Au nom de la Recherche [Leen]

Pour une fois, Isleen est à l'heure.
Il convient de le souligner, car elle brille rarement par sa ponctualité. Est-ce le besoin de voir sa directrice de recherches ou l'importance du rendez-vous qui la poussent à arriver si tôt ? Ou bien est-ce parce qu'elle sait qu'Irina va l'accueillir avec de quoi remplir son insatiable estomac ?
Ce n'est pas pour autant que la Gryffondor a estimé nécessaire de sauter le goûter – qui fut, évidemment, gargantuesque – ou de décaler le dîner – qui devait avoir lieu à vingt heures tapantes, sans quoi elle devenait instable et ne pensait plus qu'à emplir son ventre de mets divers.
Une heure trente était donc face à elle pour s'entretenir avec la Russe. Ce devrait être suffisant, non ? Elle n'était pas sûre que la petite collation qu'on lui servirait, à n'en pas douter, lui permettrait de décaler son repas.
La jeune fille, sac battant la hanche, parcourt les couloirs à pas rapides. La fiole, pendue autour de son cou, auréole d'une lueur dorée contre sa gorge. Ses talons claquent dans le couloir au rythme de ses pas.
La voici qui prend un virage pour s'enfoncer dans un couloir, bouscule sans scrupule un groupe d'étudiantes de première année sans s'arrêter, et, enfin, arrive à la hauteur du bureau qui devait l'accueillir.
Un coup d'oeil sur l'heure.
Elle est pile à l'heure, halleluja.

Elle tape alors deux coups secs à la porte pour faire savoir qu'elle est arrivée et s'exécute quand on l'autorise à entrer. Immédiatement, une douce odeur la prend au nez, et Isleen remarque immédiatement les douceurs et boissons chaudes qui l'attendent.
Elle n'aurait pas pu choisir meilleure directrice de recherches.
La jeune femme s'installe confortablement, veille à adopter une posture décente – on n'est pas chez Panpan ici.
“Very well, thank you. Yourself ?”¹  répond-elle poliment.
Elle attrape la boisson chaude qu'on lui propose, en respire les volutes avec plaisir.
Non, décidément, elle avait bien fait de demander à Miss Slaviskova et non à Mr Nightingal. Chez lui, elle n'aurait jamais eu droit à la boisson chaude et aux petits gâteaux. Ça valait bien le sacrifice sur son expertise en matière de sortilèges, non ?
“Well… A lot of things have happened since last time we saw, Miss.”²  Elle hoche la tête comme si cela pouvait amener à quelque chose et pose sa tasse sur un coin du bureau – avec un naturel déconcertant, on remarquera – pour se mettre à fouiller dans son sac. Elle en sort une liasse de parchemins et un carnet de notes, ainsi qu'une plume chiffonnée – sa Plume à Papote.
“As you already know, I've managed to establish a protocol to distil Alohomora and Wingardium Leviosa. I was working on another basic spell, and couldn't work it out. I spoke about it with a fellow student, and from that, I decided to start working on the Disillusionment Charm, and it's been promising so far. The problem is… ” La jeune femme s'interrompt, pèse ses mots. Elle sait ce qui se joue, et ne voudrait pas qu'on lui refuse ses expériences à cause d'une maladresse de langage. “… 'tis probably a spell that would need to be drunk to work. As far as I know, noone has ever tried to drink a spell, and we have no idea of what would happen. Therefore… I'd need your help to find… Well… Guinea pigs.”³
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¹ Très bien, merci. Vous-même ?
² Eh bien… Beaucoup de choses se sont passées depuis notre dernière entrevue, Miss.
³ Comme vous le savez déjà, j'ai réussi à établir un protocole pour distiller Alohomora et Wingardium Leviosa. Je travaillais sur un autre sort de base, mais sans rien réussir à en tirer. J'en ai parlé avec une camarade, et de cette conversation, j'ai décidé de commencer à travailler sur le Sort de Désillusionnement, ce qui pour le moment a produit des résultats prometteurs. Le problème étant… C'est sans doute un sort qu'il faudrait boire pour en ressentir les effets. Jusqu'ici, de ce que j'en sais, personne a jamais tenté de boire un enchantement, et nous n'avons aucune idée de ce qui pourrait se produire. En somme… J'ai besoin de votre aide pour trouver… Hem… Des cobayes.

Isleen a bien conscience de l'importance de son domaine de recherches. Elle ne s'est pas engouffrée là pour rien : le sujet est vierge de tout travail, et les perspectives sont énormes. Le domaine est assez vaste pour lui donner de quoi s'occuper jusqu'à la fin de ses jours, et c'était une occasion en or de devenir une personnalité incontournable du monde des potions.
L'ambition… Oui.
Mais il ne faut pas oublier les possibilités ouvertes, si elle réussit. Pour les sorciers médiocres, pour les Cracmols, ou simplement pour les enchantements difficiles à réaliser.
Pour ceux qui avaient perdu leur magie lors de la soirée de la St Valentin, comme son pâtissier préféré.
Elle avait tout à fait conscience qu'en jouant ainsi avec les essences même de la magie, elle pourrait se faire des ennemis. Beaucoup d'ennemis.
Peu lui importe ; elle s'est lancée là-dedans, et compte bien mener ses recherches à terme.
Pour la simple satisfaction d'avoir compris quelque chose.
Pour l'amour de la science.
Les obstacles sur sa route étaient nombreux, et elle comptait bien les abaisser un à un. En l'occurence, trouver des cobayes n'était qu'une contrainte supplémentaire ; et elle a pleine confiance en sa directrice de recherches pour y faire face.
“Unconventional, you say…”¹ murmure-t-elle, songeuse.
Isleen n'est pas idiote. Elle comprend très bien où Irina veut en venir. Elle boit une gorgée de la boisson qu'on lui a servie, la repose et pose ses coudes sur le bureau, mains jointes devant ses lèvres maquillées. Sourcils froncés. Elle réfléchit aux implications, au danger.
Le jeu en vaudra la chandelle, elle n'en doute pas.
Mais elle veut savoir dans quoi elle s'embarque – Gryffondor, peut-être, mais pas folle la guêpe.
“How illegal will that be ?” interroge-t-elle enfin en regardant la Russe droit dans les yeux. “I will probably not be able to welcome a subject inside a lab within the university, will I ?”²
Un autre problème se pose donc. Elle n'avait jamais dû travailler ailleurs qu'à la MUL, où elle avait sa chambre d'étudiante, le labo de travail, et la bibliothèque. Si par ses expériences elle se retrouvait à la limite de la légalité, elle ne pouvait décemment pas faire ça dans les locaux officiels de l'université.
Et elle ne pouvait pas faire ça juste dans un pub crasseux à l'abri des regards. Il faudrait qu'elle puisse observer les effets de son breuvage en direct, qu'elle surveille ses cobayes, qu'elle note les potentiels effets indésirables.
Un autre détail, non négligeable : les effets d'un sortilège avalé étant imprévisibles, il faudrait qu'elle puisse également avoir une porte de sortir en cas de dommages considérables infligés à son sujet… Ou en cas de décès.
Et elle ne se prive pas de le faire savoir.
“And what… What if there are… Casualties to report ?”³
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¹ Moins conventionnels, dites-vous…
² A quel point cela sera-t-il illégal ? Je ne serai probablement pas en mesure d'accueillir les sujets dans un des labos de l'université, n'est-ce pas ?
³ Et si… Et si il y a des… Pertes à déplorer ?

Un sourcil se lève sur le visage d'albâtre.
Jamais Isleen n'a songé à la question de l'éthique dans ses expériences. Mais il est vrai que c'était quelque chose à réfléchir. L'expérimentation humaine pouvait peser sur la conscience… Si on en a une.
Visiblement, ce n'est pas le cas de la jeune femme. Aucun regret, aucune culpabilité. Si elle devait passer par cela pour obtenir des réponses… Elle y passerait. Il serait inutile de faire des expériences sur un elfe de maison, quand bien même serait-il plus facile d'en trouver un. Les effets ne seraient certainement pas les mêmes – et puis les elfes n'avaient pas utilité de son travail, puisqu'ils avaient leur propre magie et n'étaient pas soumis aux mêmes contraintes que les sorciers… Ou les humains en général.
“I am,” répond-elle d'une voix assurée. Elle n'a aucun scrupule. Certains y verraient le côté impitoyable du Serpentard ; il s'agit plutôt de la froide logique du Serdaigle.
Elle entend bien, ensuite, les réserves qu'émet sa directrice de recherches. Une décharge à rédiger, en plus du contrat, bien sûr, à faire signer par des volontaires. La jeune femme hoche la tête face à toutes les contraintes que la Russe énonce, et, après un sursaut, la Plume à Papote se réveille et se met à griffonner sur le petit carnet qu'Isleen avait ouvert sur ses genoux. Elle a tourné les pages pour en trouver une vierge – dévoilant, en passant, des pages et des pages pleines de symboles, de formules, de schémas, de ratures – et laisse maintenant la plume écrire d'elle-même toutes les idées passant par l'esprit de l'Irlandaise.
Un avocat.
Un contrat, une décharge.
Des volontaires.
Prévenir des dangers de l'expérience, bien sûr, mais vendre également les avantages. Elle pourrait peut-être tirer parti de la détresse de certaines victimes de l'attaque récente des Deathwings. Après tout, ne serait-ce pas une promesse inespérée, pour ceux qui ont perdu leur magie, que de pouvoir participer à la retrouver sous une autre forme ?
Elle prend ainsi note également de la possibilité d'un local. Elle hésite à préciser à la professeure qu'il lui faudrait quelque chose de discret, insonorisé et surtout à l'écart, mais s'abstient : Irina n'a sans doute pas besoin des précisions de son étudiante.
Isleen devra ensuite réfléchir à l'organisation du local, devra sans doute user de toutes ses ressources pour y avoir le matériel dont elle a besoin. Ou bien pourra-t-elle essayer d'analyser ses résultats dans les laboratoires de la MUL ?
Une rature se fait, d'un geste un peu rageur, sur le carnet, et la plume reprend d'elle-même la rédaction avortée.
Ça lui demanderait beaucoup d'organisation, et, sans doute, un peu de discrétion.
À n'en pas douter, il lui faudrait un avocat. Elle allait avoir besoin de conseils très avisés en la matière. Il ne faudrait pas que son travail pour la science la range dans la catégorie dangereux mage noir dans les fichiers sécuritaires du ministère.
Elle observe sa directrice noter quelques noms, et, à sa remarque, n'arrive pas à réprimer un petit gloussement fier.
Bien vu, Miss Slaviskova !
“Indeed, I'm a Hatstall. The Sorting Hat hesitated mainly between Gryffindor and Slytherin, but also wondered if I wouldn't fit in Ravenclaw,” avoue-t-elle dans un sourire. Un sacré mélange ! “My parents and siblings are all Slytherins, though.”¹
Ce qu'elle ne dit pas, c'est que les chiens ne font pas des chats : son père n'est pas passé loin de Gryffondor, et sa mère, quant à elle, a bien failli finir à Serdaigle avant d'être envoyée chez les vert et argent. Sa petite soeur a très vite été répartie à Serpentard. Ce fut un peu plus long pour le petit dernier. Il n'a jamais voulu donner de détail, mais Isleen pense que lui aussi a bien failli finir chez les lions.
Elle en mettrait sa main à couper !
“I like being a Gryffindor, though. It shows that my house is not only made of dumb bullies barely able to use a wand as it is supposed to be.”²
Dit-elle, elle, la brute épaisse, toujours prête à se battre et à briser des genoux à coups de batte de Quidditch !
C'est le dragon qui se fout de l'hypogriffe !
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¹ En effet, je suis une Choixpeaufloue. Le Choixpeau a surtout hésité entre Gryffondor et Serpentard, et s'est aussi demandé si je n'aurais pas ma place chez les Serdaigle. Mes parents et ma fratrie sont tous des Serpentards, en revanche.
² J'aime être un Gryffondor, malgré tout. Ça montre que ma maison n'est pas simplement composée de brutes épaisses à peine capable d'utiliser leur baguette comme il se doit.