Run,boy, run (Matthew & Hyacinthe)

Vouloir l’indépendance, c’est une bonne chose. Mais peut-être que Hyacinthe se surestimait un peu. Venir au Chemin de Traverse seul, c’était une véritable épreuve pour quiconque a du mal avec la foule. Il y avait beaucoup trop de sorciers au mètre carré. Il regrette de ne pas avoir demandé à son frère de l’accompagner pour quelques heures. Il s’était grandement surestimé. A se croire capable de faire des emplettes ici pour ne pas se faire prendre au dépourvu par les courses de Noël. Prévoyant, mais peut-être pas pour les bonnes choses. Parce qu’il était à deux doigts de la crise d’angoisse à chaque fois qu’un passant rentrait dans son espace vital. Parce qu’il suffoquait dans chaque boutique. Il avait à peine réussi à trouver un cadeau pour son frère, et pour Finn -est-ce que c’était trop tôt pour lui faire un cadeau de Noël ? Etaient-ils assez proches ?- qu’il essayait de fuir la rue trop bondée. Il avait tourné sur une rue plus calme. Il n’avait vraiment pas fait attention à là où il allait. C’était seulement plus calme. Bien plus calme. De quoi lui permettre de reprendre son souffle. Adosser contre le mur de la ruelle sombre. Il commençait déjà à faire noir. Les journées sont bien plus courtes en novembre et le sale temps londonien n’arrange sûrement rien.

Hyacinthe reprenait petit à petit ses esprits, observant un peu mieux la ruelle dans laquelle il avait continué d’avancer. C’était lugubre. En fait, cela ne ressemblait à aucun endroit qu’il ait pu voir dans le monde magique jusqu’à présent. Sans doute parce que son frère l’avait préservé de tout ça. Et parce qu’il n’avait rien d’un garçon aventureux. Alors cet endroit exerçait sur lui une étrange attirance, une fascination malsaine. Sans doute la même qui pousse le papillon de nuit à s’approcher d’un brasier. Parce qu’il sentait clairement que cet endroit n’était pas fait pour lui. Du tout. Mais, il continuait de marcher. A pas lent. Son regard bleuté fasciné et apeuré tout à la fois. Etranger à ce monde plein de noirs ténèbres.

“Qu’est-ce que tu fais là gamin ?”

La main se pose sur son épaule. Une poigne forte qui le pousse contre un mur. Il fallait cela pour que Hyacinthe réalise qu’il n’aurait jamais dû être là. Ses doigts saisirent sa baguette instantanément. S’il était incapable d’être agressif, Hyacinthe avait appris à se défendre. Sans mot. Là où les sortilèges informulés peuvent paraître inaccessibles à la plupart de sorciers, pour un bègue, ils étaient presque facilités. L’homme se retrouva pétrifié sans comprendre. Le blondinet se dégagea. Fuir était sa seule option en voyant les regards qui se tournaient maintenant vers lui. Il se mit à courir dans l’autre sens. Bien plus rapide qu’à l’aller. Il riva son regard vers l’arrière pour essayer de voir s’il était toujours menacé alors qu’il entendait le bruit rassurant à présent du Chemin de Traverse. Il n’en était plus très loin… Et… Le choc fut rude. Il recula, tombant à la renverse. Relevant les yeux paniqué. Quelqu’un lui faisait face. Pitié pourvu qu’il ne lui fasse rien. Il devait avoir l’air d’une biche face à un chasseur, sa baguette toujours à la main. Ridiculement prêt à se défendre. Pourvu que cet homme ne soit pas avec ceux de derrière…

Matthew s'était permis une journée de repos; non pas qu'il n'y avait pas de travail au ministère ou sur son bureau, mais il lui fallait se ressourcer et renouer avec autre chose que des enquêtes étranges. Autant en profiter pour prendre du bon temps dans le monde des sorciers, tant qu'aucun fait sordide et mystérieux ne le taraudait. Cela faisait un moment qu'il n'était pas retourné au Chemin de Traverse en dehors du cadre professionnel, et même s'il ne risquait pas de pouvoir s'empêcher de mener quelques enquêtes si l'occasion devait se présenter, il partit avec l'idée de faire quelques emplettes.

Recourant à un portoloin, il se retrouva au cœur d'une petite ruelle. Ajustant sa cravate, le col de son manteau et vérifiant l'étui de sa baguette, il rejoignit aussitôt l'allée principale.
Le nom de Matthew Olsen n'était pas inconnu à certains commerces du Chemin de Traverse : il s'agissait d'un ancien élève de Poudlard et du fils d'un haut placé au Ministère. Élève assidu, sympathique et intéressé, il était devenu avec le temps un mage expérimenté et un juriste à la bonne réputation d'être honnête et extrêmement persévérant avec ses clients. Parfois zélé, l'auror était décrit comme le représentant idéal de la justice magique; conscient de devoir faire le nécessaire pour préserver la vie des innocents et des jeunes sorciers, et soucieux du sort des victimes qu'il recevait. Lorsqu'il était encore élève, certains se souvenaient de lui comme un jeune homme à la fois sérieux et décontracté, vivant pleinement ses études sans pour autant refuser de la bonne compagnie.
D'autres se demandaient ce qui avait pu le séparer de son ancienne aimée, Jill Fillig, avec qui il avait entretenu une relation tout le long de leur scolarité à l'école des sorciers, et encore un an après. Et si celle-ci était désormais connue pour être une joueuse de Quidditch à l'international, Matthew lui, ne laissait que très peu témoigner de ses activités.

Néanmoins, si on devait décrire Matthew Olsen en dehors de ses heures d'activité et plutôt se focaliser sur l'homme tel qu'il était, on pouvait sûrement dire que sa personnalité était bien plus complexe que celle de son père : il y avait cette part grandement apaisante, voire sécurisante convenant à celle d'un serviable et charmant gentleman, accordant toujours plus d'importance à la présence des autres qu'à la sienne, sans pour autant se négliger ni s'effacer. Propre sur lui, son costume lui sied parfaitement et laissait supposer d'une certaine musculature. Il était évident qu'il n'était pas seulement un riche et digne agent du ministère, mais également un sorcier habile très bien entraîné.
De plus, si on pouvait des fois connoter à son apparence de légères blessures au niveau des métacarpes ainsi que quelques fois au visage, il était tout aussi évident qu'un aspect bien moins calme et chaleureux de Matthew subsistait : Quelqu'un de violent, de secret, de réservé, et peut-être dans le fond, de tout aussi obscur que ceux qu'il traquait en tant qu'auror. Plus qu'un juge, un bourreau qui ne pouvait connaître le repos tant que les coupables n'étaient pas punis.
Lui, était convaincu qu'il était des fois nécessaire de recourir au mal pour faire le bien, et qu'il était des fois indispensable, en guise d'ultime recours, d'user de plus grandes forces afin de dissuader les criminels les plus cruels ou les plus fanatiques.

Pourtant si calme, souriant et avenant chez Flourish & Blotts, Matthew consultait plusieurs ouvrages, levant des fois les yeux vers les visiteurs alentour pour leur ouvrir le chemin ou pour les saluer bienveillamment. Il y avait quelques anciens élèves avec qui brièvement échanger ainsi que des professeurs venus de différentes écoles. Si peu de personnes entretenaient de longues discussions, il y eut soudainement une voix plus familière que les autres. Une voix appartenant à quelques lointains souvenirs auxquels Matthew fut agréablement confronté, l'amenant à lever les yeux avec un sourire des plus convaincants et naturels.

- Matthew...?

Elen Carr, ancienne sorcière de Ravenclaw, était devenue spécialiste draconique. Ses ouvrages avaient de nombreuses fois captivé Matthew, qui venait tout juste de remarquer qu'elle était ici en dédicace. Ils furent de bons camarades de classes et avaient bénéficié des mêmes résultats aux BUSES, et chacun avait triompher des ASPIC.
Contrairement à Matthew, Elen n'avait jamais refusé le rôle de préfet. Au moment de passer les stages lors des dernières années à Poudlard, elle avait parcouru une grande partie de l'Europe dans le but d'étudier les différentes espèces de dragons, alors que le jeune homme lui, débutait au ministère.

Tous les deux avaient beaucoup grandi, et se surprenaient mutuellement de plusieurs changements. Si l'auror a toujours été d'une certaine prestance, il semblait avoir acquis de nombreux savoirs; d'autant plus que sa carrure ne faisait en aucun cas défaut à sa réputation de puissant mage.

Elen, belle et envoûtante, semblait maîtriser son domaine. Pour autant, elle était toujours aussi simple et avenante; ne manquant pas de renouer avec une ancienne fréquentation. Face au caractère doux et posé du mage, elle n'eut qu'envie de lui demander de ses nouvelles.

- Elen ? Je... je n'avais pas remarqué. Ravi de te voir, et félicitations pour ton ouvrage, il a l'air d'avoir du succès. La boutique est blindée depuis avant.

Elle recoiffa une mèche, sourit et répondit toute aussi enthousiaste :
- Félicitations à toi aussi, monsieur le justicier ! Tu as plusieurs fois fait ta parution dans les journaux. J'entendais quelques jeunes sorciers murmurer ton nom, et je t'ai de suite reconnu.

Si seulement Matthew pouvait traiter de ses propres affaires avec autant de légèreté, lui qui entretenait une vision très engagée dès le début de la moindre affaire. Il souriait timidement, se contentant de dévier le regard pour tenter de mieux articuler un Sourire de Duchenne. Feignant partiellement l'humilité et fuyant donc en partie une certaine gêne, il changea de sujet :

- J'ai lu ton premier bouquin sur l'anatomie des différents dragons du monde entier. Très intéressant. Tu as dû beaucoup...

Une voix l'interrompit :

- Je suis désolée, Matthew. On m'appelle et j'ai certainement beaucoup de livres à signer. Je suis présente toute la journée, n'hésite pas à repasser, et on pourra parler du bon vieux temps de notre promotion.

- Bien... susurra-t-il avec un geste lent de la main, avant de payer ses quelques achats et de retourner dans la rue principale du Chemin de Traverse.
Au mois de novembre, le lieu reprenait de toute sa splendeur, l'air froid et tranchant servait à vivifier les pâles couleurs des bâtiments, tandis que le ciel sombre laissait aux lumières l'opportunité d'embellir chaque façade.

Continuant ses achats jusqu'à faire un crochet dans une ruelle pour s'acheter un thé chaud, Matthew sentit un choc face à lui. En un réflexe, son corps se tînt à l'écart de la boisson. Néanmoins, le breuvage encore chaud éclaboussa sa main. Il ne le lâcha pas pour autant, préférant serrer les dents et nier la douleur plutôt que de renoncer à sa boisson chaude favorite mêlant verveine et miel.

Un jeune homme se heurta au sol, paniqué et baguette magique en main. Il ne fallut que très peu de temps à Matthew pour comprendre qu'il s'agissait d'un élève égaré ayant sûrement dû se défendre contre quelques ripoux de l'allée des Embrumes. Son visage effrayé et éprit de panique indiquait la crainte d'avoir encore une fois devant lui un malfrat risquant de l'agresser.
Matthew, calme et droit, recourut à des mots simples afin d'apaiser l'étudiant.

- Tu es en sécurité, jeune homme...

De jeunes sorciers s'égaraient quelques fois à l'allée des Embrunes, un lieu malfamé sous-jacent du Chemin de Traverse. On y trouvait des articles en rapport avec la magie noire ainsi que des personnes peu recommandables. Les enquêtes de Matthew commençaient régulièrement par ce lieu, lorsqu'il était amener à s'infiltrer dans des tavernes sombres et miteuses dans le but de recueillir quelques informations, ou de poursuivre quelques criminels pour les prendre en filature.

- Je m'appelle Matthew. Je travaille pour le ministère.
 

La main tremblante, baguette mal assurée entre ses doigts, il n’était pas très rassuré. Dès que l’homme commença à parler, il comprit qu’il n’avait rien à craindre du lui. C’était avec un soulagement certain qu’il accueillait cette nouvelle. Il resta quand même bloqué sur l’homme, son regard bleuté le fixant interdit. En sécurité ? Il ne put s’empêcher de regarder quand même derrière son épaule. Il n’y avait plus les hommes bizarres. Ils s’étaient volatilisés. Ou alors c’était qu’il les avait semé. Enfin dans tous les cas, ils n’étaient plus là. Donc, il était effectivement sans doute en sécurité. L’homme devait avoir raison. Il riva à nouveau son regard vers l’homme visiblement bienveillant.

Matthew. Le ministère. Deux éléments gages qu’il pouvait avoir confiance en lui. Il devrait probablement se présenter lui aussi. La politesse voulait ça. Mais sa panique n’était pas complètement effacée. Son coeur battait encore vite. Son souffle était encore trop accéléré. Il n’arrivait pas à se focaliser sur les mots qui devaient sortir de sa bouche. C’était le grand n’importe quoi. Impossible de savoir quoi penser. Quoi dire. Il réussit juste à se remettre sur ses jambes. Un peu flagelant. Il esquissa un vague sourire à l’homme.

“Mer...Mer...Merci… Je...Je… Dé...Dés… Désolé…” bafouilla-t-il sans vraiment trouver ses mots, sa voix n’étant qu’un vague murmure.

Sa tête lui tournait. Il n’arrivait pas à se remettre de cette frousse. Il avait eu vraiment peur. Peur de mourir. Une sensation affreusement désagréable. Il se serait bien passé de la revivre. Il en avait le vertige. La nausée. Un flot de sensations incontrôlables. L’adrénaline laissant place à l’angoisse. La peur de revivre ça. Encore. La peur de la mort.

Il aurait dû passer sa route. S’excuser encore, et partir. Mais il n’était pas capable de marcher seul. De faire le trajet jusqu’à la MUL dans cet état. Alors il restait planté là. Encore tout tremblant. Les yeux embués de larmes. Il devait être ridicule. Plus fragile qu’un enfant avec son corps de jeune adulte trop maladroit. Un corps trop long, trop grand, trop musclé qu’il n’avait jamais vraiment apprivoisé.

“Hya… Yacinthe… Mon… Mon prénom… Je… Je… Je suis… étudiant…” réussit-il à extirper de sa bouche dans un interminable bégaiement.

Sortir ces quelques mots avait été comme un marathon. Il se détestait d’avoir autant de mal à communiquer. C’était comme la goutte d’eau qui faisait déborder le vase. Le garçon trop sensible n’arriva plus à retenir ses larmes et fondit en pleurs bien malgré lui. Quel pathétique spectacle il devait donner à ce pauvre homme qui n’avait sûrement pas demander à se ramasser un tel boulet.