Do I wanna know ? [Hector & Ulysse]

Ça ne faisait que quelques jours qu'Ulysse était sorti de Sainte-Mangouste mais le temps semblait s'écouler au ralenti depuis. C'était difficile de tenir en place. Le sevrage physiologique, ce n'était que le début. Maintenant, le plus difficile, c'était de ne pas replonger. Les potions qu'on lui avait données l'aidaient un peu mais même la magie ne saurait venir à bout d'une addiction pareille. Il fallait de la volonté, du temps et de la patience.

Nathanaël, chez qui il vivait et qu'il aidait dans sa boutique, s'était montré compréhensif et l'avait laissé vadrouiller plus qu'à l'accoutumée, tant qu'il promettait que ça n'était pas pour retomber dans ses vieux travers. Non, il résisterait. Il espérait bien en venir à bout, cette fois, même si ça n'était pas facile. Au moins, il avait l'aide d'un ami et un logement, c'était déjà une sacrée aide.

Et c'est en vadrouillant dans le Londres Moldu, pour se changer les idées, qu'il lui était apparu. Son père. Enfin... ce qu'il avait pris pour son père, au début. C'était impossible, bien sûr. Le manque ne lui avait pas encore donné d'hallucinations, était-ce une première ? Ou tout autre chose ? Il l'avait suivi jusqu'à une librairie et était resté devant un moment, espérant qu'il ressorte. L'homme n'était pas ressorti avant la tombée de la nuit. Ce qui le laissait supposer qu'il travaillait ici -ça, ou bien il y avait l'entrée d'un monde parallèle dans cette librairie, les deux étaient plausibles-. Il s'était rendu compte, en cherchant le sommeil pendant la nuit, qu'il ne s'agissait pas de son père mais probablement de son frère. Un drôle de coup du destin, après les discussions récentes qu'ils avaient eu à son sujet avec Nate. Hector était en vie ? Si près d'ici ? Le lendemain, il avait profité d'une accalmie en fin de journée pour y retourner, cette fois sous l'apparence d'un raton laveur. Il fallait qu'il en aie le cœur net. Et ce manège avait duré quelques jours. Il l'avait suivi, avait tenté de se faire discret mais en vain, les ratons laveurs n'étaient pas si discrets dans Londres.

Il n'était pas certain d'être capable d'entrer dans cette librairie et de juste lui parler. D'une, il n'était pas sûr qu'il s'agissait réellement de lui. Peut-être était-ce une coïncidence. De deux... non, il avait déjà beaucoup de mal à gérer ses émotions ces derniers jours, le moment était mal choisi. Qu'est-ce qu'il lui dirait ? "Salut, c'est moi, ton frère qui t'a abandonné y'a plus de dix ans et n'a jamais donné de nouvelles depuis, tu te souviens de moi ?" Non, il ne saurait vraiment pas quoi lui dire.

Mais l'idée ne l'en obsédait pas moins. Alors il s'était mis en tête de se faufiler chez lui. Il avait profité d'une fenêtre ouverte pour grimper et se faufiler par là. Et s'était planqué dans un coin de la salle de bain en attendant que l'homme parte. Ce n'est qu'une fois parti qu'il reprit son apparence ordinaire. Il commença à fouiller le meuble de l'entrée à la recherche de courrier, quelque chose qui lui prouverait qu'il se faisait des films. Et sursauta en entendant la porte se rouvrir. Il eût à peine le temps de se métamorphoser à nouveau. Et fixa la porte d'entrée, par laquelle l'homme venait de revenir. Oh Merlin... S'il l'avait vu en train de se métamorphoser en raton, il allait avoir de sacrés ennuis avec le Ministère. Et s'il s'agissait de son frère... les ennuis administratifs risquaient d'être le cadet de ses soucis.

Il tenta de se faire petit, de rentrer le cou et de prendre un air mignon, espérant que ça passe et que l'autre n'y voie que du feu... Une vocation manquée de chat potté, à n'en pas douter.

Une nouvelle journée qui commençait, la routine dans laquelle s’enlisait ma vie aurait très bien pu être effrayante, d’ailleurs elle devait l’être pour certains, mais pas pour moi. J’aimais beaucoup cette routine, ce calme qui régentait ma vie, était quelque chose de très apaisant, de fiable. La magie était absente de mon existence et c’était vraiment une excellente chose. J’avais fait tout ce qu’il fallait pour que ce soit le cas de toute manière. Certes j’étais un peu seul parce que je n’avais plus de famille, mais je pouvais néanmoins compter sur quelques amis et c’était là quelque chose d’important, vous ne trouvez pas ?

J’avais remarqué quelque chose. Cela faisait un petit moment que j’étais suivi par un animal et pas n’importe lequel, un raton laveur. Ce n’est pas quelque chose de courant dans Londres. Au début, je n’y ai pas prêté attention, mais chaque fois que je sors de chez moi, je le vois. Oh j’ai l’impression qu’il tente de se cacher, a-t-il peur de quelque chose ? Peut-être qu’il s’est échappé de quelque part, un laboratoire ou quelque chose comme ça ? Quelle horreur, si jamais cette pauvre bête était victime d’une quelconque maltraitance, je ne pouvais décemment pas le signaler à la société protectrice des animaux. Je m’étais donc dit que je veillerai sur lui de loin, pour l’instant je ne tenterai rien, mais si jamais je voyais que l’animal dépérissait, je tenterais de l’approcher et de le nourrir, de m’occuper de lui quoi.

Ma décision prise, j’avais continué ma vie. La routine avait donc repris, mais cela n’allait pas durer. Ce matin, j’étais un peu en retard et cela ne m’arrivait que très rarement, mais une soirée un peu plus « chargée » que les autres avait eu raison de moi et je m’étais endormi assez tard. Une fois ma douche faite et mes vêtements enfilé, j’étais sorti de chez moi pour descendre dans la librairie. Une fois en bas, je m’étais rendu compte que j’avais oublié la clé de ma caisse enregistreuse chez moi ce qui, vous en conviendrez, était relativement problématique. J’étais donc remonté chez moi et tandis que j’entrais dans mon appartement,j’assistais à une scène quelque peu incongrue. Un jeune homme venait de se métamorphoser sous mes yeux en un raton laveur. Minute...un raton laveur ? Est-ce que c’était une foutue farce ? Posant mes clés sur le meuble de l’entrée, je fermais les yeux et me pinçais l’arrête du nez entre le pouce et l’index, je sentais un mal de crâne poindre. Prenant une profonde respiration, je plantais mon regard dans celui de l’animal.

Je devais avouer qu’il était adorable et puis j’aimais beaucoup les ratons laveur, mais je n’avais pas eu la berlue, ce que j’avais en face de moi n’était pas qu’un simple animal, c’était un sorcier. Je savais qu’ils avaient la possibilité de se changer en animal, mais je n’aurais jamais imaginé en voir un un jour et puis qu’est-ce qu’il faisait là ? Qu’est-ce qu’il me voulait ?

- Tu as beau prendre l’air le plus mignon possible, ça ne prend pas, j’ai bien vu ce que j’ai vu et puis, ne te fatigue pas à te faire passer pour ce que tu n’es pas. Je viens d’une famille de sorciers, je sais donc lorsque je suis en présence de l’un d’eux. Qui es-tu et que viens-tu faire chez moi ? Tu as intérêt à me répondre, sinon j’appelle la fourrière et leur demande de me débarrasser d’un nuisible.

Heureusement que j’étais chez moi, parce que j’aurais vraiment eu l’air malin à parler à un raton laveur, surtout vu le ton que j’employais. J’avais presque craché le mot « sorcier », comme si ce dernier me brûlait la langue.  Quoi ? Oui, je suis beaucoup plus tolérant qu’avant, sauf que là, en plus d’être un sorcier, ce type s’est introduit chez moi, je ne vois pas pourquoi je devrais être sympa avec lui.

Est-ce que la fourrière était vraiment pire que de se retrouver à affronter son frère ? Il s'était retrouvé dans de pires pétrins. Peut-être que ça pouvait s'étudier... En tout cas, il le considéra, ses grands yeux de raton laveur dévisageant l'homme qui se tenait face à lui tel un géant. Oh non. Non non non non non. Il n'était pas du tout prêt à l'affronter en face à face. Déjà que ses nerfs étaient à vif et sa patience limitée depuis qu'il était sorti de cure...

Bon, c'est une chose à laquelle il aurait pu réfléchir avant de s'introduire chez lui. De manière générale, ses intrusions se passaient rarement bien. Mais l'autre n'était pas supposé revenir, rha. Il hésita encore, envisagea toutes les manières de se tirer de là rapidement pour ne rien avoir à justifier. Même celle de lui mordre les mollets pour faire distraction, comme il avait pu le faire par le passé. Il tourna sur lui même, chercha une issue. Et puis se résigna. Et en un instant, il avait repris forme humaine, se tenant, debout et penaud, devant celui qu'il supposait être son cadet.

Il portait, comme à son habitude, de vieux vêtements dont les couleurs étaient passées depuis bien longtemps. Ils ne devaient leur état relativement correct qu'à l'application de sorts réguliers pour les maintenir à ce stade. Ses traits devaient être tirés, les cernes bien visibles. Il était encore loin de trouver le sommeil...

"Je ne vous veux pas de mal..."

Il leva les mains, en guise de paix, pour montrer qu'il ne s'apprêtait pas à lancer un sort ou à l'attaquer. S'il s'agissait bien de Hector, il savait qu'il ne risquait rien de se prendre en retour. Mais si c'était un autre sorcier, ce dont il doutait de plus en plus, un sort était vite venu.

"Je ... pense que j'ai fait erreur sur la personne, c'était pas..."

Maintenant qu'il le voyait en face, il ne pouvait s'empêcher d'être troublé. Il était pratiquement certain qu'il s'agissait bien de Hector, d'autant plus que ce dernier connaissait le monde sorcier et vivait chez les moldus... La coïncidence aurait été bien trop grande. Mais avec un peu de chance, son frère ne le reconnaîtrait pas et il le laisserait repartir une fois encore, comme le lâche qu'il était.

"Désolé de vous avoir dérangé. Mauvaise adresse. Je ne vais pas vous embêter plus longtemps hein..."

Il tenta. Desfois que ça fonctionne, sur un malentendu... Après tout, peut-être s'agissait-il d'une improbable coïncidence à laquelle il ne croyait pas ? Si c'était le cas, faudrait qu'il pense à jouer à la loterie...

Un raton-laveur, c'est très mignon, un raton-laveur fuyant un laboratoire quelconque, ça attire la sympathie, mais un sorcier qui se transforme en raton-laveur afin de s'introduire chez les gens, ça devient tout de suite beaucoup moins mignon. Je ne savais pas ce qu'il me voulait, ni qui il était, mais il allait comprendre que même si je n'étais qu'un Cracmol, je savais me défendre, je ne me laissais pas impressionner. Bon, d'un autre côté, s'il me lançait un sort, je ne pourrais pas riposter, mais au moins je ne me serais pas laissé faire. Tandis que je voyais "l'animal" chercher par où est-ce qu'il pourrait s'enfuir, je secouais négativement la tête, me dressant entre lui et la seule issue possible.

- Oh alors là, n'essaye même pas de prendre la poudre d'escampette. Tu es venu là, tu assumes.

A peine avais-je prononcé ces paroles que l'animal reprit forme humaine devant moi. Je regardais le jeune homme qui se trouvait à présent en face de moi. Il n'y a pas à dire, voir un animal redevenir un humain, ça surprend, même quand on s'y attend. Ceci étant, ce qui me surprenait le plus, c'était l'identité de la personne que j'avais devant moi. Même si cela faisait quelques années que je ne l'avais pas vu, je l'aurais reconnu entre mille, Ulysse, mon petit frère, ce petit frère que j'aimais tant, qui m'avait soutenu lors des disputes de nos parents à mon propos, mais qui n'avait pas hésité un instant avant de fuir loin de moi pour aller dans sa fichue école étudier la magie lorsqu'il reçu sa lettre, parce que lui était un sorcier, lui était normal. Cette douleur...je ne crois pas que cette plaie réussira à cicatriser un jour...en tous cas, ce ne serait pas pour tout de suite. Mon frère avait l'aspect de quelqu'un de fatigué, je ne pouvais m'empêcher d'en être inquiet, mais je ne le fis pas voir. A la place, je laissais échapper son nom dans un murmure, comme pour être certain que c'était bien lui que je voyais.

- Ulysse ?....

Alors que je me remettais peu à peu de cette "surprise", voilà qu'il parlait à nouveau de partir. J'eus un sursaut et levais le visage vers lui.

-Non ! Attends, je...Maintenant que tu es là...on peut peut-être parler un peu...non ?

J'aurais bien ajouté quelque chose au sujet de sa proportion à prendre la fuite, mais il avait un air tellement misérable que je n'en eus pas la coeur.

- Tu m'as dit tout à l'heure que tu ne voulais pas me faire de mal....je ne t'en ferais pas non plus, alors...reste un peu. Tu veux du thé...ou du café ?

Autant je m'étais excusé auprès de Nathanaël pour mon comportement envers lui, autant je n'avais rien à me faire pardonner par mon frère. C'était lui qui était parti, c'était lui qui m'avait abandonné, mais nous pouvions quand même avoir une simple conversation, surtout qu'il n'avait vraiment pas l'air en forme. La librairie ouvrira juste un peu plus tard que d'habitude, ce n'est pas très grave.

Et... il l'avait reconnu au premier coup d’œil. Anéantissant instantanément les résidus de doutes qu'il avait pu avoir quant à l'identité de l'homme devant lui. Comment avait-il fait ça ? Avait-il si peu changé depuis les années ? Pourtant, elles n'avaient pas été tendres avec lui, marquant son visage de cernes et de rides.

Ses yeux avaient dû s'arrondir comme deux vifs d'or en entendant son prénom. Il rentra la nuque, presque prêt à encaisser, que les coups soient verbaux ou physiques. Et clairement honteux, aussi. Parce qu'il se savait en tort. Tant pour être entré chez lui à l'improviste que... pour tout le reste.

"Heu... je..."

Pour trouver une excuse intelligente, on repasserait. Il passa sa main dans sa nuque, décoiffant ses bouclettes brunes. Parler. Bien. Il devait être capable de ça, non ?
"Evitez les situations qui peuvent générer du stress. Surtout les premières semaines" lui avait-on dit en cure. Ne pas ajouter inutilement du stress sur tout ce qu'il endurait déjà. Tu parles. Deux jours et il fonçait déjà tête la première vers une source d'angoisse infinie. Il sentit une goutte couler le long de son dos. Inspira et expira. Allez. On retrouve son calme. On s'éclaircit la gorge et on articule.

"Je... ne pensais pas te trouver là..."

Et il se trouvait toujours hébété, comme s'il faisait face à une vieille apparition. C'était à peu près le cas...

"Un... café ouais, pourquoi pas."

Il était trop tard pour transplaner et s'enfuir, hein ? De toute manière, dans le monde moldu, c'était interdit. Bon, bon, bon. Il semblerait qu'il n'allait pas échapper à une petite discussion. Dans son cerveau, ça fusait à cent à l'heure. Entre ce qu'il était prêt à admettre, ce que ses épaules ne pouvait pas porter et ... chercher des excuses pour s'enfuir d'ici. Au plus vite. Il avait promis à Nate de tenir, de ne plus toucher à une goutte d'alcool. Mais là, par dessus tout, il aurait tout donné pour une gorgée de gin.

Et maintenant ? On dit quoi à un frère qu'on n'a pas vu depuis tant d'années ? Ca faisait si longtemps qu'ils étaient devenus des étrangers l'un pour l'autre. Bien sûr, Ulysse pensait à lui. Souvent. Et ils en avaient parlé avec Nate, à plusieurs reprises. Evidemment, il regrettait que les choses se soient passé comme ça. Tout en sachant qu'à l'époque, il n'avait pas eu d'autre alternative. Ca, il avait mis des années à l'accepter. A être honnête envers lui-même. Mais ça restait fragile. Et prêt à voler en morceaux...

"Alors tu t'es installé ici... Une librairie hein... C'est une bonne idée."

Pouvait-on faire plus insipide ? Non mais il essayait de s'intéresser, quand même. Maladroitement. Et évidemment sans adresser les vrais problèmes. Mais il fallait se donner le temps, n'est-ce pas ?

Bien sûr, avec le temps les gens changent, les traits vieillissent, et Ulysse et moi n'avions pas fait exception, pourtant je l'avais reconnu au premier coup d'oeil, mais n'était-ce pas normal de reconnaître son propre frère ? Je veux dire, même s'il avait beaucoup changé, il restait mon petit frère et si le visage avait changé, ses yeux, son regard...eux n'avaient absolument pas changé et c'est comme ça que je l'ai reconnu. En voyant l'état dans lequel il est, je ne peux m'empêcher d'avoir un petit pincement au coeur. Que s'est-il passé dans sa vie pour qu'il devienne comme ça ? Il semblait gêné, je ne savais ce qui le dérangeait le plus, était-ce le fait de s'être fait prendre ou bien était-ce le fait que je l'avais reconnu ? Lorsqu'il me dit qu'il ne pensait pas me trouver là, je haussais les épaules.

- Normalement je n'aurai pas dû y être, mais j'avais oublié la clé de ma caisse enregistreuse, du coup pour l'ouvrir c'était compliqué.

Il avait voulu repartir, mais je l'en avais empêché. Même si nous avions coupé les ponts brutalement, nous restions frères et je pouvais bien lui offrir un café. Ce n'était pas pour autant que j'avais oublié, que j'avais pardonné, mais je ne peux pas rester éternellement à lui faire la tête, surtout que là il semblait vraiment avoir besoin d'aide. Je ne voulais pas revenir sur le passé, tout du moins pas notre passé commun en tous cas, il y aura donc certains sujets que j'éviterais.
Tandis que mon frère s'installait, j'allais dans le coin cuisine préparer le café. Je lui répondais depuis là-bas le temps que tout soit prêt.

- Merci. En fait, cela fait huit ans que j'en suis propriétaire. C'est venu sur un coup de tête, une opportunité à saisir. Après ma libération de prison, je ne trouvais pas de boulot, les employeurs sont assez réticents à embaucher des ex-taulards, alors la solution idéale c'était d'ouvrir sa propre affaire et l'avantage d'une librairie, c'est que je peux en même temps m'adonner à ma passion, la lecture.

J'arrivais avec les deux tasses de café et en posais une devant mon frère puis je m'installais en face de lui avec ma propre tasse dans les mains.

- Il y en a d'autre dans la cafetière si jamais tu en veux encore.

Je bus une gorgée de ma boisson, puis plongeant mon regard dans celui de mon frère, j'enchaînais.

- Et toi ? Qu'est-ce que tu deviens depuis tout ce temps ?

Je ne lui avais pas encore dit que je trouvais qu'il ne semblait pas vraiment en pleine forme, inutile de le mettre encore plus mal à l'aise qu'il ne l'était déjà.

La situation aurait-elle pu être plus éloignée pour les deux frères ? Pendant qu'Ulysse était à deux doigts de se décomposer sur place, il semblait que son frère se sentait presque à son aise face à lui. Ce qui laissait le plus jeune encore plus désemparé. Il hocha la tête. Trop sonné et trop perturbé pour ajouter quoi que ce soit à cette explication bien trop rationnelle par rapport à son excuse à lui. Oui, c'était tout bêtement ça. Juste une saloperie de clé de caisse enregistreuse qui le foutait dedans. Pouvait-on faire plus moldu comme excuse ?

Mais il était loin d'être au bout de ses surprises. Ce n'était que le début. Ulysse tenta de rester de marbre mais ses sourcils froncés et sa bouche entrouverte laissèrent deviner sa surprise, quand Hector mentionna un passage en prison. En... Pardon ? Ca ne mettait que d'avantage en relief ce malaise qu'il ressentait face à Hector. Cet homme avec qui il avait tout partagé quand ils étaient plus jeunes était devenu un parfait étranger. Son frère ne serait jamais allé en prison. Cet homme là, qui se tenait devant lui et qui lui racontait ça, c'était un inconnu. Et plus perturbant encore était le naturel avec lequel il balançait ça. Quand Ulysse, de son côté, peinait à assumer sa vie.

"Je... vois... je suis content que tu y trouves ton compte."

Qu'ajouter d'autre ? Évidemment, il se demandait ce qui avait mené Hector en prison. Il en avait connu, des ex-taulards. Pour des raisons diverses et variées. Par chance, lui, il s'était toujours faufilé entre les mailles du filet. Mais impensable de poser la question. Même si Hector semblait n'avoir aucune gêne pour en parler, Ulysse avait au moins de la pudeur pour deux. Et quelque part, peut-être craignait-il une accusation indirecte. La culpabilité n'était jamais bien loin chez lui...

"Merci pour le café !"

Il attrapa la tasse entre ses deux mains après y avoir plongé un sucre et l'avoir remué avec un peu trop d'énergie. C'était ça ou faire craquer ses doigts dans tous les sens. Autant que ça soit la cuillère qui prenne. Il porta la tasse à ses lèvres, souffla sur le liquide pour le refroidir un peu avant d'en boire une gorgée. Et ses doigts se crispèrent un peu plus sur la céramique lorsque la question lui revint. Hm...

"Je..."

Il détacha l'une de ses mains de la tasse pour la passer dans sa nuque, hérissant au passage ses cheveux.

"Je suis musicien."

... De rue. Ce qu'il se garda bien de préciser. Mais nul doute que ça viendrait assez vite sur le terrain.

"Et j'aide un ..." Il marqua une pause, laissant traîner la dernière syllabe. A force de côtoyer Nate, il en avait presque oublié qu'il s'agissait à l'origine de l'ex petit ami de son frère. Il se mordilla la lèvre, hésitant sur ses mots.

"J'aide dans une pâtisserie, pour tenir la caisse, servir les clients, tout ça..."

Et hop, on éludait presque habilement qu'il s'agissait de l'ex de Hector. On n'y avait vu que du feu, n'est-ce pas ?

"C'est pas aussi stable qu'une librairie mais ça me convient."

Ah, l'art de désamorcer les choses avant même qu'elles soient prononcées. A force de vivre comme ça, Ulysse avait adopté ce mécanisme de défense. Est-ce que ça lui convenait vraiment ? Même lui ne le savait pas vraiment, au fond. Mais il s'en persuadait depuis des années, en tout cas...

Revoir mon frère était quelque chose que je n’avais pas forcément prévu...tout du moins pas tout de suite. Bon il est vrai que ça fait quelques années que j’étais sorti de prison et j’aurais dû avoir le temps de me remettre de tout ce qu’il s’était passé et peut-être que j’aurais pu faire un pas vers mon frère ou tout du moins le rechercher, sauf que certaines blessures mettent du temps à guérir. On était très proches Ulysse et moi quand on était plus jeunes, à tel point que je ne m’embêtais jamais à l’appeler par son prénom en entier, mais je le nommais souvent « Lys », mais tout cela vola en éclat quand il reçut sa lettre de Poudlard. Mon passage par la case « prison » n’était évidemment pas connu des membres de ma famille, pour la simple raison c’est que je n’avais plus de contacts avec eux bien avant de me faire enfermer. Aussi je ne fus pas très étonné de l’air surpris qu’afficha mon frère. Cela ne me dérangeait pas de parler de mon passage en prison. Si j’y avais atterris c’était parce que je l’avais mérité, nier ce fait serait complètement stupide de ma part.

- Ouais….Ecoute Lys, je te vois surpris de ce que je viens de dire. J’imagine bien que tu n’aurais jamais pensé que ton frère atterrisse un jour en taule...et pourtant. Si cela peut te rassurer, je n’y étais pas pour meurtre. Seulement, à l’époque où j’ai été enfermé, je fréquentais des personnes pas spécialement recommandables, je suis tombé dans la drogue, le vol, les arnaques en tout genres.  Cela aurait pu continuer longtemps si je ne m’étais pas fait choper. Inutile de te dire que mes «amis » ont détalé comme des lapins quand les flics sont arrivés sur notre dernier coup. De toute notre bande qui comptait environ huit membres, j’étais le seul qui s’est fait attraper ce jour-là. Une fois en taule, les débuts n’étaient pas faciles, j’avais un caractère de merde, je jouais les gros durs...un peu comme quand j’étais dehors quoi. Sauf que l’univers carcéral n’a rien à voir avec ce qu’il peut se passer en dehors des murs et je suis tombé sur plus fort que moi. Je n’étais rien de plus qu’une grande gueule, un roquet qui aboyait, mais qui n’avait pas les crocs assez pointus pour en assumer les conséquences. Je me suis fait remettre dans le droit chemin par mon compagnon de cellule….et crois-moi la leçon fut douloureuse, mais aujourd’hui, je sais que je ne le remercierai jamais assez. Sans lui, je ne sais pas ce que je serais devenu...je ne serais probablement plus là l’heure qu’il est parce que au lieu de dénoncer mon ancienne bande et bénéficier d’une réduction de peine, j’aurais continué dans la voie que j’avais emprunté et j’aurais certainement fini une balle dans la tête, victime d’un règlement de compte.

Après mon récit, j’observais les réactions de mon frère. Mon but n’étais pas de le faire culpabiliser, j’assumais entièrement mon comportement de l’époque. Certes l’attitude de ma famille envers moi entraîna cette réaction de ma part, mais cela ne veut pas dire que c’était stupide, j’aurais dû réagir autrement, mais j’étais aveuglé par la colère et la tristesse.  Je hochais la tête lorsqu’il me remercia pour le café.

- Pas de quoi.

J’avais fini par prendre des nouvelles de mon frère, savoir ce qu’il devenait. Il me répondit qu’il était musicien et qu’il bossait dans une pâtisserie.

- Tu es musicien ? C’est super ça. Tu te produis où ?

J’esquissais un petit sourire.

- Le principal c’est que tu sois heureux. Une pâtisserie hein ? Tiens, en parlant de pâtisserie...tu ne devineras jamais qui est venu à ma librairie l’autre jour…..Nathanaël McDougall. Tu ne peux pas imaginer à quel point ça m’a fait bizarre de le voir.