Premier service

Ce soir, c'est notre premier jour de travail. J'attends Opal devant sa salle de classe. Bien sûr, comme je finis plus tôt qu'elle le mardi, j'aurais pu y aller seule et l'attendre devant le restaurant, mais c'est notre premier jour, alors je préfère qu'on y aille ensemble. Histoire d'être sûre qu'elle vienne. 
La cloche sonne et les apprentis vétomages déboulent hors de leur classe. Je me suis placée loin de la porte, pour ne pas risquer d'être bousculée par des étudiants trop pressés de sortir. Je repère rapidement Opal. En même temps, une albinos d'un mètre soixante-quinze ça ne court pas les rues. 
Je me dirige prudemment vers elle et lui sourit en déclarant :

- Salut Opal ! Comment c'est passée ta journée ? Tu a parlé aux autres ?

J'ai l'impression d'être une maman à la sortie de l'école primaire. J'écoute sa réponse puis reprend :


- Bon, il faut qu'on y aille, sinon on va être en retard pour notre service. 

Une fois dehors, je secoue mes cheveux blonds en souriant de bonheur. Le soleil a fait une timide sortie en début d'après-midi, et à présent les nuages ont totalement cessés de le dissimuler. Je ferme les yeux un instant, sans prêter attention aux passants moldus qui nous regardent d'un air ahuris. C'est vrai que voir une géante albinos et une minuscule fée blonde, ça n'arrive pas tous les jours. Mais bon, on a l'habitude. 
Excitée comme une puce, je me tourne vers Opal en sautillant.

-J'ai trop hâte de commencer le service ! On va pouvoir rencontrer plein de gens différents, avoir plein d'expériences enrichissantes ! T'a pas hâte toi ?

Oups. Je crois que j'ai fait un petit faux pas... Opal a l'air tellement stressée, ça me fait de la peine. Elle a l'air un peu préoccupée, aussi. 
On arrive au restaurant avant que je trouve quoi lui dire. On reste un peu devant la porte, puis je finis par la pousser et on entre. Le directeur nous bondit dessus dès qu'on pose le pied à l’intérieur :

- Ah vous êtes là ! Alors, vous c'est Opaleye et Aelenia c'est ça ? Dit-il en me désignant puis en montrant Opal. Je souris, amusée par le personnage haut en couleur, et corrige :

- En fait, c'est moi Aelenia, et elle Opaleye. Mais vous pouvez nous appeler Léni et Opal, c'est plus facile. Lui dis-je en souriant. 

Le directeur acquiesce et reprends :

- Alors moi c'est monsieur Hidalgo, je suis le directeur. Mais trêve de plaisanteries ! Je vais vous montrer vos vestiaires, vous mettrez votre uniforme qui, normalement, est à la taille que vous nous avez communiquée, et après je vous expliquerais ce que vous allez devoir faire. Allez, hop hop hop, plus vite que ça !

Avec Opal, on se dépêche de faire ce qu'il nous demandé. Dans le vestiaire, on découvre une rangée de casiers, dont deux sont à nos noms. J'ouvre le mien sans attendre, et découvre un uniforme noir : une jupe plissée avec des boutons blancs et un chemisier, noir avec aussi des boutons blancs. Je le revêt immédiatement, puis ferme mon casier. Pour me retrouver nez à nez avec une jolie brune.
Je sursaute, puis pose ma main sur mon cœur qui s'est affolé. 

La brune me sourit et s'excuse, puis se présente :


- Bonjour ! Je m'appelle Aurélie, je suis la chef des serveuses. Tu vas être dans mon équipe, alors je suis venue te dire bonjour et me présenter. Monsieur Hidalgo ne le fera jamais. 

Je lui rends son sourire et me présente à mon tour, bien qu'elle connaisse déjà mon nom. Je présente aussi Opal, qui est restée silencieuse. Je le sens bien, ce job. Aurélie a l'air d'être adorable, et Monsieur Hidalgo est ... énergique.

Je regarde avec inquiétude Opal qui commence à paniquer. Je prends son visage entre mes mains - je dois me hisser sur la pointe des pieds, elle est trop grande ! Je plante mes yeux dans les siens avec sérieux et gravité.

- Opal. Je dis d'une voix ferme. Opal, calme toi. On va être dans la même pièce, je ne serais jamais très loin. Et les gens sont gentils ! Il veulent juste passer une bonne soirée, ils ne vont pas te manger, ils savent qu'il y a un repas qui les attendent. Tu n'as qu'une phrase à dire, tu vas y arriver, tu en est parfaitement capable ! Et au pire, on a le même uniforme, alors si il y a un problème tu pourra aller aux toilettes et je te remplacerais. Ne t'inquiète pas, avec un petit tour de magie les moldus n'y verront que du feu. D'accord ? Je suis là.

Je vois qu'elle porte sa main à sa bouche pour se ronger les ongles et je fronce les sourcils.

- Ah non, tu ne vas pas recommencer ! 

J'enlève sa main de sa bouche et la regarde sévèrement.

- Opal, tout vas bien se passer. Tu peux le faire.

Pauvre Opal, ça me brise le cœur de la voir aussi paniquée. Mais je n'ai pas le temps d'essayer de la rassurer, Monsieur Hidalgo vient de taper contre la porte. Il nous explique rapidement notre rôle à toutes les deux, puis on doit aller se placer à nos postes. Je vais à côté d'Aurélie, qui m'explique plus en détails ce que je dois faire. Et le restaurant ouvre. 

Je n'ai pas le temps d'aller voir Opal, je suis tellement occupée avec tous les clients. Je prends les commandes, virevolte et navigue entre les tables du restaurant, toujours le sourire aux lèvres. Ma joie de vivre semble contaminer Aurélie et au reste de l'équipe, puisqu'ils finissent tous avec un léger sourire aux lèvres. 

Les pauses ont été déterminées à l'avance, et malheureusement je ne suis pas avec Opal. Je me retrouve avec un garçon blond, de taille moyenne, et au visage d'ange. Il est vraiment mignon. Nous sortons ensemble dans l'arrière cour, qui sert de fumoir aux employés. Mon collègue sort une cigarette de sa poche et m'en propose une, que je refuse avec un froncement de nez. 

- Alors, comment tu t'appelles ? On a pas eu le temps de discuter quand t'es arrivée. Moi je suis Caliban, mais tout le monde m'appelle Cal.

Je lui envoie un sourire éblouissant et réponds :

- Je m'appelle Aelenia, mais tout le monde m'appelle Léni. 

Il me rend mon sourire et demande :

- Tu as un drôle d'accent, tu n'es pas anglaise je me trompe ? 

- Non, je suis Néo-Zélandaise, je suis venue en Angleterre pour mes études. 

- Et tu fais quoi comme études ? 

- Médecine. 

Je réponds sans sourciller, je suis fière de moi. Mentir n'a jamais été mon fort, mais techniquement, je ne mens pas puisque je suis effectivement en médecine. Magique, mais médecine quand même. 

Cal me regarde avec de grands yeux. Ses yeux sont d'un joli gris clair, comme un ciel d'hiver, je n'avais jamais vu d'yeux comme ça. 

- Mais ... Tu trouve le temps de travailler ? Enfin, médecine c'est super dur, non ?

Je secoue la tête en souriant :

- Non, pour l'instant ça va. J'adore ça, donc je n'ai pas trop de mal. Et puis, je n'ai pas trop le choix, mes parents ne peuvent pas tout payer non plus. Et toi ? Tu es encore étudiant ?

Il hoche la tête et tire sur sa cigarette, puis tourne la tête de côté pour ne pas m'envoyer la fumée dans le visage. Puis il plante à nouveau ses yeux dans les miens.

- Non, j'ai abandonné mes études. J'avais commencé un master de physique, mais ce n'était pas vraiment mon choix, donc j'ai décroché au bout de deux ans. Maintenant, je travaille ici toute la journée et le soir, je suis barman dans un petit bar à quelques rues d'ici. 

Je hoche la tête et ouvre la bouche, prête à répondre, mais Monsieur Hidalgo déboule dans l'arrière-cour et nous hurle :

- Léni et Cal ! On a besoin de vous en salle ! Allez, hop hop hop ! On se dépêche !

Cal me lance un regard désolé qui me fait rire, puis je le suis à l’intérieur. En reprenant le service, il me chuchote : 
- Si tu es libre un soir, je t'invite à boire un coup. En tant que barman, je peux faire un peu ce que je veux. 

Je lui sourit sans répondre, et le service reprend. Je n'ai plus le temps de parler avec Cal, mais il m'envoie des petits sourires à chaque fois que je croise son regard. A un moment, un de mes collègues doit aller servir un verre de vin à une petite vieille dame, qui s'écrie, d'une voix tonitruante :


- Merci jeune homme ! Ah, je voudrais bien te baiser toi !

Surpris, le serveur rougit et s'éloigne rapidement. Un peu plus tard, Monsieur Hidalgo vient voir la petite vieille et lui demande de s'en aller, ce qu'elle fait docilement. Mis à part ce petit incident, il ne se passe rien de notable durant la fin du service.

Je finis mon service le sourire aux lèvres, puis vient le temps de partir. Cal doit faire la fermeture, donc je dis au revoir aux autres et rejoins Opal à l’extérieur. Je lui demande comment s'est passé son service, je l'ai complètement oubliée entre la masse de travail et Cal. Je m'en veux un peu, mais en même temps ça lui fait du bien d'être seule avec des inconnus. Belly, Dean et moi ne seront pas toujours derrière elle à la couver.

Service de.... Je hais mon boulot je hais Leni je hais tout le monde ! Je veux juste rentrer chez moi et oublier cette horrible soirée... Je cours dans tous les sens en essayant de ne pas paniquer. Il y a trop de monde ! C'est quoi ce restaurant ?! J'ai envie de pleurer. Je soupire longuement. Le serveur roux est gentil et il m'aide un peu mais le pauvre une vieille lui ait tombé dessus. Dès que je peux je retourne au vestiaire pour me changer en quatrième vitesse et je m'enfermer dans mon mutisme boudeur. Même quand Leni revient je grogne un peu. Je boude. J'aurais jamais du dire oui à ce boulot ! J'ai l'impression d'être Un gros dragon qui va cracher du feu. J'enfonce mes mains dans mes poches et mon menton dans mon écharpe refusant de parler.

Je le laisse tomber sur le canapé avant de me redresser pour aller préparer deux tasses de chocolat et de me rouler en boule dans un coin du canapé boudeuse. Je l'ecoute parler sans bouger avant de me souvenir d'une chose.

« Au fait. Belly a un petit copain. »

J'aurais peut être du la préparer .... Mais je suis en colère et je n'ai pas envie d'être gentille. Même si j'adore Leni je suis furieuse et mal a l'aise d'avoir du autant parler a des gens. Ça ne se fait pas ! C'est pas gentil c'est horrible. Puis j'étais toute seule...

Une fois rentrée à l'appart je raconte ma journée à Opal sans me douter une seconde de ce qui va arriver après. Je la remercie en souriant quand elle me tend une tasse de chocolat, mais je perds mon sourire immédiatement après. 

- Au fait, Belly a un petit copain.

Attends. Pause. Belly a quoi ?? mais ... Je me rends à peine compte que mes mains se sont écartées, laissant tomber la tasse pleine de chocolat brûlant sur mes genoux. Ma vision devient floue, et je me rends compte que je suis en train de pleurer. Je me lève rapidement et pars en courant m'enfermer dans ma chambre. Je claque la porte derrière moi, la fermes à double tour et me roule en boule sur mon lit pour pleurer toutes les larmes de mon corps. 

Que Belly ait un copain, ce n'est pas le problème. En Nouvelle-Zélande, beaucoup de filles lui tournaient autour, parce que, y'a pas à dire, il est beau mon Belly. Le problème, c'est que je suis dingue de lui depuis toute petite, et que j'ai toujours espéré qu'il tomberait amoureux de moi lui aussi. Mais bon, je ne lui ai jamais rien dit, je ne voulais pas que notre relation change, qu'il n'ose plus me toucher ou autre. 
Mais maintenant, cette révélation change tout. Si Belly est gay, ça veut dire qu'à moins que je change de sexe - ce qui n'est pas vraiment une option, je ne me vois pas du tout en garçon - je n'aurais jamais de chance avec lui. 

J'entend quelqu'un toquer à ma porte, mais je ne réponds pas. Les coups reprennent, puis j'entends un craquement, et un autre. Quelqu'un me prend dans ses bras et me caresse les cheveux. Je grogne :
- Si j'ai fermé la porte à clé, c'est pas pour des prunes. 

Dean me chuchote à l'oreille :

- Hey. Désolé, mais j'ai eu peur qu'il te soit arrivé quelque chose. Opal m'a dit que tu pleurais, mais elle a pas voulu me dire pourquoi. Tu as mal quelque part ?

Je secoue la tête et enfouis mon visage dans le creux de son cou. Mes larmes continuent à couler un moment, puis, les caresses de Dean m'apaisent et mes larmes finissent par se tarir. Je reste un long moment au creux des bras de Dean, qui me sert suffisamment fort pour que je le sente, mais pas assez pour me briser. J'adore quand il me câline, il n'y a que lui qui réussit à me serrer comme ça. Les autres ont peur de me faire mal donc ils restent aussi légers que des plumes, Opal et Belly compris. 

Quand je finis par me redresser et sécher mes larmes, je croise le regard tendre de Dean. Je lui sourit pour montrer que je vais bien, et il dépose un baiser-papillon sur mon front. Puis je m'extirpe avec difficulté de ses bras et ouvre ma porte. 

Je vais accepter l'idée que Belly ne sera jamais à moi. Il restera le frère d'Opal, mon frère de cœur, il reprendra le rôle qu'il n'aurait jamais dû quitter pour moi.