Il est encore tôt sur l'archipel des Hébrides. Le soleil baigne déjà les îles de lumière, révélant les vallées débarassées de la neige persistante de l'hiver. Pourtant, on s'y affaire déjà. On fourmille en tous sens, s'occupant de chaque tâche pour faire fonctionner le clan dans son ensemble, du troupeau de moutons à l'assistance à l'éclosion d'oeufs de petits dragons. Quelque part, dans ce château qui surplombe la mer, enroulé dans un hâle brumeux, un petit garçon doit déjà écouter le ton autoritaire de l'un de ses précepteurs fantômatiques pour sa leçon d'écriture. Un étage plus bas, c'est dans une ambiance pour le moins tendue qu'une conversation se déroule. Mère et fils se querellent d'un ton sec. Alistair, les mâchoires serrées, s'efforce de garder son calme face à l'entêtement de la matriarche. Des fiançailles, ça dure un an et un jour, rappelle-t-elle dans un gaélique dur. Et ils ont déjà dépassé cette date. Ça lui déplaît. Et le chef de clan de lui faire entendre que rien ne presse, que la jeune Artémis a des études à mener avant d'avoir à songer accompagner son politicien de mari. Il tente aussi de lui faire comprendre que ce mariage n'a jamais été quelque chose qu'il a approuvé. Qu'il aimerait s'y soustraire, sans trop savoir comment. Il n'envisage pas encore de rompre ces fiançailles, inquiet de l'embarras que cela serait pour les siens. La dispute est toutefois interrompue par Colm, qui débarque dans le hall du château, face à l'escalier au pied duquel les deux MacFusty font face à l'entêtement de l'autre. La première navette maritime est en chemin. Et d'après un message envoyé par le capitaine du bateau, un vieillard aux allures de Charon traversant le Styx, il y a deux passagers à son bord. Compte tenu des mesures renforcées mois après mois pour éviter l'arrivée de Deathwings sur les terres du clan, c'est quelque chose de notable. Un visiteur ? Ça arrive, même si cela est rare désormais. Alistair a été clair avec ses interlocuteurs habituels : il ne veut plus voir personne sur son archipel, et certainement quelqu'un qui n'aurait pas prévenu de sa visite. Quant aux visites officielles… Il a indiqué se déplacer au besoin. Mais alors deux visiteurs ? Là, c'est des plus inhabituels. Inattendu, même.
Le bateau, aux allures de drakkar, s'amarre au ponton, sur la plage en contrebas du château. Trois hommes en kilt sont déjà là, à accueillir ceux qui en descendent. La jeune femme est aidée à descendre, sans doute dans un geste hérité d'une galanterie plus ou moins bienvenue, avant d'être scrupuleusement fouillée, tout comme son compagnon. “Cò mu dheidhinn a tha seo ?” Le chef, accompagné de son ami et bras droit, s'avance le long de la plage, et interpelle les trois hommes en kilt. L'un d'eux répond dans un borborygme incompréhensible, mais qui a l'air de faire sens pour Alistair. Il s'engage sur le ponton, s'interdit une demi-seconde en découvrant leurs deux visiteurs. Dur de savoir lequel des deux le surprend le plus. Angus Ó'Ceallaigh, qu'il n'apprécie guère ? Siobhàn Ó'Ceallaigh, avec qui il n'a eu de contact depuis des mois, et qui lui a manqué sans qu'il se l'avoue vraiment ? Bien. Traitons un problème à la fois. “Mr Ó'Ceallaigh,” salue-t-il tout d'abord, de son fort accent écossais. “I thought I had been clear with your ministry.” Il s'arrête face à lui, se tenant de toute sa haute taille, le regard perçant. Tout dans sa façon d'être et de se tenir indique à la fois son statut ici, et son inimitié à l'égard du technocrate. “No member of the ministry is allowed on my land. Especially when they are coming unannouced.”1 Il ne prend pas vraiment de pincettes. Il veut être clair : Angus Ó'Ceallaigh ne mettra pas un seul pied en bas de ce ponton et peut s'en retourner chez lui. “You may leave, Mr Ó'Ceallaigh.”2 Il l'annonce d'un ton froid, le regard planté dans celui de son interlocuteur pendant plusieurs secondes. Et puis il se tourne vers la jeune femme, enfin, comme s'il la remarquait enfin. Il n'en est rien. Il a reconnu sa silhouette, sa présence, et ce bien avant de reconnaître cette crapule qui lui tient lieu de… Frère ? Il y a quelque ressemblance entre eux. Ou bien sont-ils cousins ? Un lien du sang, sans doute. “You may stay if you wish, Miss Ó'Ceallaigh,” indique-t-il d'un ton protocolaire, bien que beaucoup moins froid que pour son jumeau. “Colm will escort you to the castle. I'll join you there.”3 Au château. Là où elle pourra se réchauffer auprès de la cheminée, et aussi boire un thé chaud, grignoter quelques biscuits si elle le désire, en attendant qu'Alistair puisse venir la rejoindre. Croyez-moi, il ne la fera pas attendre longtemps. ______________________ 1Je croyais avoir été clair avec votre ministère. Aucun membre du ministère n'est autorisé sur mes terres. En particulier s'il ne s'est pas annoncé. 2Je vous demande de quitter le lieux, Mr Ó'Ceallaigh. 3Vous pouvez rester si vous le désirez, Miss Ó'Ceallaigh. Colm va vous escorter jusqu'au château. Je vous y rejoins.
Elle avait longuement hésité avant d'agir, il fallait le reconnaître. Siobhàn ne considérait pas comme une personne particulièrement peureuse, mais elle avait fini par admettre que son comportement envers Alistair et ses réactions de fuite avaient été plus que lâche, même si elle avait ses raisons, de vraies et bonnes raisons. Dire qu'elle avait cru que s'en était fini des mensonges entre eux ... Et qu'il lui avait caché qu'il était fiancé, alors même qu'il y avait déjà eu un malentendu similaire lors de leurs premières rencontres ! C'est le comportement qu'elle avait eu lors du Gala de Charité qui lui avait mis la puce à l'oreille, qui lui avait fait comprendre qu'elle se comportait comme une enfant, qu'il était temps qu'elle cesse de faire l'autruche et qu'elle accepte le fait qu'elle avait dû se tromper sur Alistair. Oui, d'accord, elle avait cru qu'il y avait quelque chose entre eux - en tout cas, elle avait ressenti un petit quelque chose qu'elle n'osait pas nommer - mais elle avait dû se tromper, c'est tout ... Même si elle ne pensait pas que c'était un mauvais bougre, il n'avait tout de même pas été sincère, et même s'il n'avait pas forcément consciemment cherché à la manipuler, à provoquer quoi que ce soit entre eux ... Elle ne pouvait s'empêcher de se sentir blessée et trahie. Mais elle était une adulte, elle était censée être responsable et magnanime, alors elle allait faire un effort. Elle se souvenait que dans leurs derniers échanges par hiboux, où il lui avait proposé de venir chez eux, que Lucàs et lui allaient la recevoir un de ces quatre, ... Et puisqu'elle avait décidé de saisir le taureau par les cornes, et bien elle allait profiter de cette invitation !
La petite potionneuse avait décidé que le lot qu'elle avait emporté lors du Gala de Charité de la Nouvelle-Année serait un très bon cadeau pour le petit garçon si enjoué d'Alistair, elle l'imaginait sans difficulté en train de jouer avec ses amis et de comparer leurs collections de cartes Chocogrenouilles. Puisqu'elle n'allait pas en avoir l'utilité, autant qu'elles lui servent à lui, pas vrai ? Elle allait donc aller lui remettre en main propre, cesser de faire l'autruche, de faire comme si rien ne c'était passé, et peut-être, oui, peut-être qu'après avoir donné son cadeau à Lucàs elle irait discuter avec Alistair, et ils parleraient comme deux personnes matures et responsables. La colère qu'elle ressentait était depuis longtemps retombée et ne restait que la déception après tout ...
Elle était donc allée voir son frère jumeau, Angus, pour lui demander un petit service : elle savait qu'en temps que membre du Ministère, il pouvait l'emmener sur place et la faire entrer sur le domaine MacFusty - après tout, les agents du Ministère ne pouvaient-ils pas aller partout ? - même si les entrées y étaient restreintes. Oui, elle s'était un brin renseignée sur le clan, enfin, un petit peu ... Après tout, elle était curieuse au fond, et puis il fallait bien qu'elle sache où elle allait mettre les pieds ! Il avait déjà été difficile d'admettre pour elle qu'il lui serait impossible d'y aller sans avoir recours à un brin de magie ou quelque chose du genre ... Alors quand elle avait fini par comprendre qu'elle allait devoir faire jouer de ses relations - entendez par là qu'elle allait devoir faire appel à son jumeau - elle n'avait pas été des plus ravies. Et lui non plus d'ailleurs ... Il lui avait clairement fait comprendre qu'elle lui revaudrait cela et qu'elle risquait de fortement regretter sa demande par la suite, mais il avait tout de même fini par accepter de l'emmener sur place, en transplanant au plus près de l'archipel, avant de prendre un bateau pour se rendre au fief des MacFusty. L'endroit était dépaysant en tout cas et particulièrement beau : Siobhàn avait adoré la traversée, à tel point qu'elle en avait oublié la tension qui l'habitait jusqu'alors et la présence de son frère. Elle avait été très surprise par l'accueil qu'ils avaient reçu en descendant : les trois hommes en kilt sur les quais l'avaient aidé à descendre ne paraissaient pas forcément des plus ravis d'avoir des visiteurs, mais en prime, voilà que deux nouveaux arrivants se dirigeaient vers eux, et que l'un d'entre eux n'était autre qu'Alistair. En le voyant arriver, son coeur manqua presque un battement, et elle se mit à paniquer intérieurement : était-elle vraiment prête à se confronter à lui ? Elle qui avait pensé avoir un peu plus de temps ... L'accueil qu'il réserva à Angus fut froid et bref, et elle fut partagé entre l'envie de sourire - de se moquer gentiment - et celle de compatir - et de lui tapoter gentiment l'épaule - mais elle se força à rester de marbre, jusqu'à ce qu'Alistair ne s'adresse à elle. Elle craignit pendant quelques secondes qu'il la renvoie aussi sans hésitation, mais ce ne fut pas le cas. Elle n'osa pas prendre la parole et se contenta d'un petit sourire de remerciement, acceptant de suivre ses ordres : il était ici sur son domaine et elle n'était qu'une invitée, elle était déjà chanceuse de pouvoir rester. Elle fit un petit signe de la main à son frère, lui indiquant qu'il pouvait y aller, qu'elle allait rester et s'en sortir seule, et le vit donc remonter aussi sec sur le navire, grognon comme jamais, les mâchoires serrées.
Elle échangea quelques banalités avec celui qui l'escorta - Colm, si elle se souvenait bien - mais très vite le silence s'installa. Il la laissa dans un immense hall, où il lui dit d'attendre. Si pendant quelques courtes secondes elle se contenta de rester debout en silence, en tenant son sac, elle ne put résister à la tentation d'aller jeter un oeil aux photos sur la cheminée : une vieille photo de famille - on reconnaissait bien en Alistair jeune les traits dont avait hérité son fils ! - ainsi qu'une de sa propre famille, sa femme et Lucàs. Ainsi c'était donc elle, feue son épouse ... Elle était belle et elle avait l'air d'une bonne personne, c'est du moins l'impression qu'en avait Sio en regardant son visage. Ils avaient l'air heureux tous les trois en tout cas, et elle sourit involontairement en voyant cela. Elle sentit un regard peser sur elle et se retourna vers l'immense escalier, où elle n'aperçu personne ... Étrange ... Elle était persuadée pourtant que quelqu'un était là, quelque part ... Des fantômes ? Ce ne serait pas étonnant dans une telle bâtisse, surtout en Ecosse ! Il faudrait qu'elle pose la question à Alistair ! Ou à Lucàs plutôt, elle allait tenter de rester professionnelle avec le père du garçon ... En tout cas, il ne lui restait plus qu'à prendre son mal en patience et à attendre le bon vouloir du maître du château désormais !
Un échange de regards entre Alistair et son bras droit. Puis les deux hommes se séparent. Le chef de clan a déjà disparu dans un claquement sonore quand Colm invite galamment Siobhàn à le suivre. Il ne veut pas la faire attendre, bien sûr. Mais il doit malheureusement gérer d'autres choses avant de rejoindre la belle Irlandaise.
Le hall du château est bien silencieux. À l'exception de l'invitée, il est également vide. Le grand escalier, la hauteur sous plafond, la pierre grise, tout cela rend les lieux particulièrement austères et ce malgré les grandes tentures noires et rouges qui garnissent les encadrements de portes. Dans la cheminée, à la droite de l'escalier, crépite un feu aux couleurs chatoyantes et absolument pas naturelles – vous vous en doutez, les MacFusty ont une maîtrise certaine de la pyromagie. Devant le foyer, deux fauteuils accueillant séparés par une petite table basse. Et sur la tablette de la cheminée, deux photos encadrées trônent. Les deux mettent en scène une famille. La première est plus ancienne, avec ses coins cornés et ses couleurs fânées. On y voit un homme habillé de la tenue traditionnelle du clan, femme au bras, et jeune garçon d'une dizaine d'années à ses côtés. Le moment capturé a l'air plus ou moins solennel, mais on remarque que le père s'amuse à faire des simagrées derrière son fils dès que ce dernier essaie de regarder à l'extérieur de l'image. La seconde est tout aussi détendue, mais bien plus récente. On y reconnaît Lucàs, dont on devine qu'il doit avoir deux ou trois ans, retenu dans les bras de son père. Un père qui a l'air radieux, face à une jeune femme aussi radieuse que lui. Plus proches l'un de l'autre par rapport à la photo précédente, cette image là a des airs de scène de vie familiale plus que d'une prise de vue protocolaire. Pas un bruit. Pas un son. On a abandonné Siobhàn seule dans ce château. Seule ? Non. Car une bande d'irréductibles spectres résistent encore et toujours aux ordres du maître des lieux. Ils se font discrets dans un premier temps. Invisibles, ils guettent cette inconnue qui déambule près de la cheminée. Et puis… Grégory, fidèle à lui-même, cornemuse en bandoulière, apparaît en bas des escaliers et s'approche de la jeune femme avec un immense sourire sur les lèvres. “Good day to you, lassie,” fait-il de son très fort accent et d'un ton particulièrement enjoué. “We havena been introduced : Gregory MacFusty, pleasure to meet you.1 - A Dhia uncail, an urrainn dhut na h-aoighean agam fhàgail, airson aon uair?” Les grandes portes du château se sont ouvertes d'elles-mêmes, laissant passer le chef de clan qui a immédiatement repéré son ancêtre en pleine approche subtile – n'est-ce pas. “Bha blas math agad a-riamh ann am boireannaich, a bhalaich,” se contente de répondre ce dernier dans un immense sourire, toujours en regardant la jeune femme. Il lui adresse même un signe de tête, confiant dans le fait qu'elle ne comprend pas ce qu'il dit. Et enfin, il se tourne vers son neveu, lui jetant un regard entendu. “Ach an turas seo, thug thu bàrr ort fhèin.” Un son guttural répond à cette dernière remarque : Alistair fait connaître son agacement vis à vis des réflexions de son grand-oncle. “Enough. Leave us alone, uncle.” Les portes se sont fermées derrière lui alors qu'il s'est avancé vers la jeune femme. Ce n'est qu'une fois à sa hauteur qu'il fait réellement face au spectre goguenard. “None of ye shall interrupt us. Have I made myself clear ?”2 Il a haussé la voix sur les derniers mots, comme s'il ne s'adressait pas seulement à Grégory. Un genre de bruissement s'étend à toute la pièce, comme si d'autres fantômes, demeurés invisbles, s'éclipsaient pour de bon. L'oncle à la cornemuse, lui, prend le temps d'une courbette auprès de l'irlandaise avant de disparaître en passant à travers la cheminée. Et Alistair de soupirer lourdement. “Sorry for that. They can be a real pain,”3 commente-t-il avec agacement. Les voici enfin seuls. Face à face. Et c'est en croisant son regard qu'il se rend compte d'une chose : elle lui a manqué. Beaucoup trop. “Please, have a seat.”4 Il l'invite à s'asseoir d'un geste et, d'un geste souple de la baguette, fait apparaître deux tasses fumantes – café pour lui, thé pour elle, si sa mémoire est bonne – ainsi qu'un plateau de biscuits venus tout droit des cuisines. Puis prend enfin place à son tour, s'emparant d'une tasse. Il suit le protocole habituel lorsqu'un invité se présente au château. Siobhàn n'est pas n'importe quelle invitée, mais ces gestes ont un petit quelque chose de rassurant. Elle doit lui en vouloir. À raison. Il ne s'était pas attendu à ce qu'elle vienne ainsi jusqu'à lui après qu'elle a découvert sa situation dans son intégralité. Au contraire, il avait plutôt réfléchi à faire un premier pas vers elle, quitte à se faire jeter. Doit-il y voir la possibilité de poser de nouvelles bases, plus saines ? “What can I do for ye then ?”5 ______________________ 1Bonjour à vous, jeune fille. Nous n'avons pas été présentés : Gregory MacFusty, ravi de vous rencontrer. 2Assez. Laisse nous seuls, mon oncle. J'attends de vous tous aucune interruption. Est-ce que je suis bien clair ? 3Pardon pour ça. Ils peuvent se montrer réellement lourds. 4Installe-toi, je t'en prie. 5Que puis-je faire pour toi, donc ?
Elle ne savait pas vraiment à quoi elle aurait dû s'attendre en vérité lorsqu'elle avait décidé de s'inviter sans prévenir au fief des MacFusty. Avait-elle vraiment cru ne serait-ce qu'une seule seconde qu'elle pourrait y mettre un seul pied sans qu'Alistair ne soit au courant, sans aucune confrontation ? Pensait-elle vraiment possible de remettre son cadeau au fils du chef de clan sans que son père ne soit là ? Sincèrement, les derniers mois ne l'avaient pas épargné, mais tout de même ... D'habitude, elle était plus réfléchie que cela. Son acte de spontanéité allait lui servir de leçon, du moins, c'est ce qu'elle se répétait tandis qu'elle patientait comme une invitée bien élevée dans l'immense hall du château. Quelle magnifique bâtisse en tout cas ... Malgré le cadre de pierres, elle avait l'impression d'être dans un véritable foyer, un lieu accueillant, et bien loin du manoir familial qu'elle avait connu toute son enfance, ce lieu froid et déshumanisé. Il devrait être agréable de grandir dans un lieu pareil, se fit-elle la réflexion en laissant sa main se balader sur l'immense cheminée, avec délicatesse et fascination. Elle fut tout de même un brin surprise face à l'apparition du spectre à l'allure typiquement écossaise : même si elle s'était dit que la possibilité qu'elle rencontre des fantômes dans ce château n'était pas faible, elle ne s'était pas attendue à ce que cela arrive alors qu'elle venait à peine d'y mettre les pieds. Elle n'était pas véritablement habituée aux spectres, mais elle lui rendit son sourire sans trop hésiter : celui de son interlocuteur était contagieux, il fallait bien le reconnaitre.
" Bien le bonjour à vous aussi ! Je suis enchantée moi aussi, ce n'est pas tous les jours qu'on a la chance de rencontrer les membres du clan MacFusty, déclara-t-elle avant de décider de se présenter. Je suis Siobhàn O' ... commença-t-elle avant d'être coupée par l'arrivée extrêmement "discrète" de son hôte, vers qui elle se tourna alors, les joues un peu rougies et l'air presque coupable, comme si elle venait d'être prise sur le fait en train de commettre on ne sait quel forfait. "
Elle ne comprenait pas un mot au gaélique, mais à les voir discuter ainsi, cela titillait sa curiosité : tiens, peut-être qu'elle devrait s'y mettre ? Cela pourrait occuper une partie de son temps, et puis vu le visage des deux écossais, leur discussion devait valoir le coup. Elle ne peut s'empêcher de rire doucement devant la courbette de l'oncle Gregory, qui avait l'air plus qu'amusé par la situation avant qu'il ne disparaisse et ne la laisse seul avec Alistair. Même si une petite partie de sa tension était revenue en le voyant, ce léger incident avec le facétieux spectre l'avait suffisamment détendue pour qu'elle puisse lui faire face sans trembler de regrets ou de colère.
" Pas de souci, Gregory a été un vrai gentleman, voulut-elle le rassurer tout en s'asseyant sur le siège qu'il venait de lui désigner. Cela doit être une caractéristique des MacFusty, ajouta-t-elle en plaisantant légèrement, oubliant pendant quelques secondes qu'elle était supposé lui en vouloir ne serait-ce qu'un peu. "
C'était difficile de se cramponner à cette idée quand elle se retrouvait en sa présence. Peut-être était-ce pour cela qu'elle avait inconsciemment tant tenu à l'éviter ? Parce qu'elle se doutait qu'elle faiblirait en sa présence ? Surtout lorsqu'elle notait ses petites attentions qu'il avait à son égard, comme le fait qu'il se soit souvenu qu'elle ne buvait pas de café & qu'elle préférait de simples thés. Peut-être avait-elle été trop dure dans son jugement ? Non ... Ce n'était pas le moment de penser à cela ... En tout cas, elle n'arrivait pas à décrypter l'émotion d'Alistair, et le fait que son regard à elle se concentre sur la tasse qu'elle tenait entre ses mains n'aidait pas réellement. Elle releva les yeux lorsqu'il l'interpella directement à propos des raisons qui l'amenaient là.
" Oh, c'est assez simple en vérité ... Lors du Gala de Janvier, j'ai remporté un lot qui plairait sûrement à Lucàs et je me suis dis que cela pourrait être un cadeau parfait pour lui. J'aurais sûrement pu te le faire parvenir par hibou, mais ... Mais disons que je me suis dis qu'il serait plus convenable de l'amener et le remettre en main propre, déclara-t-elle sans oser avouer qu'elle avait longuement hésité à opter pour une option plus lâche. Et puis ... Et puis je devais m'excuser, laissa-t-elle échapper, un peu honteuse. Je crois que depuis quelques mois je n'ai pas eu le comportement digne d'une bonne amie & ce n'était pas mon intention. "
Voilà, réassurer son statut d'amie, voilà ce qui pourrait l'aider ... C'était ce qu'elle avait choisi de faire : elle tenait suffisamment à Alistair pour bien se rendre compte qu'elle n'avait pas envie de couper totalement les ponts avec lui et c'était l'unique façon raisonnable qu'elle avait trouvé pour rester à ses côtés malgré ce qu'elle savait désormais à son propos. Il était fiancé et en aimait une autre, elle devait donc faire la part des choses et tuer dans l'oeuf les quelques bribes d'attachement qu'elle ressentait à son égard. Elle le regarda donc droit dans les yeux et sourit calmement après avoir bu une gorgée de thé.
" J'espère que tu ne m'en veux pas trop, même si je comprendrais parfaitement si c'était le cas, ajouta-t-elle après avoir posé sa tasse, en se grattant doucement la joue, un brin gênée. "
Un gentleman ? Ce n'est clairement pas le premier mot qui serait venu à l'esprit d'Alistair pour décrire son vieil oncle. Elle n'a de toute évidence pas compris un traître mot de ce que ce dernier lui a confié pour penser cela. Ce détail est rapidement balayé par le compliment sous-jacent qu'elle lui offre, bien qu'il se dise qu'il n'a pas vraiment eu le comportement d'un gentleman dernièrement. Alors il ne relève pas, s'installe, attrape la tasse de café noir qu'il a fait apparaître et en boit une courte gorgée. Imperturbable, comme à son habitude. Les yeux sondant la jeune femme, cherchant les raisons de sa visite, et puis aussi essayant de voir comment elle se sent ici. Il sait bien que sa demeure n'est pas des plus accueillantes et… Et bien il y a aussi tout ce qu'il s'est passé entre eux. C'est le dragon dans la pièce, que chacun d'eux s'efforce de ne pas voir, de toute évidence. Elle lui expose la raison de sa visite, et le chef de clan laisse transparaître une légère surprise en entendant ladite raison. Lucàs ? C'est très prévenant comme attention, et quoi que ce soit, il en sera ravi. Il hoche la tête alors, écoutant attentivement, et l'invitant silencieusement à continuer. Et s'interdit en entendant les excuses de la jeune femme. La tasse à mi-chemin de ses lèvres, il la dévisage comme s'il voulait y trouver les marques d'une plaisanterie, ou d'une manoeuvre dont il n'aurait pas encore saisi les tenants et les aboutissants. Véritablement surpris, il ne pense pas une seconde à l'interrompre pour la contredire, pas plus qu'il n'envisage de s'excuser lui-même. Non, il a une réaction des plus étonnantes : il se lève et repose sa tasse sur la table basse. “Come with me.” Il a un geste, pour l'inviter à le suivre. “You may leave your bag, it'll be safe here.”1 Il ne voudrait pas qu'elle soit encombrée. Sans ajouter quoi que ce soit pour expliquer cette attitude totalement inappropiée, il prend la direction de l'extérieur en remettant sa veste en cuir de dragon sur ses épaules pour se protéger du froid. Les portes s'ouvrent d'elles-mêmes devant lui alors qu'il sort, veillant à être suivi par la jeune femme. Il s'avance, silencieux, sur un chemin qui serpente le long du château, et le suit. Il tourne au coin de la bâtisse, passe sous le couvert des arbres, et là, la vue se dégage. Ils sont à quelques mètres à peine du bord de la falaise, et, face à eux, c'est tout un glen, comme ils l'appellent ici, qui s'étend. Avec l'océan qui mugit sur le côté. Sans parler des quelques dragons retenus dans des enclos magiques en contrebas. Croyez-le ou non, Alistair n'a pas faire sortir Siobhàn pour lui faire profiter de cette vue à couper le souffle. La stratégie est toute autre. “Walls have ears, and the family ghosts are verra… They're crazy about gossiping.”2 Et étant donné tout ce dont ils doivent parler, il ne veut pas prendre le risque qu'un seul de ces fouineurs entende la teneur de leurs propos. Il a encore le droit à une vie privée, pas vrai ? Il ne manquerait plus que sa mère, l'instigatrice de ses fiançailles, aprenne qu'il fricote avec une autre femme… Il imagine déjà la scène. Et pour cause : elle serait sans doute du même tonneau que celle qu'elle a joué le jour où elle a appris que son fils unique s'était fiancé avec une moldue. Il ne s'arrête pas de marcher, suivant le sentier le long de la falaise. Être à l'extérieur lui permet de mieux penser, et puis, au moins, il ne sont pas obligés d'être face à face pour aborder des sujets sensibles. Il laisse pourtant le temps s'écouler un peu, et le silence s'étendre, comme s'il cherchait les mots justes, ou le courage de dire ce qu'il a à dire. “There's nothing you should apologize for,” commence-t-il, revenant aux excuses qu'elle lui faisait tantôt. “And there's no reason for me to resent you for anything.” Il se tourne vers elle, arrêtant de marcher une seconde. Prend une longue inspiration. La regarde droit dans les yeux. “I'm the only one to blame for all this.”3 Remarquons la façon avec laquelle il évite, soigneusement, de détailler ses torts. A-t-il vraiment besoin de les lister ? Il n'imagine pas une seule seconde que Siobhàn s'imagine encore plus flouée qu'elle ne l'est réellement. En même temps, il lui est difficile de s'imaginer amoureux d'Artémis, beaucoup trop jeune pour lui, et surtout qu'il a rencontrée le jour-même de leurs fiançailles. Certes, ils sont plutôt complices et ont la même vision de ce mariage arrangé. Mais ne parlons pas d'amour, s'il vous plaît ! Ils se connaissent à peine ! “That being said… Il a recommencé à avancer le long du sentier, guettant l'activité dans les enclos. Il y a du mouvement, l'un des dragons n'a pas l'air décidé à laisser les soigneurs s'occuper de lui. Mais les sorciers qui l'entourent sont bien assez pour le maîtriser. “I regret nothing of what happened between the two of us.”4 Ce qui est vrai. En revanche, il n'anticipe pas que son interlocutrice puisse mal comprendre sa déclaration et donc s'offusquer d'avoir été prise pour une distraction. Alors qu'il n'en est rien. ______________________ 1Viens avec moi. Tu peux laisser tes affaires, elles seront en sécurité ici. 2Les murs ont des oreilles, et les fantômes de la famille sont très… Friands de potins. 3Tu n'as pas à t'excuser pour quoi que ce soit. Et je n'ai aucune raison de t'en vouloir. Je suis le seul à blâmer dans cette histoire. 4Ceci étant dit… Je ne regrette rien de ce qu'il s'est passé entre nous.
Le thé qu'Alistair avait eu la gentillesse de lui servir était délicieux. Bon, pas aussi excellent que ceux qu'il lui arrivait de faire - s'il y avait bien une chose dont elle était fière, c'était de ses talents pour les remèdes à base de plantes ! - mais de grande qualité tout de même. Il avait beau ne pas forcément aimer ce type de boisson, il soignait tout de même ses invités qui appréciaient cela ! Quand elle vous disait qu'Alistair était un vrai gentleman ! En tout cas, plus elle parle, plus la tension qui l'habite revient au galop, surtout en voyant le calme imperturbable qui a l'air d'habiter son interlocuteur ... Même lorsqu'il se fige, comme surpris par ses dernières paroles, elle est tellement concentrée sur le fait de faire bonne figure et de rester campée sur ses positions qu'elle passe à côté de sa réaction. Par contre, c'est à son tour d'être surprise lorsqu'elle le voit reposer sa tasse et se relever sans prévenir. Pendant quelques secondes, elle panique intérieurement : lui en veut-il de ce qu'elle vient de dire, se braque-t-il ? Et puis elle se calme, se rappelant qu'il s'agit d'Alistair, et pas d'un membre de sa famille, si prompt à s'énerver. Suivant ses conseils, elle dépose son sac à bandoulière au pied du fauteuil qu'elle vient de quitter et le suit en silence, en tentant de maîtriser sa nervosité.
Elle doit bien se l'avouer, l'endroit est magnifique ... Qu'il s'agisse de l'antique bâtisse des MacFusty ou de l'endroit où celle-ci a été bâtie, rien ne semble avoir été laissé au hasard, tout est fait pour émerveiller les visiteurs et rendre la vie agréable aux habitants des lieux. La potionneuse ressert le col de sa veste, pour que le vent ne s'y engouffre pas et laisse son regard se balader sur la vue qui s'ouvre à elle, ses cheveux volant au vent. Elle aurait pu passer des heures ici, à observer l'endroit ... C'est la voix d'Alistair qui la ramène sur terre, sa réflexion par rapport aux nombreux fantômes.
" Ils doivent être curieux ... Il faut bien trouver de quoi se distraire lorsqu'on décide de rester hanter les générations futures, plaisanta-t-elle doucement en continuant à marcher dans ses pas, son anxiété cédant petit à petit la place à de la curiosité : où l'emmenait-il donc, de quoi voulait-il parler pour avoir besoin de l'emmener à l'écart ? "
Au fond, elle se doutait du sujet qu'il voulait aborder, celui-là même qu'elle avait voulu éviter en tentant de lui opposer cette fin de non-recevoir, avec son rappel de "je n'ai pas été une bonne amie" ... Elle est presque étonnée lorsqu'il reprit la parole par la suite & encore plus quand il lui fait face en reconnaissant ses torts. Alors il était donc conscient du fait que ce qu'il avait fait n'était pas correct ? Il le savait ? Est-ce qu'il en avait toujours été conscient ?! Une étincelle de colère se ralluma en elle, mais elle s'efforça de l'étouffer, de rester calme. Elle espérait sincèrement qu'elle interprétait mal ses paroles, qu'il ne voulait pas dire qu'il avait fait exprès de manipuler ses sentiments ... Non ... Elle ne voulait pas y croire, pas Alistair ... Sio prit une grande inspiration & décida de l'écouter jusqu'au bout, préférant lui laisser une chance : après tout, elle était prompte aux mésinterprétations, elle s'en souvenait ... Elle eut l'impression de recevoir un coup de massue en écoutant sa dernière déclaration : il ne regrettait rien ? Il ne regrettait pas de l'avoir manipulé, il ne regrettait pas d'avoir provoqué en elle de telles sensations, qu'est-ce qu'il ne regrettait pas ?! Elle avait l'impression de devenir folle, de surinterpréter tout ce qu'il disait ... Et elle, regrettait-elle vraiment ce qui c'était passé entre eux ? Ou ne regrettait-elle pas plutôt le fait qu'il ne soit pas aussi libre qu'elle ne l'avait imaginé au premier abord ? Elle se tordait les mains inconsciemment, tentant par ce biais d'évacuer la tension qui l'habitait.
" Mais ... Ce que tu as fait. Non, non, je veux dire, ce que nous avons fait, ce n'est pas correct ... Pour ... Pour ta fiancée, et même pour nous, pour moi, s'étrangla-t-elle, ne pouvant décemment plus retenir ce cri du coeur. Je pensais ... J'avais cru que ... Mais je me suis trompée, et je ne veux pas être ce genre de personne, balbutia-t-elle ensuite, en suivant un raisonnement qui lui paraissait très clair, mais qui pour Alistair ne devait avoir aucun sens. "
Habituellement, la jeune femme n'est pas du genre à paniquer ou à perdre son sang-froid, bien au contraire. Mais les relations "amoureuses" et tout ce qui s'y rapporte, elle n'a jamais vraiment connu ça, et elle était prête à se lancer dedans à corps perdu, comme dans tout ce qu'elle faisait, même si elle était très timorée dans sa façon de le montrer et de l'accepter. N'en pouvant plus, elle s'arrête de marcher et tourne le dos à Alistair, préférant concentrer son regard sur tout autre chose que lui, sur les dragons qu'elle aperçoit tiens par exemple, tout pour éviter de lui montrer son regard tremblotant et les larmes de frustration qu'elle retenait. Elle ne savait plus où elle en était, elle ne comprenait plus rien à toute cette histoire ... Et en prime, elle ne pouvait même pas le planter là en transplanant, puisqu'elle en était tout à fait incapable !
" Tu sais, je ne regrette pas vraiment ce qui s'est passé moi non plus, réussit-elle à dire après avoir repris un peu contenance. Je sais que ça pourrait faire de moi une horrible personne de le reconnaitre, mais c'est vrai. Et c'est pour ça qu'il ne faut pas que ça se reproduise, qu'il faut que je ... Que nous nous contentions d'être amis, et c'est tout. Tu dois penser à ta fiancée ! Elle ... Elle est si jeune, si jolie, et puis, tu l'aimes après tout ! Je ... Je comprend pas vraiment ce qui nous est passé par la tête cet été, mais nous n'aurions pas dû. Je ne dis pas du tout que tout est de ta faute, bien au contraire, s'exclama-t-elle ensuite en se retournant vers lui, les joues rougies. Oui, je n'étais pas au courant de tout et tu n'aurais pas dû me cacher ce genre de chose, mais ça n'excuse rien ... Je me suis complu dans cette idée que moins j'en savais sur toi, plus ce serait amusant de le découvrir par la suite, mais j'ai eu tort ... "
Oui, elle avait eu tort ... Elle le regretterait longtemps et elle n'était pas prête de l'oublier ça ... Mais au moins, elle se réconfortait en se disant qu'elle avait pu lui dire ce qu'elle avait sur le coeur et qu'ils allaient décemment pouvoir tirer un trait sur ce qui c'était passé. Et si jamais ils n'y arrivaient pas ... Et bien il lui faudrait accepter de perdre un bon ami. Jamais elle ne serait celle qui détournerait un fiancé de sa promise qu'il aimait, jamais. Parce qu'il devait bien l'aimer après tout, pas vrai, pour se remarier après avoir perdu son ancienne femme, qu'il avait l'air d'avoir adoré plus que tout ?
Evidemment que ce genre de remarques peut entraîner des erreurs d'interprétation, et Alistair le sait très bien. Il s'attend à cet écueil, et est prêt à affronter la colère qu'il peut en résulter. Évidemment, si cela était compris directement, ça arrangerait bien ses affaires, mais dans le cas contraire… Il y a souvent beaucoup de choses qui peuvent ressortir d'une conversation plus tendue, et ça l'aiderait à y voir plus clair dans ce bordel qu'il a lui-même créé. On reconnaît bien là le joueur d'échecs, qui avance ses pions et anticipe les coups de l'adversaire. Ah, ça, il n'a pas fait ses études au sein de la maison des Serdaigle pour rien, l'animal ! Il peut prévoir qu'une telle parole peut déclencher plusieurs réactions, et a déjà en tête la façon dont il peut s'y adapter. De la manipulation ? Oui, on peut y voir une telle facette. Lui vous parlera plutôt d'une façon de démêler les choses et de rationaliser les relations humaines. Il n'oublie pas pour autant que l'humain comporte toujours une part d'imprévisible, et qu'il ne s'agit pas là d'une science exacte. Pour répondre aux questions intérieures de Siobhán, oui il savait très bien ce qu'il faisait. Il avait alors eu parfaitement conscience de mettre le doigt dans un engrenage qu'il voulait éviter à tout prix. Alors quoi ? Alors il s'était laissé emporter par la passion qui l'anime, cette part de lui qui n'obéit pas à la froide logique qu'il essaie d'appliquer à chacune de ses prises de décision. Il avait craqué face à la douceur du moment. Et s'était dit, compte tenu de la porte de sortie laissée par la jeune femme, les conséquences seraient moindres. Il s'était trompé. Même plusieurs mois plus tard, les conséquences sont visibles. Enfin, sur lui, pas tellement, même si elles sont là intérieurement. Mais sur la belle irlandaise… Observateur comme il est, il voit bien les gestes de nervosités, autant qu'il entend la voix qui s'étrangle. Elle s'arrête de marcher, et lui aussi, grimace en la voyant lui tourner le dos. Ne vous l'ai-je jamais dit ? S'il y a bien une chose face à laquelle il ne résiste pas, ce sont les larmes d'une femme… Oui, c'est sexiste, mais que voulez-vous, il a été élevé là-dedans ! Il se soigne, promis. Il la laisse exploser, si tant est qu'on puisse parler d'explosion, écoute avec attention, sans un mot, comme à son habitude. Il voit les yeux briller de larmes, les joues rosir de… Gêne ? Embarras ? Honte ? Colère ? Peut-être un peu de tout ça à la fois, mais ne dit rien. Ça ne sert à rien de l'interrompre, de toute façon. Alors il reste là, s'approche pour être à sa hauteur. Et quand elle a fini, il lève la main et vient la poser sur sa joue dans un geste d'une infinie tendresse, balayant du pouce une larme qui avait perlé au coin d'un oeil. “Sometimes, I'm tired of being who I am,”1 souffle-t-il calmement, comme si cela n'était absolument pas hors sujet. Parce que ça ne l'est pas, mais attention, il va falloir s'accrocher pour comprendre exactement où il veut en venir. Il ôte sa main du visage qui ne lui a rien demandé, indifférent au vent qui balaie le littoral, ou au rugissement de dragon qui caresse le glen. “I became the clan chief when I turned seventeen and from that day on, I was left with very little choices over my ain life,” confie-t-il. Notons en passant qu'Alistair n'est pas homme à se confier facilement, vous l'aurez remarqué, et que ce n'est pas un petit pas vers la jeune femme qu'il fait là. “I am weel aware that every single choice that I make has consequences on the whole clan. Even on my personal life.” D'un geste, il invite Siobhán à reprendre la marche qu'ils ont commencé le long des falaises. “I can only let you imagine how my family reacted on the day I announced I had got handfasted to a muggle.”2 En particulier sa mère, qui avait été proprement scandalisée par la nouvelle, alors même qu'il refusait tous les partis qu'on pouvait lui proposer, quand bien même les jeunes femmes concernées étaient-elles belles, intelligentes, bien éduquées et surtout de bonnes familles. Ah ça, Alistair a toujours été du genre têtu. “About a year ago, it was decided that I couldn't stay a widower forever, even though I already had a male heir.” Il parle avec un certain agacement dans la voix, et on ne doute pas une seconde que ces mots ne sont pas les siens mais ceux qu'il a entendus ce jour-là, où on lui a annoncé qu'il n'allait pas porter le deuil toute sa vie. “I was told that they had found a suitable young woman to get married to. That she was from a fit family, with scottish lineage. The fact that none of us knew the other didna seem to carry weight.”3 Il prend une profonde inspiration, guette la brume qui glisse sur l'océan sans s'offusquer de son agitation. “At the same time, I met a lass that obviously had no idea of who I could be. She didna care about my blood, my position, or anything else. And I liked how simple the relationship with her was. The more I got to know her, the more I liked it, and the more I liked her.”4 Un soupir passe ses lèvres alors qu'il pose les yeux sur elle, sans cesser de marcher. “I guess I got carried away about what she was giving me. That freedom to be myself and to forget about everything else. Being appreciated for myself as much as I could appreciate her for who she was.” Il marque une courte pause, comme s'il cherchait les mots justes, la façon la plus claire et la plus honnête de dire les choses. “For the first time in a verra long time, I had something for myself. I'm sorry I showed myself selfish about that. You're right, I should've told you. But that is the only thing I am sorry for.”5 On ne lui fera pas regretter ces instants volés, certainement pas. Encore moins maintenant qu'il les sait envolés. ______________________ 1Parfois, je suis fatigué d'être qui je suis. 2Je suis devenu le chef du clan quand j'ai eu dix-sept ans, et depuis ce jour, j'ai eu très peu de contrôle sur ma propre vie. J'ai parfaitement conscience que chacun de mes choix a des répercussions sur la totalité du clan. Même des choix sur ma vie privée. Je ne peux que te laisser imaginer la réaction de ma famille jour où je leur ai annoncé que j'avais prêté le serment des mains avec une moldue. 3Il y a environ un an, on a décidé que je ne pouvais pas rester veuf toute ma vie, bien que j'ai déjà un héritier mâle. On m'a annoncé avoir trouvé un bon parti à qui me marier. Qu'elle était d'une bonne famille, descendante d'une lignée écossaise. Le fait que nous ne nous connaissions pas n'a pas eu l'air de peser dans la balance. 4Au même moment, j'ai rencontré une jeune femme qui n'avait de toute évidence aucune idée de qui je pouvais bien être. Elle n'avait rien à faire de mon statut de sang, de mon statut social, ou quoi que ce soit d'autre. Et j'aimais la simplicité de ma relation avec elle. Plus j'apprenais à la connaître, plus je l'appréciais, elle et la relation entre nous. 5J'imagine que je me suis laissé emporté par ce qu'elle me donnait. Cette liberté d'être moi-même et d'oublier tout le reste. D'être apprécié pour ce que je suis autant que je pouvais l'apprécier pour ce qu'elle était. Pour la première fois depuis longtemps, j'avais quelque chose pour moi. Je suis désolé de m'être montré aussi égoïste à ce sujet. Tu as raison, j'aurais dû te le dire. Mais c'est bien la seule chose pour laquelle je sois désolé.
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Sujet: Missed You 
