Friendly chat

“A mhac na galla !”
Le juron claque dans les cuisines du château. De colère, Alistair jette le journal dans la cheminée et le regarde s'enflammer, comme s'il espérait que le feu puisse détruire son emportement aussi facilement qu'il consume le papier.
La nouvelle a déjà de quoi froisser. Mais l'apprendre par la presse plutôt que par son amie ne fait qu'alimenter sa rage.
Irina s'est trouvé un nouveau prétendant.
Un certain Angus O'Ceallaigh.
Il se souvenait bien de l'homme en question, qu'il avait croisé quelques jours plus tôt, au lendemain de la soirée où il avait frôlé la catastrophe. Un homme aussi méprisant que méprisable, qui avait eu une remarque malheureuse sur sa propre soeur, au point que l'Ecossais s'était senti obligé de le remettre à sa place.
Et lui qui pensait que la Russe n'avait pu faire pire choix que cette tête-à-claques de Nightingal… Elle lui prouvait, comme toujours, qu'elle était pleine de ressources.
Capable de faire pire encore.
Mais qu'est-ce qu'il lui avait pris ?
Il n'y avait qu'un seul moyen de le savoir.
Café encore fumant à la main, le chef de clan quitte ses cuisines pour remonter dans les étages. Il se dirige droit vers son bureau et, sans un regard pour le fouillis ambiant – bien qu'il soit quelqu'un de très organisé, il n'a jamais réussi à être ordonné, mais tant qu'il s'y retrouve… - sort une plume et un parchemin avant de griffoner quelques mots à la hâte.
Il ne lui faut pas longtemps ensuite pour trouver le hibou de la famille et lui confier le message.
Le soleil pâle du nord commence à éclairer les côtes escarpées de l'archipel quand, finissant son café, il se décide à aller sortir le petit Lucàs du lit.
Encore une belle journée qui commence.

“Auntiiiiie !”
A peine Alistair a-t-il ouvert la porte du château que voici Lucàs qui court vers leur invitée. Il voudrait se jeter dans ses bras, mais la main de son père se place devant lui, l'arrêtant net. Le petit garçon comprend très bien le message sous-jacent, mais grimace quand même. Il se redresse alors dans une imitation incroyable de la tenue de son père, se tient droit, et esquisse un geste poli de la tête.
“Good e'en, Lady Slaviskova,”¹ corrige-t-il alors. Il jette un regard vers le haut pour croiser celui du chef de famille. Ce dernier hoche la tête, non sans un sourire en coin. Et une fois qu'Irina laisse voir ou entendre qu'il peut se comporter comme un enfant, et non pas juste comme un héritier, Lucàs vient chercher le câlin de l'amie de son père, ravi de la voir.
“Good e'en. Thank you for coming.”²
La porte se ferme et déjà le petit écossais tire la main de la Russe pour l'amener près du salon aménagé autour de la cheminée. Alistair observe la scène d'un air tendre et les suit, un peu en retrait.
“Je l'aime bien, celle là. Pourquoi tu l'as jamais demandée au mariage ?”
Oh non… Pas déjà, elle venait à peine d'arriver ! Le chef de clan tente une manoeuvre commune : l'esquive. Il essaie d'ignorer la Tante Hildegarde qui flotte à côté de lui, dardant Irina d'un regard appréciateur.
“She's right you know ! About your age, single, pure blood… And you get along !”
Ah bah voilà que l'Oncle Gregory, cornemuse en bandoulière, s'y met lui aussi.
“Go away.”³
Les deux spectres ricanent et s'éloignent sans demander leur reste, se promettant de revenir à la charge plus tard dans la soirée. Il arrive vers son hôte, observe Lucàs jouer les petits hommes et faire s'asseoir la belle dame avant de s'asseoir à son tour sur l'accoudoir de son fauteuil.
“Can you tell me a baba yaga story ? Pleeeeease !
- Lucàs, let the lady get comfortable… Fancy a wee dram, lassie ? Whisky ?”⁴
Ah bah oui, on est en Ecosse, hein…
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¹ Bonsoir, Lady Slaviskova.  
² Bonsoir. Merci d'être venue.
³ Elle a raison, tu sais ! De ton âge, célibataire, sang pur… Et vous vous entendez bien !
- Allez vous en.
⁴ Tu peux me raconter une histoire de baba yaga ? S'il te plaaaaait !
- Lucàs, laisse la dame s'installer… Tu veux un verre, jeune fille ? Du whisky ?

“Och Dad, pleeeeeaaase !”
A la proposition d'Irina, Lucàs s'est immédiatement tourné vers son père, les yeux brillants. Ce dernier hausse un sourcil, et répond avec le calme qui le caractérise :
“If you behave properly tonight, aye.”¹
Ah-a. Voyez l'habile manoeuvre ! Il n'en faut pas plus pour que le petit garçon saute de l'accoudoir du fauteuil pour aller prendre place dans un autre, correctement. Son petit kilt tourne autour de lui, au rythme de ses gestes, quand il redescend du fauteuil très promptement à la vue du petit paquet que sa Tatie lui a apporté. Il déchire le papier avec enthousiasme et laisse échapper un petit cri de joie quand il découvre la peluche !
“Thank youuuuuu !” s'exclame-t-il.
Il vient faire un baiser sonore sur la joue de la russe avant de retourner – une fois de plus – dans son assise pour commencer à parler à sa nouvelle peluche. Visiblement, il essaie de lui trouver un prénom. Difficile à dire, car il lui parle dans un mélange de gaélique, d'anglais et de français, un dialecte bien à lui que seul son père parvient à suivre.
Pendant ce temps, Alistair a attrapé une bouteille de Whisky Pur Feu posée sur le chambranle de la cheminée, fait apparaître deux verres d'un coup de baguette et les sert généreusement.
Et enfin, il s'autorise à s'installer face à elle, un oeil toujours porté sur son fils, de biais, pour s'assurer qu'il se tienne bien. Ils n'ont pas souvent des invités, et c'est une occasion en or pour l'inciter à appliquer ses leçons de bonnes manières à tenir en société.
“Not too bad. Things have been quite busy lately,” confesse-t-il. “Safety matters, as you can imagine. I'm not really willing the Deathwings to set foot onto my land.”²
Il pourrait aller dans le détail des mesures mises en place, mais ne s'y attarde pas. Irina a bien dû constater par elle-même, à son arrivée, qu'on ne pouvait plus transplaner devant le château mais qu'on arrivait désormais sur la plage, en contre-bas, où on vérifiait les identités.
“I hope the lads have not been to cavalier with you,”³ s'excuse-t-il d'avance de ce que son amie a pu subir en arrivant.
En espérant qu'elle comprenne la nécessité de telles mesures et n'en soit pas offensée.
“How about you ?” retourne-t-il la question en portant le verre à ses lèvres. Il boit une longue gorgée de whisky, apprécie la chaleur qui se répand dans tout son être.
Aaah, y'avait pas à dire, le Whisky Pur Feu apportait ce réconfort qu'on ne trouvait pas dans les whiskies traditionnels. Surtout qu'on avait participé à le brasser. Quoi que… Celui-ci était un seize ans d'âge, il était encore jeune quand la cuvée avait été préparée.
“Getting ready for a wedding, I read ?”⁴
Ce n'est absolument pas dans les habitudes d'Alistair de mettre ainsi les pieds dans le plat. Il est d'ordinaire plus subtil quand il s'agit d'obtenir des réponses à ses questions.
S'il fait ce choix, ce n'est pas par hasard – il n'agit jamais par hasard. Peut-être veut-il être certain qu'Irina n'essaiera pas de se soustraire à l'interrogation en la rendant directe.
Il ne comprend pas la décision qu'elle a prise. De tous les hommes disponibles dans ce pays, de tous les bons partis, il avait fallu qu'elle jette son dévolu sur cette ordure d'O'Ceallaigh.
Quand même !
Les goûts de son amie sont des plus contestables, tout de même. D'abord Nightingal, maintenant lui…
Il n'était pas sûr de ne pas préférer son nemesis de toujours, tiens.
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¹ Ooooh, Papa, s'il te plaaaait !
- Si tu te comportes correctement ce soir, d'accord.
² Pas trop mal. J'ai été pas mal occupé ces derniers temps. Des affaires de sécurité, comme tu dois t'en douter. Je n'ai pas vraiment envie de voir les Deathwings arriver sur mes terres.
³ J'espère que mes hommes ne se sont pas montrés trop cavaliers avec toi.
⁴ Et toi ? On se prépare à un mariage, de ce que j'ai lu ?

Il avait donc bien lu.
Elle comptait épouser ce type détestable.
Décidément, Irina avait le chic pour s'enticher du pire type d''homme possible. L'Ecossais savait très bien, sans même poser la question, que ce mariage était arrangé. Ce n'était pas possible autrement, puisqu'il savait qu'elle était éprise d'un autre.
Qu'il n'approuvait pas forcément davantage. Mais au moins, pour l'autre, elle avait de véritables sentiments.
Vous le sentez, l'amour d'Alistair pour ce genre d'arrangements ?
Conscient que la bombarder de questions de but en blanc directement – comme il crevait d'envie de le faire – n'aiderait pas à démêler le noeud, il reste patient, verre de Whisky Pur Feu à la main, et l'observe. Il l'observe prendre son temps pour choisir ses mots, reposer sa boisson, reprendre sa respiration.
Et enfin répondre de façon plus détaillée.
Quoique, si on pouvait appeler ça détaillé.
Le chef de clan attend une suite en buvant une nouvelle gorgée, suite qui ne vient pas. Il fronce alors les sourcils et cède à la remarque qui lui brûle les lèvres.
“A talk ? What on earth could he have told to make you choose… That ?”¹
Le ton méprisant et le choix de mot pour désigner son promis était très éloquent. On remarquera que, pour le moment, le maître des lieux se retient d'insulter ouvertement Nightingal, quand bien même l'envie le tiraille. Il y a tout un tas de qualificatifs qui lui viennent pour le désigner. Il se limitera pour le moment à il, par respect pour son amie.
On va voir combien de temps il tient.
“Arranged marriage…” Comme souvent, quand il se laisse déborder par ses émotions, son accent s'affirme davantage. Il roule ses r, zappe ses diphtongues, allonge ses voyelles. “I canna see why you'd do that. You're a strong independent lass, you dinna need a man in your life. Let alone one you have no affection for.”²
Notons qu'il ne parle pas d'amour.
Il est bien placé pour savoir que, dans leur milieu, on ne parle pas d'amour quand on parle de mariage, ou alors rarement. Il avait eu l'outrecuidance de mélanger les deux ; il avait cru qu'avec les années, ça avait été accepté. Il avait découvert à ses dépends que certaines personnes, notamment sa mère, ne l'avaient jamais complètement avalé.
Mais qu'il y ait au moins quelque chose !
De l'affection, ça lui semblait un minimum ! Un peu de complicité ! En l'occurence, du peu qu'il avait vu de ce type, il n'était que mépris et arrogance. Le genre qui ne considérerait pas le trésor que pouvait être Irina à la hauteur.
Comment pourrait-elle le supporter ? Ils finiraient comme beaucoup de couples de leur rang, à faire chambre voire demeure à part. Quel intérêt ?
Il ne comprenait pas ce choix.
Pour l'argent ? Elle n'en avait pas besoin. Ce serait plutôt à lui de courir après la fortune de la Russe.
Pour le prestige ? Le nom de Slaviskova n'en avait pas besoin. Il ne la voyait pas prendre le nom irlandais et abandonner le sien, de toute façon.
Alors quoi ? Pour se conformer à un idéal social ? Il la pensait au dessus de ça.
Non, il ne comprend pas. Sans doute parce qu'il oublie un détail important, une différence essentielle entre eux.
Cette même différence enfoncée dans son fauteuil et occupée à parler à son dragon en peluche.
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¹ Une discussion ? Mais que diable pourrait-il te dire pour te faire choisir… ça ?
² Un mariage arrangé… Je ne vois pas pourquoi tu ferais ça. Tu es une femme forte et indépendante, tu n'as pas besoin d'un homme dans ta vie. Encore moins un pour lequel tu n'as pas d'affection.

Alistair renifle l'air d'un air dédaigneux. Il n'a jamais eu d'affinités avec l'aîné des Nightingal. Il n'est pas surpris d'apprendre que sa relation avec Irina n'avait été qu'une mascarade. Il s'était joué de la belle russe et de la naïveté de sa jeunesse. Il n'en aurait pas moins attendu de lui. Il avait toujours été particulièrement insupportable, avec un mauvais fond et une tendance bien trop marquée à baigner dans des manigances mal avisées.
Et puis quand on savait la façon dont il l'avait plantée…
Tss. Une attitude indigne d'un gentleman. Dire qu'il était sensé être de bonne famille ! Quelle éducation avait-il reçue ? Il n'avait même pas eu le courage de la regarder en face.
Vous le sentez, le mépris ?
Alors quand elle affirme qu'il tient à elle, le chef de clan ne parvient pas à retenir un grondement rauque, d'une incroyable éloquence. Il en doute grandement. Il a juste passé de la pommade pour l'épargner, pour éviter qu'elle revienne vers lui, qu'elle insiste. Ça ne peut être le signe de quelconques égards pour elle.
Il ne compte évidemment pas partager ses pensées avec son amie. Elle sait son opinion sur la question, il ne veut pas l'enfoncer davantage. Il connaît ses sentiments pour lui, à défaut de les comprendre, et préfère la laisser croire qu'il tient à elle plutôt que d'insister pour lui faire comprendre à quel point c'est un abruti qui ne la mérite.
Alors qu'il serait le premier à dire que le mérite n'a rien à faire dans une histoire de coeur.
L'amour ne s'explique pas. Il est bien placé pour le savoir. Comment lui en faire le reproche ?
Le seul fautif, à ses yeux, c'est Nightingal. Il aurait pu accepter un mariage entre lui et Irina, malgré son profond désaccord. Au moins, elle aurait pu être connaître le bonheur de voir son amour se concrétiser.
Mais là…
Là !
Angus O'Ceallaigh ? Certainement pas. Il préférerait encore l'autre. Il ne gardait pas de souvenir de lui à Poudlard, mais du peu qu'il en avait vu, il avait compris très rapidement qu'il ne valait pas mieux qu'Ash.
Là où il a, d'un signe sec de la tête, accepté de ne pas partir en croisade contre son vieux rival, il ne peut pas cacher son désaccord encore plus profond pour le mariage qui vient d'être décidé.
Il veut comprendre ce qui l'a poussée à accepter une telle chose.
Car non, il n'approuve pas son choix. À la fois à cause du fait que ce soit arrangé alors qu'elle est toujours très amoureuse… Et parce que l'homme avec lequel elle doit se lier par des liens sacrés est un sombre connard.
Alors il veut comprendre.
Pourquoi ce besoin ? Elle qui a tout, qui n'a besoin de personne ?
Il suit sur son regard alors qu'elle explique avoir encore besoin de l'essentiel.
Et comprend alors quand ses yeux se posent sur le petit garçon. Il se rebrunit alors, comme une huître qui se referme. Bien sûr qu'il comprend ce besoin. Lui-même avait ressenti ce besoin, par le passé, pendant les longs mois où Charlotte et lui avaient tenté de le concevoir.
De là à accepter qu'elle en fasse un avec le premier venu…
“And you're ready to have a bairn with the first lad asking for your hand ?” laisse-t-il échapper entre ses dents. On voit à ses mâchoires serrées la colère qui pulse dans ses veines. En présence de son amie, il tombe en partie le masque et se montre plus expressif qu'avec le tout venant. “I'd give you one myself if that's all that matters to ye !”¹
Il s'emporte et parle plus fort qu'il ne le voudrait, ponctuant sa phrase d'un geste du bras. Lucàs, interrompu dans son jeu par le ton de son père, relève les yeux. Contre toute attente, c'est la Tante Hildegarde, qui est toujours dans les environs et écoute attentivement l'échange en faisant mine d'y être indifférente, qui l'enjoint à aller jouer ailleurs et à laisser les grandes personnes parler, dans un français un peu désuet. L'enfant s'éloigne, bien qu'il n'ait qu'une envie : demander, justement, comment on fait les bébés.
Tout est à parier qu'il garde sa question pour plus tard. Il le demandera pendant le repas, Papa est toujours plus ouvert à répondre à ses questions quand il a le ventre plein.
“Maybe I should've proposed ye !” finit-il par grogner, amer. “At least I would've been sure you'd have someone that esteems you for what you are by your side.”²
Un beau compliment.
Ronchonné, certes.
Mais compliment quand même.
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¹ Et tu es prête à faire un enfant avec le premier homme à demander ta main ? Je t'en ferais un moi-même si ce n'est que cela ! (bairn = enfant, petit enfant, en anglais écossais)
² C'est peut-être toi que j'aurais dû demander en mariage ! Au moins, j'aurais été certain qu'à tes côtés se tiendrait quelqu'un qui t'estime à ta juste valeur.

C'est précisément parce qu'il est son ami qu'Alistair en vient à proposer cela. Pour lui éviter d'avoir à céder son honneur à un homme qui ne saurait pas prendre soin d'elle, qui la posséderait comme on possède un objet, et qui la contraindrait à un soi-disant devoir conjugal dont elle n'aurait aucunement envie.
Tout ça pour un enfant ?
Alors oui, il préférerait le lui faire lui-même. Homme de parole, il ne la laisserait pas l'élever seule. Et il est parfaitement sérieux dans ce qu'il affirme : il est prêt à épouser Irina s'il le faut. Lui ? Sa vie future ? La possibilité qu'il puisse retomber amoureux ?
Il en est loin. Il ne se voit aujourd'hui pas aimer une autre que Charlotte. Elle avait été le centre de sa vie pendant des années. Alors il en est au même point que son amie : s'il doit en rester au seul amour qui avait fait battre son coeur, autant céder à la contrainte sociale avec une personne à laquelle il tenait.
Ça lui éviterait d'épouser une jeune fille dans la fleur de l'âge, de gâcher sa vie en l'empêchant de connaître l'amour comme lui l'avait connu. Elle pourrait au moins faire les expériences qu'il convient de faire à cet âge-là, sans être contrainte par les conventions, enfermée sur un archipel dont elle ne savait rien.
“Because you think I was the one that decided to get engaged ?” réplique-t-il, non sans amertume. “I have not been making a single decision about my own life for the past two years.” Il jette un regard à la Tante Hildegarde, qui a relevé la tête vers lui de façon plus franche, comprenant qu'il s'adressait notamment à elle. “Apparently, other people know what would suit me best.”¹
Le spectre redresse fièrement le menton.
“Vous ne pouvez pas rester seul toute votre vie, mon neveu. Avoir une femme à vos côtés vous fera le plus grand bien.” Elle abandonne le petit garçon qui ne se rend pas compte de son absence, pris dans son histoire. Elle flotte jusqu'aux deux adultes vivants, sonde Irina de ce regard qu'on lui connaît bien. Elle la scanne de la tête aux pieds avec un manque évident de pudeur. “Mais j'approuve le choix que vous faites,” poursuit-elle sans le regarder une seule fois. Elle regarde la Russe droit dans les yeux, un sourire aux lèvres. “Elle est de bonne famille et de bonne constitution. Elle pourra assurer une descendance digne des MacFusty.”
Un sifflement méprisant passe entre les lèvres du chef de clan.
“Il serait temps que vous appreniez à cesser de prendre toutes les femmes de mon entourage pour des poules pondeuses, ma Tante,” persifle-t-il avec humeur. “Laissez nous. Et ne revenez pas.”
La vieille française se tourne enfin vers lui et le darde d'un regard désapprobateur. Mais elle n'insiste pas et, dignement, s'envole vers les étages. Qu'importe : Gregory viendra espionner les deux jeunes et lui dira bien ce qu'il en retourne.
Alistair, pendant ce temps, se pince l'arête du nez pour reprendre son calme.
“Sorry about that. As you can see, my family has been deciding for me for past months. My engagement is just another decision I was imposed. I'll have no scrupules about breaking up my engagement if it's for you.”²
Il plante ses yeux droit dans ceux de la jeune femme.
Droit dans ses bottes, comme toujours.
“And I mean it.³
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¹ Parce que tu penses que je suis celui qui a décidé de ces fiançailles ? Je n'ai pas pris la moindre décision sur ma façon de vivre ma vie depuis les deux dernières années. Apparemment, d'autres savent ce qu'il y a de mieux pour moi.
² Désolé pour ça. Comme tu peux le voir, ma famille a pris les décisions pour moi ces derniers mois. Mes fiançailles ne sont qu'une décision de plus qu'on m'a imposée. Je n'aurais aucun scrupule à rompre mes fiançailles si c'est pour toi.
³ Et je suis sérieux.

Ce que penserait Artémis ?
Il faut dire qu'Alistair l'a un peu écartée de l'équation. On ne va pas se mentir : il s'en fout un peu. Non pas qu'il ait aucune affection pour la jeune femme, loin s'en faut. Mais il a cru comprendre qu'elle ne désirait pas plus s'engager que lui, et qu'ils subissaient tous les deux les décisions de leurs familles respectives.
Il glisse un doigt sur son alliance, la faisant tourner d'un geste nerveux. Irina touche un point sensible. Il ne veut pas mettre la toute jeune adulte dans l'embarras, quand bien même n'hésitera-t-il pas à le faire s'il l'estime nécessaire. Et sur son échelle des priorités, Irina passait avant la petite française.
Une fois marié, cela changerait, évidemment, honneur oblige. Mais en attendant…
Rien n'était fait.
Il finit donc par hausser les épaules avec une indifférence feinte, sans cesser de tripoter son alliance. Il acquiesce également quand elle lui fait remarquer qu'une parole est une parole, et qu'elle n'est pas femme à se parjurer.
En effet.
Du coin de l'oeil, il aperçoit, comme son amie apparemment, l'Oncle Gregory qui est venu prendre la relève de sa femme. Le laird sent la colère commencer à méchamment le titiller. Ces spectres lui couraient gentiment sur le haricot. Il allait finir par en bannir un pour l'exemple, histoire de calmer la meute. Ils lui flanqueraient peut-être enfin la paix.
Sa chance avait été que sa femme, moldue, soit incapable de les voir.
“'Tisna about forcing me into doing something. I am offering you a way out.”¹
Il n'en démords pas, on dirait. Histoire de coller encore et toujours au cliché, on pourrait dire qu'Alistair est têtu comme un écossais. Une fois qu'il a une idée en tête, il ne l'a pas ailleurs.
Et là, elle a l'air de s'être bien fichée. Il faut avouer qu'elle a de quoi séduire : ils échappaient aux obligations, choisissaient eux-mêmes sans être forcés, et savaient pertinemment qu'ils pouvaient tout à fait être heureux ensemble.
Une amitié solide existait entre eux. Sans parler d'amour, la cohabitation pouvait très bien fonctionner.
“I'm offering you the possibility of getting what you wish, what you need without having to renounce your name, nor your pride.” Parce qu'il ne doute pas que vivre avec ce O'Ceallaigh ne serait pas une sinécure. “And again : I do not accept the possibility of you being with a lad that'll show you no respect and that's only interested in your blood.”²
Même sa beauté, il ne saurait pas l'apprécier à sa juste valeur.
“Himself, dinner is served.”³
Alistair se tourne brutalement vers la voix qui vient de s'adresser à lui. Une femme de la quarantaine, replète et au visage souriant faire venir du bout de sa baguette plusieurs assiettes généreusement garnies sur la long table de chêne qui trône plus loin dans le hall.
Lucàs, obéissant au signal, se lève d'un bon, peluche sous le bras, et court se laver les mains sans qu'on ait besoin de le lui dire – il n'oublie pas la promesse de son père. Ce dernier se lève en hochant la tête.
“Mòran taing, Maggie,” remercie-t-il. “Shall we ?”⁴
Il invite Irina à se lever à son tour et la laisse le précéder à table. Lucàs revient en trottinant, les mains encore mouillées et file droit vers une chaise.
En bout de table, c'est la place de Papa. À sa gauche, c'était la sienne. À droite, celle des invités. À la gauche du petit garçon, c'était la place d'Aoife MacFusty, à qui on – qui, allez savoir – avait fait gentiment comprendre qu'il serait de bon alois qu'elle soit absente ce soir.
Bref. Lucàs tire la chaise prévue pour Irina, non sans gestes maladroits et en la faisant traîner par terre, puis la regarde avec un grand sourire, duquel il manque une incisive.
“Lemme help you, Milady !”⁵ claironne-t-il, fier comme Artaban.
Petit poussin.
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¹ Il ne s'agit pas de m'imposer quelque chose. Je t'offre une porte de sortie.
² Je t'offre la possibilité d'obtenir ce que tu désires, ce dont tu as besoin sans avoir à renoncer à ton nom ou à ta fierté. Et une fois encore : je n'accepte pas de te voir partir avec un homme qui ne te témoignera aucun respect et qui n'est intéressé que par ton statut de sang.
³ Monsieur, le dîner est servi.
⁴ Moran taing, Maggie. Allons y.
⁵ Laissez moi vous aider, Milady !

“Of course I am.”¹
Alistair a marmonné sa réponse plus qu'autre chose. Il n'est pas du genre à dire les choses à la légère. Même s'il se lance là dedans avec une réflexion digne d'un Gryffondor, il n'en est pas moins homme de parole. Que cette situation devienne délicate à gérer ? Il ne l'envisage pas.
Ses relations avec Ash Nightingal ? Déjà trop tendues pour être améliorées. Il faudrait un miracle pour qu'un jour ces deux là s'entendent. Ou peut-être juste des circonstances adéquates ?
Ses fiançailles avec Artémis de Beaumont ? Un détail. Il n'avait jamais caché sa répugnance à épouser une femme qu'il considère comme une gamine et, s'il la respecte et éprouve une certaine affection fraternelle pour elle, ne se voit pas voler sa jeunesse. Et il n'a pas encore songé au fait qu'un mariage, traditionnellement, ça se consomme ! Brr, il aurait l'impression de commettre un acte pédophile.
Ses potentielles futures relations amoureuses ? N'en parlons pas, il n'y pense même pas. Il est incapable de se voir avec une autre femme que Charlotte à l'heure actuelle.
Alors finalement… Pourquoi pas ?
Sa proposition était d'une froide logique. Si cette approche stratégique était à la fois parfaitement prévisible de la part d'un homme comme Alistair… Et complètement inattendue. Lui qui avait géré ses affaires de coeur avec une spontanéité et une passion dévorante jusqu'ici, le voir y renoncer pour écouter sa raison était déroutant.
Heureusement qu'Aoife n'est pas ici ce soir, elle n'en aurait pas cru ses oreilles.

Pendant ce temps, Lucàs a aidé la lady à s'installer et court à sa propre place, s'installe, le dos droit, impatient de découvrir le contenu de son assiette.
Sur la table, dont le laird a pris la tête comme à son habitude, plusieurs plats ont été disposés. L'hiver ayant étendu son grand manteau blanc depuis un moment déjà, il faut faire avec les légumes racines. Purée de légumes, salade composée, roasted potatoes et gigot d'agneau, les MacFusty n'ont pas fait dans le pompeux et le tape-à-l'oeil. Irina est une amie et n'a pas besoin d'être impressionnée.
Et puis, il faut dire qu'ici, on a un sens très particulier du service. Faute d'elfes de maison, c'est Maggie qui fait tourner les cuisines, aidée par d'autres quand on tient une réception plus importante que de coutume. Le service à table est également réservé pour les grandes occasions. Là, c'est plus traditionnel.
Le petit MacFusty trépigne et lorgne clairement sur les pommes de terres, dorées à souhait. Il faut rappeler que la recette traditionnelle veut qu'on les fasse cuire dans de la graisse d'oie, pour permettre la dorure…
D'autorité, Alistair sert son fils : généreux en légumes, salade et purée, plus mesuré en viande et en pommes de terre. Lucàs tente de le convaincre de lui donner un peu plus de patates, il reste intransigeant : qu'il finisse son assiette, avant d'en réclamer davantage.
“Help yourself, lass,”² invite-t-il. Il ne se servira qu'en dernier, quand il sera sûr que son amie a de quoi se sustanter. En attendant, une bouteille de vin a été débouchée, sans doute un vin français choisi par la Tante Hildegarde et les verres ont été remplis.
Et puis enfin il se sert à son tour, généreusement. C'est qu'il faut le nourrir, un aussi grand gaillard !
Le silence tombe. Les deux adulte sont probablement chacun plongés dans leurs pensées, leurs réflexions. Les implications des choix qui s'offrent à eux.
Lucàs n'a pas l'air d'aimer ça.
Alors il décide de lancer un pavé dans la mare en posant la question qui lui brûle les lèvres depuis l'arrivée d'Irina.
“Dad, Auntie… Where do babies come from ?”³
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¹ Evidemment que je suis sûr !
² Sers toi, jeune fille.
³ Papa, Tatie… Comment on fait les bébés ?

Alistair suspend son geste quand il entend la question de son fils, interdit.
Il savait que, tôt ou tard, le petit garçon voudrait comprendre le miracle de la vie. Il avait bien remarqué que les humains ne pondaient pas d'oeufs. Et il avait dû entendre des bribes de la conversation des adultes, même sans y faire très attention.
Il ne met pas longtemps à reprendre contenance et à poursuivre son repas, imperturbable. Irina, elle, est bien plus embarrassée visiblement. Il voit les signaux de détresse qu'elle lui lance, les joues rosies. L'adolescent en lui se réveille, et il décide de la laisser se dépatouiller un peu avant de lui venir en aide.
Elle tente de noyer le poisson, mais ça ne marche pas.
Lucàs est écossais, et c'est le digne fils de son père : il ne lâchera pas l'affaire aussi facilement.
“Aye ! So ?”¹
Le chef de clan ne peut retenir un petit ricanement amusé. Il prend tout son temps pour finir de mâcher sa bouchée, observant alternativement son amie, puis son fils. Et finalement, après avoir attendu de longues secondes, il se décide à prendre la parole :
“When a lad and a lass love each other very much, they cuddle, and then… They can make babies.”²
Il répond avec ce calme olympien qui le caractérise, absolument pas perturbé par la situation. On aurait dit qu'il s'y était préparé. Il faut dire qu'à l'âge qu'a Lucàs, ça devait arriver tôt ou tard. Il faut croire qu'il l'avait anticipé. En tout cas, le petit garçon semble se contenter de l'explication, sourcils froncés, et hoche la tête.
“Can I have some more potatoes Dad ?
- I said no. Finish up your plate.”³
Le petit fourbe ! À ainsi détourner l'attention pour obtenir ce qu'il faut. Mais encore une fois, son père reste intransigeant, et durcit le ton. Il n'aime pas la tactique. L'enfant l'a bien compris, puisqu'il baisse la tête en boudant  à moitié, chipotant avec sa purée pour éviter d'avoir à la manger.
“I, of all people, understand your needs,” ajoute-t-il à l'intention de son ami. Il revient sur la conversation précédente, profitant de l'inattention de l'enfant à ses propos – puisqu'il préfère marmonner devant son assiette. “But be sure of yourself. Having a wean is no whim. Not that I'm comparing you to a bairn, of course, but it's a full-time job.”⁴
Elle s'en doutait probablement, il ne le remettait pas en question. Mais il savait très bien où il allait avec son argumentation.
“It's also a team job.” Là, on voit où il veut en venir. Petit à petit. “Raising him on my own isn't easy. If I didn't have help from my mother or from Moira, I wouldn't be able to assume both his education and my duties.”⁵
Il pose sa fourchette, tend la main pour la poser sur l'avant-bras d'Irina, plus sérieux que jamais.
“The choice is all yours, lass, and whatever you decide, I'll stand by your side to the best of my abilities. But do remember that : your husband cannot just be a stallion. He will be your partner.”⁶
Il était bien placé pour le savoir. Deux partenaires proches et sur la même longueur d'onde se déchiraient tôt ou tard sur l'éducation de leur enfant. Sur des détails, parfois, si la méthode à suivre, sur des fondamentaux plus essentiels. Alors comment faire quand on n'était pas en accord, quand les relations étaient déjà inexistantes ?
Voulait-elle risquer d'avoir un enfant tiraillé, torturé par la relation entre ses parents ?
Un enfant qui chercherait continuellement sa place ?
Car il a bien compris que le noeud du problème est là : ce n'est pas le mariage, mais l'enfant qu'elle espèrevoir arriver qui est essentiel.
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¹ Oui ! Donc ?
² Quand un homme et une femme s'aiment très fort, ils font un gros câlin et… ça fait un bébé.
³ Je peux prendre des pommes de terre, Papa ?
- J'ai dit non. Finis ton assiette.
⁴ Je comprends mieux que beaucoup ce besoin que tu ressens. Mais sois sûre de toi. Avoir un petit ne doit pas être un caprice. Non pas que je te prenne pour une enfant, mais c'est un travail à plein temps.
⁵ C'est aussi un travail d'équipe. L'élèver seul n'est pas simple. Si je ne bénéficiais pas de l'aide de ma mère ou de Moira, je n'arriverais pas à mener de front son éducation et mon devoir.
⁶ Le choix est tien, jeune fille, et quoi que tu choisisses, je me tiendrai à tes côtés du mieux que je le pourrai. Mais souviens-toi d'une chose : ton mari ne peut pas juste être un géniteur (stallion = littéralement un étalon). Il doit être ton partenaire.

Elle a conscience qu'avoir un enfant n'est pas une lubie, et il n'en doute pas. Il lui semblait pourtant important de le lui rappeler. Le laird comprend bien le besoin qui peut tirailler les entrailles de son ami. Combien de fois avait-il entendu cette remarque, autour de lui, chez des femmes entre vingt-cinq et trente ans ? Charlotte elle-même avait ressenti, de plus en plus, ce besoin. Au point où, peu avant sa mort, ils avaient parlé d'en faire un deuxième. Ils avaient même déjà commencé les essais – si vous voyez ce que je veux dire. Et si elle avait été enceinte, au moment de l'accident ? Il n'avait pas demandé au médicomage qui avait fait rapatrier le corps. Il avait préféré ne pas savoir.
Si en plus de sa femme, il avait perdu leur enfant à venir, il n'aurait jamais pu s'en relever.
Cette conversation réveille de mauvais souvenirs. Il lui faut pourtant passer par là s'il veut éviter le désastre à son amie russe.
Souvenirs balayés d'un coup par cette dernière lorsqu'elle pose une question qu'Alistair n'aurait jamais pu anticiper. Il en suspend son geste et la dévisage comme s'il ne l'avait jamais vu, fourchette à mi-chemin entre sa bouche et son assiette, lèvres encore entrouvertes. Il ne lui faut qu'une seconde pour se reconstituer un visage impassible, mais la surprise s'y est lue avec une facilité déconcertante.
Angus O'Ceallaigh, un bon père ?
Elle ne pouvait pas être en train de lui poser une telle question.
“Do you want me to answer honestly, or to tell you what you wish to hear ?”¹ répond-il dans ce qui ressemble à un grognement mécontent.
On le comprend. Une telle interrogation n'est clairement pas anodine. Il ne doute pas, en outre, qu'elle se soit déjà fait un avis sur la question. Sans doute ce dernier ne lui convient-il pas, d'ailleurs, sans quoi elle n'aurait pas posé la question.
“I dinna think so. To him, you'll be a trophee, and the child, his heir you'll have the pleasure to raise on your own.” Il est impitoyable. Aucun tact. “I barely ken him, though. But of what I saw… It's just a question of status to him. Getting married, having an heir. No matter what it implies, even if you should die in childbirth.”²
On sent tout le mépris que l'homme lui inspire dans le ton de sa voix, dans l'accent qui s'exprime plus librement encore que d'ordinaire. Les échanges professionnels qu'ils ont eus, la façon qu'il avait eue de parler de sa propre soeur… Difficile, d'ailleurs, d'imaginer que ces deux-là puissent être apparentés, tant ils étaient différents.
Elle lui avait donné l'impression d'être si douce, si ouverte aux autres, là où lui n'était que mépris et égoïsme.
“This kind of lad doesna care about people. To him, they're just means to achieve his ends.”³
Certes, ils ne se connaissent que très peu, mais Alistair parle avec assurance. Il a toujours eu cette facilité à cerner les autres, grâce à son talent d'observateur. Et le langage corporel de cet homme lui avait fait froid dans le dos.
Même Ash Nightingal lui semblait moins détestable. Lui, au moins, le chef de clan le pensait capable de prendre soin d'une femme, ne serait-ce que par devoir.
Ce qui n'était probablement pas le cas du fiancé d'Irina.
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¹ Tu veux que je te réponde franchement, ou que je te dise ce que tu as envie d'entendre ?
² Je ne pense pas. Pour lui, tu ne seras qu'un trophée, et l'enfant un héritier que tu auras le plaisir d'élèver toi-même. Je le connais peu, cela dit. Mais de ce que j'en ai vu… Ce n'est qu'une question de statut, pour lui. Se marier, avoir un héritier. Peu importe ce que cela impliqué, quand bien même devrais-tu mourir en couches.
³ Ce genre d'homme ne s'inquiète pas des autres. Pour lui, ils ne sont qu'une façon de parvenir à ses fins.

Quand Irina fait remarquer qu'Angus voudra à tout prix un héritier mâle, Alistair ne peut qu'approuver. Enfin, il émet un long grondement mécontent qui ressemble à une forme d'acquiescement. Bien sûr que c'était ce qu'il attendrait de sa femme. Encore une de ces vieilles familles traditionnelles au schéma patriarcal…
Le chef de clan, quant à lui, peut se targuer d'avoir une approche plus ouverte. Si lui-même suit, plus ou moins inconsciemment, les schéma d'une société bien trop tournée vers la domination masculine, les vieilles traditions écossaises sont ancrées dans le microcosme de son clan. Peu le savent, mais les clans écossais ont longtemps été paritaires, certains ayant même eu des femmes à leur tête sans que cela ne gêne personne. L'influence extérieure a, bien évidemment, mis ces vieilles traditions à mal. L'influence de la Grande Île, l'influence du continent. Toutefois, les vieux mécanismes perdurent.
Et le profond respect pour les matriarches demeure.
Même si parfois, l'envie titille Alistair de mettre sa mère dehors.
Le MacFusty, en revanche, ne serait pas du genre à s'offusquer du sexe – ou du genre – de son enfant. Bien sûr, découvrir que Charlotte avait donné naissance à un petit garçon avait apporté un certain soulagement, quant à l'assurance d'un héritier solide. Aurait-elle mis au monde une petite fille que cela n'aurait pas entamé le bonheur du jeune père, ni du clan.
N'aurait-il pas adoré avoir une petite tête bouclée sur les genoux ? Ne vous méprenez pas : Alistair aime son fils plus que tout au monde et ne regrette sa naissance pour rien au monde. Mais il ne dirait pas non à une petite soeur pour lui, par exemple.
Peut-être, finalement, peut-il trouver son compte dans cette histoire.
“Of course it wilna,”¹ tranche-t-il rapidement, sans un accroc dans la voix. Il est sûr de lui. Mais ne va pas plus loin, pose les yeux sur son petit garçon qui a enfin cédé et fini son assiette de purée. “You may be excused laddie. I'll call ye for dessert.”²
Lucàs hausse les sourcils, un peu surpris, et ne se fait pas prier. Il clame un Thanks Dad ! avant de filer, peluche sous le bras. Sans comprendre qu'il s'est fait congédier pour ne pas assister davantage à la discussion entre les deux adultes, quand bien même n'écoutait-il pas vraiment.
Contrairement à la Cousine Emily, assise sur la rampe du grand escalier.
“I canna promise that there will be no… Akward moments, of course,” précise-t-il finalement. Il n'a sans doute pas besoin d'aller dans les détails. Cette fois, on voit qu'il prend des pincettes. Il connait la position de son amie quant au mariage. Et si elle veut un enfant… Il faudra forcément passer par certaines choses. “But I dinna intend to be any different from the man you already know. There would be a few bumps on the way, but… That's what being married is all about.”³
Philosophe, finalement.
Et puis, elle le connait. Elle connait son caractère, ses qualités, ses défauts. Son côté réservé, sa tendance à ne pas se confier, ou à donner des conseils que lui-même ne suivrait pas – n'est-ce pas.
Alors finalement, elle saurait tout à fait dans quoi elle s'engagerait. Et lui aussi.
Froidement, selon toute logique, le choix est simple.
Mais ce n'est jamais la logique qui dicte les choix. Quand il s'agit d'émotions, de sentiments, c'est toujours plus compliqué.
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¹ Bien sûr que non.
² Tu peux sortir de table, bonhomme. Je t'appellerai pour le dessert.
³ Je ne peux pas te promettre qu'il n'y aura aucun moment… Embarrassant, bien sûr. Mais je ne compte pas être un homme différent de celui que tu connais. Il y aurait forcément quelques obstacles sur la route mais… C'est ce que le mariage implique.