[!] Tourments ‖ Alcyone [Trigger Warning - Mutilations/Scarifications]

“Nos véritables amis sont ceux qui nous choisissent.”

Dimanche trois novembre deux-mille-dix-neuf. Aux alentours de vingt-heures trente. Drew se souviendrait toujours de cette date, il se souviendrait toujours de cette heure. Pourquoi? Parce qu'il cognait pour la troisième fois aujourd'hui contre la porte désespérément close de la chambre d'Alcyone. Le vingt-huit octobre de la même année, il la rencontrait. Il entrait dans cette chambre pour la première fois, pour lui rendre un carnet qu'elle avait perdu plus tôt dans la journée. Le soir même, il la cherchait pour sortir dans un karaoke avec elle. Une superbe soirée. Elle s'était amusée, tout semblait aller pour le mieux. Une jeune femme rayonnante, pleine du bonheur qu'elle méritait. Une jeune femme souriante. Heureuse? Il l'espérait. Puis, en quelques jours, tout avait basculé. Les lettres qu'ils s'étaient échangées avaient d'abord été simples conversations entre deux âmes qui forgeaient une amitié, une amitié que Drew pensait vraie, réelle, profonde. Tangible. Une amitié à laquelle il faisait de la place, dans son coeur, dans sa vie. Il voulait prendre du temps pour la forger, il répondait aux lettres dès qu'il le pouvait, cherchant des moyens pour qu'Alcyone se joigne à sa vie, petit à petit. Il le voulait, au fond. Il l'appréciait, et il avait promit de lui faire découvrir tous les petits bonheurs de la vie. Puis le trente-et-un octobre arriva.

Quel jour maudit. Il s'était amusé, il avait profité de sa soirée. Drew avait passé Halloween en bonne compagnie, puis était allé toquer à la porte d'Alcyone. Aucune réponse. Le début de la fin? Il avait attendu, plus d'une heure, à toquer encore et encore, à intervalles réguliers. Il entendait l'eau de la douche qui coulait, coulait, coulait. Sans cesser. Sans s'arrêter. Et aucune réponse à ses appels. La porte restait close, ce soir là. Alors il rentra, inquiet mais pas paniqué. Il lui écrirait le lendemain. Elle finirait par lui répondre, non? Le premier novembre, il envoya sa lettre inquiète. La journée de cours passa, il retrouva Ariel par hasard, et en rentrant le soir, aucune réponse. Le deux novembre, tout dégringola. La lettre qu'il reçut était froissée, humide, gondolée par les perles salées qui avaient effacé et brouillé certains mots. Mais tout était compréhensible. Et rien ne plût à Drew. C'était horrible. Et son pressentiment avait été juste. Elle faisait marche arrière comme un animal en cage, elle avait peur, elle se détestait. Mais lui l'adorait, comment allait-il pouvoir la laisser ainsi? Alors il répondit, tremblant, à cette lettre. Il y mit toute son âme, tout son coeur, et vint toquer encore et encore à cette porte qui restait close. Le samedi passa, il ne fit rien de sa journée. Et le dimanche trois novembre, il envoyait une autre lettre. Une supplique, qu'elle donne des nouvelles. Qu'elle ouvre. Il n'abandonnerait pas, la détermination était de mise, lorsque son anxiété s'éveillait. Même la musique ne pouvait plus rien pour lui.

Alors il cognait, cognait contre cette porte qu'on refusait de lui ouvrir. Les nerfs à vif, la patience à bout. Il cognait cognait comme une mélodie, une longue supplique remplie de tourments.

― Alcyone ouvre moi! Je m'inquiète!

Et il cognait cognait, encore. Encore.

― Je te jure si tu n'ouvres pas je vais défoncer la porte et te sortir de là! J'en peux plus!

Et il tapait des deux poings contre le bois, front posé contre la porte, las. Fatigué d'avoir peu dormi, en proie à l'inquiétude, l'anxiété, les cauchemars. Elle ne voulait plus de lui dans sa vie. Qu'avait-il fait de mal? Elle allait devoir lui expliquer. Et ouvrir. Cette. Foutue. Porte. Encore des coups contre le bois.

“Nos véritables amis sont ceux qui nous choisissent.”

Dimanche trois novembre deux-mille-dix-neuf. Aux alentours de vingt-heures trente, passé de quelques minutes maintenant. Drew ne savait plus, Drew ne comptait plus. Ni le nombre de coups, ni combien de fois, ni combien de temps il avait passé ici, devant cette porte close. Cette porte de cachot, froide, mur infranchissable qu'il était déterminé à exploser d'une manière ou d'une autre. Il allait finit par faire sauter les gonds, d'une minute à l'autre. Sa patience était à bout, et son anxiété n'avait jamais été aussi ravageuse. Comment aurait-il pu garder tout ça pour lui? La musique ne guérissait pas tous les maux, pas même pour lui. Cette fois, impossible d'oublier. Impossible de laisser passer ces sentiments négatifs qui le rongent. L'empoisonnent. Il s'inquiétait pour elle, se faisait un sang d'encre. Son esprit torturé s'amusait à lui passer tous les scénarios plausibles. Tout, il s'attendait à tout, en éclatant le bois, en déchirant la matière pour sortir l'oiseau de sa cage. Et il cherchait des explications, lisait et relisait la lettre torturée par des larmes qu'il n'aurait jamais voulu voir couler. Celles d'Alcyone, pleines de souffrance et de doutes.Il voulait les effacer. Les bannir. Et il avait peur de comprendre ce qu'il s'était passé.

Il l'entendait bouger, de l'autre côté. C'était un bon point. Elle était vivante, certainement consciente. Il avait tout imaginé. Relu tous ses cours, à la recherche de sorts de soin si jamais il en avait besoin. Il ne les pratiquait pas souvent, mais avait bon espoir d'être capable de les lancer. Il le fallait. Pour Alcyone. Il était même allé lire des interventions moldues pour sauver une vie. Après tout, sorciers et êtres non magiques possédaient le même corps, la même constitution. Il aurait bien trouvé un moyen de la ramener, non? C'en était trop. Il recula d'un pas, ses bras glissant le long du bois pour venir retomber de part et d'autre de ses hanches. Il attrapa sa baguette en se remémorant les sorts de déverrouillage Aberto. Alohomora. Et si ça ne fonctionnait pas, Bombarda viendrait surement à bout de la porte, n'est-ce pas? Et sinon, il lui restait toujours un peu d'énergie pour essayer de la défoncer à la manière moldue.

Il n'en n'eut pas besoin. La serrure cliqueta et la poignée s'abaissa, alors qu'il resta interdit quelques secondes, comme si c'était trop beau pour être vrai. Etait-il en train d'halluciner? Apparemment non. Son corps n'eut pas la force de bouger, et il regarda la porte s'ouvrir vers l'intérieur comme s'il était pétrifié. Il ne voulait pas lever les yeux vers Alcyone. Et si elle ne lui offrait qu'un regard plein de haine? Ses iris noisette finirent par courir de la poignée à la main, aux manches longues... Tâchées? Remontèrent le bras, accrochèrent l'épaule, le cou, puis glissa sur les sillons de larmes qui creusaient les joues, comme le lit d'un torrent salé inépuisable. Aucun son ne sortit, ni des lèvres d'Alcyone, ni de celles de Drew. Il resta penaud, épuisé, surpris, extrêmement triste de la voir dans pareil état. Et la colère monta dans son coeur, contre la ou les personnes qui étaient responsable de pareille souffrance.

Et la jeune femme finit dans ses bras, en sanglots, alors que les rivières de larmes ne cessaient d'être abreuvées. Drew rangea sa baguette qui glissait de sa main, et entoura les épaules d'Alcyone de ses deux bras, étreinte douce mais pas étouffante, serrée contre elle mais pas bloquée. Tout son corps sembla se détendre alors qu'il l'accueillait contre lui, lui laissant tout le loisir de pleurer contre son épaule. Il mit quelques minutes à se reprendre, présence silencieuse, soutient inébranlable mais rendu muet par la retombée. Elle avait mal, elle avait si mal... Comment pouvait-il l'aider? Doucement, le poufsouffle la fit reculer de quelques pas pour amener leurs deux corps entrelacés à l'intérieur de la chambre. Il ferma la porte d'un coup de talon, pour ne surtout pas utiliser ses bras et la garder ainsi contre lui. Il avait si peur qu'elle s'envole s'il la lâchait... Et si elle disparaissait? Son regard accrocha les draps tâchés de rouge. Il doutait que ce ne soit de la peinture. Son coeur se serra avec force dans sa poitrine, et il fit glisser ses mains vers les joues d'Alcyone, prenant son visage doucement entre ses paumes, pour relever son regard vers lui. Il plongea ses yeux noisettes dans ceux de la jeune femme, et ses deux pouces vinrent cueillir les larmes sur ses joues, bientôt remplacées par d'autres. Son sourire était doux, bien que fatigué.

― Tu es vivante... J'étais tellement inquiet Alcy... il n'avait presque plus la force de prononcer son nom en entier. Tu n'es pas un monstre. Non, tu n'es pas un monstre. il le répéta encore un peu, comme pour se rassurer lui-même. Le monstre n'était pas la victime, mais celui ou celle qui provoquait de telles réactions chez elle. Je sais que c'est dur... Mais que s'est-il passé?

Son regard retourna se perdre sur le lit ensanglanté, et accrocha un couteau. Avec les manches tâchées, il avait peur de comprendre ce qu'elle avait fait. Mais pour le moment, ses yeux se plongèrent de nouveau dans ceux de son amie, et il l'encouragea, ses mains toujours doucement posées sur ses joues, ses pouces sechant ses larmes comme une caresse.

“Nos véritables amis sont ceux qui nous choisissent.”

D'un coup, tout retombait. Le stresse, les angoisses, l'anxiété, la panique. Tout retombait. Elle était là, elle avait accepté de le voir, et vu son état, il était loin d'être le problème dans toute cette histoire. Et c'était loin, très loin d'être rassurant. Au contraire. Au final, il aurait préféré qu'elle ait un soucis avec lui, avec quelque chose qu'il aurait fait ou dit. Ça aurait été tellement plus simple à résoudre, tellement moins douloureux pour elle. Il aurait pu s'excuser, réparer, recoller les morceaux. Il aurait eu un contrôle puisqu'il aurait été en faute. Mais non. Et c'était si terrible, si horrible. Il n'imaginait pas encore toute l'étendue de ce qu'elle cachait, enfouit au fond d'elle. Il fallait que ça sorte, crever l'abscès. Et elle était courageuse, si courageuse. Elle se remit à pleurer après les mots et les gestes de Drew, et le jeune homme comprit que c'était l'émotion qui guidait cette fois les larmes hors de leurs réserves. La douceur dont Drew faisait preuve, l'amitié qu'il lui portait, devait être quelque chose de rassurant. En tout cas, quoi qu'il s'était passé, elle lui faisait confiance. Elle était dans ses bras, et elle se livrait. Drew se retrouva très touché et ému par ce simple fait. Il serait là pour elle.

Les mots finirent par sortir de sa bouche, frèles, brisés. Sa voix trembla sous les sanglots, et sous le coup du traumatisme. Elle ne méritait pas ça. Qui avait pu avoir des gestes aussi horribles? Qui pouvait briser une jeune femme de cette façon? La colère grandissait dans le coeur de Drew, et il n'avait encore rien comprit de l'étendue de l'horreur. Il n'était même pas certain de savoir recevoir ce genre d'informations. Que ferait-il, quand il saurait? Il était déjà tellement en colère... Elle détourna le regard, coupant sa phrase. Drew ne lâcha pas son visage d'entre ses mains, et avec douceur, il la fit tourner de nouveau la tête pour que leurs regards s'accrochent une nouvelle fois. Il fallait qu'elle le regarde, qu'elle voit toutes les émotions qui passaient dans ses yeux à lui. La tristesse. La colère. L'inquiétude. Et toute l'amitié, l'attachement, la douceur qu'il éprouvait pour elle. C'était le seul moyen qu'elle comprenne qu'elle était aimée. Appréciée. Chérie. Des mots ne feraient jamais le travail aussi bien qu'un regard. La suite le brisa en miettes. Il comprit soudain ce qu'il s'était passé, et il ne pu retenir ses larmes à son tour. Elles coulèrent seules, rivières lisses et continues, de ses deux orbites grand ouverts sous la surprise. Comment avait-on osé. Ariel apparut dans la suite de l'histoire, sauveur impromptu et insoupçonné. Et le puzzle se rassembla finalement. Voilà une raison au besoin d'extérioriser d'Ariel, qu'il avait croisé le 1er novembre au soir. Tout s'expliquait enfin. Les derniers mots d'Alcyone finirent d'achever son coeur.

― Non Alcyone. Non. sa voix se brisa et il lâcha un instant son visage pour essuyer rageusement ses larmes du dos de la main. Sa vision était brouillée. Ce n'est pas ta faute. Tu n'as rien demandé. Ce n'est pas la faute des victimes, jamais. il replace sa main sur sa joue, et pose son front contre le sien dans un soupir. C'est la faute à cette enflure, à lui, et à lui seul. Le monstre c'est lui. La personne horrible, c'est lui. Toi, tu étais au mauvais endroit au mauvais moment, et lui n'était qu'un porc incapable de réfréner des pulsions immondes. Ce n'est pas ta faute.

Il finit par lacher son visage et reculer d'un pas, attrapant ses mains dans les siennes. Le sang avait coulé sur ses doigts et il noua les siens autour de ceux de la jeune femme.

― Allons te soigner... l'implora-t-il.

“Nos véritables amis sont ceux qui nous choisissent.”

Il ne pouvait rien faire d'autre. Rien faire d'autre qu'être présent, la soigner, continuer à lui répéter que ce n'était pas sa faute. Il la couvrirait de son amitié, lui donnerait toute l'attention qu'elle méritait, et dont elle avait besoin. Il ne pouvait rien faire d'autre. Même si la haine et la hargne le rongeaient, même si l'impuissance le détruisait. Il ferait au mieux, il ferait ce qu'il pouvait. C'était une promesse qu'il se faisait, une promesse silencieuse qu'il lui faisait. Yeux dans les yeux, à caresser ses joues avec douceur, avant d'attraper ses mains. Leurs doigts collaient du sang qui commençait à sécher, mais Drew ne s'en inquiéta pas. Tout ce qui l'inquiétait, c'était de l'amener à accepter les soins. Quels qu'ils soient. Elle le supplia à son tour. Pas l'infirmerie, trop difficile pour elle. Et il comprenait, il comprenait parfaitement. C'était déjà assez difficile pour elle de parler de ça dans cette sphère si privée, avec un ami qui s'inquiétait pour elle, qui la chérissait. Alors avouer des choses si traumatisantes à quelqu'un d'inconnu, dehors... Drew n'en n'aurait pas été capable non plus. Il noua leurs doigts, les croisant en souriant, son regard glissant sur leurs mains liées. Il était heureux, au fond. Elle allait bien. Enfin, elle était vivante. Et elle s'en sortirait, il en était persuadé.

― Je vais essayer. Je ne suis pas le plus expérimenté dans tout ça... la prévint-il.

Il la fit assoir doucement sur son lit, avant d'attraper le couteau du bout des doigts pour le laisser tomber dans l'évier plus loin. Drew revint tout près d'Alcyone et s'agenouilla devant elle. Il prit une de ses mains et releva peu à peu sa manche, la repliant jusqu'au coude. Il fit de même avec l'autre manche, et s'essuya les mains sur son t-shirt noir. Il s'en remettrait. Le poufsouffle attrapa sa baguette et se concentra. Mouvement de poignet, et il souffla Vulnera Sanentur. Le sort se lança faiblement la première fois, soignant les plaies les moins profondes. Drew recommença, et cela fonctionna mieux. Les blessures guérirent petit à petit et Drew observa le mot qu'elle avait essayé de graver sur son bras qui disparaissait. Lorsque tout se termina, il laissa courir ses doigts sur la peau toute neuve, soupirant de soulagement. Il s'assit par terre et ramena ses jambes à lui, soulagé. Il l'écouta parler de sa petite voix, de son père. Il grimaça et posa sa tête dans ses bras repliés sur ses genoux.

― Ta petite voix a tout faux. T'es responsable de rien du tout. Et ton père aussi. Si t'étais pas venue, tu m'aurais pas connu. C'est si terrible que ça, que je t'adore? Que je sois ton ami? Et c'est si bien que ça, d'être la petite princesse enfermée dans une cage dorée? Oui, ces horreurs ne te seraient pas arrivées. Mais vivre c'est ça. Vivre c'est risquer tout à chaque instant, mais c'est aussi découvrir. Connaître. Rire. Être heureux. Tu étais heureuse, là bas? Seule? Tu étais heureuse, loin de ton rêve de créer des vêtements? Et moi? Je te rends malheureuse? Tu vas laisser un connard comme ce gars détruire tout ce que t'as construit? Alors que tu mérites le bonheur? Alcy. il soupira et finit par se redresser pour se relever.

Alors qu'il se mettait debout de nouveau, elle prononça des mots qui le révoltèrent. Un homme, un mariage. Choisi par son père. Qui faisait ça en 2019? Qui se mariait par intérêt et pas par amour? Quel parent mariait son enfant de force?! La rage et l'incompréhension se mélangèrent dans son regard.

― Tu vas être mariée de force à un homme que tu n'aimes même pas?! Qui se fout que tu sois digne ou salie, qui se fout de tout ça! Tu as été traumatisée, ce n'est pas ta faute, tu n'en n'es pas plus une mauvaise personne! Et bordel, on se marie plus à quelqu'un qu'on aime pas de nos jours! Qui fait ça?! Ton bonheur est des millions de fois plus important que ce que ton père croit être bon pour toi! S'il se préoccupait tellement de toi, il ne t'aurait jamais imposé de telles choses Alcy! il tournait en rond, en colère et indigné. Il ne se rendait pas compte qu'il pouvait se mettre en mauvaise posture ou la braquer. Il était juste triste. Outré. Il se calma lorsqu'elle le supplia de garder le secret. Il attrapa ses mains et les serra. Je te promets de ne rien dire. Mais Alcy... Ce mariage forcé me rend tellement triste pour toi...

Il soupira et s'assit près d'elle pour l'enlacer de nouveau, profitant simplement du fait qu'elle vive. C'était tellement suffisant pour le moment. Elle finirait par changer d'avis et ouvrir les yeux. Il y croyait.

“Nos véritables amis sont ceux qui nous choisissent.”

Il n'en revenait pas. Tout était si terrible, plus il en apprenait, plus il avait envie de la sortir de toutes ces choses qu'elle vivait. Entre son agression du trente-et-un et son mariage arrangé, avec un père aux façons de faire plus que douteuses, Drew voulait juste la protéger. Mais pas de la même manière que le faisait son père non. Il ne voulait pas l'enfermer dans une prison dorée, mais la libérer de ses liens et lui donner les clés pour s'en sortir. Il serait un tremplin, un escalier, des ailes pour qu'elle puisse s'arracher à ses liens trop serrés. Il finirait par réussir, il en était persuadé. Elle comptait trop à ses yeux pour qu'il ne fasse pas au moins l'effort d'essayer. Il voulait qu'elle soit heureuse, son propre bonheur, à elle. Dicté par personne d'autre qu'elle. Elle le méritait. Et Drew allait finir par l'en convaincre d'une manière ou d'une autre.

Sa déclaration d'amitié fit mouche. Ses nombreuses questions trouvaient toutes la même réponse, au fond. Non. Non, elle ne se pensait pas mieux seule, elle ne regrettait pas son amitié avec Drew. Elle ne pensait pas qu'elle était mieux de ses rêves. Il espérait qu'elle y croyait. Après tout elle avait du talent, elle était aussi gentille. Et il l'adorait. Cela semblait réciproque en tout cas, vu la lueur dans son regard quand elle niait. Drew se mit à sourire, rassuré et content. Et lorsqu'Alcyone lui fait un compliment qui le touche droit au coeur, son sourire s'étire largement sur son visage, en même temps que le rouge mord les joues de la jeune femme. Elle était gênée d'avouer de facon aussi frontale le bonheur qu'elle ressentait depuis qu'elle connaissait Drew. Et Drew aurait pu rougir aussi, s'il n'était pas aussi heureux d'entendre pareille chose dans un moment aussi sombre. Elle avouait, et c'était le premier pas pour qu'elle aille mieux. Après tout, si elle se rendait compte de ce qui la rendait heureuse, elle pourrait contrebalancer toutes ces horreurs. C'était une excellente nouvelle.

― Je suis touché... la remercie-t-il.

Ils parlèrent du futur mariage, et Drew était vraiment vraiment en colère, et très déçu d'apprendre que ce genre de pratiques se faisait encore. Le monde sorcier était si différent du monde où il avait grandit... C'était affligeant parfois. Elle lui parle de raison. Qu'on s'habitue. Et un cousin. Un quoi? COUSIN? Elle allait épouser un homme qu'elle n'aimait pas. Qui était son cousin. Sa propre famille.

― Ton COUSIN? Mais y'a tellement de gens dans le monde, il pouvait pas choisir un peu plus loin que la famille au moins?!!! il bouillonnait de colère. Ca n'a rien à voir avec la raison! C'est juste de la planification, de la stratégie! Tu n'es PAS un pion sur un échiquier, tu n'es PAS une variable dans un calcul complex! Tu es toi, un être humain doté de sentiments! Et ce n'est pas pour rien! L'amour c'est sacré, c'est important, d'aimer la personne avec qui on passe sa vie. Avec qui on fonde parfois une famille. Sans l'amour, la vie n'a pas de sens, ce n'est qu'obligations. Tu veux passer toute ta vie à courber l'échine à un homme qui ne t'aimera jamais? Qui te traitera certainement comme un objet que l'on acquière? Et... sa voix se fit murmure, il s'en voulait de ramener le sujet sur la table mais c'était important. Qui te dit que cet homme sera mieux que ce.. porc qui t'a détruite? Qui te dit qu'il soignera tes blessures au lieu de créer de nouvelles fêlures? Tu sais... il déglutit. Il a les moyens de te faire vivre l'enfer, cet homme. Alors si tu veux t'embarquer dans un voyage pour la damnation... Aime au moins celui qui en conduit la barque...

Drew lâcha doucement son étreinte sur l'épaule de la jeune femme, et il attrapa un coussin avec lequel il joua, occupant ses mains alors qu'il écoutait Alcyone avec intérêt et inquiétude. Elle avait perdu sa soeur jumelle. Ca expliquait la protection accrue de son père, mais ça n'excusait rien. Il murmura des mots d'excuses et des condoléances pour la perte de sa soeur, revenant l'enlacer. Autant pour lui que pour elle.

― C'est normal, tu m'as demandé alors je tiendrai ma promesse. la rassura-t-il.

Il la serra encore quelques temps avant de se lever pour aller nettoyer le couteau dans l'évier. Il fallait qu'elle se repose, qu'elle oublie si c'était seulement possible. Alors Drew s'occupa, à l'aide de magie, de nettoyer le sang qui lui rappellerait cet épisode maudit.

“Nos véritables amis sont ceux qui nous choisissent.”

Drew était chamboulé. Toutes ces informations mettaient du temps à se décanter, dans son esprit. Le nombre d'horreurs qu'il avait apprises en une soirée ne cessait d'augmenter. Il ne savait plus où donner de la tête, ni même si Alcyone finirait par s'en sortir, comme lui l'espérait. Mais il ne pouvait rien faire d'autre qu'y croire, rester positif dans le tourment. Il se devait d'être au moins celui qui y croyait, sinon comment Alcyone pourrait-elle seulement garder espoir? C'était si difficile, d'encaisser toutes ces informations qui concernaient quelqu'un qu'il appréciait. Surtout quand on se rend compte qu'on ne peut rien changer à des années et des années d'un passé trouble, ni des choses ancrées dans un esprit, si fortement que tout a évolué et gravité autour. Il essayerait, il ne pouvait faire que ça. Comme un automate, il nettoya le couteau en l'observant. Il lui semblait que la lame était bien trop éfilée pour un couteau de cuisine. Peut être était-ce une pièce de sa collection. Drew n'était pas vraiment surpris. Certains collectionnaient des timbres, d'autres des armes. S'il savait que la lame entre ses doigts avait porté le sang d'autres personnes tuées, il n'aurait certainement pas voulu la toucher.

La question d'Alcyone était prévisible. Mais elle fit l'effet d'une bombe dans les souvenirs enfouis dans l'esprit de Drew. Sous le coup du déferlement de sa mémoire, il laissa tomber le couteau dans l'évier et se coupa légèrement le doigt. Son regard noisette, étrangement vide, observa le sang qui perlait en goutelettes sur son empreinte digitale. S'il était déjà tombé amoureux? Oui, il l'avait été. Une belle histoire jusqu'à la trahison. Mais il ne lui parlerait pas de tous les détails, ça ne jouerait pas en la faveur d'un mariage amoureux, surtout face aux convictions qu'elle avait. Et au modèle probablement familial. Drew se rendait compte qu'il ne venait vraiment pas du même monde que certains sorciers. C'était à la fois troublant et blessant, même parmis les gens dotés du même don, il était un étranger.

― Oui, quand j'étais beaucoup plus jeune. Ca devait être ma deux ou troisième année à Ilvermorny. finit-il par répondre, rinçant son doigt et la lame une nouvelle fois, avant de la poser quelque part où elle ne pourrait pas lui trancher la chaire. Ça n'a pas beaucoup duré, l'adolescence est passée par là et nous avons grandit tous les deux. On ne se correspondait plus. Ce sont des choses qui arrivent, en amitié aussi. Même dans les familles. On évolue, la vie suit son court, et nos expériences nous ouvrent les yeux. Parfois il faut savoir se séparer pour vivre de nouvelles choses, et trouver le bonheur. il resta appuyé contre le plan de travail, le regard pensif.

“Nos véritables amis sont ceux qui nous choisissent.”

Les souvenirs remontaient peu à peu dans sa mémoire. Certaines choses qu'il avait voulu oublier lui revenaient soudain en tête. L'amour, ça pouvait tout donner comme tout prendre. Mais ça valait le coup d'au moins essayer, non? Il accueillit les réminiscences avec un sourire nostalgique. Les premiers baisers, les premiers câlins. Les premières fois où on se tient la main, où on ose dire que oui, on est en couple. Tout ça, il l'avait vécu. C'était émouvant, d'un sens, mais ça ne faisait pas tout. Trouver l'amour n'était pas le but de sa vie. Lui voulait s'amuser, rendre les gens heureux, faire de la musique. Si son coeur était à prendre, et s'il était prit, ça n'en restait pas moins secondaire. Après tout, il vivait pour lui. Pas pour un couple, pas pour se faire aimer. Heureusement pour lui, être lui-même avait l'air de plaire aux gens. Il avait pas mal d'amis, quelques très bons amis, et il était capable de se faire aimer pour qui il était, avec très peu de filtres. Alors, s'il finissait en couple avec quelqu'un, ça ne serait qu'un bonus. Mais pas la quête principale.

Mais Alcyone n'avait jamais connu ça. Pour le moment, en tout cas, car il lui souhaitait de trouver quelqu'un qu'elle aimait qui l'aimerait. Elle le méritait, elle était gentille et avait de nombreux côtés adorables. Drew était certain que ça finirait par lui arriver. La question le surprit. Le jeune homme se redressa et la regarda, réfléchissant et souriant.

― C'est différent pour chaque personne... Les gens le décrivent souvent comme des papillons dans le ventre. D'autres comme une obsession d'une personne. En ce qui me concerne... il sembla pensif un instant. J'avais simplement tout le temps envie d'être avec cette personne. A chaque fois que je faisais quelque chose seul ou avec des amis, je pensais toujours à quel point j'aurais voulu que l'on soit ensemble. Lui montrer des choses, expérimenter la vie avec. il rit doucement. C'était agréable. Aimer, être aimé. Attendre des nouvelles avec hâte, et arriver toujours en avance aux rendez-vous parce qu'on ne pouvait plus attendre de se voir. se confit-il.

Mais tout ça c'était fini. La confiance avait été trahie, les liens bafoués. Alors Drew avait grandit, mûri, trouvé ce qu'il voulait et ne voulait pas d'une relation. Et depuis, son coeur restait libre comme l'air, bercé au son de la musique. Il n'était pas fermé à aimer, mais ne le cherchait pas non plus. Si ça devait venir, ça viendrait. Mais il s'assurerait de ne pas être blessé de la même façon que la première fois. Le regard noisette suivit les mouvements d'Alcyone qui se levait pour ranger le couteau à son emplacement de choix. Il sourit en l'entendant réfléchir à voix haute. Il n'y réagit pas, la laissant dans ses réflexions. Elle y pensait, et c'était une bonne chose. Elle allait faire son cheminement seule, et décider d'elle-même. Drew avait planté la graine de l'idée, Alcyone la laisserait germer. Le garçon retourna s'asseoir sur le lit, suivant le regard de la jeune femme sur le carnet de croquis. Etait-ce celui qu'il lui avait ramené? Il n'en savait rien. Puis la question qui vint lui colla un immense sourire aux lèvres.

― Oui! Oui avec grand plaisir! il se redressa, pétillant, vivant à nouveau comme si rien de tout ceci ne s'était passé. J'adore les vestons de costume, et les ensembles comme le rouge que j'avais à notre Karaoke. C'est le seul que j'ai d'ailleurs, qui ne soit pas noir. Et j'adore les couleurs. Et briller. Le doré... il se mit à rire de lui-même. Il était soudain si excité, ravit, plein d'énergie.

Le jeune homme se leva de nouveau et tendit les bras à son amie. Un calin? Il était tactile, il se réfrénait souvent pour ne pas en demander trop.

“Nos véritables amis sont ceux qui nous choisissent.”

Parler de tout ceci, ça avait un goût prononcé de nostalgie. Il sembla soudain à Drew qu'être aimé lui manquait un peu, cette sensation d'être attendu, entendu, chérit. Les amitiés et l'amour avaient des points communs, mais tout jouait dans l'intensité. Et c'était comme si, en parlant d'amour, tout semblait fade à côté. Mais c'était faux, c'était complètement faux. Drew se reprit d'ailleurs bien vite, et son sourire remplaça la moue un peu triste que son visage arborait. Il était bien plus qu'une relation amoureuse. Il était bien plus empli de rêves et d'espoirs, d'envies et d'émotions. Il n'avait pas besoin de ça pour être heureux, ni pour avancer. Alors, il laissa doucement les souvenirs s'effacer, s'affadir. Il ne regrettait pas ces expériences, ni les quelques essais qui avaient suivit, peu concluants. Il ne regrettait rien, car tout ceci l'avait forgé, lui et sa positivité. Ca avait aussi modelé sa naïveté pour la réfréner, posé des barrières protectrices autour de lui, mais aucunement entaché son envie de faire confiance. Son don à donner une chance à chacun, ou presque. Il était toujours aussi ouvert, même sa confiance blessée. Après tout, il serait juste plus vigilant si un jour l'amour devait toquer à sa porte.

Alcyone se remit à parler, se confiant, s'ouvrant sur son passé à Ilvermorny. Ca frappa soudain Drew : elle avait été à la même école que lui, seule. Certainement pas dans la même année, il l'aurait bien remarquée, non? Il garda sa culpabilité pour lui et écouta les mots de la jeune femme. Une amitié brisée, pour un amour manipulateur. Ca arrivait malheureusement souvent. Drew s'était toujours appliqué à diviser son temps équitablement entre celle qu'il aimait et ses amis. Il n'était rien sans les uns, pas grand chose sans l'autre. Au final, c'était ce qui lui avait couté une trahison, mais il n'aurait jamais rien changé. Pour rien au monde. Ses amis étaient aussi précieux que son amour, et tout était fait de compromis dans la vie. Il avait peut être eu l'impression naïve qu'il en faisait bien assez pour elle. Ce n'était pas assez aux yeux de son ex.

― Ce sont malheureusement des choses qui arrivent... Dans l'amour comme dans les amitiés, partout dans le monde. il sourit au commentaire sur la trahison. Il était d'accord. C'est vrai. Trahir la confiance de quelqu'un, c'est affreux. On s'en remet peu à peu, mais les amitiés et les liens ne sont plus jamais les mêmes. souffla-t-il.

Puis Alcyone change complètement de sujet, pour le plus grand bonheur d'un Drew enjoué. Un costume, rien que pour lui, unique, de la part de sa talentueuse amie. Il se sentait choyé, important, unique. Ca avait un goût doux, sucré, et ça le faisait se sentir soudain plus léger. Même après tous ces moments sombres, il ne cessait de sourire. Il aimait la vie, et il adorait Alcyone. Ca se lisait sur son visage, quand il l'écoutait parler.

― Oh oui oui oui! Plein de dessins de toi! il s'enthousiasmait en souriant, les yeux pétillants. J'ai un peu de mal avec le velours dans certaines couleurs, et j'aime pas trop les motifs à carreaux. Mais sinon... Je ne crois pas avoir d'allergies. T'as déjà des idées? Oh comme j'ai hâte pardon! C'est Noël! il se mit à rire de bon coeur, regardant ses mains qu'il frotta entre elles. Est-ce que tu passeras Noël ici? finit-il par demander.

Il l'observa en train d'écrire sur un parchemin, curieux et ravit. Elle pensait elle aussi à autre chose que les heures sombres qui l'avaient fait se mutiler, et il était content de pouvoir lui changer les idées, au moins un peu. Elle lui parle de mensurations et son sourire se fait taquin. Il allait jouer les modèles, et ça le rendait très heureux, sans qu'il ne sache trop pourquoi. Certainement juste l'idée de passer du temps avec elle. D'ailleurs, les minutes filaient depuis qu'elle avait ouvert la porte.

― Avec grand plaisir! Quand tu veux, je trouverai un moment pour toi. promit-il, juste avant de se lever.

Il quémanda un câlin et Alcyone n'hésita pas pour se lover contre lui. Les bras du poufsouffle entourèrent la jeune femme et il la serra doucement, étreinte rassurante et qu'il espérait pleine de son affection pour Alcyone. Elle finirait certainement par comprendre à quel point elle comptait pour lui, à force de petits gestes. Et elle finirait aussi par arrêter de croire qu'elle était un monstre, et pas digne de son amitié. Il changerait sa vision des choses petit à petit. C'était une promesse. Le temps passa et la fatigue finit par toquer à la porte. Il soupira doucement, avant de demander tout bas :

― Quelle heure est-il..? On a cours demain quand même... sa moue était boudeuse mais fatiguée.