Way down we go (Rufus & Silène)

Noël, c’était vraiment une période complètement pourrie. Déjà parce que le rouge et le blanc, c’était nul comme couleur de dresscode, et ensuite parce que c’était grave creepy de faire s’asseoir des gamins sur les genoux de gros barbus sans doute carrément pervers pour faire ce taff. Comment ça il était aigri ? Oui, il était aigri ! Oui, il en avait marre de ce pays de merde ! Il en avait marre de tout en fait. De toute cette merde. De tout. D’être seul. De ne pas fêter Noël avec son père. Il avait besoin de son père. Il n’était pas prêt pour cette insoutenable solitude qu’il ressentait en ce moment et la bonne humeur ambiante ne faisait que renforcer le manque. Il avait besoin de quelqu’un. N’importe qui. Quelqu’un à aimer. Quelqu’un qui l’aime un peu en retour. Quelqu’un pour oublier. S’oublier. Tout oublier.

Parce que qu’on se le dise, l’alcool, ça ne servait vraiment plus à rien. Il tenait de mieux en mieux. Et en fait, il n’avait rien trouvé de mieux. Il ne savait vraiment plus quoi faire. Il se sentait juste affreusement stupide, paumé. Il voulait revenir à l’insouciance. Il voulait redevenir un gamin. Il voulait juste être un peu heureux. Il voulait vivre et pas continuer dans cet état de semi-existence. Il savait qu’il devait ressembler à une épave. Il savait qu’il jurait dans cette joie ambiante. Il s’échoua sur les marches d’un des bâtiments. Glissant entre ses lèvres une clope. Triste personnage perdu dans ce campus presque vide.

Presque vide. Heureusement. Parce qu’il n’avait plus de feu, et qu’il était trop défoncé pour avoir l’idée d’utiliser sa baguette à cette heure avancée de la soirée. Alors, il se leva pour tituber vers la silhouette qu’il apercevait. Un gars blond visiblement. Ou une meuf. Il savait pas trop. C’était flou. Il ne réalisa qui c’était qu’en étant face à cet individu. Et constater qu’il venait de choper le bras de Rufus le fit rire. Un rire jaune. Vert. De toutes les couleurs en fait.

“Ha bha tiens, c’est vraiment la nuit d’la sortie des connards. Entre toi et moi, quel sacré beau tableau.” Lacha-t-il sans délicatesse.

Il manqua de tomber. Se raccrochant ironiquement à Rufus pour ne pas se vautrer comme une merde. Enfin de toutes façons il en était déjà une de merde à ce stade…

“T'aurais pas un briquet ? J'trouve plus le mien et je suis trop défoncé pour utiliser la magie… Si t'as pas de briquet, laisse tomber… Vu comment t'es doué avec tes baguettes…”

Rire sarcastique, accroché à lui. Il devait puer l'alcool et la défaite…

Depuis que sa vie avait viré au désastre grâce à la magie des sorciers, Noël était devenue une période tout aussi pourrie que le reste de l'année. Voir pire, lorsqu'il devait encore rentrer chez lui. Heureusement, ce n'était plus le cas à présent. Mais la simple et si moldue "magie de Noël" s'était changée en cauchemar, à base de sorts foireux, de bonbons à chance ou malchance aléatoire et de vieux chapeaux pourris au lieu du traditionnel bonnet blanc et rouge. Même pour une fête si banale, les sorciers ne pouvaient s'empêcher d'y mettre leur grain de sel ou de toute épice bizarre ayant un nom bien trop compliqué et un effet complètement imprévisible.

Cette année, il avait eu l'espoir fugace que ce soit différent. Qu'il fasse partie de ceux qui se rendaient dans ces festivités le cœur et l'esprit léger, qui s'amusaient à deux ou en groupes. Mais... l'occasion ne s'était pas franchement présentée. L'année avait commencé plus mal qu'il ne l'aurait espéré et il n'avait fait qu'enchaîner les déceptions, amoureuses comme à l'école. Et s'il s'était ramené au marché ce soir là, c'était uniquement parce que son frigo était vide et qu'il avait besoin de se changer les idées. Réviser ses sorts de métamorphose le rendait fou.

Il s'était baladé à travers les stands sans trop savoir ce qu'il cherchait, juste pour prendre l'air. La soirée était bien fraîche mais ça restait agréablement doux pour un mois de décembre. Il avait déjà bien entamé son verre de vin chaud lorsqu'on l'attrapa soudainement par l'épaule. Il n'eût même pas le temps de se retourner ou de réagir que déjà, une voix familière et une haleine assez peu fraîche s'annoncèrent de concert. Il fronça les sourcils avant de tourner le visage. Silène. C'était bien... la dernière personne qu'il s'attendait à croiser ici. Ou qu'il espérait croiser. Il rit en l'entendant, laissant échapper un peu de buée, condensée par le froid. Plus exactement, il avait espéré un temps non pas le croiser mais venir simplement ici avec lui, à deux, en amoureux. Mais c'était avant que... il fasse stupidement tout foirer.

"Faut croire qu'on était faits pour se retrouver ici..."

Lâcha-t-il en retour, avant de tendre le bras pour tenter d'empêcher Silène de tomber. Il manqua au passage de renverser le reste de son verre. Rien qu'à l'odeur, on comprenait que le brun avait trop bu. Et son attitude ne faisait que confirmer. Qu'est-ce qui l'avait amené à boire de la sorte, et surtout tout seul ? Bon, d'accord, lui-même s'était acheté un vin chaud. Mais ce n'était qu'un verre et puis ce n'était pas si alcooli... La gorgée en bouche, Rufus faillit tout recracher et ravala la boisson de travers à la remarque de Silène. Doué avec SES baguettes. Il toussa plusieurs fois, tentant de faire passer sa gorgée de vin. La remarque était directe, elle aurait difficilement pu l'être d'avantage. Valait-elle vraiment la peine d'être relevée ? Rufus glissa sa main dans la poche arrière de son jeans. Dans laquelle trônait sa baguette de troll.

"J'ai pas de briquet non."

Comme pour relever le défi ou le contredire sur ce non-dit, il pointa sa baguette et fit apparaître la flamme au bout de la clope de Silène du deuxième coup. Il était peu doué, d'accord, mais tout de même, il savait s'en sortir avec des choses basiques, lorsqu'il le voulait bien.

"Mais je suis pas si mauvais avec mes baguettes que tu sembles le penser, tu vois..."

Il aurait sans doute fallu qu'il se fonde en excuses. Il s'en voulait atrocement pour ce qui s'était passé entre eux. Ça avait été un désastre, par sa faute. Mais... pour présenter des excuses, il aurait fallu qu'il confesse bien trop de choses inavouables et il n'était pas prêt. Un verre de vin chaud, ce n'était clairement pas suffisant pour la dose de courage qu'il lui faudrait. S'écartant un peu des allées, Rufus attrapa Silène par les épaules jusqu'à le mener vers un banc un peu plus loin sur lequel ils s'assirent tous les deux.

"Qu'est-ce que tu fous dans cet état ? Tu devrais pas..." Il s'interrompit, se rendant compte que faire une pseudo-morale, surtout à cet instant, c'était quand même la pire des idées. C'était stupide, mais il s'inquiétait pour Silène. Il n'aimait pas le voir comme ça, ça lui faisait mal. Au cœur. Et son cœur avait déjà bien souffert pour lui.

"... tu vas te sentir mal quoi. Je sais que les sorciers ont des remèdes pour tout, gueule de bois incluse mais.. je veux pas que tu te sentes mal. Enfin... pour... toi quoi." Il se mordit les lèvres. Est-ce qu'il était en train de faire pire en tentant de se rattraper ?

"Désolé, je crois que j'ai bu un peu trop de vin chaud moi aussi. Ou c'est le fameux esprit de noël qui fait délirer, je sais pas..." Il leva son gobelet désormais vide. Clairement, il n'en avait pas du tout trop bu. Il s'emmêlait juste les pinceaux de la pire des façons.

"Tu devrais pas te traiter de connard, tu sais. T'es un mec cool."

Finit-il quand même par marmonner, le regard baissé vers son gobelet que ses doigts commençaient à martyriser.

Faits pour se retrouver ? Est-ce qu’ils s’étaient déjà réellement trouvés un jour ? Franchement, là, dans son esprit embrumé, il ne voyait que la fuite de ce cher Rufus. Une fuite bien comme il le fallait. Au bon moment. Alors non, il avait jamais vraiment trouvé Rufus. Il se contenta de sourire à sa remarque, en levant un peu les yeux au ciel. Tout en tanguant bien trop. C’était terrible de se dire que la seule chose qui le maintenait encore debout, là, c’était ce mec. On avait vu plus fiable comme pilier. Et en plus, il avait même pas de briquet. Silène ne put réprimer un long soupir. Franchement, cette soirée était pourrie jusqu’au bout. Il allait essayer de faire demi-tour quand l’autre sortit sa baguette. Wow. Non. Il était à chier en magie. Silène le savait. Il lui en avait jamais tenu rigueur, mais merde, il avait pas envie qu’il lui arrive un truc pourri de plus.

“Non… Mais… Vraiment… Ruf…”

Et la cigarette s’alluma. Oh. Il avait réussi un sort là ? Silène eut un sourire amusé. Et pouffa.

“Bravo champion…” ironisa-t-il en tirant sur sa cigarette. “Tu as atteint le niveau d’un premier année… de collège, hein. Te prends pas pour un as de la baguette pour autant… ça prouve pas grand chose…”

Cela lui permettait juste d’entretenir son futur cancer tout au plus. Mais bon, ça le contentait. Par contre, il ne pouvait guère repousser Rufus. Il ne tenait même plus sur ses jambes. C’était d’un pathétique. Il se laissa donc trimballer. Il se laissa donc guider vers un banc où il s’écroula vraiment sans grâce. Il avait à peine la force de tirer sur sa clope. C’était franchement une sale situation que de se retrouver là, assis sur un banc avec le pire crétin du campus. Quoique, y’avait peut-être plus con… Mais c’était pas la question. Putain, c’était pas le jour pour croiser Rufus. Et putain, c’était vraiment dernier qu’il pouvait entendre lui faire la morale. Depuis quand son état lui importait à lui ? Depuis qu’il s’était barré de sa chambre en le laissant comme un con chauffé comme la braise ? Ou depuis qu’il avait des remords ? Silène le fixa. Haussant un sourcil. C’était quoi cette blague ?

“Tu veux pas que je me sentes mal ? C’est une blague…” lâcha-t-il en ricanant.

Il croyait qu’il s’était senti comment en se faisant abandonner comme une vieille chaussette ? C’était une putain de blague. Rufus était le mec le plus exaspérant de ce campus. Et il avait pas la force de se lever là. Il était qu’un pauvre con, à côté d’un mec encore plus con.

“Ouais j’devrai pas me traiter de connard, je devrai trouver que la vie est belle, je devrai manger cinq fruits et légumes par jour. Merci mais non merci, Rufus, t’as pas le droit de jouer les consciences après ce que t’as fait. T’es un connard d’enfoiré de merde.”

Il essaya de se lever. Il réussit à se mettre sur ses jambes, mais les lois de la gravité le rappelaient à l’ordre et il se vautra sur Rufus. Génial. De mieux en mieux. Il n’avait même pas la force de se relever à nouveau. Capitulant face à ce destin beaucoup trop emmerdeur. Il s’assit à demi sur Rufus. En grognant.

“J’suis pas un mec cool… J’suis un mec bourré… Et l’esprit de Noël c’est de la merde… Alors t’en sers pas comme excuse… Et arrête de faire comme si tu m’aimais bien, Rufus… C’est exaspérant, putain…”

La réaction de Silène n'avait rien de si surprenant. Mais s'il peinait à le croire, c'était pourtant vrai, son état lui importait. Enfin. Allez expliquer ça à un mec bourré... Lui, il choisit d'ignorer sa remarque en haussant les épaules. Qu'importe. Il avait le droit de ne pas le croire. De toute façon, lui même avait trouvé sa remarque un peu mal venue et maladroite alors... Il préféra laisser couler. Et il aurait peut être du faire de même avec le reste. Mais il n'avait pas pu s'en empêcher. Quitte à déchaîner les foudres.

Enfin en l'occurrence, ce qu'il déclencha c'est surtout une réponse improbable. Il éclata d'un rire franc. Comme si, de toutes les réactions possibles, son cerveau avait jugé que c'était celle-là, la plus appropriée. Il n'aurait su expliquer pourquoi. Peut-être que le vin chaud avait son petit effet, après tout. Ou peut être qu'il ne savait juste pas où se mettre et que c'était encore plus facile d'en rire que tout autre chose. En tout cas, se faire traiter de connard et de cinq fruits et légumes par jour, ça le fit éclater. Beaucoup trop. Jusqu'à en avoir les larmes aux yeux. Saloperies de neurones déconnectés. Il ne se tut pour essayer de reprendre son souffle que lorsque Silène, après une vaine tentative de lui fausser compagnie, se vautra littéralement sur lui. Et son fou-rire repartit une seconde plus tard. Cette fois, la raison était sous ses yeux. Ouais, définitivement, Silène qui grognait, ça le faisait marrer.

"Je t'ai pas dit de pas me traiter de connard. Je parlais juste de toi là. Mais si ça te fait plaisir, je te dirai rien si tu bouffes des patates plutôt que des courgettes au réfectoire."

Il le regarda, un petit sourire en coin. Ce crétin se moquait ouvertement de lui. Et sa position, assis à moitié sur lui, il savait bien que ça n'était pas totalement innocent. Il le connaissait un peu quand même, Silène. Alors il le repoussa gentiment et l'incita à s'asseoir à côté de lui.

"Tu devrais pas t'asseoir sur des connards d'enfoirés de merde. Accorde-moi au moins cette recommandation en tant que conscience."

Comme un gamin, il lui tira la langue. C'était surtout ultra gênant de le sentir si près de lui. Mais ça, il ne l'avouerait pas comme ça. Pas tant qu'il était si facile de tourner autour du pot. Il secoua la tête. L'esprit de noël de merde, il n'aurait pas dit mieux. Le reste le fit tiquer un peu plus. Il se recula et plissa les yeux en regardant Silène. Histoire de lui faire comprendre qu'il tentait de le sonder. En vain, évidemment. Est-ce que ce dernier disait ça exprès, parce qu'il SAVAIT ? Ou est-ce qu'il pensait vraiment qu'il ne l'aimait pas ? L'un comme l'autre semblaient assez improbables, en fait. Mais fallait-il vraiment se fier au discours d'un mec bourré ? Et si il savait vraiment, est-ce qu'il était carrément en train de se jouer de lui ?

"C'est si dur à supporter ? Tu préfères que je fasse semblant de te détester ? C'est vrai, ça doit être vraiment pénible d'avoir des gens qui t'aiment bien."

Il le regarda du coin de l’œil. Il n'avait pas été si mauvais à l'éviter jusqu'alors, en réalité. Même si Silène avait du y mettre du sien, lui aussi. Donc on pouvait dire que faire semblant de le détester, il maîtrisait plutôt bien.

"Tout bien réfléchi, t'as raison, t'es un connard d'enfoiré de merde, toi aussi."

Son regard se reporta sur son gobelet, tout vide et tout collant. C'était la pire métaphore de lui-même qu'il lui était donnée à voir. Il aurait dû en prendre plus, putain. Silène faisait presque peine à voir mais en cet instant, il aurait bien aimé pouvoir boire jusqu'à se retrouver dans le même état. Comme pris d'une soudaine inspiration, il se tourna vers Silène et le pointa du doigt.

"Mais si tu penses vraiment ce que tu dis, t'es pas très perspicace."

Continuant son mouvement, son index vint s'enfoncer mollement dans la joue de Silène. Il savait forcément. Et il trouvait encore le moyen de jouer à l'ignorant. Ce garçon était vraiment un petit con. Ou alors il ignorait vraiment. Et ça faisait encore plus de lui un con. Dans tous les cas, il était amoureux d'un crétin fini. Ce qui faisait sans doute de lui un con, aussi, par procuration. Et ça, ça méritait de..

"C'est pas conseillé de boire dans ton état. Mais moi j'en prendrais bien un autre. C'est mal, si j'incite un mec bourré à prendre un dernier verre ?"

Il le regarda, des étoiles dans les yeux, un sourire au coin des lèvres. Pas sur que Silène s'amusait, avant qu'ils ne se croisent ce soir. Mais lui, s'il voulait boire en cet instant, c'était surtout pour s'alléger l'esprit.

Qu’est-ce qu’il y avait de si drôle ? Franchement, y’avait rien de drôle ! Et le rire de Rufus lui faisait un mal de chien. C’était lui qui rigolait des autres. Il n’était pas en état de supporter ce rire. Surtout pas quand il n’arrivait même pas à s’éloigner de ce crétin. Bon sang, il n’avait pas envie de se vautrer sur lui. Il avait encore moins envie de se dire qu’il aurait aimé qu’il le serre dans ses bras au lieu de rire. Merde. Il était pas paumé à ce point.

“Je fais pas exprès, putain !” répliqua-t-il énervé à sa remarque sur le fait de s’asseoir sur les connards.

Il avait la tête qui tournait à s’énerver comme ça. Il n’allait même pas pouvoir aller jusqu’à sa chambre. Il était condamné à dormir là. Et avec le froid, ça sonnait moyennement comme une bonne idée. Crever d’hypothermie, c’était pas trop trop dans ses plans. Il fit ce qu’il put pour glisser à côté de Rufus, il penchait encore dangereusement vers lui. A moitié collé à lui. Terrible faiblesse que de ne même pas pouvoir tenir vraiment droit sur un banc. Surtout à côté de lui… Il n’arriva même pas à s’empêcher de pencher quand l’autre se décala pour le fixer, il lui fallut une seconde pour ne pas se vautrer encore sur Rufus, tangage assez visible.

Et les mots qui suivirent ne faisaient pas sens. Pourquoi réagissait-il comme ça ? C’était assez flagrant qu’il ne l’appréciait pas… Ou plus. Vu comment leur dernière entrevue s’était finie. Alors… Pourquoi il l’engueulait à demi ? C’était… ça ne faisait aucun sens. Surtout dans son état. Il était en train de délirer, ou quoi ? Il fronça les sourcils. Vraiment, dans le brouillard de son cerveau, c’était un début d’apocalypse. Des jours à maudire Rufus pour entendre ça finalement ? Mais… Bon sang, c’était impossible. Improbable. Et… Il était trop ivre pour savoir si c’était un tour de passe-passe de la part du serpentard.

“Pourquoi tu m’dis ça ? Rufus… Putain… Pourquoi quand je suis ivre mort putain…” marmonna-t-il paumé.

Comment ça pas perspicace ? Mais ! Il était gonflé lui ! Et puis… Comment pouvait-il l’apprécier ? Silène était perdu. Et en même temps… L’idée que Rufus puisse l’apprécier avait en cet instant quelque chose d’étrangement réconfortant. L’idée de rester un peu avec lui avait quelque chose de plaisant. De ne pas finir la soirée encore seul. D’avoir quelqu’un. C’était tellement idiot de penser ça après ce qu’il avait fait. Il avait vraiment cru que Rufus l’aimait bien avant… Mais… Rien n’avait vraiment de sens dans cette histoire. Vraiment.

“J’suis pas perspicace, mais t’es pas franchement clair non plus comme gars… J’comprends rien de ce que tu veux, Rufus.” répliqua-t-il du plus sèchement qu’il put… Ce qui n’était pas clairement possible vu son état.

Pourquoi ça arrivait quand il était autant défoncé. Et encore pas assez pour ne pas se rendre compte de la situation. C’était désagréable à un point…. Alors quand l’autre lui proposa encore de boire. Une partie raisonnable de son esprit désaprouvait, mais la majeure partie approuvait grandement.

“T’es conscient que tu vas devoir me porter parce que je suis pas foutu de mettre un pied devant l’autre…”

Il jeta un regard à Rufus.

“Et t’es à Serpentard, ça se saurait si t’étais la bienveillance incarnée, crétin… Aide-moi à me lever, j’suis pas encore assez bourré pour te trouver beau et intelligent…”

Pourquoi est-ce qu'il lui disait ça ? Vraiment ? Il se foutait de lui, Silène ? Il pensait que ça le faisait marrer de s'entendre dire qu'il le détestait ? Bon, d'accord, il avait ri, mais pas pour ça. Et puis c'était nerveux, aussi, un peu. Mais franchement, plus ça allait, plus sa théorie se confirmait. Silène était con. Y'avait pas d'autre explication.

"Bah peut-être parce que c'est vrai, crétin."

Il répondit, exagérant à moitié son air blasé. C'était quand même l'occasion de lui dire. Parce qu'il n'y en avait pas eu beaucoup d'autres, depuis qu'ils s'évitaient mutuellement, ça ne facilitait pas la tâche. Et mine de rien, c'était plutôt dans ses habitudes de dire la vérité. Lorsque ça ne le mettait pas en trop mauvaise posture, du moins. Il soupira en écoutant le brun. Qu'il n'était pas clair, c'était une certitude. D'ailleurs, il n'avait jamais cherché à l'être. Mais il avait cru Silène plus empathe que ça.

"Tu sais quoi, on est deux..."

Cette fois, l'ambiguité était volontaire. Non, il ne savait pas lui-même ce qu'il voulait non plus, ou du moins il ne comprenait pas toujours pourquoi son coeur le poussait dans cette direction quand sa raison tentait de freiner des quatre fers. Mais il préférait laisser supposer que ce qu'il disait là, c'était qu'ils étaient deux à ne pas être clairs. Ce qui n'était pas faux non plus, en réalité. Parce que s'il avait parfaitement su cerner Silène, il se serait posé bien moins de questions. Il aurait compris ses sentiments et aurait agi en fonction. Mais non. Évidemment, rien n'était jamais aussi simple. Et ce crétin était le roi de l'ambiguïté, à ses yeux. Et par dessus le reste, il profitait de son alcoolémie élevée pour tout lui mettre sur le dos. C'était un peu facile. Lui aussi, il voulait une bonne excuse. Et un verre de plus. Même si clairement, c'était tout sauf une bonne idée et il y avait un petit bout de sa conscience qui s'en rendait compte et qui tentait de tirer une sonnette d'alarme. En vain.

"T'as des doutes sur ma capacité à te porter ?"

C'était presque comme s'il tendait le bâton pour se faire battre mais.. c'était plus fort que lui. Il n'espérait pas de réponse. Pas plus qu'il ne releva le reste. Il n'aimait vraiment pas beaucoup ces clichés sur les Serpentard. Ni sur les autres maisons, d'ailleurs. Il avait toujours trouvé ça réducteur. Mais le moment était mal choisi pour faire un pamphlet là dessus. Alors il se contenta de hausser les épaules avant de se lever. Allez, pour cette fois, les clichés sur sa maison assumeraient son comportement.

"Peut-être que t'es déjà trop bourré pour voir ma beauté naturelle... Allez, viens là !"

Il attrapa une de ses mains qu'il passa autour de ses épaules et se leva, portant à moitié Silène. Ils n'allaient pas marcher bien loin dans cette condition. Mais ça tombait bien, le stand qui vendait le vin chaud, froid et quelques autres boissons trop magiques à son goût n'était qu'à quelques pas de là. Titubant un peu, sous la démarche du brun, ils arrivèrent finalement jusqu'au stand et Rufus se prit un deuxième verre de vin, invitant son ami à commander ce qu'il voulait. Le retour allait s'avérer plus compliqué. Soutenir Silène avec chacun un verre à la main, ça sentait le plan foireux. Il prit une gorgée, le temps de réfléchir. Et une deuxième. Sa baguette magique ne lui avait pas fait faux bond tout à l'heure, lorsqu'il avait tenté de faire une petite flamme. Peut-être réussirait-il à faire léviter leurs verres jusqu'au banc ?

"Tu m'offres quoi, si j'arrive à mener nos verres à bon port ?"

Demanda-t-il, une lueur de défi dans les yeux, sa baguette en main. Un "Wingardium Leviosa" plus tard, il avait repris le bras de Silène pour marcher. Et c'est presque arrivés au banc qu'il se rendit compte que les verres... lévitaient certes mais lévitaient tranquillement près du stand. Oups. Il se retourna d'un coup, oubliant qu'il portait un bourré pas très stable et manqua de le faire tomber. Se précipitant pour le rattraper, il oublia sa concentration sur les verres. Qui s'affalèrent au sol. Sa tête vint se cogner contre l'épaule de Silène.

"Je hais la magie. Je hais cette putain de magie de merde. Si c'était vraiment magique, les choses marcheraient. Mais là, c'est juste des échecs de chiotte en permanence. Tu parles d'un progrès. On pourrait avoir des drones pour nous amener nos boissons, ou juste des porte-verre en carton, tout cons. Mais au lieu de ça, on s'emmerde avec des sorts et des potions qui datent de l'antiquité. Et qui marchent jamais !"

Il lança sa baguette au sol, énervé. Bon, d'accord, c'était lui qui avait eu l'idée de ce sort, là. Mais tout le monde le faisait alors... Pour une fois qu'il voulait bien faire. La magie s'arrangeait toujours pour le pourrir, quoi qu'il fasse.

Deux à être paumés ? Génial. Qui allait leur filer une boussole ? Parce que parti comme ça, ils allaient perdre pas mal de temps à essayer de lire une carte qu’ils tenaient visiblement à l’envers. Mais arrêtons les métaphores GPS, ça va encore plus nous perdre. Et puis, Rufus avait proposé de boire, ils allaient pouvoir noyer leur trouble dans l’alcool. C’était sûrement l’idée la plus stupide, mais Silène n’était plus à ça près. Il avait la palme de la connerie depuis un bon moment, pourquoi s’arrêterait-il en si bon chemin, et puis la compagnie ne pouvait pas être si désagréable… Il se laissa tirer. Pouffant à sa remarque.

“T’es une demi allumette, bien sûr que j’ai l’droit de douter. T’as du bol que j’sois encore moins costaud qu’toi…”

Et il préféra ne rien répondre sur la beauté naturelle de Rufus. Sans doute parce qu’il la voyait sa beauté à ce connard. Il l’aimait bien Rufus. Et pas que pour la blondeur de ses cheveux -qu’il jalousait- ou ses yeux de cet indéfinissable bleu béton. Non. Il l’appréciait parce qu’ils se comprenaient souvent. Dans leur rapport à la magie. Dans cette incompréhension des barrières entre moldus et sorciers. Alors ouais, c’était le bordel entre eux. Parce que c’était pas qu’une question de beauté. Et c’était sans doute ça le problème en fait.

Il avança en s’appuyant sans doute trop sur le blond, vu comme ils marchaient. Ils devaient avoir l’air fins, tiens. Deux crétins qui manquaient de se casser la gueule à chaque pas. Enfin surtout lui… C’était assez pathétique de même plus réussir à mettre correctement un pied devant l’autre. Vraiment, il se faisait pitié, c’était pour dire… A la place de Rufus, il se serait sûrement laissé sur le banc comme un clochard. Franchement, Rufus était trop gentil et ça ne faisait aucun sens. Après… Putain, pourquoi les gens étaient si compliqués ? C’était si dur que ça de coucher avec lui pour qu’il doute pas de lui plaire ? Surtout que la dernière fois… Il avait l’air plutôt hypé à l’idée de… enfin vous voyez, on va pas faire un schéma. Alors pourquoi il s’était barré comme un crevard s’il l’aimait bien comme il le sous-entendait ? C’était déjà pas simple de marcher droit alors réfléchir à tout ça, c’était labyrinthique. Il ne commanda même pas un truc plus original qu’un vin chaud tellement ça bataillait dans son crâne.

“Vas-y, fais moi rêver…” ricana-t-il en quittant ses pensées. “J’t’offre une folle nuit à mes côtés si t’y arrives…”

Il n’y croyait qu’à moitié à sa réussite. Parce que Rufus était vraiment une brêle en magie. Il l’avait constaté pendant les moments qu’ils passaient ensemble. Pire que lui. Bon, Silène savait bien qu’il pouvait réussir des trucs, fallait juste qu’il en ait envie. Pour Rufus, ça semblait vachement plus compliqué que ça. Comme si la magie se demandait encore pourquoi elle était entré en connexion avec lui.

Alors quand le fiasco arriva, Silène ne fut pas étonné. Il rit d’abord. Sans penser à mal. Mais il ravala vite son rire. Merde. Rufus était si ravagé que ça dans son rapport à la magie ? Il était peiné de le voir comme ça. Il essaya de capter son regard.

“Hey… Relax… C’est que deux verres… Rufus…” Murmura-t-il d’une voix rassurante. “Moi j’m’en fous qu’on utilise pas la magie… On a pas besoin de ça… T’as qu’à me laisser sur le banc et prendre juste les verres… On a juste pas réfléchi… C’est rien, Rufus… Vraiment rien…”

Il se détacha de Rufus, titubant jusqu’à sa baguette, se vautrant à moitié pour ramasser la baguette.

“J’te la garde, promis, j’fais gaffe de pas la péter…”

Il termina le trajet jusqu’au banc à cheval entre la station debout et le quatre pattes, mais réussit à s’asseoir tant bien que mal. Il sourit à Rufus.

“On attend le verre, Monsieur Faraday. Pas de verre, pas de folle nuit en ma présence… Un marché est un marché, chéri.”

Il rigola en exagérant son ton pour le teinter de préciosité. Et puis, ça permettait de ne pas s’attarder sur l’échec. Sur la magie qui était si problématique pour Rufus. Ils pouvaient bien se passer de ça. Silène pourrait probablement se passer de magie. Il était retourné vivre dans le monde moldu pendant un an. Ça ne lui avait pas vraiment manqué… Alors, il comprenait la frustration de Rufus. Vraiment.

Définitivement, Silène le faisait marcher. Sinon, comment expliquer qu'il lui propose une autre nuit à ses côtés ? L'instant d'avant, il n'était pas explicitement énervé contre lui à cause de ce qu'il s'était passé... ou plutôt pas passé la dernière fois ? Rufus le regarda, pouffa et laissa échapper un petit rire nerveux. Il se payait sa tête ou quoi ? Il pensait qu'il allait lui tomber dans les bras juste parce que... Quoi... Il l'aimait bien, genre.. Un peu trop ?

"Qu'est-ce qui te fait croire que j'en ai envie ?"

Fallait bien se donner une contenance. Hors de question d'avouer la vérité. Passer pour un faible niaiseux ? Et puis quoi encore ? A d'autres. Il était déjà passé pour une flippette à partir en plein milieu, ça allait bien maintenant. Et puis de toute façon, c'était vrai, il n'avait peut-être pas envie de ça. Pas de ... rha. Est-ce qu'il était en train d'avoir chaud aux joues ? C'était le vin. Ca ne pouvait qu'être le premier verre qui faisait effet. Et... Fallait qu'il arrête de penser à ça.

Se donner une contenance, se donner une contenan... bon. Se concentrer sur la magie déjà. Et ne pas renverser les contenants tiens. Ça semblait bien. Comme ligne de conduite. Et ne pas renverser Silène non plus. Et... Ah... rha. Merde. Chiotte... Ça... aurait ... été bien.

Le désastre venait de se produire. Peut-être qu'avec un verre de plus, ça l'aurait fait rire. Ou peut-être juste s'il n'avait pas voulu réellement utiliser la magie. Ou s'il ne s'était pas lancé un défi stupide. Et que Silène n'avait pas réenchéri. Mais là... Là, il avait une grosse boule de colère dans sa gorge. Et il haïssait le monde entier. Il se sentait si con à rater ça. Alors qu'il faisait le fier la minute d'avant. C'était comme si on avait voulu lui renvoyer tout ça dans sa gueule. Ça lui donnait envie de chialer. Mais hors de question. Il y avait déjà trop de sentiments qui traînaient dans cette affaire, il n'allait pas y ajouter des larmes de colère tout de même. Il se redressa et soupira.

Vraiment, Silène ne comprenait rien. C'était pas deux putain de verres. C'était son peu de fierté et d'amour propre, là, qui s'était lamentablement étalé sur le sol et ruisselait vers le caniveau. Il regarda Silène se traîner vers sa baguette qu'il venait de jeter au sol. De quoi ils avaient l'air, franchement ?

"Tu peux tout aussi bien la péter hein. Pour ce qu'elle marche... Et c'est pas que deux verres."

Marmonna-t-il, à moitié dans son écharpe. Silène parvint tout de même à lui arracher un petit rire en faisant son précieux. Ça lui allait bien, fallait avouer. Même si...

"Hé, j'ai toujours pas dit que je voulais d'une folle nuit en votre présence, Monsieur Beaumarchais !"

Bon, d'accord, il n'avait surtout toujours pas dit qu'il n'en voulait pas. Mais quand même, Silène avait l'air beaucoup trop sûr de lui. A raison. Mais ça n'était pas une raison. Ravalant un petit peu sa colère, il repartit en trottinant jusqu'au premier stand qui vendait boissons et confiseries et prit deux verres ainsi qu'un paquet d'amandes caramélisées. Pour oublier. Il le glissa dans son sac, prit sur lui pour ne rien répondre au vendeur qui avait tout vu et se moquait gentiment et attrapa les gobelets qu'il lui tendit. Un dans chaque main, il repartit vers Silène cette fois avec beaucoup de concentration, les yeux rivés sur les deux verres bien pleins. Quelques gouttes vinrent se renverser sur ses mains. Mais il arriva à bon port et en tendit un à Silène avant de s'asseoir à nouveau à ses côtés. Il lui donna l'un des deux verres et leva sa main pour trinquer.

"A cette folle nuit à tous les deux, alors."

Que ce soit la pire idée du siècle n'empêchait pas que.. hé, c'était le deal non ? Et puis ça l'amusait quand même de rentrer dans le jeu de Silène. Même s'il ne savait pas pour combien de temps... Il trempa ses lèvres dans le vin et en but une gorgée, nettement plus alcoolisé que le premier verre. Avant de se souvenir qu'il avait des friandises, qu'il sortit de sa poche pour les tendre à Silène. Il en grignota lui-même quelques unes, avant de venir appuyer sa tête contre l'épaule du brun. C'était ridicule comme n'importe quel contact physique avec ce dernier lui faisait des papillons dans le ventre. Même des gestes innocents. Mais... c'était agréable comme sensation, même si rien ne devait aller plus loin.

"Dis... tu m'en veux encore ?"

Finit-il par demander d'une petite voix, son verre de vin déjà bien entamé. Comme s'il se devait de briser le petit moment de répit qu'il s'était offert. Pas sûr qu'il trouve le courage de se justifier. Mais c'était un premier pas...

Silène leva les yeux au ciel quand Rufus lui dit de briser la baguette.

“T’es ouf… Si t’en veux plus j’le revends au marché noir, mais j’vais pas gâcher un tel pactole, Rufus !” ironisa-t-il à propos de la baguette.

Et à dire vrai, il aurait été incapable de briser volontairement une baguette. Il avait tout de même du respect pour la magie. Même si elle n’avait pas son allégeance la plus totale, il respectait ses vertues. Il n’était pas aussi excessif que Rufus. Alors peut-être qu’il avait pris la baguette entre ses doigts pour lui éviter un funeste destin que Rufus aurait pu regretter par la suite. Peut-être. Peut-être qu’il avait un peu trop d’affection pour le blondinet au sale caractère. Rah. Il s’était promis de pas lui pardonner d’avoir été un connard, bon sang !

“T’as pas nié non plus…” lâcha-t-il avec un petit air mutin.

Il allait pas la lui faire à lui. Enfin… Bon, en vrai, Silène s’attendait d’une minute à l’autre que Rufus se barre encore une fois comme un malpropre mais hors de question de laisser ses incertitudes paraître. C’était son assurance qui faisait son charme. Du moins, c’était ce qu’il avait cru décoder dans les réactions des autres et dans leurs compliments. Il observa le jeune homme commander leurs verres. Il devait bien avouer que quelque chose d’affreusement charmant se dégageait de sa maladresse, de son sale caractère, et de son air bougon. Il appréciait ce petit côté grognon qui était si propre à Rufus. Mais… Ce connard l’avait quand même laissé en plan comme un con au pire des moment. Alors, il avait cette mine perplexe en le regardant, mi-vexé, mi-charmé. Un paradoxal mélange. Mais il reprit le contrôle sur son faciès pour retrouver un petit air mystérieux et charmeur.

Il prit son verre, en renversant un peu sur ses doigts.

“A cette folle nuit à deux… Tu vois que tu nies toujours pas, bichou !”

Il rigola avant de boire quelques gorgées de vin chaud. C’était pas forcément le mieux pour se remettre sur pied. Il aimait quand même bien l’arrière-goût d’épice qui lui restait en bouche. Et puis le silence était quelque peu apaisant. Il ne fit rien pour le briser. Il releva cependant le nez en entendant Rufus. Il posa son regard sur lui. Cherchant à sonder le fond de cette question. Il eut un soupir.

“J’en sais rien… ça me fait chier de t’en vouloir… Mais… En même temps, je suis super vexé que tu m’aies lâché comme ça… J’arrive pas à comprendre… Genre… Je suis si répugnant que ça ? Pour que tu aies fui comme ça ? Alors que… Alors qu’on était bien… Enfin… Je crois… En fait… Je crois que je t’en voudrai plus quand j’aurai compris…” finit-il par expliquer, sincère, ses yeux bleus rivés vers lui.

Il but quelques gorgées de plus.

“T’as la nuit pour te faire pardonner… Au moins ça te laisse le temps…”

Donc non seulement il n'avait pas nié mais en plus Silène l'avait remarqué. Évidemment. Il. Était. TELLEMENT. Grillé. C'était stupide mais il avait l'impression que tout en lui le trahissait. Que c'était marqué sur sa tronche qu'il en pinçait pour son ami. Alors que franchement, ça n'avait rien de rationnel. Qu'est-ce qu'il lui trouvait, au fond, à Silène ? Il se souvint une seconde plus tard, en lui tendant son verre. Il aimait tellement ses expressions. Sa façon d'être lui tout en étant charmeur. Sa façon de le provoquer sans lui donner l'impression de le juger. Le naturel avec lequel il prenait les choses alors que lui-même était mort de honte et de trouille. Et puis... un peu tout le reste. Et auss... rha. Il était tellement foutu, surtout. Il rit à son tour en trinquant avec Silène.

"J'ai pas nié ne pas avoir nié, tu remarqueras."

Il préféra prendre lui aussi le ton de la rigolade et but quelques gorgées de vin pour se donner du courage. Aborder les vrais sujets. Enfin... essayer, au moins. C'était quelques petits mots de rien du tout mais ça lui avait déjà coûté cher de les prononcer. De faire ce premier pas. Alors en entendant Silène, il haussa les épaules, se renfrogna un peu. Voilà qu'il demandait des explications maintenant. Bon, ok, c'était lui qui avait entamé le débat mais il ne s'attendait pas à devoir se justifier. Juste à articuler qu'il était désolé, à peu près. Il secoua la tête de gauche à droite, levant les yeux au ciel. Comme si Silène pouvait se penser repoussant. Avec tous les mecs qu'il se tapait et ceux qui fantasmaient dessus.

"Arrête, tu le sais très bien que t'es pas répugnant, loin de là."

Vraiment très, très loin de là, de son point de vue. Il sentit le vin lui monter un peu aux joues. Ou peut-être le rouge. C'était pas très grave, de toute façon, il faisait nuit, Silène ne pouvait pas le voir... enfin il l'espérait.

"C'est juste que... ça allait un peu vite et j'ai pas trop... l'habitude..."

Il se mordilla la lèvre. Il n'allait pas tarder à s'emmêler les pinceaux, il le sentait venir. Il ne pouvait même pas dire qu'il n'avait jamais rien fait, il avait déjà eu des aventures et Silène le savait peut-être.. Manquait plus qu'il le prenne pour un menteur.

"Enfin... j'ai déjà fait des choses mais pas souvent, j'ai vraiment pas autant d'expériences que toi.. Pas que... c'est pas un jugement, tu fais ce que tu veux de ton corps, ça me regarde pas hein. Mais. j'voulais pas que tu me prennes pour un nul et que tu t'ennuies au lit avec moi. C'est tout."

Il soupira et plongea son nez dans son verre pour en finir les quelques gouttes restantes. Bordel que c'était compliqué. C'était donc pour ça que les gens évitaient soigneusement ce type de conversations. Et encore. Il n'avait pas dit le principal et l'avait lâchement évité. C'était déjà assez compliqué de parler de son inexpérience et de sa vie sexuelle, il n'allait pas non plus s'étaler sur ses sentiments.

Quoi ? Pourquoi il levait les yeux au ciel comme ça ? Et pourquoi il grognait ? C’était pas lui qui avait balancé cet épineux sujet sur la table ? Enfin sur le banc en fait. Silène ne comprenait vraiment pas comment fonctionnait Rufus… Il tendait le bâton pour se faire battre, mais il avait l’air de grogner dès qu’on se saisissait du bâton. Un tel paradoxe.

Silène eut une petite moue en l’entendant. Alors s’il le trouvait pas répugnant, c’était quoi le soucis, bon sang ? C’était plus simple de se dire qu’on était trop moche, trop gay, ou trop pas comme il faut pour un gars que de penser que c’était dû à autre chose. Franchement, il ne se rendait pas compte de l’état de perplexité dans lequel il plongeait la diva Sisi. Vraiment, il comprenait pas. Et le vin n’aidait pas à la compréhension. Il espérait que la suite serait plus claire. Il attendait avant de parler. Le verre aux lèvres. Mordillé par ses dents nerveuses. Il n’aimait pas ne pas comprendre.

Oh. J’ai pas trop l’habitude. Oui, parce que lui c’est la traînée du coin, donc il en a l’habitude. C’était sans doute l’alcool qui lui faisait prendre ce début d’explication aussi mal. Peut-être. Il eut un petit soupir blasé. Il préférait presque être répugnant. C’était limite moins vexant sur le fond. Une question de goût. Mais là… Il hausse un sourcil et l’écoute encore avant de râler. Il lève un peu plus les yeux au ciel à l’évocation de son “expérience” avec un petit râle exaspéré. Même si c’était pas un jugement, bizarrement, ça sonnait tout comme. Et la suite… Rah. Il avait envie de lui coller une baffe pour lui remettre les neurones en place. Mais il aurait été foutu de rater sa tête. Donc il préféra pas se ridiculiser.

“T’es vraiment qu’un con, Rufus Faraday.” lâcha-t-il blasé.

Il acheva son verre d’une traite. Peut-être pour digérer ce qu’il trouvait abusivement con comme raisonnement. Il avait vraiment conscience de ce qu’il disait le Rufus ? Vraiment ? Il posa son verre à côté de lui. Et se tourna vers Rufus. Il le saisit -après avoir un peu galéré- par le col. Il le toisa une seconde. Puis il plaqua un peu brutalement ses lèvres contre les siennes, maîtrisant pas très bien les mouvements de son corps. Et après ce baiser violent -et même pas profond et langoureux-, il recula son visage.

“T’auras pas mieux cette nuit ! Et je te jure que je m’ennuierai pas pour autant.” dit-il avec un air assuré. “J’en ai rien à foutre que tu sois nul dans un pieu. J’aime passer du temps avec toi. Alors t’as plus intérêt à te barrer comme un con. Parce que la prochaine fois, je serai vraiment vexé, ok ?”

Il avait dit tout cela très sérieusement. Puis… Le vin s’était rappelé à lui. Il eut un haut le coeur, et à peine le temps de tourner la tête. Il se vomit à moitié dessus dans une mélopée plus que dégueulasse. Recrachant tout le liquide qu’il avait pu boire ce soir là. Un mélange visqueux à l’odeur acide et alcoolisée. Il resta le souffle à demi coupé. La nuit allait effectivement pas être glamour et fugueuse vu son état. Il avait juste besoin d’une vraie bonne douche… Et peut-être d’un câlin réconfortant.

OK. A en croire la réaction de Silène, il n'était vraiment pas doué pour se trouver des excuses ou des justifications. Et là, il ne faisait que s'emmêler les pinceaux. Sur une situation déjà délicate de prime abord. Putain, il se haïssait déjà d'avoir parlé autant. Il secoua la tête de gauche à droite pour toute réponse aux insultes de Silène. Avant de constater qu'avec l'alcool, c'était pas très avisé. Tout se mit à tourner autour de lui, pendant quelques secondes. Il n'était peut être qu'un con mais le brun ne l'aidait pas beaucoup, quand même. Et puis il n'avait jamais prétendu être un expert des relations, merde quoi ! Il réfléchissait à quoi répondre pour ne pas s'enfoncer plus encore lorsque Silène l'attrapa par le col. A peine le temps de protester par quelques syllabes que ça tournait déjà assez que les lèvres du brun se collaient sur les siennes. Sans délicatesse aucune. Leurs dents manquerent de cogner les unes contre les autres. Il foutait quoi là ? Il se foutait de lui? Et pourquoi est ce qu'il continuait à apprécier ce contact et à se sentir électrisé alors qu'objectivement, ça n'avait rien d'agréable ? Putain, il détestait comme Silène jouait avec ses sentiments. Sans même en avoir conscience. Ou bien si ? Et puis.. Pourquoi l'embrassait-t-il s'il le prenait vraiment pour un con ? Avait-il si peu d'amour propre.

"Tu crois que t' es pas qu'un con, toi ?"

Râla-t-il en le repoussant un peu, le regardant de biais. Il soupira. Il ne comprenait strictement rien au jeu auquel Silène jouait. Il se foutait vraiment de lui... Et puis c'était quoi cette pseudo déclaration qui faisait s'emballer son cœur alors qu'il ne racontait sûrement que de la merde ?

"Tu te fous de moi hein, c'est ça ? Tu me vends du rêve une seconde pour me raconter l'inverse la seconde d'après ?"

Il demanda à voix haute, mais en fait il essayait surtout de comprendre, lui. Comme s'il était possible de déchiffrer les paroles embrouillées d'un homme beaucoup trop imbibé d'alcool. Enfin. C'était peut être une occasion à saisir. Pour voir sa réaction. Silène avait beaucoup trop bu, à sa tête, à ses paroles.. Alors c'était sans doute le moment de tenter sa chance. De balancer des choses juste pour savoir. De toute façon, il ne se souviendrait pas le demain, si ? Alors, en marmonnant, jouant avec les boutons de sa veste, il tenta.

"Mais tu sais, je voulais te dire, moi aussi j'aime bien passer du temps avec toi. Vraiment, en fait. C'est même un peu plus que.. "

Il fut interrompu par un bruit absolument écœurant. Et l'odeur l'attaqua tout autant. Putain. Ce con venait de se gerber dessus. Alors qu'il essayait de lui avouer ses sentiments. Il retint un haut le cœur et tourna la tête, un peu dégouté. Est ce que c'est ses mots qui lui avare T fait tout lâcher ? Est ce qu'il l'avait au moins entendu ? Probablement pas, trop occupé à gérer son estomac. Merde.

"Putain. C'est moi qui te fait cet effet là ?"

Il lui demanda, plaisantant à moitié. Il aurait bien lancé un sort pour annuler le vomi, probablement que ça avait été inventé par des étudiants, mais il ne le connaissait pas. Pas plus que celui pour nettoyer les fringues et rafraîchir l'haleine. Alors il se releva et tendit la main à Silène pour l'aider à faire de même. Heureusement, les dortoirs n'étaient pas si loin. Prenant sur lui pour retenir son écœurement, il prit Silène par les épaules pour le soutenir, essayant tant bien que mal de ne pas tremper ses mains dans le vomi au passage. Tu parles d'une nuit de folie.

Ils finirent par arriver dans les douches. Rufus laissa Silène s'y installer et l'aida à se débarrasser de ses vêtements. Il hésita un moment mais préféra partir pour lui laisser un peu d'intimité. Il en profita pour aller récupérer une serviette et lui attrapa quelques vêtements propres. Ça devrait à peu près coller, niveau taille. Il retourna finalement dans les douches avec son butin.

"Tout va... Bien ?"

Demanda-t-il en passant une tête, juste pour s'assurer que Silène ne se noyait pas ou ne s'endormait pas sous l'eau.

C’était le bordel dans la petite tête de Silène. Tout tournait. Pas qu’à cause de l’alcool. C’était vraiment le bazar. Il ne pouvait pas s’empêcher d’apprécier Rufus. Alors oui, c’était différent du coup de foudre qu’il avait pu avoir pour Zephyr des années auparavent, mais… Il y avait quelque chose. Il appréciait sincèrement Rufus. Mais c’était si compliqué entre eux deux ! Et Rufus l’aidait pas ! Et l’alcool non plus ! Raaah !

“Si j’suis carrément con, mais tu dois bien le savoir, non ? J’pensais juste que tu l’étais moins que moi, crétin !”

On pouvait douter de son affection avec cette capacité qu’il avait à rembarrer le pauvre Rufus mais… Qui aime bien, châtie bien, non ? N’empêche, il se sentait paumé. Il aimait pas ça. Et en mêem temps, il aimait savoir Rufus à côté de lui à nouveau.

“Mais non ! J’t’ai… Qu’est-ce que…”

A quel moment il s’était contredit ? Il l’appréciait. Il voulait juste pas que Rufus profite de la situation. S’ils passaient la nuit ensemble, c’était pas juste pour son cul. C’est tout. Y’avait rien de contradictoire à ça. Ça prouvait justement qu’il appréciait trop Rufus pour le prendre seulement pour un plan cul lambda. Et puis, Rufus était en train de lui dire que lui aussi tenait à lui, c’est ça ? Enfin il n’entendit pas bien… Le mal de ventre prenant le dessus. Vraiment. Et c’était si peu agréable de se vomir dessus. Il se sentait comme la pire des sous-merde présentement. Un enfer que d’être comme ça. Il comprenait pourquoi il faisait honte à sa mère. Rufus allait le laisser sur ce banc. Il allait encore être tout seul. Et ce serait bien fait pour sa gueule.

Il releva la tête à la question de Rufus. Non. Bien sûr que non. C’était pas lui qui était à vomir. C’était juste le mélange de téquila, de gin, de vodka et de whisky mélangé au vin épicé qui avaient eu raison de son estomac. Et c’était pathétique. Silène réalisait en cet instant à quel niveau de déchéance il était tombé et c’était salement moche. Et… Rufus l’aidait ? Il était surpris. C’était vraiment… adorable de ne pas l’abandonner là. Il lui bafouilla un remerciement assez indistinct. Il avait envie de chialer. Il se retrouva rapidement dans les douches, le trajet ne lui apparut vraiment pas distinctement.

Et il finit nu sous la douche. L’eau fraîche lui remettait un peu l’esprit en place. Mais… C’était pas glorieux. Il profita d’être seul pour ouvrir les vannes. Pour pleurer sous l’eau. Au moins ses larmes étaient cachées. Il resta longuement sous le jet d’eau. Et ne réalisa le temps qui passait qu’en entendant Rufus. Si ça allait ? Pas vraiment. Mais il n’allait pas embêter plus Rufus.

“Ça va aller… T’en fais pas…”

Il coupa l’eau pour sortir de la douche. Tout trempé, bien trop maigre, le corps truffé de bleus, parce que ses états d'ébriété ne l’aidait pas à prendre soin de son corps. Il attrapa la serviette que Rufus avait dans les mains et s'enveloppa dedans. S’adossant au mur.

“Désolé… Je… Je pensais pas être aussi mal… Je… Je voulais pas que tu me vois comme ça… C’est… C’est vraiment pas ce que je voulais que tu vois de moi…”

Il était vraiment minable là.

“Vaut… Vaut peut-être mieux que tu passes ta soirée à autre chose que t’occuper de moi… Enfin… Garde malade, ça vend pas du rêve…”

Et pourtant une part de lui espérait que Rufus le laisse pas seul. Qu’il reste juste avec lui. Qu’il le serre doucement dans ses bras en lui disant qu’il était qu’un idiot. Mais… Il n’arrivait pas à avouer ça. Il était trop habitué à sourire, à faire croire que tout va bien et pleurer que lorsqu’il était seul.

“Je…. Je vais pas être de… De très bonne compagnie… Et…. Je… Je veux pas que tu veuilles plus me voir après si tu t’aperçois que je suis trop chiant…”

Donc il en était là. A attendre à côté des douches, une serviette à la main, que Silène se nettoie de son vomi. C'était pas exactement comme ça qu'il s'était imaginé passer sa soirée. Dire qu'il était juste venu faire une pause dans ses révisions. Il n'imaginait pas non plus finir comme ça quand Silène lui avait vendu la suite de la soirée. Ne jamais écouter un mec bourré. Jamais.

Tellement bourré qu'il ne prévint même pas en sortant de la douche. Rufus détourna le regard, pudiquement, un peu gêné par la nudité du brun. C'était pas vraiment en ces circonstances qu'il s'était imaginé le voir sans ses vêtements et... Rha. Pourquoi est ce qu'il pensait à ça maintenant ?

Il fit la moue en l'entendant s'excuser. Ça le bouffait de voir son ami se détruire de la sorte à cause de l'alcool. Mais c'était pas vraiment le moment de lui faire la morale, même si ça n'était pas l'envie qui manquait.

"Bah comme ça, on est deux à pas avoir vraiment imaginé que la soirée finirait comme ça."

Il profita que Silène soit sorti pour aller dans la douche, encore habillé, en ôtant juste son pull qui avait pris quelques éclaboussures degueues. Il le posa dans le bac et fit couler de l'eau, avant de croiser les bras sur son torse. Faisait pas chaud, en t-shirt.

"Tu sais, c'était ça ou les révisions de métamorphose. Je suis pas sûr que ça soit vraiment pire, de jouer les gardes malade. Même si c'est degueu."

En fait, il était même certain du contraire. Si ça pouvait les réconcilier un petit peu, avec Silène, il aurait de loin gagné sa soirée. Malgré la gerbe. Mais il restait encore à espérer que le brun n'aurait pas tout oublié le lendemain. En attendant, il était encore là à jouer les victime. On aurait dit lui, lorsqu'il parlait de magie ou que Hyacinthe essayait de lui apprendre à s'en servir.

"Tu me prends vraiment pour un con si tu penses que je m'étais pas encore aperçu que t'étais chiant !"

Et venant de lui, c'était une preuve d'affection. Vraiment. Parce qu'il avait déjà constaté depuis longtemps que Silène était parfois insupportable. Pas que quand il avait bu, c'était pas là, le pire. Mais... Il l'appreciait quand même beaucoup trop, malgré ça, et il ne se l'expliquait pas vraiment.

"Je t'ai dit, j'ai rien de mieux à faire.  Et puis j'attends toujours ma nuit de folie. Alors si tu crois que tu vas t'en sortir comme ça hein.. "

Il le regarda d'un pseudo regard snob, les bras croisés, la tête haute. Enfin .. Elle serait pas si folle que ça. Et c'était peut être pas plus mal, il savait très bien être grande gueule mais n'était pas sûr d'être prêt à passer le pas pour autant. A nouveau, il passa le bras de Silène au dessus de ses épaules, pas certain qu'il parvienne mieux à marcher qu'avant. Et les mena vers sa chambre. Il marcha jusqu'au pied du lit et laissa Silène s'y asseoir.

"Tu peux prendre mon lit, je vais me poser là"

Il pointa du doigt la chauffeuse de l'ancien occupant de la chambre, qui lui servait de canapé même si elle était beaucoup trop molle. Mais il n'était pas certain que partager son petit lit d'étudiant avec Silène soit bien à propos, en cet instant.

" Et t'avises pas de gerber dedans hein ! Déjà qu'il va puer l'alcool... "

Il se pencha au dessus du brun, passant la main sur son front, sous les cheveux collés par la douche. Silène était vraiment un drôle d'energumene. Et lui, il était sacrément foutu d'être amoureux d'un gars pareil. Il n'avait peut être pas les épaules pour l'aider réellement. Mais il était prêt à donner tout ce qu'il pouvait.

C’était vraiment pas terrible comme situation. Il avait l’impression d’être un poids une fois de plus. Le boulet de tout le monde. Pas vraiment un rôle glorieux. Il fallait toujours qu’il se retrouve à dépendre de quelqu’un. C’était ridicule. Bon sang. Il se répugnait d’être aussi faible et paumé. Surtout face à Rufus. Paie ta crédibilité pour lui faire des reproches, franchement. Il s’habilla maladroitement. Il flottait quand même un peu dans les affaires de Rufus. Pas qu’ils aient un gros écart de taille, mais niveau poids, c’était vraiment inquiétant pour Silène. Boire, c’était probablement pas idéal en terme de nutrition équilibrée.

“Désolé pour ton pull… Tu dois vraiment pas aimer la métamorphose…”

Il sourit à l’idée que la métamorphose soit pire que lui. Rufus avait vraiment de drôles de priorités. Enfin, c’était super gênant comme situation. Vraiment gênant pour lui. Il releva un regard à demi vexé quand l’autre lui confirma qu’il était chiant, mais en même temps, il ne pouvait s’empêcher de sourire. Rufus était un peu trop mignon, là. Vraiment.

“Alors on est condamné à passer la nuit ensemble je crois bien…” souffla-t-il finalement, d’une voix plus douce que ce qu’il aurait voulu.

Il aida Rufus à passer son bras sous ses épaules. Sans lui, il serait pas allé bien loin. Il avait les jambes un peu trop flageolantes. Sa tête tournait un peu moins, mais ce n’était quand même pas la grande forme. Fallait bien l’avouer. Il avait trop abusé, depuis trop de semaines. Clairement. La diva se laissa tomber sur le lit s’affalant plus qu’il ne s’assit. Il se laissa glisser, s’allongeant à demi sur le lit avec un soupir. Mais il eut un regard un peu déçu.

“J’croyais que t’allais dormir avec moi…” râla-t-il un peu moqueur.

Il laissa le blond glisser ses doigts sur son front. C’était plaisant comme contact. Il sourit doucement à Rufus.

“T’en fais pas pour ton lit, ça devrait aller…”

Il tendit lui même le bras, posant sa main sur sa joue. Il la caressa du pouce. Doucement. Tout doucement. C’était fou comme Rufus paraissait sensible et délicat en cet instant. Si loin de ses airs de petit con revêche.

“T’es sûr que tu veux pas dormir avec moi ? Je te promets, je prends pas beaucoup de place… Et puis, j’suis frileux, je suis sûr que t’es un super chauffage d'appoint…”

Son regard était peut-être un peu trop proche de celui d’un gamin capricieux. Non, pas un gamin capricieux, plus celui d’un gamin en manque d’amour. Il avait besoin de sentir la présence de Rufus à côté de lui. Pour remplir ce froid immense en lui. Au plus profond de lui.

Ah ça, clairement, il détestait la métamorphose. D'autant qu'à ses yeux, changer un asticot en brindille, ça ne servait strictement à rien. En plus, ça ne fonctionnait jamais. Alors c'était pas vraiment un compliment, de dire à Silène qu'il préférait sa compagnie à celle de ses bouquins de métamorphose, au final. Il y aurait préféré n'importe quoi..

Il se contenta d'un sourire en coin, lorsque Silène lui parla de dormir dans le même lit. Clairement, pour ce soir, ça ne lui semblait pas bien avisé. Et puis la chauffeuse n'était pas si pourrie. Et ils dormiraient sans doute mieux qu'à deux dans un petit lit. Et puis si jamais son coloc rentrait ou qu'on les voyait. Et puis... et puis... Clairement, son cerveau carburait pour trouver une centaine de prétextes à la seconde qui le convainquent de ne pas le faire.

"T'as besoin de dormir vraiment, je crois, dans ton état."

Répondit-il finalement. Il se retint de s'asseoir en sentant la main de Silène se poser sur sa joue. Il resta un instant comme ça, en soupirant, avant de s'écarter un peu brusquement. Ne pas faire de conneries qu'il regretterait, ne pas céder, ne pas...

Le brun faisait pourtant tout pour qu'il cède. Un peu trop. Rufus s'écarta et déplia la chauffeuse avant de s'asseoir dessus, en tailleur.

"Dans mon petit lit, je crois que c'est vraiment déconseillé. Mais j'ai encore des couvertures là, attends..."

Il lui tourna le dos quelques secondes pour grimper la première étagère de l'armoire et attraper un tas de couettes rangées tout en haut. Non, il n'était pas naïf. Il saisissait bien le petit jeu de Silène. Mais ça ne l'empêcha pas de déposer à ses pieds un tas de couvertures.

"Avec tout ça, impossible que t'aies froid !"

Il savait que s'il se couchait à ses côtés, il ne pourrait pas vraiment résister à sa présence. Et ... il le savait beaucoup trop sous l'emprise de l'alcool pour réfléchir réellement. Il n'avait pas du tout envie d'avoir l'impression d'abuser de lui. Déjà qu'il lui avait imposé sa présence, c'était bien assez.

"En plus, je bouge beaucoup quand je dors, je t'assure que ça serait pas du tout confortable."

Il lui fit un clin d'oeil. C'était vraiment à regret et il n'était pas si loin de céder mais il était le seul à avoir toute sa tête dans cette chambre. Fallait qu'il se montre raisonnable. Malgré les belles promesses alléchantes de Silène un peu plus tôt. Une autre fois, s'il le pensait toujours, il espérait que la proposition tiendrait toujours. Et que Silène ne lui en voudrait pas à nouveau. Même si les circonstances n'avaient rien à voir, c'était la deuxième fois qu'il se dérobait, quelque part. Mais cette fois, c'était réellement pour le bien de Silène.

"Tu sais... même si t'es en sale état, j'étais pas mécontent de finir la soirée avec toi. J'espère que tu voudras bien remettre ça. En meilleur état. Et.. sans vin renversé par terre, non plus. J'essayerai pas la magie la prochaine fois, promis. Et je râlerai pas, hein. Et puis... peut-être qu'on pourra.. je sais pas.. partager le lit, aussi ? Pour pas que t'aies froid... Enfin... pardon, je divague aussi un peu. Bonne nuit Silène, dors bien..."

Il finit, en mâchant les derniers mots sans trop articuler. Parfois, il pensait vraiment trop à voix haute. Qu'est-ce que Silène allait encore penser de lui ?

Eh bien, Rufus était définitivement un mec vraiment borné. Il ne comprenait pas que là, il avait juste besoin de dormir dans les bras rassurants d’un mec mignon comme lui ? Vraiment. Il risquait rien ! A part juste qu’il lui ronfle un peu trop près du visage et qu’il sente un peu trop l’alcool. Mais… Vraiment, c’était pas cool de lui dire non ! Il avait vraiment besoin de réconfort là. D’un câlin. Juste un petit câlin gentil et mignon ? Non ? Non… Définitivement non.

“Rufuuuus… Pourquoi tu veux pas dormir avec moiiii ?” chouina-t-il en roulant sur le dos dans le lit comme un gamin.

Il savait bien pourquoi. Sans doute parce qu’il avait la gueule d’un zombie et que Rufus n’avait absolument pas envie de se coller à un figurant de the walking dead. Très bonne série moldue soit dit en passant. Bref. Il regarda le blond attraper les couvertures et se dit qu’au moins, il n’allait pas avoir froid. C’était un point positif. Il attrapa les couettes et les tira sur lui. Créant un dôme de couvertures sur lui dans un mouvement aussi ridicule que dramatique.

“Bha moi j’parle dans mon sommeil, tu vas passer une nuit horrrriiiible… Même loin de moi !” se renfrogna-t-il en se mettant en position foetale, tourné vers Rufus.

Enfin, parler, c’était un doux euphémisme. Il avait plus tendance à se réveiller en hurlant. Mais ça arrivait pas tous les soirs. Juste 3 soirs sur 4. Avec beaucoup de chance, il était trop défoncé ce soir pour faire un quelconque cauchemar. Vraiment.
Il espérait parce que sinon il allait passer pour un putain de malade. Et ça faisait trop pour un seul Rufus. Déjà que le vomi, on s’en serait bien passé… Ouais, fallait vraiment espérer qu’il ne fasse pas n’importe quoi avec des terreurs nocturnes.

Il regarda le blondinet. Et il ne put s’empêcher de sourire en l’entendant. Il était vraiment mignon. Comment avait-il pu lui en vouloir aussi longtemps ? Vraiment, des fois, il s’en voulait d’être si rancunier. Surtout quand il s’agissait d’un mec mignon et attentionné. Peut-être que ça le faisait un peu flipper en fait.

“Je partagerai mon lit avec toi la prochaine fois… Je picolerai moins… Et j’aurai froid pour te donner un prétexte, t’inquiète…” Il eut un petit rire. “Bonne nuit, Rufus… Merci… Pour ce soir…”

Il fit signe d’envoyer un bisou à Rufus avec un clin d’oeil. C’était pas si simple de paraître un peu sexy avec ce mal de bide qu’il avait et le mal de crâne. Il ferma les yeux, et c’était franchement reposant de se dire qu’il allait pouvoir dormir. Il ne dut pas tarder à dormir. Voire ronfler un peu. Parce que sinon c’est pas drôle pour Rufus.

Au début, tout se passa bien. Et puis, il se mit à rêver. Quelle merde vraiment. C’était comme toujours, ça commençait bien. Puis il se retrouvait à nouveau face aux encapuchonnés et… Il se réveilla avec un hurlement de douleur. Il ne subissait pas le sort pourtant mais à chaque fois il sentait les entailles se faire partout sur son corps. Il était haletant. Il était paniqué. Il regarda ses bras nus. Mais… Il n’avait rien de plus que quelques cicatrices. Il n’était pas dans sa chambre. Il était en sueur. Et en pleurs. Et… Merde. Rufus. Il était avec Rufus. Merde. Ça pouvait pas être une nuit de répit pour lui éviter l’affiche ?

“Par...Pardon… Je… Je… Je devrai… Aller… Dans ma chambre… Je…”

Sa tête tournait. Il n’était pas en état de se lever. Il avait toutes ces douleurs fantômes. Il détestait ces putains de connards qui lui avaient volé ses nuits.

Une terreur nocturne ici, c’était lamentable. Il se retrouvait à chialer comme une merde en présence d’une autre personne. C’était terriblement humiliant. Il se sentait vraiment nul. Il n’aimait pas être vu comme ça. Surtout…. Rufus. C’était pas du tout ce qu’il voulait montrer. Il n’avait pas tous les souvenirs de la soirée, mais il se souvenait qu’il s’était passé un truc assez bien entre eux. En dépit de son état. Alors… C’était bien naze de se trouver dans cet état au beau milieu de la nuit.

Il détourna le regard. Il aurait vraiment préféré partir. Montrer ses faiblesses, c’était pas son genre. Et là, Rufus en voyait un peu trop pour que ce ne soit pas gênant. Qu’est-ce qu’il foutait encore à côté de lui ? Il le voyait pas qu’il était flingué ? Que y’avait plus rien qui tenait dans sa putain de vie ? Même ses résultats scolaires étaient en chute libre. Il n’y avait rien à sauver. Pas étonnant que même Zephyr l’ait laissé, retournant en France. C’était ce qu’il y avait de mieux à faire, le laisser crever dans ses propres angoisses. Et en même temps… Sentir la main de Rufus le réchauffer, le soutenir. C’était si bon de ne pas être seul face à la peur. Il essuya son visage, reniflant un peu. Contiens-toi bon sang.

Il se laissa glisser contre Rufus. Se rallongeant. Cachant sa tête contre son torse. Se blotissant. Il aurait voulu disparaître contre lui. Il avait encore des sursauts à cause de ses sanglots. Il ne savait vraiment pas s’il voulait parler. Vraiment. A quoi bon ? Il allait se remettre à chialer. Les images allaient revenir. A quoi bon ? Il releva un peu la tête quand Rufus lui dit qu’il était pas obligé de parler. Il hocha la tête. Il en avait pas envie. Il avait pas non plus envie de faire quoi que ce soit de plus dans ce lit. Il voulait juste rester lové contre son ami.

“Je… Je veux bien… Juste… Juste rester là… Avec toi…” murmura-t-il en reposant sa tête sur son torse.

Il ferma un peu les yeux. Mais les rouvrit immédiatement. Il ne voulait pas revoir ça. Rester éveillé était une meilleure idée. Il préférait pas dormir à nouveau. Il eut un soupir. Et se redressa un peu, s’appuyant sur son torse, calant sa tête sur ses bras croisés. Observant le visage de Rufus.

“Tu… Tu veux bien me parler de toi ? Je… Je te connais pas si bien… Et faut bien occuper le temps si on dort pas… T’as grandi où ? Tu rêves de quoi pour l’avenir ? Je connais même pas ta couleur préférée…”

Il essaya de sourire. Il tendit une main vers son visage, caressant du bout des doigts son visage. Il était beau dans la pénombre, Rufus. Ses doigts se perdirent dans ses cheveux.

“Si tu veux, tu me dis un truc sur toi… Et je t’en dis un sur moi… Que tu sois pas le seul à parler…”

Encore un peu sonné par le réveil brutal, il n'avait pas la moindre idée de ce qu'il faisait, là, à le prendre dans ses bras, à s'allonger à ses côtés. Ca faisait des années qu'il n'avait pas tenté d'apporter du réconfort à qui que ce soit. Et il n'était même pas certain que ce soit ce que Silène attendait. Ni de ce qu'il s'était passé. Mais plus qu'en réconfort, en traumatismes il s'y connaissait un peu. Et il pouvait envisager que le brun n'ait pas envie de raconter ce qu'il lui était arrivé. C'était sans doute personnel. Intense et assez violent, en tout cas. Il tenta de combler le silence, sentant petit à petit Silène se détendre contre lui. Il aurait aimé avoir les bons mots. Savoir quoi dire pour l'apaiser. Mais à défaut, sa présence semblait au moins aider un peu. Rufus hocha légèrement la tête, ses cheveux frottant sur les draps, lorsque Silène lui demanda de rester auprès de lui. Et il leva un sourcil lorsque ce dernier se redressa à peine plus tard.

"Je... j'ai horreur du vert. Et de l'argenté, beaaaark. Mais j'aime bien le bleu cyan, je crois. Et.. le jaune orangé ?"

Il sourit un peu, passant l'un de ses bras sous sa nuque, l'autre dans les cheveux du brun. C'était un peu...gênant de le sentir si près de lui. Et en même temps agréable. Même si ça tordait son ventre de drôles de manières. En cet instant, Silène ne pensait sûrement pas à mal. Il n'y avait bien que dans sa tête que ça devait tourner... Il expira longuement et fit mine de réfléchir quelques secondes. Parler de lui.. il n'était pas certain d'avoir grand chose à raconter, mais il pouvait essayer..

"J'ai grandi à Ealing, au Nord-Ouest de Londres. Enfin il paraît que quand j'étais tout petit, on habitait à côté de Saint-Petersbourg. Mais ... j'en ai aucun souvenir. Et je ne parle pas un mot de russe. Je crois que je ne sais dire que vodka. Et euh... spoutnik. Mais je ne suis même pas sûr que ça soit un mot. Enfin moi, j'ai pas souvenir d'être sorti du territoire Anglais, jamais. J'ai pas trop voyagé et avant de devoir aller à Poudlard, je n'étais même pas tellement sorti d'Ealing..."

Il continua, parlant de sa banlieue natale, de ses rêves qu'il savait irréels, dans lesquels le monde des sorciers ne serait plus caché aux moldus.. Oui, il croyait dur comme fer qu'ils pourraient cohabiter et vivre en paix. Et que les sorciers pourraient apporter beaucoup aux moldus. Et inversement. Il insista sur l'inversement. Et puis se tut finalement, se rendant compte qu'il était en train d'inonder Silène de ses théories et de ses envolées politiques. Il savait qu'il pouvait vite devenir insupportable aux yeux de beaucoup de sorciers, avec ça. Heureusement, Silène ne semblait pas encore dégoûté au point de s'en aller.

"Ouais, on peut faire ça ! Je ne connais pas grand chose sur toi non plus.. Sinon que tu as un accent français à croquer !"

Il se tourna un peu plus vers lui, en souriant. Il n'y avait pas que son accent qui était à croquer, que Dumbledore l'en soit témoin...

"Alors... hm... Est-ce que ça compte si je te dis que je n'ai jamais eu un garçon aussi mignon dans mon lit ? En fait, je crois qu'il n'y a même jamais eu d'autre garçon dans ce lit... Tu l'inaugures !"

C'était complètement stupide mais.. c'était le milieu de la nuit et sa tête était aussi vide que son lit était plein. Et puis... la proximité avec Silène, rien à faire, ça ne le laissait pas indifférent. Il hésita un moment et puis se pencha vers lui pour déposer un petit baiser sur sa joue. Et rien qu'à faire ça, il sentait son coeur s'emballer dans sa poitrine. Il était tellement foutu...

"A ton tour ! Je veux tout savoir de votre vie, monsieur Beaumarchais !"

Sans grand succès, il avait tenté l'accent français sur la fin de sa phrase, avec un petit sourire amusé.