Burn the witch !

“Daaaad !”

Une moue curieuse sur le visage, Alistair avise les éléments du décor.
Il n'aime pas le cirque.
Non pas qu'il ait quoi que ce soit contre les acrobates et autres artistes capables de faire vivre la poésie la plus pure par les mouvements de leur corps. Il est davantage dérangé par le sort de bêtes emprisonnées pour le seul plaisir des spectateurs. Elles n'ont pas demandé à être là et à subir les cris apeurés de la foule. Qu'on lui retorque qu'elles sont bien traitées, et pour la majorité nées en captivité ! Il ne changera pas d'avis : un animal n'est pas un spectacle.
Visiblement, on n'en trouvera pas ici. Rassuré quant à cet état de fait - il n'aimerait pas devoir expliquer la captivité des bêtes à son fils - il observe autour de lui et il avise, au loin, le mouvement des artistes se préparant à monter sur scène. Lucàs avait dû insister pendant des semaines. La Cousine Emily lui avait parlé de ses voyages d'antan, des troubadours et des spectacles qu'elle avait vu durant sa courte vie ; l'enfant l'avait écoutée avec des étoiles dans les yeux. Qui lui avait soufflé qu'il était en mesure de voir pareilles merveilles de son vivant en allant au cirque ? Qui que ce soit, mieux valait pour lui que ce soit un spectre, sinon Alistair s'assurerait qu'il en devienne un à son tour.
À bout de patience, il avait fini par céder à la demande de son petit garçon. Une fois qu'il verrait que ça n'avait rien d'extraordinaire, il le laisserait tranquille.  

“Daaaad !”

Ils sont arrivés très en avance. N'ayant que rarement l'occasion de passer une après-midi entière avec son fils, Alistair en avait profité pour l'emmener faire un tour de manège, se promener, boire un chocolat chaud. Ils n'étaient pas passés inaperçus, tous deux habillés d'un kilt rouge et noir – que voulez-vous, Lucàs est prêt à tout pour ressembler à son père – mais n'avaient pas semblé s'en rendre compte.
Quand enfin, la lumière du jour commença à décliner, mais il restait encore un peu de temps avant le début du spectacle.
Beaucoup trop de temps.
Mais Lucàs n'avait pas tellement eu l'air de s'en inquiéter. En moins de temps qu'il n'en faut pour l'écrire, il avait repéré une petite fille de son âge. Alistair, rassuré de le voir s'amuser, s'était contenté de lui rappeler de ne pas trop s'éloigner, et avait veillé sur les deux enfants de loin. D'autres adultes passaient, souriant en voyant les jeux des deux petits qui s'étaient noué d'amitié à une vitesse fulgurante. Personne ne se laisse surprendre par le petit garçon qui n'a de toute évidence rien à faire là, ni à son accoutrement des plus décalés.

“Daaaad !”

Il faut que Lucàs l'appelle pour la troisième fois pour qu'enfin le chef de clan daigne lever les yeux de son journal du jour. L'enfant a l'air surexcité, mais il est seul. Où est donc passé sa copine ?

“Aye laddie ?
- The lassie ! She is a -”¹
Il s'interrompt subitement. Il regarde autour de lui d'un air suspicieux, dans une imitation parfaite de son père, et, une fois assuré que personne ne les écoute, reprend à voix basse, à toute vitesse : “She's a witch ! I seen her !
- Do you mean I saw her ?”² le reprend Alistair.
L'enfant n'a pas l'air de l'entendre. Il continue son histoire de façon décousue, et, habitué, l'adulte parvient à comprendre les tenants et les aboutissants de l'histoire.
Il jouait avec Lizbeth, et c'était très amusant, même s'ils sont tombés, ce qui explique ses jambes couvertes de bleus. Et puis, ils ont commencé à jouer à cache-cache, et puis…
Alistair hoche la tête tout au long du récit et hausse un sourcil à la chute, qui selon Lucàs est la preuve irréfutable que sa comparse a fait de la magie, et que c'est une sorcière, comme eux.

Alors le père s'efforce de rappeler à son fils qu'il doit faire preuve de discrètion. Que même s'il a raison, il ne faut rien dire : elle est visiblement née-moldue, et ils n'ont pas le droit d'ébruiter le secret magique. S'il advient qu'en effet, c'est une sorcière, elle recevra sa lettre de Poudlard dans quelques années, comme lui. Mais en attendant…

C'est en pensant que le petit garçon a bien compris qu'il se dirige vers les gradins, en prévision du spectacle. Le petit écossais est redevenu silencieux et suit sagement la voie ouverte par les larges épaules de son père, jusqu'à son siège.
Oublié, l'incident. Il est à nouveau surexcité à l'idée de voir le spectacle. Et ce sera avec moultes “ooooooooh !” et “aaaaaaaaaaah !” qu'il accueillera les acrobaties. Il applaudit poliment aux autres performances, moins enthousiaste
Lorsqu'enfin les lumières reviennent, il réclame à aller voir les artistes. Il veut voir les contortionnistes, et puis les voltigeurs !
“It was brilliant, Dad !” fait-il, main dans la grande patte caleuse. Il lui raconte à nouveau le spectacle alors qu'ils s'approchent de l'entrée des coulisses, sans que l'adulte ait vraiment l'espoir d'y entrer. Mais sait-on jamais qu'ils succombent aux yeux humides du petit garçon…

Et puis…

“That's her Dad !” s'exclame-t-il brutalement. Alistair n'a pas le temps de lui rappeler combien il est malpoli de montrer du doigt que Lucàs continue : “The witch lassie I telled you about !”³
Indifférent à l'erreur de langue, l'adulte serre brutalement la main de l'enfant, qui comprend immédiatement qu'il a fait une bêtise. Il met une main devant la bouche et jette un regard inquiet à la mine fermée de son père. Ce dernier reste imperturbable d'apparence, et réfléchit déjà à la façon dont il va pouvoir les sortir de là.
L'avantage avec les petits, c'est qu'on peut prétendre à une fantaisie de leur part, un rêve éveillé…

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¹Oui bonhomme ?
- La petite fille, c'est une - !
²C'est une sorcière ! Je l'a vue !
- Veux-tu dire je l'ai vue ?
³C'est elle Papa ! La fille sorcière que je t'ai dit !

Il ne faut qu'une seconde, à l'attitude de la petite fille, pour qu'Alistair comprenne qu'elle s'était littéralement planquée dans les jupes de sa mère.
La réaction de ladite mère lui échappe toutefois. Il n'est certes pas en mesure d'entendre les échanges, plus ou moins tendus, mais le langage corporel lui souffle toute la tension chez l'acrobate.
Il ne comprend pas. Comment une remarque aussi anecdotique – celle d'un enfant – pouvait-elle déclencher ce genre de réaction ?
Il n'a pas tellement le temps de se poser la question, car Lucàs dégage son épaule de la main de son père.

Car s'il est bien une qualité dont il a hérité des MacFusty, c'est le sens de l'observation. Sans l'interpréter, il voit que Lizbeth n'est pas dans son assiette. Elle est même dans une mauvaise passe. Elle a le même regard fuyant que lui quand il a fait une bêtise et que Papa s'en rend compte.
Il ne peut pas la laisser seule, alors qu'elle n'a pas fait de bêtise !
C'est lui qui en a fait une, en voulant la montrer à Papa !
Alors il profite de sa petite taille pour filer dans les coulisses, laissant derrière lui un Ecossais stoïque, mais interloqué.
Mais quelle mouche avait donc bien pu piquer son fils pour qu'il se lance ainsi au secours d'une demoiselle en détresse ?
Alistair se lance donc à la poursuite de Lucàs, avec moins de facilités. La largeur d'épaules n'aide pas pour se faufiler, le kilt n'aide pas pour rester discret. Il doit expliquer une fois, deux fois que son fils a filé à travers les couloirs, et qu'il ne veut que le rattraper.
Loin de lui l'idée de déranger les artistes.

Lucàs suit donc les deux filles, avec une certaine discrètion qu'il ne doit qu'à l'agitation ambiante. Il se faufile, se glisse, et arrive enfin à leur hauteur quand…
Il se heurte à une porte close.
Hm.
Il ne doit pas entrer sans y être invité. Il devrait frapper à la porte. C'est qu'il est un enfant bien élevé. Mais en même temps, n'y a-t-il pas urgence ? Ne doit-il pas venir en aide à Lizbeth, qui pourrait se faire disputer sans raison ?
Le petit garçon ne tarde pas à faire son choix.
Il donne deux petits coups dans la porte et l'ouvre.
“Och, sorry...” fait-il de sa voix fluette. “I'm sorry, I shouldn't have telled...
- Told,”¹ corrige une voix grave qui arrive derrière lui.

Une grimace déchire le visage du petit garçon. Il entend la tension dans la voix de son père, devine qu'il n'est pas content. Et il sait pourquoi : il s'est enfui sans demander son rester et il est entré quelque part sans y être invité. Et on lui a répété moultes fois qu'il devait se comporter correctement et respecter les autres.

“Sorry about that,” reprend l'adulte en posant à nouveau la main – plus solidement, cette fois – sur l'épaule de son fils. Il s'adresse directement à la jeune femme, calme, et penche légèrement la tête pour appuyer ses excuses. “He is still learning about manners.”²

Aucun sourire sur son visage, bien qu'il semble sincère.
Il faut dire qu'il est également curieux de comprendre la scène aperçue tantôt, la raison pour laquelle cette jeune mère a soustrait sa fille au regard des autres pour une remarque qui, si étrange puisse-t-elle sembler parmi les moldus, n'était que démonstration de la spontanéité d'un enfant.
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¹Oh, pardon… Je suis désolé, je n'avais pas dû dire…
- N'aurais.
²Désolé pour ça. Il apprends encore les bonnes manières.

Incident clos.
Alistair peut donc repartir. Et c'est bien ce qu'il a l'intention de faire. Il pousse son fils dans le dos, soucieux de l'éloigner de la porte – sans quoi la refermer serait compliqué – mais ce dernier a décidé aujourd'hui de faire toutes ses bêtises de l'année.
Quitte à en faire, autant y aller franchement, semble-t-il penser.
Alors Lucàs, libéré de la main sur l'épaule – puisque celle-ci est occupée à le pousser gentiment – se dégage à nouveau, et entre carrément dans la loge cette fois pour se mettre à la hauteur de sa camarade de jeu. Avec un sans gêne caractéristique des enfants de son âge, il s'assied tout naturellement sur le canapé, à côté d'elle, et toise les deux adultes avec une assurance toute écossaise.
Une grimace éloquente déchire le visage du père.
Je vais le tuer.
Mais ce dernier sait très bien ce qu'il veut.
Il ne veut pas que Lizbeth se fasse disputer. Et il ne veut pas qu'elle ait honte de ce qu'elle a fait. Après tout, ça lui arrivait à lui aussi, de faire de la magie sans le pouvoir. Papa lui avait bien dit que ce n'était pas grave, et qu'il apprendrait, plus tard, à canaliser et contrôler cette énergie. Même que c'était pour ça qu'il irait à Poudlard !
Elle avait le droit de le savoir aussi.

“Please don't punish her, Ma'am,”¹ fait-il alors en regardant Açelya dans les yeux.
La remarque de cette dernière ? Disparue des esprits.
Alistair croirait mourir de honte.
“Lucàs, thig air ais an seo, tha thu a 'fàs mì-mhodhail,” siffle-t-il d'un ton sévère.
Lucàs se tortille sur le canapé. Il voudrait obéir à son père, surtout que celui-ci commence à être en colère. Seules les circonstances l'empêchent de faire preuve de sa sévérité habituelle. Mais dans le même temps, l'enfant est convaincu du bien fondé de ce qu'il fait.
Alors il poursuit.
Bien comme il faut.
“But Dad... She can't be punished for that ! She didn't do it on purpose, I swear !”²
Qu'avait-elle fait ? On ne le sait toujours pas.
L'Ecossais passe une main sur son visage, dans un geste destiné à l'aider à garder son calme. L'impolitesse dont faisait preuve son fils pourrait le faire sortir de ses gonds. Sans doute avait-il une bonne raison de se comporter ainsi, et il n'en doutait pas – ou en tout cas, une raison qui semblait noble au petit garçon. Mais cela n'excusait pas les moyens employés.
Il aurait pu lui en parler, peut-être auraient-ils trouvé une solution.
Mais venir déranger une femme ainsi, dans sa loge, dans son intimité, s'inviter sans gêne... La honte découlant de l'éducation stricte du chef de clan le mettait mal à l'aise au possible.
“I'm so sorry about him,” répète-t-il, au comble du malaise. “I'm sure you understand.”³
Tenterais-tu de noyer le poisson, Alistair ? En en appelant à sa situation de jeune mère, sans doute elle aussi mise dans l'embarras à plusieurs reprises par sa progéniture ?
Oh mais c'est qu'on n'en a pas fini...

“They have the right to ken, aye ?”⁴ achève le petit garçon. Cette fois, Alistair perd des couleurs. Si Lucàs continuait, il allait devoir se charger soit de signaler la situation – et payer une belle amende, soit d'effacer lui-même la mémoire de la mère et de la fille – et payer une belle amende.
Autant dire qu'il n'avait pas tellement envie d'en arriver là.


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¹Ne la punissez pas Madame, s'il vous plait !
²Mais Papa… On ne peut pas la punir pour ça ! Elle n'a pas fait exprès, je le jure !
³Je suis tellement désolé… Je suis sûr que vous comprenez.
⁴Elles ont le droit de savoir, non ? (ken = dialecte écossais pour “know”)

Pourquoi diable avait-il voulu d'un enfant ?
Dans ce genre de situations, quand Lucàs n'en faisait qu'à sa tête, têtu comme un Ecossais, Alistair peinait à se souvenir par quelle miracle Charlotte et lui avaient pu ne serait-ce qu'envisager une progéniture. Visiblement le petit garçon avait décidé de faire fi de toute l'éducation qu'on tentait de lui transmettre : la politesse, le respect des aînés, le secret magique…
Rien.
Au moins, on se consolera en se disant qu'il avait au moins de bons repères en matière de relations sociales. Il agissait par sens de la justice, avec ce même côté protecteur que celui de son père.
Il serait temps qu'une femme leur signale qu'elles n'avaient pas besoin d'être protégées.

Face à la situation, l'esprit du chef de clan tourne à toute vitesse. Comment allaient-ils se sortir de là ? Allait-il devoir gérer cela du bout de sa baguette et s'en prendre à une jeune femme qui n'avait rien demandé à personne ? L'idée le répugnait.
Sauf qu'au bout d'un moment, à force de parler, Lucàs ne fait que les engluer dans l'embarras. Il les compromet comme jamais, indifférent à la punition cuisante qui l'attendra à la maison.
Il va se prendre la plus longue leçon de morale de sa vie. Papa sera peut-être même tellement furieux qu'il laissera la Tante Hildegarde et le Grand-Père Murchadh s'y mettre également.
Ou Grand-Mère.
Oh non, tout sauf Grand-Mère.

Et puis, finalement, tout s'arrange en une phrase.
Enfin, vis à vis de la situation. Le petit garçon ne s'en tirera sans doute pas aussi facilement.
Un sourcil se hausse sur le visage de l'Ecossais, et il jette un rapide coup d'oeil, fébrile, vers le couloir. Ce n'est pas le genre de conversation à avoir en plein monde moldu, avec une porte ouverte sur des dizaines de moldus justement. Il suffirait d'un rien pour qu'ils les entendent.
Il ne pouvait cependant décemment pas s'imposer dans la loge d'une femme en tenue légère. Ce ne serait pas gentleman, et elle avait sans doute tout sauf envie d'avoir un inconnu dans sa loge, justement.
Indifférent à l'inquiétude de son père, Lucàs laisse un large sourire déchirer son visage. Son enthousiasme est visible, et fait immédiatement plaisir à voir.
“Ooooh that is soooo great !” s'exclame-t-il alors. “You're the first witch I meet out of the clan and...”¹
Le monde n'existe plus. L'enfant s'adresse directement à sa copine et l'inonde de parole. Il babille joyeusement, sans prêter attention aux deux adultes. Il fait régulièrement des erreurs de langue, mais cette fois Alistair ne le corrige plus ; il faut dire qu'il ne l'écoute plus vraiment.
Cet enfant est aussi bavard que sa mère.
Mais l'adulte, quant à lui, préfère guetter les allées et venues dans le couloir. Le bout de sa baguette a glissé dans sa paume, discrètement, mais suffisamment pour qu'il puisse les isoler d'un Silencio. Il préfèrerait que son fils se taise, mais a abandonné la lutte.
Un groupe s'approche de la loge.
Trop de témoins, se dit l'Ecossais. Il lâche un grognement de mécontentement tout ce qu'il y a de plus grâcieux et fait finalement ce qu'il se refusait à faire : il entre dans la loge et ferme derrière lui.
“Sorry,” s'excuse-t-il une fois encore. “I really am. Lucàs, this is it. You are being rude. The lady wishes to be alone.”²
Enfin, les paroles du père semblent parvenir à l'enfant qui lève de grands yeux sur l'artiste. Avec cette candeur toute enfantine, il semble chercher si c'est en effet ce que la dame désire.
Il n'a pas remarqué le peignoir, penses-tu.
L'homme s'approche alors et attrape le petit garçon qu'il soulève sans effort. Hors de question, cette fois, de le laisser filer.
“Again, I hope you'll excuse us for the disturbance.
- Daaaad ! When will I see Lizbeth again ?”
Alistair lève un sourcil, interroge la femme du regard. Si en effet elle connaît le monde sorcier… Mais pourquoi s'en tient-elle donc éloignée ?
“Well… If her mother doesna mind...” Il coule un regard sur la femme. “She could come over any time.”³

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¹Oooooh mais c'est génial ! Tu es la première sorcière que je rencontre en dehors du clan et...
²Mes excuses. Vraiment. Lucàs, il suffit. Tu te montre impoli. La dame aimerait qu'on la laisse seule.
³A nouveau, j'espère que vous nous excuserez pour le dérangement.
- Papa, quand est-ce que je pourrai revoir Lizbeth ?
- Eh bien, si sa maman est d'accord… Elle peut venir quand elle le souhaite.

Une Cracmol.
Voici qui expliquait bien des choses. Sa réaction vis à vis de la gaffe de son fils, son envie d'expédier l'affaire au plus vite, et surtout son malaise vis à vis de la situation. Il aurait cela dit préféré le savoir plus tôt : ça lui aurait évité quelques sueurs froides.
Les deux enfants sont loin de ces considérations et, tels deux amoureux transis, insistent pour pouvoir se voir,  qu'importe l'avis des adultes. C'est dans cette optique qu'Alistair a proposé une porte de sortie, tant par souci pratique – il ne pourra pas amener Lucàs ici tous les quatre matins – que par sincère envie d'accueillir. Après tout, le petit garçon ne sortait que peu de l'archipel et n'avait que rarement l'occasion de se confronter au monde extérieur, ce qui lui semblait pourtant essentiel.
Ce serait une façon de faire d'une pierre deux coups : l'enfant gagnait une nouvelle compagne de jeu, et pouvait en apprendre plus sur le monde moldu d'où sa mère était originaire, là où la petite fille pouvait découvrir de ces yeux un monde dont, de toute évidence, elle ignorait tout.
La proposition de la mère lui arrache par ailleurs une grimace dubitative : lâcher deux enfants connaisseurs du monde sorcier en plein Londres moldu n'était pas du tout une bonne idée. C'était un coup à ce qu'ils révèlent le secret magique sans même s'en rendre compte.
Du suicide.

Il prend tout de même le morceau de papier, lit les mots sans les comprendre.
Du papier.
La dernière fois qu'il en avait eu entre les mains, c'était du papier à lettres tout ce qu'il y a de plus moldu, avec l'écriture ronde de sa femme. Troublé, il joue des doigts pour caresser la surface de la feuille.
Ce n'est qu'en poussant un soupir qu'il se rend compte qu'il a retenu sa respiration une poignée de secondes. Il s'efforce alors de remettre ses idées en place, passe une langue sur les lèvres pour se redonner une certaine contenance.
“Aye.”
Allez Alistair, tu peux faire mieux que ça. Il lit à nouveau les informations, cette fois pour les intégrer. Lucàs, coincé sur son bras, tente de déchiffrer le contenu du message, mais n'en a pas le temps qu'il a déjà disparu dans une poche. Alors il se contente de fixer le regard de son père avec de grands yeux mouillés, comme si cela pouvait le faire pencher en sa faveur.
“Although I'm not sure it'd be a good idea to leave two bairns playing around in the Muggle world, with both of them knowing about the other side of the fence.”¹
Ils l'ont prouvé : même sous étroite surveillance, ils n'étaient pas à l'abri de commettre une bourde plus grosse qu'eux. Pour le chef de clan, il était préférable d'écarter la menace.
Et Lucàs voit ses chances de revoir Lizbeth s'amenuir.
“I mean, I do understand your will to keep them in sight,” commence-t-il. Oui, il pense comprendre, mais n'a pas vraiment saisi la crainte de son interlocutrice. Il est loin, très loin, de ce qu'elle peut bien penser de la situation et du monde sorcier. Il faut dire aussi qu'il est très, très loin des considérations habituelles et du mépris qu'ont ses congénères envers les Cracmols. Pour un sorcier venu d'un milieu très traditionnel, il a l'esprit ouvert. “But I'd have a calmer mind knowing they wouldn't be endangered by being naive.”²
Il argumente, mais son ton ne montre aucune volonté d'imposer son avis, comme s'il avait déjà pris la décision de se plier aux exigences de la dame. Sans doute est-ce d'ailleurs le cas, si l'on en croit le fait qu'il a gardé le bout de papier.
Il ne peut toutefois s'empêcher d'exprimer le fond de sa pensée. Après tout, si leurs enfants doivent jouer ensemble, autant qu'ils soient honnêtes et sachent dans quoi ils se lancent.
Non ?
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¹ Bien que je ne sois pas certain que ce soit une bonne idée de laisser deux enfants (bairn = dialecte écossais) jouer dans le monde moldu, alors que les deux ont connaissance de l'autre côté de la barrière.
² Je veux dire, je comprends vraiment que vous vouliez les garder à l'oeil, mais j'aurais l'esprit plus serein en sachant que leur naïveté ne les mettra pas en danger.

Le papier toujours à la main, Alistair darde la jeune femme d'un regard pénétrant, comme s'il essayait de comprendre les mécanismes complexes par lesquels elle devait passer pour prendre une décision. Lui-même étant quelqu'un d'une froide logique, il n'avait aucune difficulté à rapidement balayer les options possibles avant de prendre une décision, et donc à faire un choix.
Peut-être cela venait-il de son éducation, ou bien de son caractère.
Ou un peu des deux.
En tout cas, même s'il ne le montre pas, il est rassuré d'entendre son interlocutrice céder face à la justesse de ses arguments. Face à la condition qu'elle impose, il se contente de hausser les épaules d'un air indifférent. Il peut comprendre qu'une mère veuille avoir son enfant sous les yeux avant de le confier à un inconnu – il réagirait de la même façon, après tout.
Il hoche la tête, certainement pas effarouché par le fait qu'il soit face à une Cracmol.
“It's settled then,” conclut-il en serrant sa prise sur le petit garçon qui commence à s'agiter et à montrer des signes de fatigue. “Send me an owl, then. Your lassie can send us an owl as well, if she can write. I'm sure Lucàs will be delighted to have a wee friend to write to.” L'enfant a un mouvement, et colle le pouce dans sa bouche avant de laisser sa tête tomber sur l'épaule de son père. “Won't you laddie ?”¹ souffle-t-il avec une tendresse qu'il n'avait pas montré encore jusqu'à lors.
Le petit garçon hoche mollement la tête et jette un regard vers la petite Lizbeth, sa nouvelle copine.
“The name's MacFusty. We could meet up on Diagon Alley, whenever you want. Let me know. Now, laddie, say farewell to your friend and her ma.”²
Lucàs se redresse finalement, le pouce toujours dans la bouche. Un coup d'épaule de son père, et il l'enlève avant de faire un petit signe de la main.
“Farewell to you, ladies,” dit-il alors avant de retrouver place, le nez dans le cou de l'adulte, en suçotant son doigt préféré.
Ce dernier hoche la tête, satisfait, et salue à son tour la mère et la fille d'un geste de la tête.
“Take care.”³
Et alors, profitant d'être dans un espace clos à l'abri des regards indiscrets, Alistair pivote sur un pied et transplane dans la foulée, émettant alors ce bruit caractéristique en disparaissant.

L'enfant dort déjà profondément. Il n'a pas fallu beaucoup d'efforts de la part de son père pour l'endormir. D'un geste paternel, il le borde précautionneusement, l'embrasse sur le front.
Sur la table de chevet, une photo attire son regard, comme presque tous les soirs.
Ils ont l'air heureux, sur cette photo. Le petit garçon sur les épaules de son père, rit aux éclats. Père qui a le regard rieur, un sourire franc aux lèvres. Et, à son bras, une femme à l'opulente chevelure d'ébène, dont le sourire trouve un écho dans celui de l'enfant, qui passe la main dans les cheveux en bataille de son fils.
Oui, songe-t-il en reposant le cadre sur le chevet. Ils étaient heureux.
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¹ C'est décidé, alors. Envoyez moi un hibou. Votre fille peut nous en envoyer un également, si elle sait écrire. Je suis sûr que Lucàs serait ravie d'avoir une petite correspondante à laquelle écrire. N'est-ce pas bonhomme ?
² Mon nom est MacFusty. On pourrait se retrouver sur le Chemin de Traverse, quand vous le désirez. Tenez moi au courant.
³ Au revoir mesdames.
- Prenez soin de vous.