coudes jusqu'au comptoir,se faufilant entre les gens, s'installa au premier tabouret de libre, releva les yeux vers le côté des barmans, sourit. "Salut Vasily." Ça faisait longtemps, elle ne le lui dit pas, c'était un peu nul de dire "ça fait longtemps", ça sonnait convenu. "Je peux avoir une bière ? ... T'as du sirop d'orgeat ?" Là, ça sonnait moins convenu, enfin si, convenu si elle avait été alcoolique mais elle ne l'était pas. Puis elle avait demandé du sirop aussi, ça contrebalançait... Restait à savoir quoi exactement. Nouveau sourire un peu rouillé, dans une minute, elle allait lui parler du temps qu'il faisait. Ou de son horoscope. Il était quoi Vasily ? A vue de nez, poisson, ou un signe d'eau. Elle fronça les sourcils, c'était pas top pour les poissons en ce moment, surtout au boulot : ils se feraient déranger par des emmerdeurs. Bien sûr, elle ne se sentait absolument pas concernée par la catégorie des emmerdeurs, elle était beaucoup trop au-dessus pour ça.