Aurelius Darkleaf | Joe Collier

Lumière emprisonnée dans un mur de tourments. D'un cœur obscur, le regard de l'enfant s'ombre de rayures grises dans la guerre des écumes. Il s'incurve et glisse à la dérive en une tempête sans diapason. Un soupir, à peine osé, à peine audible. Encore un long calvaire avec des hurlements de douleurs, des mille mots et milles senteurs, des quelques ombres et si peu de frayeurs. Beauté, curiosité, intelligence mortifères.

Les brûlures d'échos grillent l'orgue de l'orgueil, flinguent l'usure des astres. Et l'enfant soupir de nouveau. Franchement.

Décembre 2003.

D'un pas vif et léger, le petit prince se faufila par l’entrebâillement de la porte de sa chambre pour se diriger dans le plus grand des silences vers l'interminable escalier de marbre qui menait au dernier étage du manoir Darkleaf. Cette nuit là serait la nuit. Celle où il aura enfin réussi à pénétrer dans le laboratoire sinistre de son défunt aïeul. Tout avait été soigneusement calculé ces dernières semaines de manière à ce que le plan finement rodé du jeune Darkleaf ne puisse faire autrement que de réussir glorieusement. Le jeune sorcier était fin prêt. La soif et la rage de ce savoir qui lui était interdit pour leitmotiv, il l'attendait fermement, caché sous la cape d'invisibilité qu'il avait réussi plus tôt à dérober à sa mère. Monsieur Darkleaf allait arriver d'une minute à l'autre et il n'avait pas beaucoup de temps. L'intérêt qu'Aurelius portait à cette porte, à cette pièce mystérieusement obscure qu'elle gardait précieusement sous scellée magique, était incommensurable. Du haut de ses huit ans, le fils ainé au carmin d'excellence avait déjà hérité de la ruse et de l'ambition du serpent, mais aussi, et surtout, de cette passion maladive, presque malsaine pour la magie noire.

Darkleaf senior montra finalement le bout de sa cape et vint ouvrir la porte ébène tant adulée d'un coup de baguette fluide et d'un susurrement en fourchelang. Il semblait passablement agacé à en juger par ses traits froncés et son empressement inhabituel, Aurelius se dit qu'il avait du se passer des choses au Ministère, mais n'y fit pas plus attention que cela et se saisit du bon moment pour se faufiler discrètement à sa suite, avant qu'il ne referme la porte lourdement derrière lui. Le souffle court, le garçon examina à une vitesse folle les lieux, le regard brillant de cette malice typique. C'était encore bien plus impressionnant qu'il n'aurait osé l'imaginer. Les yeux clos durant quelques secondes à peine, il savoura l'odeur qui s'imposait à ses narines; le mélange d'effluves de divers plantes et potions inquiétantes. Furtivement, il porta un regard aux méfaits de son ainé. Il cherchait visiblement quelque chose, et cela devait être urgent au vu des bouquins qu'il envoyait balader contre le sol. Aurelius en esquiva un de justesse, manquant de se prendre les pieds dans la longue cape qui le recouvrait tout entier. Il finit par le ramasser précautionneusement et le fourrer sous sa robe, tout en prenant soin de ne pas émettre un seul bruit suspect. Il manquerait plus qu'il se fasse attraper maintenant, surtout avec Père dans un tel état de colère.

– Par Salazar, ce sang de bourbe paiera, jura monsieur Darkleaf dans un sourire mauvais, tout en prônant face à lui un parchemin qui avait tout l'air d'être celui qu'il cherchait depuis le début.

Atchoum.
Et c'est à ce moment bien précis que l'escapade nocturne de la petite vipère pris irrémédiablement fin.
L'enfant subit les sévices d'un père fou de rage, mais le côté positif, car oui il y en avait un, était qu'il avait au moins réussi à récupérer un petit quelque chose. Un livre consacré aux forces du Mal prénommé « Grandes Noirceurs de la magie ».


Fin Août 2006.

Il était en retard, le jeune Darkleaf, lui qui était, d'habitude, si ponctuel était en retard précisément quand il ne pouvait pas se permettre de l'être. Mais il n'y pouvait rien, quand il se trouvait dans l'une des pièces secrètes de l'immense manoir familial, à découvrir les affaires étranges qui l'y attendaient en divers lieux baignés de magie noire et de potions, il ne voyait plus le temps passer. Le garçon atteignit finalement la porte de sa chambre sans rencontrer âme qui vive et s'y engouffra d'une démarche féline. Sans attendre, il ôta ses vêtements noircis et mouillés par ses escapades, pour venir se débarbouiller le visage à une vitesse démesurée. Il enfila finalement sa robe élégante de soirée et pris soin de plaquer légèrement sa chevelure indomptée. Rien ne devait être en mesure de le trahir. Une fois fin prêt, il se hâta de sortir. Un sourire assuré et innocent sur le visage, Aurelius alla rejoindre ses parents qui attendaient l'arrivée imminente des invités près de la grande porte d'entrée. Comme si de rien n'était, le jeune sorcier vint se placer aux côtés de son paternel, silencieux.

– Bien, te voilà enfin.

La voix d'Alastor Darkleaf résonna dans le grand hall de la demeure. Il paraissait détendu, mais Aurelius savait qu'il ne s'agissait que d'un masque, il pouvait le sentir sur ses gardes et il n'aurait de toute évidence pas accepté que son fils arrive quelques instants plus tard. Presque machinalement, il se redressa alors pour faire bonne figure.

– N'oublie pas Aurelius, c'est une soirée importante. Comporte toi comme un véritable Darkleaf, avec dignité et grandeur... Ne me fais pas honte.

Comme tous les ans, les Darkleaf donnaient une grande soirée en l'honneur de la fin de l'été, tous les grands noms du monde sorcier y étaient conviés et chacun savait que c'était là l'occasion de renforcer les alliances entre les familles influentes. De faire briller un peu plus le nom des Darkleaf. Cette soirée-là avait une saveur toute particulière puisque Aurelius allait faire son entrée à Poudlard dans les jours qui suivraient.

Se pinçant les lèvres pour ne pas afficher une mine lésée face à l'avertissement dédaigneux de son paternel, Aurelius se contenta de porter son regard sur sa fratrie, tentant de chercher auprès d'eux un quelconque réconfort qu'ils lui apportèrent volontiers. Incapable de soutenir une seconde de plus les deux iris onyx profonds qui le fixait, exigeants au possible, l'héritier de la dynastie fixa son regard sur la fenêtre, qui laissait entrevoir les jardins parfaitement fleuris.

– Oui, père, je ne vous décevrai pas. Poudlard est idéal pour se créer des relations, mais tout commence dès maintenant, répondit-il avec un hochement de tête convaincu.

Ce discours, il l'avait entendu tant de fois qu'il avait cessé de compter. Même si, cette fois-ci, il prenait tout son sens. Tout naturellement, en bonne marionnette qu'il était, il l'avait intégré. Dès son plus jeune âge, son éducation avait tourné autour des désirs de grandeur de son père. Sa mère essayait tant bien que mal d'inculquer aux enfants d'autres valeurs, telles que la sagesse, la tolérance et la générosité, mais seulement en l’absence du patriarche et Aurelius n'y porta jamais un grand intérêt. La famille Darkleaf avait toujours joui d'un prestige important, mais ce n'était jamais assez et ce serait maintenant au tour d'Aurelius d'y apporter sa contribution. De porter leur nom avec fierté et d'en être digne.

Lentement, mais surement, Sibelius redressa le menton, un sourire assuré éclairait maintenant ses traits. Les invités arrivaient et il était temps de montrer ce que porter le nom de Darkleaf signifiait.


Très pris par son travail et par des affaires bien plus sombres, Alastor Darkleaf était peu présent pour Aurelius et sa fratrie, mais il mettait un point d'honneur à ce que son éducation à lui, plus que les trois autres, soit irréprochable. Leur héritage était leur fierté et leur descendant devait en être méritant. Alastor était exigeant et strict, les erreurs n'étaient pas permises. La médiocrité était bannie, et même la moyenne n'était pas tolérée. Pour être un Darkleaf, il fallait briller de tout son être et peu importait si on y perdait son âme. Afin de parfaire son apprentissage, Aurelius avait été confié très tôt à des précepteurs chargés de lui enseigner le savoir-vivre, l'histoire sorcière et les bases de la magie. Il avait appris à se comporter en société, à avoir de la conversation et à cultiver une apparence parfaite. Mais également à se lier avec les hauts placés et à agir dans les intérêts de sa famille. Car plus que le bien-être de leur enfant, c'était là l'objectif des Darkleaf. Et Aurelius avait toujours rempli son devoir sans se plaindre. Ces exigences avaient toujours fait partie de sa vie et il était venue à les considérer comme naturelles. Les Darkleaf étaient sa famille, son sang, il était fier de son nom et aurait aimé que son paternel soit fier de lui. C'était aussi simple que ça. Mais ce ne fut jamais le cas. Il voulait croire qu'il réussissait plutôt bien, car même si son caractère était parfois trop violent et sa soif de magie noire et de considération trop importantes, son éducation était sans faute et sa scolarité à Poudlard ne manquait pas d'être brillante. Il était véritablement voué à un grand avenir, nul ne pouvait le contredire. Pourtant, le poids des exigences de son père pesait déjà sur ses frêles épaules, lui donnant souvent l'impression qu'il ne valait rien. Il lui demandait tant, mais il recevait si peu en contrepartie. Il voulait voir la fierté briller dans ses yeux trop foncés, mais il lui semblait que c'était là un idéal qu'il ne pourrait jamais atteindre. Il faisait de son mieux pourtant, se perdant dans les exigences de sa famille, s'effaçant pour devenir un vrai Darkleaf, se couvrant à son tour d'un masque glacial pour se protéger. Mais rien n'y faisait, rien n'y a jamais fait.

Début Novembre 2012.

– Touche encore à cette potion et je te jure que tu finiras dans le chaudron avec les autres ingrédients.

Sa voix avait claqué, impérieuse et sans appel, dans le brouhaha étouffé du cachot où se déroulait le cours de potions, arrêtant aussitôt sa camarade dans son geste. Celle-ci se figea, presque tremblante, avant de se tourner lentement vers Aurelius, découvrant alors qu'il ne lui accordait même pas un regard.

– Mais je...

Le regard glacial que le Serpentard planta sur elle l'arrêta net et ses mots moururent dans sa gorge. S'en aurait été presque risible si ce n'était pas si pathétique. Comment cette stupide sorcière avait-elle pu survivre jusque-là ? Aurelius ne prit même pas la peine de cacher qu'il était déjà irrité par ses paroles.

– Ajouter les feuilles d'asphodèle à ce stade de la potion ne servira qu'à faire fondre le chaudron, tu devrais pourtant le savoir maintenant. À moins que tu ne sois assez idiote pour te satisfaire d'un Troll, contentes toi de diluer le sirop d'ellébore, assena-t-il en détachant chacun de ses mots, dédaigneux au possible.

Ignorant l'air profondément vexé de la lionne, Aurelius retroussa les manches de sa robe raffinée de gestes rapides et efficaces et se pencha sur leur chaudron, réfléchissant déjà à une manière de rattraper les bêtises de sa binôme. Il avait pourtant prévenu le professeur qu'il préférait travailler seul, mais il n'avait rien voulu entendre. Soit disant qu'il aurait besoin d'aide à un moment ou à un autre. Foutaises, les potions étaient son domaine, il n'avait besoin de personne. Dans un silence buté, la Gryffondor mélangeait rageusement un flacon d’huile d’ellébore avec de l’eau. Elle irradiait de colère, mais Aurelius n’y prêtait pas la moindre attention. Les états d’âme de la petite sorcière lui importaient peu, d'autant plus qu'elle n'était aucunement de sa maison. De manière générale, les autres ne présentaient que rarement un intérêt réel pour l’héritier Darkleaf. À Poudlard, il était de notoriété publique qu’il ne fallait pas s’attaquer à lui tant son caractère était dangereux. Formaté par les exigences sans fin de sa famille, Aurelius se montrait froid et distant, méprisant envers ceux qui, selon lui, manquaient de personnalité. Depuis tout petit, il avait dû apprendre à vivre avec un vide, un manque d'affection qui le rongeait de l'intérieur, et ce masque de glace était le seul moyen qu'il avait trouvé pour ne plus souffrir. Il ne pouvait pas se le permettre. Ça faisait de lui un sorcier aussi respecté que détesté, mais au fond, il s’en fichait bien.

Décembre 2013.

Le feu de bois crépitait dans les cheminées, les flocons de neige tourbillonnaient dans les airs, parant la verdure de son plus bel atout hivernal. Sur les grands carreaux de la vitre à travers laquelle Aurelius observait la tempête, le froid avait fait son œuvre. Au loin, le balancier de l'immense horloge de Poudlard se faisait entendre de plus belle. Rien ne lui échappait, le silence ne voulait pas de sa compagnie, et pourtant, le sommeil commençait progressivement à réchauffer son corps las. Adossé contre l'un des murs du premier étage du château, Aurelius rêvassait. À tout, à rien. Ce fut cet instant que choisi cet ange aux airs mutins pour venir profaner les terres sacrées qu'il admirait tant. Quelques pas rieurs dans la neige, quelques couleurs indélébiles dans son cœur noir. Aurelius releva le menton, se surprenant à la fixer avec plus d'insistance, plus de fascination, plus d’intérêt qu'il n'en accordait à quiconque en ce bas monde. Puis soudain, plus rien, elle n'était plus là à danser sur le duvet neigeux à travers la fenêtre. Il cligna des yeux plusieurs fois, se demandant un instant si tout ceci n'avait pas résulté d'une démence passagère, si ce n'était pas le fruit de son imagination bien trop baladeuses ces derniers temps. Dans un secouement de tête vif et agacé, il reporta son attention sur ses écrits, sans savoir que la demoiselle des neiges s'était cachée discrètement derrière l'un des piliers de la cour après avoir capté son regard perçant, gênée plus que jamais, et que c'était à son tour à elle d’apprécier la vue. Dans ses songes, il décida de la nommer Snow.

Octobre 2018.


La révélation avait fait scandale ce jour là, à table, et pour la première fois, Aurelius avait fait affront à son père. Une promise, son tyran de père venait de lui énoncer, passablement neutre, qu'il lui avait trouvé une promise.

Aurelius était né dans une famille de sang-pur et avait été élevé en tant que tel. Avec les exigences et les privilèges que ce rang lui conférait. Fiancer son enfant à une héritière d’une autre famille de sang-pur n’était en ce sens qu’une tradition parmi les autres. Ce futur mariage serait l’occasion de lier leur famille à un autre grand nom sorcier. De créer une alliance profitable aux deux familles. Mais là n'était pas le problème, Aurelius approuvait plus ou moins la démarche, et se fichait pas mal de devoir se lier à une quelconque sorcière de bonne famille tant qu'il pouvait ainsi faire prospérer la grande famille des Darkleaf. Non, le problème était qu'il avait fallut que ça tombe sur Lightstar. Lucrecia Lightstar, pour être plus exact. Il était pourtant de notoriété publique que Darkleaf et Lightstar ne se supportaient pas à Poudlard, surtout les deux héritiers. Gryffondor contre Serpentard, une petite guéguerre classique, en soit. Mais là il était question de la sœur, et il en allait de même qu'avec son crétin de frère : il ne pouvait pas voir Lucrecia plus d'une minute sans lever les yeux au ciel de lassitude. Son entêtement et son intérêt déconcertant l'avaient toujours agacé, entre autre chose.

Elle l’indifférait de par sa grâce naturelle, ses faux airs angéliques, ses paroles doucereuses et son caractère bien trop obstiné et pacifiste à son goût. Lui, la rendait folle à ne jamais lui porter ne serait-ce que le peu d'attention qu'elle souhaitait obtenir, à la prendre de haut comme si elle n'était à ses yeux qu'une vulgaire elfe de maison sans valeur ni intérêt.

Mais sûrement faisait-elle partie des plus importantes promises de sa famille, puisqu'elle serait sa destinée s'il ne faisait rien pour mettre fin à cette mascarade. Quant aux Darkleaf, s'ils avaient mis si longtemps à trouver une future épouse à leur fils ce n'était pas simplement par soucis de lui trouver "la bonne", mais également car la négociation du contrat s'était révélée plus compliquée que prévu. Trop d’exigences du côté d'Alastor, toujours trop avide du plus grand profit à entrevoir.


– Aurelius... ?

La voix de Lucrecia retentit dans le silence de la pièce, le faisant sortir de ses sombres pensées. Droit face à son miroir, il se retourna pour repérer au loin sa promise dont la silhouette se découpait dans l’embrasure de la porte. Il ne fit aucun effort pour camoufler l'agacement qui se lisait clairement sur ses traits fins et ne lui accorda pas même un regard. Marchant immédiatement en direction de la jeune femme, sans un mot, il s'arrêta un instant près de la porte, et d'un geste élégant de la main, lui désigna la sortie. La laissant quitter la pièce avant lui, en toute galanterie, il vint finalement lui tendre son bras qu'elle s'appropria avec hésitation.

Ce soir, les Darkleaf organisaient un dîner en l’honneur des fiançailles de leur fils avec une fille de grande famille, Aurelius se devait de leur faire honneur, malgré les desseins qui germaient dans son esprit. Alors il se composa un visage de circonstance. Son air agacé disparut pour laisser place à une expression polie, souriante et assurée. Hypocrite.