Orion C. Lecoeur | Adam Gallagher

Lorsqu’il vient au monde, Orion est attendu. Premier garçon de sa lignée, ses parents portent sur lui de grands espoirs. Ses deux plus grandes soeurs sont déjà promises, des alliances stratégiques entre familles de sang purs. Lui, ils lui ont déjà trouvé une femme aussi, dès le moment où son sexe avait été annoncé par l’échographie. Renouer avec les origines grecques de sa famille, ramener cette partie de sa généalogie dans l’arbre aux nombreuses branches françaises. Tout était prévu : ils n’avaient pas beaucoup d’écart d’âge, ils avaient tous deux des pedigrees dignes des plus beaux concours de beauté, ils feraient un magnifique couple pour perpétuer la lignée. Alors, dès sa naissance, on l’habitua à ce monde magique. Une baguette pour jouet, une chouette pour meilleure amie. Des professeurs à domicile dès le début, dès qu’il savait lire, parler et écrire. Il avait déjà tout en tête, toute la théorie était là. Mais jamais il ne tentait la pratique. On ne lui en voulut pas, on se disait qu’il prenait son temps, un enfant prodige qui se cache, par modestie ou timidité. Ils ne commencèrent à douter que lorsque son petit frère, de trois ans son cadet, commença à montrer toute l’étendue de sa magie. Celle d’Orion, elle, se laissait désirer. Bien trop au goût de la famille, qui voyait sa lignée corrompue, ses plans à l’eau. Mais en même temps, ils l’aimaient pareil. Ils n’étaient pas de ceux qui détestaient les gens sans magie, même s’ils préféraient les sorciers. Ils se firent à l’idée, finalement, lorsque la lettre pour Beauxbâtons n’arriva pas. Orion est un cracmol. Il le sera toute sa vie. Maintenant, il fallait faire avec. Un enfant qu’on aime, pour qui on a passé beaucoup d temps, d’efforts, d’énergie. Pour rien peut être, mais le lien reste là. Ils ne lui en veulent pas, comment aurait-il pu prévoir tout ça, un enfant de son âge? Ce n’est pas sa faute. Mais que faire de lui? Ils n’en savent rien, l’option n’a jamais été explorée, on a jamais pensé un seul instant que le garçon tant attendu pourrait ne pas être aussi spécial qu’ils l’auraient voulu. Ou trop spécial pour leur famille. Alors, le petit frère d’Orion hérita de la chouette, un bel animal d’une belle lignée elle aussi. Et Orion garda toujours sa baguette comme un ornement dans sa chambre. Il n’alla pas à l’école, alors qu’il le désirait ardemment. Son éducation continua à se faire à la maison, par des cours particuliers d’autres cracmols ou de moldus qui connaissaient l’existence des sorciers. Ca ne ravissait pas le petit Orion, sociable et plein de vie, enfermé comme une princesse dans un cachot doré.

Mais la technologie vint à lui par le biais de ses professeurs, et après de nombreuses suppliques, ses parents avaient fini par céder. Il s’inscrivit aux épreuves moldues en candidat libre, passa son brevet et son bac qu’il obtint assez facilement au milieu de sa seizième année. Il voulait découvrir ce monde, des gens de son âge qui, comme lui, n’étaient pas capables d’utiliser la magie. Il voulait découvrir, connaître, appréhender ce monde qu’on lui avait toujours refusé. Alors, lorsqu’il fêta ses dix-sept ans et qu'il voulu quitter la maison, et après moulte négociations avec sa famille qui voulaient garder le vilain petit canard en cage, Orion s’inscrivit en école de photographie. Une passion qui était née alors qu’un de ses professeurs amenait toujours avec lui des livres de photographies, pour lui apprendre plus facilement la géographie. Orion voulait découvrir le monde, à travers un objectif. Il voulait connaître ce qu’on lui avait refusé pendant dix-huit années de sa vie. La colombe enfin libérée, déploie ses ailes et découvre le ciel avec délice. Ses années d’études sont les plus belles de sa vie. Il rencontre des gens, noue des liens, découvre l’amour et l’amitié. Rien ne dure jamais bien longtemps, il s’essaie aux femmes parce que c’est ce qui, selon ce qu’on lui a appris, est normal. Mais il se découvre dans les bras d’hommes, apprend à aimer, mais jamais tout à fait un à la fois.

Son diplôme en poche, le jeune homme a maintenant dix-neuf ans. Il est jeune, fringant, il a plein d’idées dans son esprit et la télévision lui a fait découvrir des choses qui lui donnent envie. Il travaille d’abord pour un journal, découvre une relation longue avec un journaliste chargé de couvrir des affaires pour la police. De fil en aiguille, Orion migre, quitte l’odeur de l’encre et du papier de mauvaise qualité, pour découvrir les secrets des scènes de crime. Il s’y plait, ça le fascine. L’être humain et ses travers sont un sujet passionnant, peu artistique, rarement esthétique, mais passionnant. En parallèle, Orion n’oublie pas les images de paysages superbes qui l’ont fait tomber amoureux de la boite magique. Il a maintenant 19 ans, lorsqu’une grosse enquête prend place dans l’unité qu’il suit. Un tueur en série qui a opéré dans divers pays a commencé à sévir sur le territoire. Enquête d’envergure mondiale, et pour les aider, l’équipe a fait appel à un policier américain qui a enquêté sur le-dit cas qui trouve ses origines de l’autre côté de l’océan. Orion rencontre Julian le premier jour où ce dernier arrive. Il est si différent, il a ce charme des voyages outre-mer, la nouveauté, l’accent qui va avec. Il est comme dans les films et les séries policières qu’Orion regarde en anglais. Adepte de la VO, amoureux de la langue, le français ne tarde pas à trouver des sujets de discussion pour aborder l’autre homme. ils travaillent ensemble, s’entendent bien, se lient d’amitié. Une amitié forte, qui sème le trouble dans le couple d’Orion. Le verdicte tombe : le cracmol est loin d’être fait pour les relations exclusives. Ca a toujours été le noeud du problème. Il ne supporte pas le poids des regards, la surveillance constante, le manque de confiance et de liberté. Il s’échappe des mailles, brise les barrières. Son coeur ne peut aimer une seule personne à la fois. Son coeur n’a pas de limite, s’il aime, il ne compte pas. L’oiseau a été en cage pendant bien longtemps déjà, il n’a aucun désire de s’enfermer dans une prison dorée pour les yeux de quelqu’un. Si on l’aime, on l’accepte comme il est, lui et son amour. Tout son amour. Les barrières tombent, les chaînes se brisent. Mais Orion n’aime pas les étiquettes, les boîtes. II ne met pas de mots sur qui il est, sur qui il aime. Il aime juste, c’est tout, sans détours et avec honnêteté.

Une année passe, une année où Orion et Julian se lient d’une amitié qui ne souffrira pas des kilomètres, ni des frontières qui finiront par les séparer. Par hasard, ou par le coup du destin, joueur ou taquin, ils se découvrent une origine commune : la magie. Ils sont bien différents : Orion en est dépourvu, mais pas Julian. Mais tous deux vivent leur vie parmis les moldus, comme les moldus. Et ce point ne peut pas ravir plus Orion. Il adorait déjà Julian depuis bien longtemps déjà, un ami comme aucun autre. Mais le fait qu’un sorcier comme lui vive parmis les gens comme Orion, ça, ça n’avait pas de prix. Mais il est temps pour l’autre homme de retourner chez lui, reprendre des études, découvrir de nouvelles choses qui lui faisaient envie. Sa mission en France était terminée, mais pas sa relation avec le photographe. Il s’écrivirent des lettres, s’envoyèrent des photos et des messages avec leurs téléphones. Tous les moyens étaient bons, et même s’ils ne se voyaient pas souvents, c’était comme si rien n’avait jamais changé, et que tout était toujours pareil.

Depuis le départ de son ami, le travail n’est plus aussi stimulant. Il avait adoré ces moments, il avait aimé. Mais sa créativité était au point mort, et Orion avait besoin de bouger. Il plaque alors tout ce qu’il a connu, décide de repartir sur de nouvelles bases, et désire faire ce qu’il a toujours voulu faire : voyager. Il planifie le premier voyage au Japon, pour la saison des cerisiers en fleurs. Puis, il suit les bonds des kangourous, découvre les koalas en Australie. Avant de revenir en Europe, visiter les superbes étendues glacées des fjords des pays nordiques, les magnifiques champs de tulipes et leurs moulins typiques, avant de partir à la découverte de ses origines en Grèce. Il échange toujours des photos, des mots avec son ami. Il se découvre des passions pour la fête, les sorties, les amis. Il aime vivre, et vit à fond ses belles années de la vingtaine. Blogger, photographe, instagrameur, il fait des contrats, vend ses photos à des magazines. Il est excellent dans ce qu’il fait, et son nom circule dans les bouches. Il est demandé, on veut l’agripper, le garder pour soi. Et toujours, la colombe s’envole bien vite quand elle sent les chaînes l’enserrer. Orion part en voyage, encore, découvre la photographie animalière en Afrique où il fait éditer son premier livre de photographies. La beauté du monde animal, les longues journées à guetter, quêter le moindre cliché. Un livre dont il est fier, qu’il dédie à son petit frère qui étudie en vétomagie. Puis le temps est venu, celui où Orion décide de partir en Amérique. Il visite les grands endroits touristiques, puis se perd dans les villes immenses, et les tout petits hameaux où tout se sait, tout se dit. Il découvre des gens, des personnalités, des amants. Il ne reste jamais bien longtemps, globe-trotter dans l’âme et dans l’esprit, son appareil photo s’ennuie bien vite. Il sillonne l’Amérique, rédige des petits mots pour chaque photo, et les compile dans un livre là aussi. Il n’en n’a jamais parlé à Julian, son ami de toujours à qui il dit pourtant tout. Ce n’est pas un mensonge, il ne cache pas la vérité pour ne pas le voir. Il veut lui faire une surprise. Et celle-ci arrive. Son livre, son second, lui est dédié à lui. A la beauté de l’Amérique que l’ex policier lui a donné envie de découvrir. Et il lui envoie par la poste, le premier exemplaire. Signé, dédicacé. Et tous les autres auront son nom sur les pages de remerciements. Une belle preuve, s’il en fallait, de l’étendue de l’affection qu’Orion porte à Julian.

Puis un voyage en Amérique du Sud, où Orion apprécie les frasques du Carnaval de Rio, la beauté et l’immensité du Christ rédempteur. Mais le voyage tourne court, bien vite il est rattrapé par la différence fondamentale qui rythme sa vie et sa généalogie : il n’est pas sorcier. Il ne le sera jamais. Mais il porte le nom d’une famille de sang-purs français. Et il le porte fièrement. Il a rencontré un groupe de sang-purs qui se sont bien amusés à lui faire remarquer son absence de magie. Comme s’il n’était pas au courant, comme s’il avait besoin qu’on le confronte à la réalité de sa vie, aux fondations mêmes de son existence. Il en ressort abîmé, physiquement, mais pas mentalement. Des cicatrices strient ses bras en souvenir de cette altercation. Mais son esprit, lui, n’est pas K.O. Il n’est pas résigné, loin d’être affaibli. Au contraire. Il est au moment de sa vie où tout est possible. Il a 27 ans, il a un nom dans le monde moldu, de nombreux contrats en attente remplissent sa boite mail. Il peut continuer de les faire, petit à petit. Mais le gros de son énergie va être redirigé. On veut le faire taire? Éradiquer de la surface du monde les gens comme lui? Et on espère qu’ils ferment leurs gueules, courbent l’échine sagement, alors qu’eux aussi sont pleins de ressources? Orion est cracmol. Orion est fier de son absence de magie. Orion se sait capable de bien des choses, aussi bien, voir même mieux que des gens dotés de magie. Alors il retourne en Europe. Il se renseigne, commence à suivre de près les événements des suprémacistes pro-magie. Il sélectionne sa prochaine destination avec soin. Les événements de la St Valentin finissent de le décider. Il part à Londres, et, à l’aide de son nom, décroche plusieurs boulots dans le monde magique. De fil en aiguille, le voilà photographe à Sorcier Hebdo, juste avant la destruction de Poudlard. Il est déjà renommé, son talent et son oeil sont reconnus. Pas son visage, mais son nom en crédit des photos qu’il prend commence à être passé entre les gens qui désirent des photos. On ne sait de lui que son ascendance sang-pure. Et pourtant, il ne cache pas une seule seconde qu’il est cracmol. Il le dit sans détours à qui veut l’entendre.

Pourtant, il n’est pas fou. Il sait très bien qu’il ne fait pas le poids face aux sorts qui peuvent être lancés par une baguette. Alors, il table sur la force physique et l’effet de surprise. Il apprend la self-défense, se met à la boxe. Et, pour accompagner le tout, il apprend à viser et à tirer en jouant au paintball. S’il ne fait pas le poids côté baguette magique, peu de sorciers pourraient faire le poids face à lui, s’ils se retrouvent dépourvus de leur baguette chérie. Le voilà à Londres, et prêt à montrer qu’il peut être bien meilleur que les sang-purs dans ce qu’il fait. Pas besoin de magie, pour avoir de la valeur.