“… otherwise we might have a diplomatic incident onto our hands.”1 L'accent écossais laisse tomber sa phrase comme s'il énonçait une sentence irrévocable. Et on en est pas loin. Tout au long de l'entretien, il a parlé d'une voix froide et d'un ton qu'il n'employait pas souvent. L'ambiance est tendue, dans le bureau du ministère. Ses interlocuteurs le sont autant que lui. Debout derrière lui, Colm est le seul à ne pas être assis à la tablée, comme s'il se tenait prêt à se battre. Les circonstances sont exceptionnelles. Après les empoisonnements de la veille, le Ministère de la Magie n'a sans doute pas que cela à faire. Mais la visite du MacFusty équivaut quasiment à une visite de chef d'état étranger. Et que ce dernier leur parle, sèchement et froidement, d'instaurer une frontière dure entre son archipel et le reste de la Grande Bretagne n'est pas pour plaire. Il n'en démordra pas. C'est la sécurité des siens qui est en jeu. Il garde un souvenir cuisant de la soirée de la veille. Il n'a, par la suite, pas fermé l'oeil de la nuit. Il l'a passée à s'entretenir avec ses hommes les plus proches, à concevoir une façon de répondre aux évènements du bal. Il est hors de question de prendre le risque de voir ces encapuchonnés mettre le plus petit doigt de pied sur ses terres. Et il est fermé à toute négociation : il veut être mis au courant de toutes les allées et venues sur l'archipel. Que toutes les nouvelles venues passent par la navette, ou, éventuellement, en transplanant sur le ponton auquel ladite navette s'amarre. Et il impose une fouille systématique de tout sorcier extérieur venant leur rendre visite. Aurors y compris. Les dents grincent. Les négociations sont ardues. On se menace de sanctions économiques, on rappelle au chef de clan qu'il n'a pas le monopole du commerce autour des dragons. Ce dernier se fend d'un sourire mauvais et les encourage à aller se servir dans d'autres pays, à passer par le marché noir tant qu'ils y sont. Lorsqu'enfin ils arrivent à un accord, l'atmosphère se détend. Alistair s'est assoupli, et a accepté de revenir à un état plus ouvert dès lors qu'ils auront concrètement identifié et neutralisé la menace. Il s'est contenté de mesures de sécurité sur la libre-circulation des personnes. Colm et lui s'apprêtent à partir quand le chef de clan se souvient d'une chose et se tourne vers celui qu'on lui a présenté comme étant l'un des organisateurs du bal de la veille. “I met some lass named Siobhán last night, whom I wish to thank. She said she was a sister of one of the organizers. Would you happen to know her full name and where I am to find her ?”2 L'homme en question ne se fait pas prier, mais le commentaire peu élogieux qu'on lui adresse ensuite fait tiquer l'Ecossais qui, sans vraiment s'en rendre compte, se redresse de toute sa hauteur, écarte les épaules, et le toise avec un profond mépris. “I canna remember asking for your opinion,”3 siffle-t-il alors, avant de se détourner.
Le nom qu'on lui a donné ne lui est pas inconnu. Sitôt rentré, il donne quelques ordres pour que chacun sache les mesures de sécurité prises par le clan. Il monte ensuite, toujours accompagné, sur les remparts du château, sous le regard soucieux des spectres hantant les lieux. La baguette de cèdre se lève ; et tous, d'une même voix, se mettent à scander une incantation en gaélique, la répètent, jusqu'à voir, au loin, une épaisse brume se lever et s'étendre à tout l'archipel. Une brume qui tiendra les marins à l'écart. Il est tard, déjà, quand Alistair entre dans son bureau, rompu de fatigue. Il a à peine vu son fils, aujourd'hui. Ce dernier est dorénavant déjà couché. D'un coup de baguette, il fait apparaître un verre de Whisky Pur Feu, et se laisse tomber sur le fauteuil de son bureau. Ó'Ceallaigh. Ce nom lui disait quelque chose. Peut-être était-ce le nom d'une famille de sang-pur – mais étant donné qu'on avait essayé, dans son enfance, de lui faire apprendre toutes les familles prestigieuses d'Europe, il confondait la majeure partie d'entre elles. Le nez collé sur l'un des registres, il lit, il fouille, il fouine. Le Cousin Duncan lui-même a cessé de faire du bruit quand Alistair trouve enfin ce qu'il cherchait. Ó'Ceallaigh's Draughts. Elle comptait parmi leurs clients.
Après s'être endormi sur ses registres, Alistair, au petit matin, s'accorde une grande tasse de café, qu'il rallonge d'une lampée de whisky. Il prend le temps de s'occuper de son petit garçon, écoute ses babillages d'enfant, l'autorise même à traîner dans ses pattes pendant une bonne partie de la journée. C'est en fin d'après-midi qu'il peut enfin envoyer ses remerciements à la boutique de potions. Lucàs, émerveillé par le somptueux bouquet de fleurs de saison – orné, notamment, de chardons, d'hammamélis et de camélias – ne prête attention ni à la carte que son père pose délicatement au milieu des fleurs, ni au soin qu'il met dans son ouvrage. Il est, par contre, très intrigué par le coffret en bois sculpté, dans lequel on devine le dessin d'un dragon, que l'adulte enveloppe, d'un coup de baguette, dans un tissu fin. Une étole. Celle qu'il avait trouvée à son réveil, laissée près de lui. “Daaaad ? What's in the box ?” interroge-t-il, curieux. “Dragon blood, laddie. Very precious.”4 L'enfant ouvre grand les yeux. Pour qui donc son père faisait-il donc ce paquet contenant, de ce qu'il avait vu, une petite dizaines de fioles ? Il ne le saura pas, bien qu'il tente de poser la question. Il ne verra qu'à peine l'écriture pressée de ce dernier sur la carte glissée parmi les fleurs, dépourvue de signature, avant que, d'un coup de baguette, l'homme n'envoie le tout à sa destinataire. I'll never thank you enough for your help.
Saturday, February 23rd
Il fait extraordinairement beau à Londres pour la saison, relève l'Ecossais. En presque dix jours, c'est la première fois qu'il arrive à s'éclipser des îles. Entre le travail – abondant, ces derniers jours – et le temps qu'il passait avec la chair de sa chair, difficile de trouver cinq minutes pour lui. Ce qui n'est pas du luxe quand, comme lui, on a un tempéramment plutôt taciturne et qu'on apprécie la solitude à sa juste valeur. Alors, bien qu'il ait un but précis en tête, il en profite pour traînasser. Il se promène sur le chemin de traverse, admire les vitrines colorées, s'efforce de se vider l'esprit. Les soucis continuent de tourner, de danser, même, en des volutes qui n'ont rien d'agréable. Outre ses préoccupations habituelles, il est dérangé par les trous de mémoire qui ponctuent la soirée mondaine à laquelle il s'est rendu la semaine précédente. Il se souvient du début de soirée, bien sûr. Il a dansé avec Artémis, elle l'a congédié pour aller exercer ses talents de violonniste. Il a, peu après, fait la connaissance d'une jeune femme aux yeux d'un vert ensorcelant. Siobhán. Qu'il avait invitée à danser. Et puis… Et puis la suite est floue. Des personnes sont apparues, et il ne se souvient de leur discours que ce qu'on a bien voulu lui rapporter. Il se souvient d'une migraine fulgurante. En fait, à partir de là, il ne garde en mémoire que quelques sensations. Le malaise. La peur, bien sûr ; pour lui, pour les autres. L'impuissance, aussi. Et puis… Et puis il y a autre chose. Mais il ne sait quoi. Et il n'y a pas beaucoup de moyens pour lui d'avoir des réponses. Il pourrait aller quérir sa fiancée, et l'interroger de ce dont elle se souvenait. Il n'en éprouvait étrangement pas le besoin. Il préférait, au contraire, aller voir l'autre protagoniste. Celle qui lui avait laissé un masque de dentelle d'un vert aussi hypnotique que ses yeux – un masque qu'il n'avait pas eu le coeur de lui rendre. Ce serait l'occasion de la remercier de vive voix, cette fois.
Une fois devant la boutique, Alistair reste immobile un instant, les mains enfoncées dans sa veste en cuir de dragon. Il se sent étrangement nerveux. Après tout, ce n'était pas une personne qu'il aurait eu l'intention de revoir, si la soirée s'était déroulée comme toutes les autres. Il se serait contenté d'une danse ou deux, d'un trait d'esprit et ils seraient chacun retournés à leurs affaires, sans jamais se revoir. Moui. La vie n'était-elle pas souvent faite de rebondissements inattendus ? Dans un soupir, le chef de clan se décide finalement, et pousse la porte de la boutique. Le tintement d'une clochette l'accueille, mais il n'y prête pas attention. Il préfère céder à ses inclinaisons naturelles et observe attentivement son nouvel environnement. Silencieux. La clochette sert de signal, après tout. Tôt ou tard, la propriétaire des lieux se manifestera. Il n'avait qu'à attendre qu'elle se manifeste, se dit-il en s'intéressant d'un peu plus près à une potion à l'aspect étrange, sur une étagère.
_________________________ 1… Dans le cas contraire, il semblerait que nous nous retrouvions avec un incident diplomatique sur les bras. 2J'ai fait la connaissance d'une jeune femme du nom de Siobhán hier soir, que j'aimerais remercier. Elle a dit être la soeur de l'un des organisateurs. Connaîtriez-vous son nom exact et le lieu où je serais susceptible de la trouver ? 3Je ne me souviens pas vous avoir demandé votre avis. 4Papa ? C'est quoi dans la boîte ? - Du sang de dragon, bonhomme. Très précieux.
Angus n'était pas prêt d'oublier la façon dont sa soeur jumelle lui avait remonté les bretelles ! Après avoir passé la matinée à errer dans son appartement comme une âme en peine, à guetter les nouvelles à propos de la fin du bal, des Deathwings, de n'importe quoi qui prouvait que la soirée qu'elle venait de passer n'était qu'un mauvais rêve et non pas une réalité, elle avait fini par accepter les choses. Et dire qu'elle avait même dormi toute habillée avec sa tenue de soirée ! Elle ne l'avait remarquée que lors-qu’avant de sortir, elle avait soudain eu extrêmement froid. Le fait qu'elle ait laissé son étole sur les lieux du bal lui était complètement sorti de la tête. Et rien que le fait de repenser à ce simple morceau de tissu lui faisait repenser à lui. Alistair ... Si elle le voulait, elle était sûre de pouvoir se rappeler de la forme exacte de son visage ou de la couleur de ses yeux, mais ce qu'elle tenait réellement à oublier, c'était la sensation de calme et d'intimité qu'elle avait ressenti à son contact, lors de leur courte danse et de ... De l’événement qu'elle préférait ne pas évoquer. Et dire que c'était un mari volage ! C'était enrageant ! Mais au moins, elle avait ressenti pendant quelques courtes minutes - à la place de la femme de cet homme - ce que cela ferait d'être aimé à ce point par quelqu'un ... Quel dommage qu'il ne soit pas sincère et qu'il s'amuse avec des femmes, alors qu'il avait quelqu'un avec qui il était déjà censé partager sa vie ! Et s'il y avait bien deux choses que Sio ne tolérait pas, c'était les mensonges et les tromperies, qu'importe leurs formes.
C'était en partie pour cesser de penser à lui qu'elle avait tenu à aller houspiller en bonne et due forme son jumeau sur son lieu de travail. Dire qu'il l'avait reçu à contre-coeur serait encore une forme d'optimisme. Il avait été grincheux tout du long - pire que d'habitude ! - agressif et terriblement tendu, ne répondant jamais véritablement à une seule de ses interrogations. Et puis quel était le sens de ces paroles cryptiques qu'il lui avait adressé alors qu'elle allait partir ?
" Fais attention à toi Sio - mon dieu, cela faisait des années qu'il ne l'avait pas appelé ainsi ! - quelqu'un de puissant semble être sur tes talons ... "
Même si ce brusque accès de sympathie avait été rapidement contre-balancé ...
" Je ne devrais plus avoir à te rappeler que l'avenir de toute notre famille repose sur ta capacité à fermer ton clapet à propos de ta pathétique existence et de son manque de ... Saveur dirons-nous. "
Elle était partie la tête haute, après l'avoir toisé du regard pendant de longues secondes, jusqu'à ce qu'il détourne les yeux, comme s'il n'avait pas le courage de l'affronter jusqu'au bout. Et dire que des deux jumeaux c'était lui qui était considéré comme important, simplement parce qu'il pouvait agiter une baguette et en faire sortir quelque chose de plus ou moins utile !
~
Les jours qui suivirent le bal se passèrent dans une sorte de flou très abstrait. Elle savait qu'elle allait travailler comme d'habitude, qu'elle rentrait chez elle pour nourrir ses animaux, qu'elle jouait à ses jeux vidéos, comme en temps normal, mais pourtant elle sentait qu'elle n'était plus vraiment là. C'était étrange comme sensation ça, l'impression d'être en dehors de son corps ... Au fond, elle savait qu'elle était en état de choc, qu'elle accusait le coup de ce qui c'était passé au bal, mais tant que cela n'affectait pas son travail, elle continuait à faire comme si de rien n'était, comme si rien n'avait eu lieu. Elle aurait pu continuer ainsi un bon moment si chaque matin, en se arrivant à sa boutique, elle ne voyait pas le beau bouquet de fleurs de saison qu'elle avait reçu, accompagné d'un petit mot et d'une petite boite en bois gravé - remplie de fioles d'un liquide si précieux qu'elle avait manqué de s'évanouir en en comptant le nombre - emmitouflée dans l'étole qu'elle avait laissé dans la salle de bal. Elle n'avait pas vraiment su comment réagir en voyant ça, alors elle s'était contentée de laisser le tout posé sur son comptoir, du côté vendeur. Au bout d'une dizaine de jours, elle s'était presque convaincue que tout allait bien. Jusqu'à ce qu'elle l’aperçoive, lui, se tenant là, au milieu de sa boutique, comme s'il était naturel pour lui d'être là.
" Alistair ? Mais ... Que faites-vous là ? "
Elle n'aura jamais pensé le revoir. Pendant une courte seconde, elle espéra qu'il ne la reconnaîtrait pas : elle n'avait jamais quitté son masque sur place et elle était bien différente en cet instant. Ses cheveux étaient en bataille, elle portait un tablier tout tâché et semblait très fatiguée. Mais étrangement, elle se doutait que s'il était là, ce n'était pas dû au hasard et qu'il allait la reconnaître sans problème ...
" Que ... Que puis-je pour vous ? Vous êtes à la recherche d'un produit en particulier ? Pour vous ou ... Pour quelqu'un que vous connaissez, un ou une de vos proches ? osa-t-elle demander en réussissant à garder sa voix stable et forte, pour ne pas montrer sa surprise et son désarroi. "
Il n'a jamais eu de prédispositions particulières pour le domaine des potions. S'il avait toujours eu plus ou moins de facilités pour se servir de sa baguette, l'art d'enfermer la magie dans un flacon était sans doute ce qui lui avait demandé le plus d'efforts, du temps où il était étudiant. Aujourd'hui, il ne s'en soucie plus tellement, puisqu'il n'a plus à s'occuper de faire mijoter quoi que ce soit pour obtenir un résultat pas toujours convaincant. Alors forcément, se retrouver dans une boutique dont c'était la spécialité avait un petit quelque chose de fascinant. Ça lui rappelait un peu le bureau di Maître des Potions de Poudlard, où il avait passé moultes soirées en retenue – souvent, d'ailleurs, en compagnie d'Ash “Face de Rat” Nightingal. Alistair se détache, finalement, de l'étagère et de son contenu, pour poursuivre son inspection silencieuse. Il a remarqué, bien sûr, les couleurs vives des fleurs qu'il a envoyées lui-même quelques jours plus tôt. Certaines commencent à faner – faute de soin, peut-être, ou parce que c'est malheureusement le sort final de toute fleur coupée. Il lui suffirait d'un coup de baguette pour prolonger leur éclat de quelques jours… Mais il s'abstient. Si la propriétaire des lieux n'avait pas estimé utile de le faire, ce n'était pas à lui de s'en occuper. Il se détourne alors de cette touche de couleur pour continuer son observation, quand il entend quelqu'un prononcer son nom.
C'est à ce moment, sans doute, qu'il se rend compte qu'il aurait pu la reconnaître au milieu de n'importe quelle foule. Peu importe sa tenue, ou le soin qu'elle apportait à sa chevelure, ou encore le masque qui dissimulait une partie de ses traits. Lui qui avait si peu l'oreille musicale avait retenu le timbre de sa voix. Il se tourne alors vers elle, et constate qu'un autre détail avait marqué sa mémoire : ses yeux. De ce vert ensorcelant. Un coin de ses lèvres frémit à peine quand il croise son regard, mais il reste toujours impassible, fidèle à lui-même. Seule l'intensité de son regard pourrait trahir le plaisir qu'il a de la revoir. Après tout, n'avait-il pas passé une bonne soirée en sa compagnie, si court cela eut-il duré ? “Good morning, lass. I came here to see you,”1 répond-il de sa voix grave, avec le même calme que d'ordinaire. Sans doute se rend-il compte, après une seconde ou deux – ou en voyant la réaction de la jeune femme, allez savoir – de l'ambiguité de sa réponse, car il précise rapidement : “I have troubles remembering what happened on that night…” Est-il besoin de préciser la nuit à laquelle il fait référence ? “… and I thought you might be able to help me put all the pieces back together.”2 A nouveau, il croise son regard et se perd une seconde dans leur profondeur d'émeraude. Avec une telle intensité qu'on pourrait penser qu'il essaie d'entrer dans son esprit – à cela près qu'Alistair, si bon occlumens soit-il, est un legilimens désastreux. “If you dinna mind, of course. I wouldna mean to be rude nor to disturb.”3 Il a ôté les mains de ses poches dès l'instant où elle est apparue, par politesse, et esquisse un geste de sa main gauche, comme pour souligner qu'il s'éclipsera aussi sec si elle ne désire pas s'entretenir avec lui. Après tout, il n'est pas difficile de comprendre qu'il n'est peut-être pas le bienvenu ici ; n'a-t-il pas remarqué, plus tôt, le bouquet de fleurs qui fanent faute de bons soins ? Il ne serait pas surpris de constater que le coffret envoyé avec ce dernier est toujours à ses côtés, intouché. A-t-il fait quelque chose pour la contrarier ? Peut-être en a-t-il trop fait. Il faut dire qu'il lui est réellement reconnaissant, et tenait à faire un geste à la hauteur de cette reconnaissance. Ou bien, et ça lui semble être le plus probable, avait-elle pensé, comme lui, que leur rencontre se devait d'être éphémère et que donc ils ne se reverraient pas par la suite. Avait-il manqué de tact ? Sans doute, songe-t-il. Après tout, il n'aurait sans doute jamais passé cette porte s'il n'avait pas voulu en savoir plus sur cette soirée. Pour ces mêmes raisons. _________________________ 1 Bonjour, jeune fille. Je suis venu vous voir. 2 J'ai des difficultés à me souvenir de ce qu'il s'est passé cette nuit-là, et j'ai pensé que vous seriez en mesure de m'aider à réassembler les pièces du puzzle. 3 Si ça ne vous dérange pas. Je ne voudrais pas me montrer impoli ou vous déranger.
Le voir ici était un véritable choc. Le mur de glace qu'elle avait créé entre elle et ses souvenirs de tout ce qui s'était passé durant le bal . D'un seul coup, elle se retrouvait de nouveau là bas, rien qu'en plongeant son regard dans les yeux délicieusement bleutés d'Alistair. Dire qu'elle aurait pu n'avoir que de bons souvenirs, chargés d'un peu de nostalgie et de jalousie, si tout c'était bien passé durant la soirée. Au lieu de ça, à chaque fois qu'elle y repensait, elle revoyait tout ça à travers un filtre de peur et d'impuissance. Jamais elle n'avait autant regretté de ne pas avoir un brin de magie dans le sang. Jusqu'à présent elle avait réussi à vivre sans, sans aucun problème, mais jamais elle n'avait eu à gérer une telle situation, une telle impression de ne pas être utile, de ne rien pouvoir faire pour aider, pour lutter contre les événements. Lorsqu'Alistair avait commencé à se sentir mal, elle avait tout fait pour lutter contre ce sentiment de panique qu'elle avait ressenti. Il avait beau être un inconnu, un homme qu'elle ne cernait pas et dont elle désapprouvait certaines attitudes, elle n'aimait pas ne pas pouvoir venir en aide à quelqu'un qui souffrait en face d'elle. Elle se fige, même si elle peut constater de ses propres yeux qu'il avait l'air d'aller mieux. Pendant une courte seconde, elle pense même qu'heureusement qu'elle ne tenait rien en main ou elle aura tout laissé choir au sol. Elle essaya de reprendre contenance, mais c'était difficile, de s'extirper de cette sensation de tristesse prenante, de malaise ... Le fait de l'entendre parler l'aide à s'en sortir, à reprendre pied. Elle triture ses mains l'une dans l'autre en l'écoutant parler et expliquer les raisons de sa présence. Alors comme ça il n'aurait que des souvenirs très flous de la soirée ? Comme c'était pratique ... Elle résista à l'envie de vérifier si sa bague était toujours présente à son doigt.
" Oh ... Comme tu ... Comme vous pouvez le constater, se reprend-t-elle en se cantonnant au vouvoiement, il n'y a pas foule aujourd'hui, alors je dois pouvoir fermer la boutique quelques temps, pour qu'on mette les choses à plat. Excusez-moi ... "
Elle le contourna en essayant de ne pas le toucher, de ne le frôler et verrouilla la porte, en tournant le petit écriteau montrant que la boutique est désormais fermée. Ensuite, elle reprit sa place derrière son comptoir et s'y appuya, comme pour se donner une certaine contenance, tout en l'invitant à venir tirer une des chaises de la boutique vers le comptoir.
" Alors ... Où s’arrêtent donc vos souvenirs ? lui demanda-t-elle de but en blanc, sans pouvoir réussir à masquer la pointe de sarcasme qui filtre dans sa voix. Auriez-vous besoin d'une petite potion pour stimuler tout ça ? Vous auriez peut-être pu demander à la belle musicienne qui vous accompagnait ! A moins qu'elle aussi n'ait été que la distraction d'une soirée ... "
Les hommes infidèles, ça lui mettait les nerfs en pelote. Comment pouvait-il rester aussi charmant et désinvolte alors qu'il vivait dans le mensonge ? Etait-il venu ici simplement dans l'espoir de conclure une nouvelle conquête, qui lui avait paru facile après la danse du bal ? Feignait-il réellement une amnésie juste pour ça ? Sincèrement ... C'était dommage qu'un tel homme en arrive à de telles bassesses. Elle l'avait définitivement très mal jugé et s'était laissée abusée par ses regards appréciateurs et sa gentillesse lors du bal. Elle aurait dû se douter qu'un homme pareil ne pouvait pas réellement exister ... La colère qu'elle ressentait en pensant à cela effaçait la peur qui l'avait envahi et la poussa à le fusiller du regard, sans éviter de le faire de façon à ce qu'il comprenne bien qu'elle n'approuvait pas ses manœuvres.
" C'est assez amusant de vous voir de nouveau en aussi bon état après aussi peu de temps ... Est-ce que ça aussi c'était une feinte, une façon de faire tomber les demoiselles dans vos bras ? osa-t-elle demander en lui lançant des éclairs avec les yeux, à défaut de pouvoir le faire avec de la magie. "
Un petit froncement de sourcils apparaît sur le visage de l'Ecossais quand elle parle de fermer la boutique pour qu'ils soient plus tranquilles. Était-ce vraiment nécessaire ? Il n'est pas en mesure de le dire, quand bien même se dit-il que ça lui paraît bien superflu. Mais après tout, ce n'est pas lui le commerçant, elle sait sans doute mieux que lui. Il s'écarte à peine lorsqu'elle passe près de lui, dans un sens, puis dans l'autre. À nouveau, il fronce à peine les sourcils. Un parfum d'épices lui chatouille les narines à son passage. Un parfum qui n'est pas désagréable, au demeurant. Un peu entêtant, mais pas aussi hypnotique que la profondeur de ses yeux. Il est désarçonné un peu plus lorsqu'il la voit repasser derrière le comptoir, comme dans une volonté de mettre de la distance entre eux. Une fois encore, il ne fait aucune remarque, mais se dit que, quitte à fermer boutique, ils auraient sans doute eu meilleur temps de se faire face, au moins ; peut-être pas de s'asseoir autour d'un thé et de petits biscuits, mais tout de même. Que lui valait cette froideur ? Car c'est bien ainsi qu'on le traite. Il avait bien gardé en mémoire l'esprit vif de la jeune femme, ce côté espiègle, witty, qui lui avait plu. En revanche, il ne gardait pas le souvenir d'une tendance au sarcasme, ni d'un acte qu'il aurait pu avoir à son encontre qui lui mériterait d'être traité de la sorte. De toute évidence, quelque chose lui échappait. Il avait bien fait de venir s'enquérir de ces détails qu'il avait oubliés. En tout cas, Alistair est assez intelligent pour savoir que répondre au sarcasme ne ferait que l'enfoncer dans une querelle qu'il n'est pas venu chercher. Il n'a pas l'intention de se laisser entraîner là dedans, comme il aurait pu le faire dans son adolescence ; il aurait alors pris un véritable plaisir à enchaîner les traits d'esprit, à provoquer. Mais plus aujourd'hui. L'attaque, car c'en est bien une, doit avoir une signification bien particulière. L'allusion à Artémis ne peut pas être innocente. Que lui reproche-t-elle ? De l'avoir invitée à danser alors qu'il était déjà accompagné ? Il lui semblait pourtant qu'elle avait été consciente du fait… Ses souvenirs étaient-ils, en plus d'être flous, inexacts ?
Il devra attendre les dernières paroles pour comprendre complètement. Il a alors une réaction des plus inattendues, tant en vertu de la scène que de son caractère propre : il sourit. Un sourire presque attendri, comme le sourire d'un père face aux paroles innocentes de son enfant, ou le sourire d'un amant qui découvre sa partenaire à ses côtés lorsque l'aube enfin éclaire ses traits. Alistair sait pourtant que sourire à une personne en colère – car c'est bien ainsi qu'il le ressent – n'est pas la meilleure des façons d'apaiser les tensions. Mais comment pourrait-il s'en empêcher ? La situation était grotesque. Lui, l'homme rangé – enfin rangé ! - qui n'avait pas joué avec les coeurs fragiles depuis des années, accusé d'avoir ainsi abusé de la naïveté de deux jeunes femmes ? La bonne blague ! Encore une fois, il a la délicatesse de ne pas expliciter sa pensée. C'est qu'elle pourrait mal le prendre. “I think you have something to tell me,” finit-il par trancher d'une voix parfaitement calme, les yeux toujours profondément ancrés dans ceux de la potionniste. “Let it out lass. Otherwise we wilna be able to have a quiet conversation.”1 Le sourire s'est enfin effacé de ses lèvres, et il s'est approché du comptoir, posant ses deux mains à plat sur ce dernier, inconscient du fait que la brillance de son alliance était exactement ce que la jeune femme lui reprochait. Il la surplombe de toute sa hauteur, le regard pénétrant, parfaitement silencieux. Attendant patiemment qu'elle lui dise ce qu'elle a sur le coeur. _________________________ 1 Il me semble que vous avez quelque chose à me dire. Délivrez vous, jeune fille. Sans quoi nous ne pourrons pas avoir de conversation posée.
Comme vous avez pu le deviner, Sio n'était pas une adepte des relations, qu'elles soient sur le long terme ou d'un soir. Elle n'avait jamais véritablement accordé son coeur, dans son entièreté, à quelqu'un, mais elle espérait que le jour où cela arriverait, elle pourrait le faire en toute confiance, que la personne à qui elle lierait son destin serait fiable et sincère. Elle vivait déjà bien assez dans le mensonge, elle ne comptait pas de faire de son couple potentiel un mensonge de plus dans sa vie. Enfin, avant que cela arrive, il faudrait qu'elle confie tous ses secrets, toutes ses péripéties, à cette personne. Qu'elle parvienne à se lier à quelqu'un d'autre à ce point là tiendrait du miracle. Elle avait beau avoir une foule "d'amis" ou plutôt de connaissances approfondies, elle ne comptait que sur les doigts d'une main les gens à qui elle confierait sa vie et ses plus noirs secrets sans hésiter. Et c'est en partie pour cela qu'elle en voulait autant à Alistair. Pendant quelques longues minutes, lors de ce bal de la Saint-Valentin, il lui avait donné cette fausse impression de sécurité, d'intimité, comme si elle pouvait déposer ses fardeaux et se laisser aller. Bien sûr, au fond d'elle elle avait su que ce n'était que pour le temps d'une soirée, mais à ce moment là cela lui convenait. Et cela lui aurait convenu jusqu'à la fin, si elle n'avait pas vu cette bague et qu'il ne l'avait pas embrassé malgré tout ! Quel homme marié digne de ce nom se comportait ainsi ?! Et dire qu'il avait le culot de sourire et de sembler se détendre en l'écoutant, elle avait envie de le départir de son sourire à coup de claques dans la figure ! Ou mieux, elle pouvait lui faire manger ses fleurs, qui traînaient toujours sur le comptoir ! Les fleurs, mais pas non plus les fioles de sang de dragon, elle n'était pas folle à ce point là, elle savait à quel point c'était un ingrédient rare et précieux. Comment il avait réussi à mettre la main dessus et pourquoi il lui avait envoyé demeurait un mystère encore plus grand aux yeux de notre potionneuse, mais elle refusait de penser à cela en cet instant. Il semblait même s'amuser de tout cela, elle le voyait dans son regard ! Et il osait s'adresser à elle comme à une enfant capricieuse, ce qu'elle n'avait jamais été de toute sa vie, c'était humiliant ! S'accrochant à sa colère comme à une bouée de sauvetage, elle décida qu'il était temps de mettre les points sur les I. Il voulait avoir une conversation posée, il voulait qu'elle lui dise ce qui c'était passé ?! Très bien, elle allait le faire ! Elle s'enflamme et se positionne face à lui, en le fusillant de ses beaux yeux verts. Finalement, Angus n'allait pas être celui à qui elle allait le plus remonter les bretelles pour ce qui s'était passé ce soir là ...
" Très bien, puisque vous avez décidé de jouer à ça, jouons ! Tout d'abord, vous avez dansé avec cette jolie rousse, Mlle De Beaumont si ma mémoire est exacte - et elle l'est, contrairement à la vôtre - vous amusant terriblement de susciter son intérêt. Ensuite, pour une raison qui m'est inconnue, vous avez décidé de reporter votre attention sur moi. Après une entrée en matière des plus risibles maintenant que j'y repense - quel gentleman de ce nom fait "accidentellement" disparaître la moitié de la tenue d'une personne - vous m'avez invité à danser sur une chanson aux connotations plus qu'explicites, comme si de rien n'était, continua-t-elle en martelant le torse d'Alistair de son doigt, comme pour le bousculer. Et quand ces Deathwings se sont montrés et ont parlé du poison, vous avez sûrement sauté sur l'occasion ! Tiens, mais comment avoir deux demoiselles à mes pieds, le temps d'une soirée, c'est cela ?! Vous avez feints d'être malade à ce point là, vous m'avez rendu malade d'inquiétude et je ... Je ... Je ne suis jamais senti aussi impuissante, termina-t-elle avec un hoquet dans la voix et les yeux remplis de larmes. Vous aviez l'air si pâle, si mal ... Mais tout ça ce n'était qu'une ruse, un moyen pour vous de vous divertir, de jouer avec des femmes alors que ... Alors que vous n'êtes qu'un rustre ! "
Un véritable sanglot agita son corps, mais, fière et droite comme la justice, elle se contenta de renifler et de garder la tête haute. Elle n'avait pas pleuré quand son frère l'avait abandonné en la traitant de Cracmol alors qu'ils n'avaient que 12 ans, elle n'allait pas chouiner maintenant parce qu'un homme, un simple homme, avait tenté de la manipuler !
" Figurez-vous que je suis bien contente que votre petite musicienne ne soit pas restée pour vous voir jouer votre comédie du grand malade, car au moins, j'ai la satisfaction que même si vous avez joué avec moi, vous n'avez pas pu autant jouer avec elle. Vous ... Vous ne l'avez pas embrassé et vous n'avez pas pu jouer avec ses sentiments alors qu'elle est si jeune, si innocente, l'accusa-t-elle en osant de nouveau plonger son regard dans le sien, vous n'en avez pas eu le temps. Et par Merlin, je préfère que cela soit tombé sur moi que sur elle : vous lui auriez brisé tous ses rêves et ses espoirs d'amour sincère, asséna-t-elle enfin, en tentant de reprendre son souffle après ce brusque accès de colère, et en essuyant les larmes qui avaient percé au coin de ses yeux. "
Si la jeune femme n'avait pas été au bord des larmes, Alistair aurait pu rire de la situation. Ça avait de quoi être cocasse, quand même. Visiblement décidée à mettre les barres sur les t et les points sur les I et les queues dans les q, elle se fend de reproches divers qu'il ne se souvenait pas avoir mérité. Solide et immobile, il subit les assauts sans un mot, écoute attentivement chacune des paroles qu'elle martèle à grands renforts de coups de doigts sur sa poitrine. Alors comme ça, non seulement elle était maligne et espiègle, mais elle avait aussi son caractère. Dans un premier temps, le sourire revient fleurir sur les lèvres du chef de clan, alors qu'il commence à saisir les implications de tout cela. Difficile à dire ce qui le fait sourire ainsi. L'amusement ? L'ironie de la situation ? La flatterie de savoir l'effet qu'il avait fait à la jeune femme ? Car ne nous leurrons pas : on ne se met pas en colère contre une personne qui n'a aucune importance à nos yeux. Il subit sans réagir, observe les larmes qui commencent à briller dans les yeux d'émeraude. Il n'en faut pas plus pour que le sourire disparaisse de son visage. Il n'a jamais aimé voir une femme pleurer. Et encore moins en être la cause. Il a un mouvement gauche, comme s'il avait voulu contourner le comptoir mais qu'il s'était abstenu au dernier moment. Il préfère alors tapoter les poches de sa veste, comme s'il y cherchait quelque chose. Quand enfin elle achève sa diatribe, il sort d'une des dites poches un mouchoir en tissu qui avait encore les marques de pliures – il est propre, cela va sans dire. On se passera également du commentaire sur les goûts très contestables d'Alistair, car le mouchoir en question est évidemment avec un beau motif tartan rouge et noir, ce qui n'est pas sans rappeler son kilt. L'homme tend alors le morceau de tissu à la jeune femme, dans un geste d'une galanterie tout à fait spontanée. “You're a kind lass,”1 commente-t-il enfin, toujours avec ce même calme. Il aurait pu se vexer qu'on le pense ainsi capable de se comporter en vrai goujat, ou se mettre en colère de l'insulte qu'elle lui faisait. Mais non. Au contraire, en fait. “You took care o' me although we had barely met, and now you worry about someone else you know nothing of… You really are a kind lass.”2 Il ne regrettait pas de lui avoir adressé le présent qui était encore sur le comptoir. On avait émis à son attention quelques doutes quant à son geste, mais il se rendait bien compte, désormais, qu'il avait eu raison. Elle le méritait amplement.
Que dire, alors, pour balayer tous les soupçons qu'elle peut avoir sur lui et dont il ne comprend pas tous les tenants et les aboutissants ? Il devine certaines choses, perçoit des reproches sous-jacents, comprend qu'il y a encore des choses qui lui échappent. Il fait alors un choix audacieux – et peut-être pas très judicieux. “I am not sure I understand everything you're saying, though. Have I …” Il marque une courte pause, sourcils froncés, toujours le regard planté dans celui de la jeune femme. “… kissed you ?”3 Dans le ton de sa voix, s'il est toujours parfaitement calme, on note une légère inclinaison, comme s'il avait du mal à croire à ce qu'il disait lui-même. Et c'est en le formulant qu'il comprend pleinement la situation. La mémoire qui lui fait défaut, la sensation de malaise. Il se souvient d'une vilaine migraine, et aussi d'une sensation étouffante de chaleur. Il se souvient aussi, très fugacement, d'avoir refusé que Siobhán fasse quelque chose pour lui – mais quoi ? Impossible pour lui de dire. Comment avait-il pu en venir à ça ? Il n'avait pas embrassé une femme depuis au moins deux ans, qu'est-ce qui aurait pu le pousser à le faire ? Et si… “Have I talked to you in French, by any chance ?”4 souffle-t-il enfin, l'air soudainement grave. S'il avait été en proie à un délire, à une hallucination, peut-être… Ca expliquerait le flou de sa mémoire, les flashs plus ou moins clairs, la sensation de malaise constant. Et qu'elle lui en veuille. Se faire embrasser et appeler par un prénom différent du sien, ça ne devait pas être très agréable, il pouvait en convenir. _________________________ 1 Vous êtes une fille bien. 2 Vous avez pris soin de moi alors que nous nous connaissions à peine, et maintenant vous vous inquiétez d'une personne dont vous ne savez rien… Vous êtes vraiment quelqu'un de bien. 3 Je ne suis pas sûr de comprendre tout ce que vous dites, en revanche. Vous aurais-je… Embrassée ? 4 Vous ai-je parlé en français, à tout hasard ?
Elle se faisait de la peine toute seule, ce qui n'était tout de même pas banal ... Se retrouver à deux doigts de pleurer devant un illustre - ou presque - inconnu, qui se trouvait être un véritable rustre, un bourreau des coeurs qui aimait s'amuser en jouant avec les sentiments des femmes, c'était quelque chose de nouveau, de désagréable et surtout de tout à fait humiliant. Elle avait tout de même sa fierté ! Heureusement, il avait perdu un peu son sourire, il avait perdu son air arrogant et il avait presque l'air paniqué pendant une courte seconde, lorsqu'il se mit à fouiller dans ses poches pour trouver un mouchoir et lui tendre. Elle fronça les sourcils, perturbée : pourquoi se montrait-il gentil, pourquoi l'écoutait-il se plaindre ainsi alors que tout ce qu'elle ne racontait n'avait aucun sens et qu'elle était à ça de se rompre, de perdre son équilibre ? Bon dieu, elle l'avait ouvertement insulté et provoqué, pourquoi se montrait-il aussi attentionné ? Ca n'avait aucun sens ! En plus, ça ne collait pas du tout avec le fait qu'il était censé être un mari volage et complètement obnubilé pas ses conquêtes et ses envies de séduction ! Elle l'attrapa d'une main tremblante, un peu perturbée ce qu'elle commençait à constater, maintenant qu'elle avait les idées plus claires après cette petite crise de colère qui lui avait vidé l'esprit. Gentille, nan mais oh ! Elle avait tout sauf l'air gentille à lui hurler dessus comme une harpie. Était-il bouché en plus de tout le reste ? Elle avait envie de rester en colère contre lui, de continuer à lui grogner dessus et à déverser toute sa rage, mais le fait qu'il se comporte ainsi la désarçonnait tellement qu'elle ne savait plus comment se comporter. Elle se tamponna le coin des yeux doucement et tenta une nouvelle fois de le fusiller du regard, mais elle ne devait plus avoir l'air très dangereuse désormais.
" Ce ... Ce n'est rien, hoqueta-t-elle doucement. C'est bien normal, n'importe qui aurait fait la même chose pour vous, c'est de la simple politesse, je suis comme n'importe qui ... "
Au moins, malgré tout son blabla inutile, il avait réussi à comprendre quelque chose à son discours sans queue ni tête. Plutôt impressionnant quand on y réfléchissait quelques secondes. Elle s’empourpra légèrement en l'entendant lui demander s'il l'avait réellement embrassé. S'il ne faisait que jouer la comédie, il était sacrément doué le bougre ! Mais son air grave à lui et sa question suivante la força à remettre les pieds sur terre. Après tout, si tout cela était arrivé, c'était uniquement parce qu'il l'avait pris pour une autre femme !
" Oui, en effet ... Enfin, en français, en gaélique, en anglais ... Dites-moi, vous êtes sacrément doué avec votre langue, déclara-t-elle en lui lançant une petite pique. Vous avez été très clair sur le fait que ... Que je n'étais pas réellement la personne que vous aviez en tête à ce moment là. Surtout que bon ... "
Elle ne put s'empêcher de jeter un coup d'oeil plutôt prononcé sur l'anneau qu'il portait au doigt.
" Nous savons très bien tous les deux que c'est très sûrement à ... A elle que vous pensiez. Du moins je l'espère, sinon vous chutez encore plus dans mon estime, asséna-t-elle d'une voix désormais moins tremblante. Vous ... Vous devriez avoir honte de votre comportement en tout cas ! "
Et voilà qu'elle déraillait de nouveau ... Si avec tout ça il ne pensait pas faire face à une totale virago, alors il avait les nerfs bien plus solides qu'elle ne l'avait pensé !
" Vous imaginez la position désagréable dans laquelle vous me mettez ? Tout d'abord vous m'embrassez alors que vous êtes clairement pris, ensuite vous m'envoyez ces cadeaux complètement inappropriés et hors de prix, et maintenant vous débarquez ici ! C'est ... Clairement, vous êtes un homme soit bien plus vil et manipulateur que je ne le pensais, soit complètement à l'ouest ! Et sincèrement, je ne sais pas ce que je préférerais si j'étais vous. J'espère qu'en rentrant chez vous ce soir, vous avez faire amende honorable, tout lui raconter et ramper à ses pieds, car votre comportement n'était absolument pas celui d'un gentleman ! "
Le fait qu'elle tienne encore en main le mouchoir qu'il lui avait pourtant si galamment prêté pour qu'elle sèche ses larmes contredisait totalement ses arguments, mais elle préférait lui dire tout ce qui la travaillait plutôt que de tenter de trouver les failles dans sa propre réflexion. De toute façon, vu sa façon de réagir, elle allait vite se retrouver à court d'arguments valables : le fait qu'il reste calme et qu'il avance presque à tâtons avec elle l'empêchait définitivement de rester trop longtemps en colère, elle avait l'impression d'accuser un saint ou de vouloir faire la guerre à un enfant polisson ...
Enfin, les liens se font. Non seulement il s'était exprimé en français, il s'était aussi exprimé en gaélique. Pour que les réflexes reprennent le dessus, il avait dû être dans un sale état. Il ne relève pas la pique sur son habileté linguistique – et encore, elle ne sait pas qu'il a des bases dans plusieurs autres langues européennes, sans les maîtriser parfaitement -, plongé dans ses pensées. Enfin, il essaie de se plonger dans ses pensées. On ne lui en laisse pas le temps. Maintenant que l'horizon s'éclaircit, les reproches font peu à peu sens. D'autant plus que Siobhán a l'air d'avoir trouvé une façon plus ordonnée de faire comprendre son point de vue et d'expliciter ses propres pensées. Elle. Alistair retient sa respiration l'espace d'une seconde ; son coeur rate un battement ; une pierre lui tombe dans l'estomac. Il suit le regard de son interlocutrice vers son alliance et, cette fois, il n'a plus du tout envie de sourire. Deviner est une chose. Se l'entendre dire clairement en est une autre. Ce n'était donc que cela. L'angoisse d'avoir été trompée. Que l'on se soit joué d'elle, aux dépends d'une autre. Une fois encore, l'Ecossais aurait pu être blessé, sinon vexé de telles accusations. “She's dead.”1 Il n'a pas vraiment eu l'intention de le dire et se surprend un peu à entendre sa voix prononcer ces mots. Il avait, pendant ces derniers mois, soigneusement évité de formuler l'impensable. Le faire ne faisait que rendre les choses plus réelles, vous comprenez ? Pourtant, se dit-il immédiatement, c'était la seule chose à dire en cet instant. Pas tant pour se dédouaner – il n'éprouvait nul culpabilité et ne comptait pas se trouver d'excuses – que pour mettre les choses au clair. Pas pour faire savoir à la jeune femme qu'il était un coeur à prendre, mais plutôt pour la rassurer quant au fait qu'il ne l'avait guère abusée. Pour une raison qui lui échappe, il lui semble important qu'elle sache qu'il n'a, à aucun moment, joué avec ses sentiments. Peut-être pour effacer toute trace de larmes de son visage. “And these gifts…” ajoute-t-il d'une voix soudainement plus dure. “… Seemed to be a small price to pay to show my gratitude.”2 Ni vil, ni manipulateur. Ni à l'ouest. Vous saurez, mademoiselle, qu'Alistair est un homme sensé qui n'agit pas en vertu du hasard. Il pèse chaque décision, raisonne longuement avant d'enfin avancer ses pions. Il détourne enfin son attention de la belle jeune femme, observe son alliance d'un air songeur. Il glisse son pouce contre l'anneau d'or, qu'il fait tourner de ce même mouvement distrait qu'il a l'habitude d'effectuer lorsqu'il est nerveux. “I am sorry. I had no intention to hurt your feelings, lass.”3 Lui qui était venu ici en quête de réponses en avait eu pour son argent. C'était de là, donc, qu'était venue cette sensation de malaise, de dérangement qui l'avait hanté ces derniers jours. Ce comportement déplacé envers une jeune femme qui n'avait rien demandé et qu'il, à n'en pas douter, avait dû confondre, le temps d'un délire, avec cette Française dont il s'était épris. Cette Française qui lui manquait tant. _________________________ 1 Elle est morte. 2 Et ces présents… Me semblaient être un petit prix à payer pour vous témoigner ma gratitude. 3 Je suis désolé. Je n'avais pas l'intention de vous blesser.
En vérité, malgré les jours qui s'étaient écoulés depuis ... L'incident. Sio n'avait pas pris le temps de réfléchir à propos d'Alistair : elle s'était contenté d'accepter cet état de fait, qu'il était un mari volage et un bourreau des coeurs sans foi ni loi. Pour elle, elle avait additionné la bague, sa façon de se comporter, son léger flirt avec elle, ses danses et ... Et le reste, et elle n'avait pas cherché à en savoir plus. Pourtant, bien des indices auraient pu la mettre sur la piste de ce qu'il venait de lui avouer ... Sa gentillesse innée, son comportement de gentleman, sa façon plutôt maladroite de se comporter avec elle - ou avec les femmes en général supposait-elle - ou même le fait qu'il ne ce soit pas senti atteint par ses remarques. Mon dieu, elle se sentait tellement mal, elle avait tellement honte ... Comment pourrait-il lui pardonner les mots si durs qu'elle avait eu pour lui ? Elle savait à quel point sa façon d'être, son entêtement pouvait lui causer des problèmes, mais c'était la première fois qu'elle se retrouvait dans ce genre de situation, du genre où elle avait sûrement blessé de façon très personnelle quelqu'un. Bon dieu, elle avait dû remuer tellement de mauvais souvenirs ! Elle se rembrunit légèrement et baissa les yeux, pour ne pas avoir à affronter la tristesse de son interlocuteur ... Par la barbe de Merlin, elle avait vraiment mis les pieds dans le plat cette fois ! Avec douceur, et sans geste brusque, elle serra rapidement la main d'Alistair par dessus le comptoir.
" Je ... Je suis sincèrement désolée Alistair, je ne voulais pas vous faire de la peine ou remuer des souvenirs douloureux ... Si j'avais su ... Oh bon sang, vous devez me prendre pour une horrible personne, à faire de pareilles suppositions et à vous crier dessus ainsi sans même vous laisser le temps de vous expliquer. Si quelqu'un doit bien s'excuser d'avoir blesser quelqu'un, c'est bien moi, pas vous ... "
Elle le lâcha et laisse tomber sa tête entre ses bras, s'effondrant à moitié sur le comptoir.
" Je ne sais pas comment je peux me faire pardonner, je crois que rien de ce que je pourrais faire ne pourras arranger ça ... Je ... Je devrais peut-être commencer par vous remercier pour vos belles fleurs et votre boite ? J'ai apprécié l'attention, sincèrement, même si ... Je n'ai fait que mon devoir, c'est bien trop pour si peu ... Attendez, ne bougez pas, je manque à tous mes devoirs, je ne vous ai même pas proposé quelque chose à boire ... "
Avec un peu de précipitation, elle s'échappa dans l'arrière-boutique pour lui faire chauffer un peu d'eau pour un thé, de sa confection, avec des herbes aromatiques rares. Cela lui permit de calmer un peu sa nervosité pendant quelques secondes. Mais quelle gourde enfin ... Au bout d'une courte minute, elle revient lui faire face, avec une théière pleine et deux tasses en porcelaine. Elle les remplit et les posa sur le comptoir.
" Tenez, buvez. C'est la moindre des politesses ... C'est un thé plutôt spécial, que je prépare moi-même : un peu d'essence de figue d'Abyssinie, de la rosée de lune, quelques épices, ... On m'a dit qu'il aidait les gens à se détendre et à soulager les esprits, et je pense que nous en avons tous les deux besoin. Enfin, surtout moi, mais je partage avec plaisir. Je ... Je ne voulais vraiment pas être intrusive, je ne pensais pas ... C'est sûrement cela le problème d'ailleurs, je ne pensais pas, se fustigea-t-elle en remuant son thé. Dîtes-moi tout de suite très cher ... Est-ce que j'ai une chance de me faire pardonner Alistair ? "
Avec un filet d'espoir dans la voix, elle releva la tête et se confronta de nouveau à son regard si pur et si clair ... Elle n'imaginait pas comme il avait dû souffrir de la perte de son épouse, cela devait être horrible d'être celui qui reste dans un couple ... Et vu la façon dont il parlait d'elle, il avait dû terriblement l'aimer, il devait souffrir considérablement ... Peut-être que cette infusion pourrait soulager sa peine, le temps d'une petite heure ou deux ?
Eh bien non, il ne la prenait pas pour une horrible personne. Au contraire. C'était une jeune femme qui, à ses yeux, était de toute évidence d'une grande gentillesse. Elle s'inquiétait pour les autres et ça, c'était une immense qualité. Elle s'était occupée de lui alors qu'il était au plus mal et qu'elle le connaissait à peine. Elle s'était inquiétée de la peine qu'il pourrait faire à une jeune femme en fleur. Elle se préoccupait du mal qu'il pourrait faire à son couple par un tempérament volage. Elle l'avait mal jugé, mais il ne lui en voulait pas. Ce n'était pour lui que la preuve d'une force d'âme d'ordinaire bien trop rare. Et une fois encore, c'est ce pan de sa personnalité qu'elle montre, en lui serrant la main et en s'excusant platement. Le changement d'attitude de Siobhán à son égard est flagrant. Le flot de paroles qui se déverse est bien plus cohérent que jusqu'ici, quoi qu'un peu répétitif, mais l'homme ne s'en formalise pas. Il n'a pas eu le temps de comprendre qu'elle est déjà partie dans l'arrière-boutique, le laissant là, seul face aux excuses qu'on lui a platement servies. Bien, bien, bien… Il est attentif aux bruits qui proviennent de l'arrière-boutique, ne relève pas que le temps qu'elle met à préparer indique l'absence de magie dans les préparatifs, pose à nouveau les yeux sur les fleurs qui sont en train de faner. Hm. Elle les avait abandonnées à leur sort parce qu'elle l'avait pris pour un goujat intéressé par son arrière-train. Non pas que son arrière-train ne soit pas intéressant – il n'a pas regardé, il faut dire – mais ce n'était pas la ra:ison de sa présence ici. D'un geste souple, il sort sa baguette et tapote un peu distraitement chacune des fleurs. Elles se redressent alors, l'une après l'autre, retrouvant leur splendeur du jour où elles avaient été cueillies. Voilà qui était mieux, se dit-il au moment où la jeune femme revient. Il range alors sa baguette et jette un oeil méfiant vers la théière. Oh pitié, non… S'il y a bien une chose qu'Alistair n'arrive pas à apprécier parmi toutes les traditions des sassenachs, c'est le thé. Il avait aussi tendance à oublier que les irlandais vouait un culte quasi-identique, même plus fervent parfois, à cette boisson insipide venue des Indes. Visiblement, il n'allait pas pouvoir y couper. D'autant plus qu'apparemment, elle lui avait fait un mélange spécial pour soulager les esprits et alléger sa peine. Moui. Lui préférait simplement ne pas y penser. Enterrer le chagrin sous le tapis et éviter de se rappeler que, chaque fois, il se couchait seul dans les draps froids. “You're being too hard with yourself,”1 souffle-t-il en prenant une des tasses dans sa main calleuse. Il respire les volutes qui ne lui inspirent absolument pas – mais alors pas du tout – confiance, évalue la clarté du breuvage. Il y ajouterait bien une larme de whisky, pour donner du goût. Il relève ses yeux couleur de nuit, et les regards se croisent. “There is nothing to forgive, lass. You did what your kind heart told you to, and even helped me understand what happened during that night in the process.”2 Bon, allez. Il n'allait pas y couper, de toute façon. Le chef de clan trempe ses lèvres dans le breuvage chaud, et en boit une longue gorgée. Bien qu'il trouve ça assez fade, il est surpris de constater que c'est tout de même meilleur que le thé qu'on lui sert d'habitude. Les épices avaient au moins l'avantage de donner un peu de goût. La chaleur de l'eau se répand alors dans tout son corps, et un léger sentiment d'allégresse l'étreint. C'était comme s'il se sentait plus léger, loin du poids des responsabilités qui pèse d'ordinaire sur ses épaules, loin de la peine qui pèse habituellement sur son coeur. Et ça fait du bien. “But if you really wish to make up for it, maybe you could… ” Il hésite. La potion – car est-ce autre chose ? -, en levant le chagrin, semble avoir levé également le verrou de ses inhibitions – placé là par la peine, justement. “… Dinna ken, maybe join me for a wee dram or… Or a dinner, maybe ?”3 Eh bah dis donc, mon p'tit père, on doute de rien ! On a bien compris qu'elle te plaisait, la petite, mais quand même ! Ton coeur n'est-il pas déjà pris ? Et ta main, n'est-elle pas promise ? _________________________ 1 Vous êtes trop dure avec vous-même. 2 Il n'y a rien à pardonner, jeune fille. Vous avez fait ce que vous dictait votre coeur, et m'avez même aidé à comprendre, en passant, les évènements de cette nuit. 3 Mais si vous tenez vraiment à vous faire pardonner, peut-être pourriez vous… Je ne sais pas, peut-être vous joindre à moi pour un verre ou… Ou un dîner, peut-être ?
Quand elle revient, son regard est directement attiré par le petit cadeau qu'Alistair lui avait envoyé, en tant que preuve de sa gratitude. Elle avait apprécié les fleurs - qui n'aimait pas en recevoir ? - mais sans pouvoirs magiques pour en prendre soin, elles étaient condamnées à dépérir et à mourir de toute façon ... Même si elle avait évité d'y penser, elle avait aimé qu'on la voit autrement que comme la potionneuse de la famille Ó'Ceallaigh, qu'on lui offre quelque chose de simple. Maintenant qu'elle y repensait, qu'elle connaissait la vérité, elle trouvait que le geste était plutôt agréable. C'était sûrement la première fois qu'on lui envoyait des fleurs d'ailleurs, exception faite de son grand frère pour son anniversaire, mais ça ça ne comptait pas vraiment. Et puis au fond, son cadeau n'avait rien de simple, quand on prêtait attention au petit paquet qui accompagnait le bouquet. Quelle idée enfin, cela n'avait pas de prix ! Encore à cet instant, elle hésitait à lui rendre : elle avait l’impression de n'avoir rien fait pour mériter pareil cadeau ... Mais le fait de voir les fleurs resplendir de nouveau, pleines de santé, la perturba dans son élan. C'était ... Véritablement attentionné de sa part de les avoir ravivé. Un léger parfum de camélia flottait désormais dans la boutique, mêlé à celui des épices dégagé par le thé.
Elle apprécie le fait qu'il ne lui tienne pas rigueur de son brusque accès de colère : cela ne lui arrivait jamais de s'emporter autant et elle n'aimait pas le fait que ce soit lui - entendez par là une innocente victime, non pas tout homme au charme particulier et au kilt très seyant - qui en soit témoin. Elle ne savait plus où se mettre ou même ce qu'elle espérait obtenir en apportant ce thé : noyer sa honte - et elle-même avec dedans - ou plutôt apaiser ses nerfs et se calmer un peu ?
" C'est bien normal, je n'allais tout de même pas vous laisser avec un blanc dans votre mémoire, cela n'aurait pas été correct de ma part ! Même si ... Même si j'ai été tout sauf correcte pour l'instant, rit-elle doucement - rire à la fois taquin et gêné - en avalant une gorgée de son mélange. Et arrêtez un peu avec tous ces compliments sur ma gentillesse, je vais finir par vraiment ne plus savoir où me mettre avec tout ça, c'est trop ... "
Heureusement, elle pu contenir le rougissement qui n'allait pas tarder à fleurir sur ses pommettes s'il continuait ainsi. Une fois qu'on oubliait le fait qu'il aurait pu être un mari volage, son charme n'en était plus que dévastateur ... Mais non, elle n'oubliait pas pour autant la peine qu'elle avait perçu dans sa voix quand il lui avait avoué qu'il était veuf, il fallait qu'elle arrête tout de suite de se projeter ainsi, simplement parce qu'il lui avait donné, pendant quelques minutes lors du bal, une impression de sécurité. Au moins, elle commençait enfin à ressentir les effets de son thé : elle se sentait plus en confiance, moins tendue ... Elle n'avait d'ailleurs pas été aussi détendue depuis les événements du 14 février. Ce n'est pas la seule sur laquelle la potion est très efficace par contre ! Et cette fois-ci, prise au dépourvu, elle rougit donc légèrement et ressert ses mains autour de sa tasse en porcelaine.
" Oh ... Et bien, pourquoi pas après tout ? Je suppose que c'est chacun notre tour désormais que nous allons nous excuser de façon plus ou moins originale, en nous proposant de nouvelles choses, constata-t-elle avec un petit sourire, un peu timide cette fois. "
D'un seul coup, le flirt innocent qu'elle avait commencé avec Alistair durant cette funeste soirée de Saint-Valentin lui semblait bien loin ... Elle avait presque l'impression de ne plus savoir faire : peut-être que le fait qu'il sache qui elle était et qu'il puisse y avoir de véritables conséquences à cela changeait les choses. Elle aimait l'idée de taquiner légèrement les hommes qui l'approchaient, mais elle ne s'engageait jamais et ne voulait surtout pas faire souffrir Alistair. Quelque part durant les courts moments qu'ils avaient passé ensemble, elle l'avait trouvé touchant et cela la rendait bizarre. Mais détendue comme elle était grâce à son thé, ses craintes et ses peurs s'envolèrent rapidement.
" C'est d'accord, partons donc sur un dîner ! Et pour la peine, c'est moi qui vous invite. A charge de revanche, pour une prochaine fois, osa-t-elle même ajouter, avec un petit clin d'oeil, retrouvant alors son charme habituel. Ce soir ? Ou dans la semaine ? C'est comme vous le préférez. D'ailleurs pendant que j'y pense, continua-t-elle, sans de véritable transition, comment avez-vous donc réussi à me retrouver ? Je ne me souviens pas vous avoir laissé mon nom complet et je ne crois pas être si "connue" que cela ... "
Et puis soudain, elle se rappela que même s'il était veuf, Alistair était tout de même venu accompagné durant ce bal, et plus que bien accompagné même, vu la jolie rouquine avec qui il avait dansé. Peut-être s'était-elle trompé là dessus d'ailleurs ... Si ça trouve, c'était peut-être une cousine ou une simple amie ...
" Mais peut-être avez-vous d'autres obligations ... Je ne voudrais pas non plus m'imposer, osa-t-elle du bout des lèvres, sans que la question qu'elle se pose ne franchisse ses lèvres, de peur de faire une autre gaffe plus grosse qu'elle. "
Ali ♥:
Je trouve la réponse un peu moyenne alors si faut ajouter/changer des trucs hésite pas à me le dire !
Ca l'amuse, en fait. La voir ainsi gênée par des compliments, alors même qu'il ne se rend qu'à moitié compte qu'il les fait. En plus de cela, libéré du poids qui pèse habituellement sur ses épaules par la potion de la jeune femme, il est bien plus enclin à apprécier la situation. Ce qui implique qu'il n'est pas prêt d'arrêter les compliments. Juste pour le plaisir de voir Siobhán s'empourprer un peu plus à chaque parole. Et puis, si dès qu'il la relance, elle part au quart de tour pour meubler la conversation… Cette fille lui plaît. Même s'il ne se le formule pas, vous pensez bien. Attendez déjà qu'il se rende compte qu'il l'a tout naturellement invitée à dîner… Quand il va redescendre de son petit nuage, ça va lui faire tout drôle, au petit bouchon. En attendant, elle accepte son invitation, et ce de la façon la plus étrange qui soit. L'inviter lui ? Ah non ! Non, certainement pas ! Arrêtez de vouloir mettre à mal l'égo de ce pauvre gentleman qui, pour obéir à des règles d'un autre âge, estime qu'il est de son rôle que d'inviter la jolie demoiselle ! Il ne dit rien, cependant. Il avisera le moment venu – surtout qu'elle laisse entendre que ce serait à charge de revanche, ce qui ne tombe pas dans l'oreille d'un sourd. C'est qu'il a bonne mémoire, le bougre. “I'll let you know, I think, I have to check,” répond-il calmement. Le problème, quand on est chef de clan, c'est que du temps, on en a peu. Et qu'il aimerait bien avoir une vie de famille, de temps en temps. Lucàs ne le voyait déjà pas beaucoup… “I'll send you an owl shortly, if it suits you.”1 Non pas qu'il veuille faire l'homme qui se fait désirer, hein. On notera qu'en revanche, il veille à ne pas évoquer les autres obligations. Ils se connaissent à peine, après tout, et il n'a pas tellement envie de parler de ses responsabilités – car c'est ainsi qu'il interprète la question, et pas comme une question sur sa vie sentimentale. Elle n'a pas reconnu le kilt, elle n'a pas relevé le dragon relevé sur le coffret qu'il lui a envoyé. Elle n'a visiblement pas fait le lien avec l'un de ses fournisseurs. Et il ne compte pas le lui dire. Côtoyer quelqu'un qui ignore tout de lui est un luxe qu'il ne peut pas se permettre souvent. “I had your first name… And you'd said your brother was on of the organizers,” explique-t-il calmement. “Since Siobhán isna such a common name… It has been rather easy to find you, to be honest.”2 Le sourire qui fleurit sur ses lèvres montre qu'il est tout de même assez fier de son coup. Il aurait certes pu créer une histoire plus rocambolesque, où il aurait peiné à retrouver cette femme dont le regard l'avait hanté nuit après nuit, quelque chose de romanesque… Mais non. Déjà, parce que ce n'est pas le genre de la maison, et ensuite il n'est pas en train de jouer à la séduire, voyons. Certainement pas. Pensez-vous. Il y arrive parfaitement bien, par contre, on dirait. “I amn't going to bother you longer, though,” finit-il par trancher avec le même calme, en reposant sa tasse de thé – vide – sur le comptoir. “We'll meet again soon, anyway.”3 Il esquisse un geste, se ravise. Hésite. Oh pis merde, tiens. Il prend la main gauche de la jeune femme, y glisse ses lèvres dans un baise-main à la française. “Farewell to you, lass.”4 Et, après avoir lâché la main d'albâtre, il disparaît dans un pop ! sonore. Abandonnant derrière lui la jeune femme, les fleurs, le sang de dragon… Et son mouchoir. _________________________ 1 Je vous tiendrai au courant, je pense, il faut que je vois. Je vous enverrai un hibou, si ça vous convient. 2 J'avais votre prénom… Et vous aviez dit que votre frère était l'un des organisateurs. Puisque Siobhan n'est pas un prénom si commun… Il n'a pas été très difficile de vous trouver, très honnêtement. 3 Je ne vais pas vous déranger plus longtemps, cela dit. Nous nous reverrons rapidement, de toute façon. 4 Au revoir, jeune demoiselle.
Avec tout ça, avec sa maladresse habituelle et sa façon plus ou moins désinvolte d'agir, elle avait réussi à au moins faire sourire Alistair. D'accord, ce n'était absolument pas volontaire, mais c'était toujours une conséquence agréable. Si malgré sa gêne et sa timidité il ne la trouvait pas trop ridicule, alors elle avait tout gagné. Elle aussi, se mit à sourire, en l'entendant lui expliquer comment il avait réussi à la retrouver. Il était tout de même attentif finalement ! Il avait donc dû rencontrer son très cher frère, son jumeau, Anthon, qui avait dû l'accueillir avec sa froideur et son arrogance habituelle. Était-ce contre lui que ce dernier avait voulu la mettre en garde ? Non, sûrement pas enfin ... Il avait insisté sur le fait que quelqu'un de puissant - entendez là dangereux - cherchait à se renseigner sur elle, et Alistair ne semblait pas correspondre au profil. Il avait tout, selon elle, du sorcier commun, veuf de surcroît. Mais au fond, que savait-elle de lui ? Rien du tout. Elle se rendit alors compte qu'elle ne connaissait même pas son nom de famille ! Heureusement, le dîner qu'ils allaient partager serait pour eux - ou du moins pour elle - une occasion d'en apprendre un peu plus sur lui. Et qui sait, elle pourrait peut-être l'apaiser un peu, lui faire oublier un peu sa peine ? Sûrement pas aussi efficacement que son thé, mais elle ferait de son mieux en tout cas. Elle le regarde se préparer à partir et lui sourit gentiment.
"Oh, ne vous inquiétez pas, vous ne me dérange absolum- , commença-t-elle à dire avant que l'action suivante d'Alistair ne la coupe dans son élan. "
Elle le regarde, presque hypnotisée, saisir sa main et y déposer un léger baise-main, avec délicatesse, comme si elle était une fleur fragile. Et ben crotte alors. La galanterie était tout sauf morte et perdue. Non, à la base, elle s'était plutôt condensée en un seul et même homme, celui qui lui faisait désormais face. Cette fois-ci, s'en était trop pour son pauvre coeur fragile, elle ne put que rougir une nouvelle fois.
" A la prochaine fois, murmura-t-elle du bout des lèvres juste avant qu'il ne disparaisse, alors même qu'elle était en train de s'intimer mentalement de marcher jusqu'à la porte pour lui ouvrir. "
Et puis pouf. La seconde d'après il était déjà parti. Il fallut une petite seconde à notre chère Sio pour comprendre qu'il avait transplané. Bon sang, s'il y avait bien une chose qu'elle aurait aimé pouvoir faire, c'était ça ! Elle passa les quelques minutes qui suivirent à méditer sur ce qui venait de se passer, ne comprenant pas le moindre du monde pourquoi cet Ecossais là lui faisait autant d'effet. C'était sûrement le kilt. Sûrement. Et avant de rouvrir la boutique, elle glissa le mouchoir qu'il lui avait laissé dans sa poche et rangea la boite remplie de précieuses fioles dans son étagère, preuve flagrante qu'elle acceptait ce qui s'était passé et était prête à avancer.
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Sujet: Ever After 
