Préparatifs du mariage [PV. Alistair]

Comme pratiquement tous les matins, maintenant, ça se dispute dans les cuisines du château. Et autant vous dire que les spectres qui hantent les lieux n'en loupent pas une miette.
Lucàs dort encore à cette heure. Il n'y a qu'Alistair pour être déjà frais comme un gardon. Enfin, Alistair… et sa mère.
Elle a été ravie de le voir accueillir sa fiancée sur l'archipel. Pour elle, c'était le signe qu'il prenait enfin cette histoire de mariage au sérieux et qu'il allait cesser de repousser l'échéance avec des excuses pas toujours très claires. Mais elle le connaît comme si elle l'avait fait – n'est-ce pas – et se doute que tout cela n'est pas très clair.
Ça, et le fait que l'Oncle Gregory, ce petit fouineur, lui ait parlé de la visite inattendue d'une jeune femme des plus charmantes – selon ses propres dires – au château…
En substance, on peut comprendre de leur dispute qu'Aoife trouve que cela ne va pas assez vite, qu'ils ne prennent, tous les deux, pas tout cela assez au sérieux. Elle s'est mise d'accord avec les De Beaumont, le mariage aura lieu cet été, quoi qu'il en dise, quoi qu'il en pense. Et il est temps de passer aux choses sérieuses : aujourd'hui, elle a prévu de prendre les choses en main.
Parce qu'elle a bien vu qu'Alistair n'a pas touché aux préparatifs du mariage depuis les quelques jours qu'Artémis a déjà passé ici.
Sauf qu'il n'a pas envie de se conformer à l'emploi du temps concocté par sa mère, arguant qu'il a quand même un peu plus urgent à gérer que des histoires de repas et de robe de mariée. Et voici que ça repart de plus belle, persifflant, râlant, jusqu'au moment où le chef de clan, n'y tenant plus, balaie la table devant lui d'un geste rageur, envoyant tout valser par terre.
Il en a assez. Assez de tout cela, alors que ça n'a aucun sens. Assez de ces discussions vides de sens, autour d'un mariage vide de sens, alors qu'il a une toute autre personne à l'esprit.
Une jeune femme qui s'entend déjà bien avec son petit garçon, qui se fout de ces conventions, qui lui plait, et qui n'a pas la moitié de son âge, surtout.
Tu exagères, là, mon lapin.
C'est le moment que choisit sa baguette pour émettre des étincelles bleues, petites boules de lumière qui coulent sur la table avant de mourir sur le bois. Les deux gaels s'interrompent dans leur conversation, comme hypnotisés par cette apparition, et Aoife pousse un soupir.
“Tha e gu tur sàbhailte an seo, cha leig thu a leas fhaicinn…” anticipe-t-elle alors que son fils est déjà en train de tourner les talons, quittant la cuisine qu'il laisse dans un sale état, encore tremblant de colère. Le temps qu'il arrive à elle, il sera calmé.
Ce n'est pas contre Artémis qu'est dirigée sa colère. Comme lui, elle n'y est pour rien. Mais ça l'aurait arrangé qu'elle refuse ces fiançailles. Enfin… Au moins, ils sont sur la même longueur d'ondes, et ça lui évite de voir d'autres plans préparés par sa mère. Elle serait fichue de lui trouver une femme en mesure de tomber amoureuse de lui, la connaissant. Et ça… C'est plus qu'il ne saurait le supporter.
Dans les couloirs du château, il croise le Cousin Duncan qui parle tout seul – comme souvent – et grimpe dans les étages, prend un détour quand il voit qu'une pièce du château est en train de se balader pour se trouver un nouvel emplacement.
Et puis…
Knock, knock, knock.
“Lassie ?” fait-il à travers la porte. “Everything alright ?”¹
Probablement, oui. Enfin, en dehors du traumatisme subi lors des attentats de Poudlard, bien sûr. Il l'a bien vue boîter, et l'une des médicomages du clan a confirmé ses doutes en lui disant que boîter aussi longtemps après ne pouvait pas être le fait de sa blessure. Un médicomage digne de ce nom ne l'aurait pas laissée avec un tel handicap, donc c'est probablement psychosomatique.
Pourquoi ne rentre-t-il pas dans la chambre pour vérifier que tout aille bien ? Mais parce que c'est un gentleman, voyons ! Pour qui le prenez-vous ?
Ce n'est pas le cas de l'Oncle Gregory, par contre, qui l'a suivi jusqu'ici et traverse le mur avec sa grosse bedaine fantômatique, sourire aux lèvres. C'était un homme de petite taille, de son vivant, mais toujours d'un tempérament joyeux – qu'il n'a jamais perdu. Par contre, qu'est-ce qu'il est devenu casse-pied au cours des siècles…
Toujours est-il qu'il s'approche de la jeune femme, qui je l'espère a suivi le conseil pour le moins inhabituel du maître des lieux quand il lui a recommandé de ne pas dormir nue, et la détaille d'un regard des plus impudiques.
“She's perfectly fine, laddie !” répond-il donc à sa place. “A bit pale and skinny, but weel, it has nothing to do wi' any sort of illness, aye ? You should feed her a wee bit more if you want her to give you strong bairns !”²
Vous comprenez, maintenant, la colère d'Alistair ? Ils sont tout le temps comme ça. Inépuisables. Et lui, il n'en peut plus.
______________________
¹Jeune fille ? (traduction assez peu heureuse, mais je pense qu'Ali l'appelle tout le temps comme ça, à force, un peu comme un surnom) Tout va bien ?
²Elle va parfaitement bien, gamin ! Un peu pâle et trop maigre, mais bon, rien qui ne soit dû à une maladie quelconque, hein ? Tu devrais la nourrir un peu plus si tu veux qu'elle te donne des enfants robustes !

L'Oncle Gregory n'a pas l'air perturbé le moins du monde par le fait d'être dans la chambre d'une jeune fille en fleur, pensez vous ! Il en a vu d'autres, déjà, au cours de ses nombreux siècles d'existance ! Et quand il était encore traditionnellement accepté, et même souhaitable d'avoir un témoin de la nuit de noce – eh oui – il faisait partie des désignés. C'est qu'on peut plus facilement oublier la présence d'un spectre que celle d'un vivant, comprenez. Alors cela n'a plus cours depuis bien trop de décennies à son goût, bien sûr, mais ça n'a pas empêché ce fieffé cochon d'essayer de jouer les voyeurs. On pourrait vous raconter une vieille anecdote familiale qui raconte que Grand-Père Murchadh – qui s'est mis à hanter les lieux à son tour – l'aurait poursuivi dans tout le château le sifflet à l'air en hurlant et en tentant de l'ensorceler bon gré, mal gré.
Alistair ? Bien sûr qu'il a essayé de vérifier que ce dernier faisait bien ce qu'il était sensé faire lors de sa nuit de noces, dix ans plus tôt. Et le jeune chef de clan était rentré dans une rage noire, menaçant de bannir le spectre du château.
Il avait dû être particulièrement convaincant. Ou peut-être l'avait-on pris au sérieux.
Plus jamais le vieil oncle n'avait-il essayé de s'inviter dans sa chambre à coucher.
Celle des invités, en revanche…
Désireux de ne pas laisser sa fiancée seule face à l'importun, Alistair enclenche la poignée et entre à son tour, tout en laissant la porte ouverte derrière lui. Eh oui, il n'oublie pas les vieilles conventions : un gentleman n'a pas à se trouver en tête à tête avec une femme, dans sa chambre de surcroît.
Même quand vous êtes promis l'un à l'autre.
“Good day to you, lassie,” salue-t-il à son tour alors qu'elle s'installe à sa coiffeuse. Il se tourne ensuite vers le spectre qui n'a de toute évidence pas l'intention de débarrasser le plancher. Il veut profiter encore un peu du spectacle, voyez-vous. Quoi de bien érotique qu'une belle jeune femme qui dévoile sa nuque en dénouant sa crinière et…
“Uncle, you may leave.”¹
Ce dernier, qui a fait mine de ne pas comprendre le regard lancé par sa future nièce, se tourne cette fois vers le chef de clan, sourire aux lèvres. Il s'apprête à dire une ânerie, et ce n'est pas difficile à voir : il a l'oeil qui pétille, ce sourire en coin qui trésaute…
“You wouldn't like to be rude to my bride to be, would you Uncle ?”²
Le choix du vocabulaire a été étudié – en un quart de seconde, mais étudié quand même – lorsqu'il prononce ces paroles. Il n'aime pas parler d'elle en ces termes, pour la simple et bonne raison qu'il ne l'imagine pas ainsi. Il n'envisage toujours pas cette union, n'arrive pas à se la représenter.
M'est avis que ça peut changer dans la journée, et ce n'est pas forcément une bonne chose.
Toujours est-il que d'entendre son neveu parler de la jeune femme en ces termes met le vieil oncle en joie. Il ricane grassement, donne un coup d'épaule à son descendant – enfin… traverse son épaule avec la sienne, plutôt – et accepte de quitter les lieux en sifflotant.
“They can be such a pain…” commente-t-il dans un soupir agacé. “Breakfast is ready downstairs if you wish. My màthair is there as well, and I'm afraid she has plans for you today.”³
Ne comptez pas sur lui pour savoir lesquels – il ne s'y est pas intéressé, et il aurait peut-être dû – ni pour lui donner des conseils sur comment gérer la chose avec sa mère.
Il a un certain intérêt à ce que ça se passe plutôt mal, remember ?
______________________
¹Mon oncle, vous êtes excusé.
²Vous ne voudriez pas vous montrer grossier envers ma future épouse, n'est-ce pas mon oncle ?
³Ils peuvent être vraiment pénibles… Le petit déjeuner est servi dans les cuisines si vous le désirez. Ma mère y est également, et j'ai bien peur qu'elle ait préparé de quoi vous occuper aujourd'hui.

Imperturbable, Alistair ne relève pas vraiment la taquinerie sur sa façon de désigner la jeune femme. C'était parfaitement littéral – après tout, ne sont-ils pas sensés se marier dans bien trop peu de temps ? – et un choix de vocabulaire idéal pour amadouer l'ancêtre. Commencerait-il à accepter les faits ? Rien n'est moins sûr. Plus le temps passe, et moins il veut s'aligner sur une volonté autre que la sienne. Épouser cette jeune femme ne fait pas tellement partie de ses intentions.
Mais quelle porte de sortie lui reste-t-il, s'il ne veut jeter le déshonneur ni sur son clan, ni sur les De Beaumont ?
“You don't, indeed,”¹ répond-t-il de son habituel ton calme. En effet, il n'a pas la moindre idée de ce qu'Aoife MacFusty peut bien avoir derrière la tête. La connaissant, en revanche, ça risque de ne pas être une partie de plaisir.
Il avait eu la mauvaise surprise de découvrir, au petit matin, qu'elle avait fait en sorte de lui libérer la matinée. Ce qui est loin de lui plaire, déjà parce qu'il déteste qu'elle mette son nez dans son emploi du temps – c'est qu'il n'est plus un enfant ! – et parce qu'il sait qu'il ne va pas pouvoir se soustraire aux plans tordus qu'elle a dû fomenter.
Va-t-il jouer le jeu de ce mariage encore longtemps, cela dit ? Tant qu'il n'aura pas trouvé de façon de s'y soustraire, oui. Et plus le temps passe, plus il perd espoir en la matière. Ils risquent, l'un et l'autre, de ne pas réussir à y couper.
Il hausse un sourcil en la voyant lui assurer aller bien une fois encore, et laisse son regard dévier vers le pendentif qui orne sa gorge. Ce maudit bijou. Pire qu'une corde au cou, pour l'un comme pour l'autre, n'est-ce pas ?
“It gave me an excuse to escape an argument, to be hon-...”²
Il s'interrompt en voyant la jeune femme tanguer méchamment au moment où la canne lui échappe. En un pas – il a de grandes jambes – il est à ses côtés et l'a attrapée par le bras pour l'empêcher de tomber. Oui, c'est une grande fille et elle s'est rattrapée toute seule, mais elle peut quand même bénéficier de l'aide d'un parfait gentleman, non ?
Assuré qu'elle tient bien sur ses jambes, il la relâche et se penche pour attraper la canne et la lui rendre.
“Well, that doesna make me want to leave ye alone,” tente-t-il de plaisanter, toujours avec ce sens de l'humour bien à lui. “Be careful to you, lassie. I leave ye to… Err… Whatever you have to get done and I will be waiting for ye downstairs, aye ?”³

Laissant ainsi un peu d'intimité à sa future, Alistair prend congé et repart dans le dédale de couloirs. Il y croise un petit garçon qui se lève à peine et qui traîne son doudou dragon derrière lui en venant dire bonjour à son père. Les deux MacFusty rejoignent alors les cuisines pour le petit déjeuner, y discutent joyeusement, avant que l'enfant ne doive aller prendre sa leçon dans la bibliothèque.
Un coup d'oeil à l'heure. Artémis devrait bientôt avoir terminé de se préparer. Quant à Aoife… Où est donc passé sa mère ? Il a été surpris de ne pas la retrouver dans la cuisine en redescendant, et de voir qu'elle avait tout remis en ordre après son accès de colère. Ça ne dit rien qui vaille, se dit-il.
Alors il remonte vers le rez-de-chaussée et…
“Màthair, what on earth are you doing ?”⁴
En quelques minutes, elle a colonisé le hall. Une grande table a fait son apparition, des tabourets, et tout un tas de tissus pliés un peu partout. Des éléments décoratifs ? Alistair s'approche et attrape un pan de tissu blanc pour l'inspecter. Ça lui semble un peu précieux pour n'être qu'une nappe…
“This is not happening, Màthair.”⁵
Le ton est clair, alors qu'il lâche le morceau de tissu qu'il tenait alors. Et le regard d'Aoife en dit long sur ce qu'elle pense de son avis.
Les choses ont bien trop traîné.
______________________
¹En effet.
²Il m'a donné une bonne excuse pour fuir une dispute pour être tout à fait fr…
³Et bien, ça ne me donne pas envie de vous laisser seule. Faites attention à vous, lassie. Je vous laisse à… Ce que vous avez besoin de faire, et je vous attendrai aux étages inférieurs, ça vous convient ?
⁴Màthair, que faites vous bon sang ?
⁵Ca n'arrivera pas, Màthair.