A smile with no cost ~ Ft. Corvus

Ce début de mois de Novembre était très frais, il fallait bien le reconnaître. C'était presque s'il ne neigeait pas déjà ... En quittant son appartement en plein coeur de Londres du côté Moldu, Siobhàn avait dû remonter chercher une cape pour ne pas mourir de froid. Ainsi enveloppée dans ce tissu de velours doublé de fausse fourrure, elle se sentait agréablement protégée du froid, prête à l'endurer le temps de faire le trajet. Son téléphone portable à la main, elle discutait avec quelques-uns de ses amis moldus tout en se dirigeant vers l'un des passages vers le Londres Sorcier. Même si elle ne possédait pas de pouvoirs, il existait quelques passages secrets qui ne nécessitait pas l'usage de la Magie pour y pénétrer ...  Heureusement pour elle d'ailleurs. Elle avait fait le choix de vivre en dehors du monde sorcier pour se rapprocher un peu des personnes dont elle se sentait proche : les gens ne possédant aucuns pouvoirs. De plus, elle préférait ne prendre aucun risque : à vivre entourée de sorciers, elle serait obligée d'être sur ses gardes à toute heure, alors que grâce à son domicile loin de ceux dont elle aurait pu faire partie, elle pouvait se permettre de se détendre et d'être elle-même.
A son travail aussi elle pouvait faire de même d'ailleurs. Enfin, plus précisément quand elle se plongeait dans la préparation de nombreuses potions et pas quand elle devait faire face aux clients. Non pas qu'elle ait peur d'eux ou qu'elle soit mal à l'aise avec eux, mais simplement parce que si possible, elle préférait ne pas avoir à maintenir cette image de sorcière respectable plus longtemps que nécessaire.
Pour éviter d'avoir à faire face à tous les sorciers qui venaient vanter ses talents de potionneuse comme si elle était une des leurs, elle avait engagé un assistant. A la base, c'était un jeune sorcier, un peu arrogant, qui croyait fermement qu'il serait plus doué qu'elle pour faire des préparations simplement parce qu'il était un jeune sang pur anglais ayant étudié à Poudlard. La collaboration n'avait pas duré longtemps et Sio avait fini par le mettre à la porte, excédée par son comportement. Ce n'était pas pour rien qu'elle détestait à ce point là la majorité des sorciers ... Ils étaient si arrogants, si imbus d'eux-mêmes ! Insupportables ...

C'est pour ça qu'elle avait été ravie quand elle était tombée par pur hasard sur le jeune Corvus. A peine majeur à l'époque, il venait de perdre son emploi à cause de son absence de pouvoir et errait dans le Chemin de Traverse. Elle lui avait tendu la main et lui avait proposé la place qui s'était libérée dans la boutique. Elle avait besoin de main d'oeuvre et il avait besoin d'un travail. Voilà comment elle lui avait présenté les choses. Ce qu'elle ne lui avait jamais avoué, c'est qu'elle compatissait véritablement avec lui. Si sa famille n'avait pas eu honte d'elle et n'avait pas camouflé qu'elle n'avait pas de pouvoirs, elle aurait probablement subi le même genre d'outrages que ce jeune garçon ... C'était sûrement la seule chose pour laquelle elle pouvait les remercier d'ailleurs. Et depuis trois ans, elle n'avait jamais regretté d'avoir choisi de donner sa chance à Corvus. Il se débrouillait de façon correcte avec les potions, mais il était surtout d'une grande aide quand il s'agissait de traiter directement avec les clients. De plus, ces derniers n'osaient pas trop lui faire de remarques quand Sio était dans la boutique, ne voulant pas passer pour des personnes désagréables et racistes : la propriétaire de Ó'Ceallaigh's Draughts passait pour une sorcière aux idées progressistes défendant les droits des Cracmols et aucun client ne souhaitait se mettre à dos leur fournisseuse, de peur que leur potion ne devienne poison.  

Enfin, après une vingtaine de minutes de marches, elle apercevait enfin la devanture de son magasin. Normalement Corvus devait déjà être à l'intérieur, étant chargé de l'ouverture aujourd'hui. La jeune femme commençait sincèrement à être frigorifiée et c'est presque en courant qu'elle pénétra dans la boutique.



Ne l’apercevant pas directement, elle se dirigea vers l'arrière-boutique, là où ils préparaient leurs potions. Peut-être était-il en train de travailler sur une commande ? Ou en train de s’entraîner à confectionner une potion d'ailleurs ... Il travaillait dur, comme s'il craignait toujours qu'elle trouve quelque chose à redire. Un jour ... Un jour elle lui confierait la vérité. Mais pour l'instant, Sio n'avait jamais trouvé la force de lui dire que si quelqu'un pouvait lui assurer un emploi stable c'était bien elle, parce qu'elle était comme lui.

3 ans s'étaient écoulés depuis qu'elle avait embauché Corvus Rosier en tant qu'assistant dans sa boutique, Ó'Ceallaigh's Draughts. C'était un jeune homme agréable, très gentil et qui n'hésitait pas à se plier en quatre pour m'aider, un parfait petit assistant. Jamais elle n'avait eu à se plaindre de lui ou de son comportement, contrairement à son ancien employé, qui en plus de lui mettre les nerfs en pelote à chacune de leurs conversations, faisant son travail comme un pied, arrivait en retard et se montrait désagréable à chaque fois qu'il ouvrait la bouche. Jamais un mot plus haut que l'autre ce jeune homme, un parfait petit miracle ! Jamais elle n'aurait cru pouvoir trouver quelqu'un comme ça ! Et dire que les gens le mettaient de côté à cause du simple fait qu'il n'était pas capable de manipuler la magie, qu'il ne possédait pas de pouvoirs ! Cela hérissait les poils de Siobhàn rien que de penser au nombre d'injustices auquel Corvus avait dû faire face durant toute sa vie de Cracmol ... Et dire que si sa famille n'avait pas autant de fierté mal placée elle aurait dû faire face au même style de vie, si incertain et si discriminant ... Tiens, c'était bien une chose dont ils n'avaient jamais parlé Corvus & elle, de la famille du jeune homme et de comment ils avaient réagis quand ils avaient compris qu'il n'aurait jamais de pouvoirs, qu'il ne serait jamais un véritable sorcier ... S'il s'était retrouvé presque à la rue quand il avait perdu son emploi, c'était sûrement mauvais signe pour lui. Elle savait très bien qu'il se sentait plus que redevable envers elle grâce à ça, mais elle espérait qu'un jour il se sentirait plus à l'aise avec elle, assez pour se détendre et se laisser un peu aller. Et peut-être qu'un jour, elle aussi, pourrait se confier à lui ... Peut-être. Elle espérait en secret que ce jour arriverait bientôt car elle en avait marre de devoir porter seule ce secret si lourd ... Elle voulait se soulager un peu la conscience, que quelqu'un sache qui elle était réellement, que quelqu'un comprenne mieux sa volonté de changer les choses et de faire évoluer le monde des sorciers. Peut-être que cela l'aiderait à trouver un peu de confiance en lui, de voir qu'avec de l'audace, du bagout et beaucoup de travail, on pouvait dépasser sa condition de Cracmol et qu'il ne fallait absolument pas se laisser marcher sur les pieds par les autres, pour la simple raison qu'ils possédaient des pouvoirs et pas lui. Au contraire, rien que pour ça, ils devraient être plus respectueux, plus agréables et savoir reconnaître la qualité de son travail ! Rien que de penser à ce genre de choses, elle sentait son sang bouillir dans ses veines et sa colère monter à grande vitesse. Heureusement, la bouille de son apprenti, souriant, l'aida à retrouver un peu de sa contenance et de son calme. S'il parvenait à rester aussi zen et à sourire en toute circonstance - ou presque - alors elle pouvait bien rester sereine et confiante en l'avenir. Alors pour ne pas lui donner l'impression d'être de mauvaise humeur, elle lui répondit avec un sourire aussi sincère que le sien.




Elle le vit se renfrogner un peu lorsqu'elle évoqua les clients désagréables et maudit un peu son manque de tact. On aurait presque dit qu'elle lui faisait un reproche détourné, alors qu'absolument pas ! Elle détestait au moins autant que lui ce genre de clients, mais ils en avaient malheureusement besoin s'ils voulaient être sûrs de faire prospérer la boutique et continuer à la faire connaître. Mais un jour prochain, ils n'en auraient plus besoin et elle serait plus que ravie de l'encourager à les mettre dehors à coup de pieds au cul. Comme pour tenter d'effacer ses paroles, elle tapota gentiment l'épaule de son apprenti, comme un geste de compassion.




Pendant à peu près une petite heure, le duo travailla et prit de l'avance sur les commandes qu'ils avaient reçu cette semaine. Corvus se débrouillait plutôt bien seul, ayant pris l'habitude de faire des potions malgré son absence de pouvoir et Siobhàn n'était pas peu fière de pouvoir dire qu'elle avait pu lui transmettre une bonne partie de ses connaissances. Peut-être qu'un jour, si elle investissait dans une seconde boutique, elle pourrait le laisser à la tête de celle-ci, qui sait ... Alors qu'elle allait lui proposer de faire une petite pause, un petit son de cloche se fit entendre, signalant l'arrivé d'un client en cette fin de matinée plus que froide. Relevant la tête, une mèche de cheveux devant les yeux, une tâche d’onguent sur la joue, elle n'hésita que très rapidement.

Et dire qu'à une lointaine période, quand elle avait ouvert sa boutique, elle avait souhaité employé un elfe de maison, habillé de vieux tissus, en pensant qu'elle pourrait au moins être agréable à une personne de façon institutionnellement parlant ... Mais finalement, avoir recruter Corvus était sûrement plus charitable, plus humain : tomber sur lui par hasard dans la rue avait été l'une de ses meilleures actions faites dans sa courte vie. Si elle parvenait un jour à lui transmettre sa passion pour les potions, alors tout serait parfait. Elle ne prévoyait pas de garder cette boutique toute sa vie durant et quand ses pas la mèneraient jusqu'au Ministère de la Magie, qu'elle prendrait place en tant que Ministre de la Magie, elle ne pourrait pas conserver la boutique, ou du moins elle ne pourrait pas s'en occuper tous les jours. Et si cela pouvait permettre à Corvus d'acquérir son indépendance, alors elle lui céderait volontiers. Mais pour cela, il fallait qu'il soit prêt à cela ... C'est en partie pour cela qu'elle le mettait autant en contact avec les clients, même si cela lui permettait aussi de les fuir : pour qu'il en ait l'habitude et qu'il prenne confiance en lui. Il avait beau penser qu'il avait tiré au sort une vie de malchance dans le chapeau de la destinée, elle était assez obstinée à lui prouver le contraire. Et elle était ravie de voir qu'il était prêt à lutter contre ceux qui souhaitaient le rabaisser, le mettre plus bas que terre.




Le travail avançait bien. Sio alla chercher dans leur armoire d'ingrédients une pincée de jus de cactus et de la poudre tirée d'un squelette de chevreuil pour compléter la potion d'Amplificatum qu'elle créait. Alors qu'elle terminait celle-ci et qu'elle feuilletait l'Encyclopédie des Potions qu'elle utilisait, un client se présenta dans la boutique. Corvus accepta d'aller s'en occuper, lui laissant le temps de se préparer. Elle attacha ses cheveux avec un élastique très flexible, se débarbouilla rapidement la figure et abracadabra, elle était de nouveau présentable. Elle avait confiance en son apprenti, mais cela avait l'air de s'éterniser ... Elle aurait aimé pouvoir jeter un sort d'Amplificatum pour pouvoir entendre ce qui se disait, mais malheureusement elle en était incapable. Alors elle prit son courage à deux mains et s'avanca dans l'avant de la boutique. Elle tomba alors sur un des clients les plus désagréables qui fréquentait l'endroit. A chaque fois l'homme était insultant et parfois même presque violent avec Corvus et cela la mettait hors d'elle. Elle fronça les sourcils et se glissa entre les deux hommes, comme pour protéger son jeune protégé.



Sans trop faire de manières, elle expédia la commande et le ficha presque à la porte. Elle se rapprocha ensuite de Corvus et lui prit gentiment la main, avant de le forcer à la regarder dans les yeux.




Elle n'avait jamais eu à vivre une situation aussi difficile que la sienne, mais elle compatissait sincèrement avec lui. Qu'y avait-il de pire entre devoir nier sa nature profonde, mentir à tous les gens dont elle était proche et être traité comme si on était moins que rien, pire que tout ? Au moins, elle avait la chance d'être considérée comme une personne à part entière, elle avait le droit d'exister, alors que beaucoup de gens refusaient même cela à Corvus ...

Corvus

Voir Corvus dans cet état lui brisait presque le coeur. Elle qui détestait voir les gens malheureux, l'injustice et des gens maltraités, elle était servi. Comment est-ce que des clients pouvaient encore se permettre ce genre de comportement alors qu'ils savaient très bien comment Siobhàn allait réagir ? Et dire qu'elle aurait pu connaitre le même genre de destin, le même genre de brimade, si sa famille n'avait pas trop de fierté mal placée pour admettre que parmi les Ó'Ceallaigh se cachait une Cracmol. Elle avait beau leur en vouloir et les blâmer pour avoir décidé de conserver pour eux une vérité d'une telle importance, elle ne pouvait que les remercier intérieurement pour leur acte. Elle avait beau avoir vécu une enfance très solitaire et renfermée, au moins elle avait été à l'abri de toutes les violences faites aux Cracmol dans ce monde si centré sur la magie. Elle détestait réellement les harceleurs dans le genre de ce client et aurait aimé être intervenue un peu plus tôt, pour éviter à son assistant de devoir une nouvelle fois vivre ce genre de chose horrible. Avec douceur, elle massa un peu l'épaule du jeune homme, tout en tenant de son autre main la sienne. Elle espérait que ces petits contacts chargés d'indulgence et de bienveillance l'aiderait à se détendre et à reprendre un peu contenance.

Après ses confidences, elle sentit son coeur se serrer. Elle avait tellement de peine pour lui ... Il méritait tellement que quelqu'un prenne soin de lui et lui montre à quel point il était digne et bien au dessus de ce genre de personne. Elle esquissa un petit sourire en comprenant à quel point il avait encore beaucoup de travail à faire avant de se sentir complètement libre et lui-même.




Elle sentait que c'était LE moment. Peut-être cela pourrait-il l'aider si elle lui confiait son secret et qu'elle lui montrait à quel point être Cracmol n'était pas un handicap ? Cela faisait 3 ans qu'ils travaillaient ensemble après tout, elle avait confiance en lui et elle pensait que cela serait une belle preuve de confiance si elle faisait le premier pas vers lui. Elle alla verrouiller la porte d'entrée et tourna le petit panonceau "Fermé", avant de retourner dans l'arrière-boutique à la suite de son jeune assistant. Hésitante, elle tenta de combler un peu le temps avant la révélation qu'elle allait lui faire. Elle prépara un peu de thé et leur en servit une tasse chacun, avant de le faire s'asseoir, en touillant avec sa cuillère de façon compulsive.