LOST IN THE WOODS
“
I need to see Himself !”
1Les deux hommes qui tentaient de maintenir Moira à l'écart échangent un regard. Elle devrait pourtant savoir : ne s'approchent des enclos que ceux habitués aux dragons. Éventuellement ceux qui apprenaient à les soigner, mais personne d'autres.
Vivre à leurs côtés ne voulait pas dire qu'ils étaient tous en mesure de les approcher, et de pouvoir faire face au danger qu'un Noir des Hébrides pouvait représenter.
Elle avait tenté de traverser les allées des enclos à grandes enjambées, et avait été très rapidement arrêtée. On essaie de la raisonner, on lui rappelle qu'elle n'a rien à faire ici.
Qu'elle rétorque vouloir voir le chef du clan avait de quoi interpeler.
Que lui voulait-elle ? Ne savait-elle pas qu'il était plus qu'occupé à calmer une dragonne refusant de les laisser approcher son petit ?
Mais Moira ne veut rien savoir.
C'est qu'elle est sensée garder un oeil sur le fils du chef, et qu'elle n'a aucune idée d'où il se trouve…
Loin de ces considérations, Lucàs se promène.
Il discutait tranquillement avec la Tante Hildegarde, dans un dialecte mélangeant français et gaélique – c'est que l'acariâtre fantôme refuse de parler une autre langue que celle de Molière, et ce depuis plus de huit cent ans – sous l'oeil attentif de la jeune gouvernante, quand cette dernière avait dû s'absenter.
Sans doute pour satisfaire un besoin pressant.Il ne s'en était pas rendu compte. Mais la Tante Hildegarde, avec ses histoires de chevalier, lui avait donné envie d'aventures ! Alors il s'était approché de la grande porte, et s'était glissé dehors.
Et maintenant, il était dans les bois séparant le château de la baie, battant l'air avec un bâton trouvé par terre, comme pour affronter des ennemis imaginaires. Il est le Preux Chevalier qui s'en va quérir son dragon, et qui volera au secours de sa belle. Avec son fidèle compagnon crachant des flammes, ils affronteront la Terrible Hydre et sauveront la princesse !
Une racine se dresse enfin sur le chemin de l'enfant. Bien évidemment, il se prend largement les pieds dedans, et s'étale de tout son long. Il se redresse finalement, se frotte le visage et, les genoux douloureux, le kilt sale et une trace de terre sur la joue, poursuit sa route.
Il est loin de l'inquiétude qui ébranle le château alors que Moira se rend compte de son absence. Loin de l'amusement de la Tante Hildegarde qui se garde bien de dire qu'elle l'a vu filer dans les bois.
Et puis l'heure tourne.
Quand enfin sa gouvernante se décide à aller chercher de l'aide, cela fait au moins une heure que Lucàs s'est enfui. Il a quitté le sentir du bois et s'est engagé entre les arbres pour aller pourfendre ses ennemis. Au bout de longues minutes, il en a eu marre, et a voulu rentrer au château.
Seulement…
Il n'a aucune idée d'où se trouve le château. Trop éloigné du sentier, il est incapable de retrouver son chemin. L'épais couvert des arbres l'empêche de voir l'austère bâtiment au loin. Alors il cherche, il tourne.
Et comme tout enfant perdu, finit par hoqueter puis pleurer en se rendant compte qu'il ne trouvera pas son chemin tout seul.
“
I beg you pardon ?!”
La colère est visible dans les yeux clairs.
Que Lucàs fasse des bêtises, soit. Il se rendra compte, tôt ou tard, que c'est dans l'ordre des choses. Que lui s'inquiète également.
Mais que Moira le laisse sans surveillance et le
perde…
Il a dans l'idée de se contenir, de ne pas perdre son sang-froid. Elle est encore jeune, et ne s'occupe de lui que depuis quelques jours. Mais l'angoisse du parent inquiet est trop forte.
“
And of course, you had to wait for a full hour before noticing me !”
2Il veut ajouter une parole supplémentaire, sans doute blessante, mais se rendant compte que cela ne lui ferait que perdre du temps, finit par se détourner et part en direction du château à grandes enjambées.
Moira a dit que la dernière fois qu'elle l'a vue, il était en train de jouer avec le spectre de la dame qui ne parle pas gaélique.
“
Hildegarde !” tonne Alistair à peine est-il entré dans le château.
Le spectre ne tarde pas à se montrer, goguenard. Elle voit bien que son descendant est hors de lui. Et pour cause : il l'a appelée par son prénom, sans rappeler leur lien de parenté.
“
Mon neveu ?” sourit-elle innocemment.
“
Où est-il ?-
Qui donc ?”
Il a l'air d'être sur le point d'exploser. Cette vieille mégère a bien de la chance d'être morte depuis huit cents ans.
“
Stad stad a chuir air neo-chiontach agus freagairt !” s'énerve-t-il.
Et le spectre d'obtempérer face à la colère du chef de clan.
“
Si on ne peut plus s'amuser...” cède-t-elle en désignant la grande porte.
Il n'a pas entendu son commentaire, il est déjà dehors, baguette à la main. Le jour décline. Il doit le retrouver rapidement.
Avant la nuit, songe-t-il en faisant tourner l'objet magique entre ses doigts, du même sort que celui dont il se sert pour retrouver une pièce du château qui se serait fait la malle. La baguette lui indique une direction, qu'il suit sans se poser de question.
Si seulement Moira était venu le trouver immédiatement, sans doute aurait-il déjà ramené l'enfant à la maison.
En espérant qu'il ne s'est pas rendu compte de sa situation...
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1Je dois le voir ! (
Himself est une façon de désigner un chef de clan)
2Je te demande pardon ? Et bien évidemment, il fallait que tu attendes une heure pleine avant de venir m'en informer !