Not a Prince Charming, huh ?

Neuf ans. Ça faisait pratiquement neuf ans jour pour jour qu'il vivait avec ce secret. Qu'il se débrouillait pour le cacher, par tous les moyens possible. Il ne s'en était pas trop mal sorti. Les gens qui étaient au courant se comptaient sur les doigts d'une main à laquelle on aurait arraché un ou deux doigts. Neuf ans et ça lui avait échappé d'une manière aussi idiote ? Et devant cette peste de Schwartz ? Quel gâchis. Le contrat qu'ils avaient signé n'était qu'un sparadrap sur une plaie béante. Cette femme n'était certainement pas digne de confiance, en tout cas pas de la sienne. Il s'en méfait comme de la dragoncelle. Peut-être aurait-il dû rendre les conséquences d'un manquement plus dissuasives. Mais aurait-elle signé ? Probablement que non. Ou peut-être aurait-il dû résoudre le problème autrement.

Et c'était sans compter sa partie du contrat, qui lui pesait comme une épée de Gryffondor au dessus de sa tête. Il avait été difficile de trouver le sommeil ce soir-là. Et tous ceux qui avaient suivi. Il ne cessait d'y penser. De cauchemarder que tous le pointaient du doigt, le traitaient de bâtard. Que le ministère le traitait d'imposture, lui demandait de rembourser tous les salaires qu'il ait jamais touchés. Que le propriétaire du théâtre le licenciait, outré d'avoir été trompé ainsi. Oui, ces peurs étaient irrationnelles, il le savait bien. Non, le ministère n'aurait aucun droit de lui demander le moindre centime sous prétexte qu'il était sang-mêlé. Et le propriétaire du théâtre, lui-même sang-mêlé, n'avait pas de véritable raison de réagir de la sorte. Mais ces peurs étaient ancrées depuis des années. Et jamais n'avaient-elles été si réelles.

Le pire, c'est qu'il n'avait pratiquement personne à qui parler de ça. Caesar ? Et puis quoi encore... Hermance ? Elle continuait à jouer la morte, ignorant ses messages désespérés. Alistair ? Il était allé le voir, cherchant conseil. Mais il n'était pas reparti beaucoup plus éclairé. Ils étaient peut-être proches mais certaines choses les éloignaient bel et bien. Au moins avait-il pu vider un peu son sac. Pas suffisamment pour qu'il retrouve le sommeil, malheureusement.

Les jours puis les semaines passèrent. Pas de nouvelle à l'horizon. C'était plutôt une bonne nouvelle, quelque part. S'il n'entendait rien, c'était que Talulah n'avait pas encore vendu la mèche. Car il ne doutait pas que si ça devait sortir au grand jour, il en entendrait parler. Mais ça ne le rassurait pas. Il savait que c'était une bombe à retardement.

Depuis le départ, il s'était interdit d'en venir à des méthodes trop radicales. L'assassiner, par exemple. Ne nous leurrons pas, l'idée lui avait traversé l'esprit dès qu'il avait compris que Talulah avait saisi de quoi il en retournait. Il n'avait pas voulu la mettre à exécution, espérant régler cette affaire d'un bon petit nettoyage de mémoire. Mais il n'en avait pas eu l'occasion. A présent, il regrettait de ne pas l'avoir prise par la force. Et plus les jours passaient, plus ce regret était fort. Jusqu'à ce que l'idée ne le lâche plus. Il aurait dû régler ce problème en haut du clocher. Ils n'auraient jamais dû redescendre tous les deux. Il fallait en finir. Il ne pourrait pas vivre éternellement avec cette peur qu'elle le trahisse tôt ou tard.

En finir... D'accord. Mais il était trop risqué de le faire lui. Et si il était vu ? Et si Talulah le voyait ? Elle comprendrait... Non. Il fallait un plan B. Une mercenaire qui se faisait appeler Jinx. C'était la deuxième fois qu'il faisait appel à elle. La première fois remontait à des années plus tôt. Mais elle ne l'avait pas déçu. Il lui avait envoyé un simple parchemin. Un nom, une adresse, une date, une somme. Pas de signature. Elle reconnaîtrait l'écriture.

Et le jour J était arrivé. Il devrait recevoir un message dans la nuit, lui confirmant que la mission avait été effectuée avec succès. Octave avait appris que le mari de Talulah serait en voyage d'affaires pour quelques jours. La date n'avait donc pas été choisie au hasard. Curiosité morbide ou peut-être autre chose, il avait pour une fois allumé la radio cet après-midi là. Curieux d'entendre pour la dernière fois cette voix qui ne pourrait plus jamais le menacer ni descendre ses pièces avec un plaisir malsain.

Des compliments ? Elle se payait sa tête ? Des COMPLIMENTS ??
Elle était allée jusqu'à encourager les auditeurs à écouter la pièce ? On se moquait de qui là ?
Le poste de radio vola à travers son bureau. Son assistante vint le voir, inquiète. Il la renvoya sans ménagement et demanda à rester seul.
Elle se payait sa tête ?
Elle savait ?
Ça ne pouvait être que ça, n'est-ce pas ?
Ça, ou un plan machiavélique des joueuses. Allez savoir.

Il soupira, prit sa tête dans ses mains. Essaya de faire la part des choses. Non, Jinx était fiable. Il n'y avait aucune raison qu'elle l'ait trahi. Alors quoi ? Talulah avait décidé soudainement de ne plus être la peste qu'elle avait toujours été ? Un message divin pour lui dire de l'épargner ? Ca n'avait aucun sens.

Octave était rentré chez lui peu après la critique. Se prendre un grand bain, se détendre, ne penser à rien. Allez, on se détend, tout va bien se passer, dans quelques heures ça sera de l'histoire ancienne, tous ses soucis seront envolés. Il ferma les yeux et s'assoupit un instant. Suffisamment pour voir Talulah se faire égorger, se réveiller en sursaut, la tête presque sous l'eau.

Et ça, pourrait-il vivre avec pour le restant de ses jours ? Avait-il fait une erreur de jugement ? Le soleil s'était déjà couché. Il était trop tard pour contacter Jinx et faire annuler la mission. Mais peut-être n'était-il pas trop tard pour ne pas vivre toute sa vie avec cette culpabilité.

A la hâte, Octave sortit du bain, s'habilla et attrapa sa baguette avant de transplaner devant chez Schwartz. Pas un bruit. Pas un signe d'effraction. Mais il savait Jinx plus discrète qu'un félin, si elle était déjà passée il n'y verrait rien. A son tour, il se glissa aussi discrètement que possible dans la maison. Et sursauta en distinguant une silhouette pratiquement invisible. Jinx. Elle était juste là, à quelques pas de lui. Et pas beaucoup plus loin, la voix de Talulah. Fuck. Il était trop tard pour faire annuler cette mission proprement. Octave, baguette à la main, se glissa à pas de chat, derrière les traces de l'assassin. Attendant le dernier moment pour agir. Ce n'est que lorsque Talulah fut dans son champ de vision qu'il réagit.

"Avada Kedavra !"

Il réagit au quart de tour. Un éclair vert jaillit de sa baguette magique. Et aussitôt, Jinx s'effondra au sol, inanimée. Le vent violent lui souffla au visage et éteignit toutes les bougies de la pièce. Le sort manqua de le projeter en arrière. Il reprit son souffle et soupira, soulagé.

"Schwartz ! Vous n'avez rien ? Par Merlin, il était moins une !"

Il se précipita vers elle pour s'assurer qu'elle n'avait pas été blessée. De la comédie ? Si peu... Mais c'est qu'il allait falloir s'en sortir maintenant. Et ne pas se griller. Il n'était pas question d'avouer qu'il était à l'origine de cette tentative d'assassinat, bien sûr. Il faudrait se débarrasser du corps, aussi. Mais d'abord, il allait falloir noyer le poisson...

Est-ce qu'il ne commettait pas une terrible erreur, en décidant sur un quasi coup de tête d'épargner Schwartz après avoir planifié son assassinat ? Contrairement à d'autres têtes brûlées, c'était rare qu'Octave agisse sans avoir pesé auparavant toutes les conséquences d'une action. Là, il n'en avait pas eu le temps. Et cet empressement serait peut-être sa perte. Il aurait certainement été plus raisonnable de ne rien faire et de laisser les choses se dérouler telles qu'elles avaient été planifiées. Une bonne critique était-elle réellement une raison suffisante pour se mettre en pareil danger ? Ou bien était-ce un petit sursaut de conscience ou d'empathie ?

Quoi qu'il en soit, le mal était fait. Jinx était tombée au combat et Talulah dans ses escaliers. Octave s'approcha de la victime désignée, désormais épargnée, pour s'assurer qu'elle allait bien. Il s'apprêtait à l'aider à se redresser mais celle-ci y parvint avant qu'il n'ait pu faire un signe.

"Respirez. Du calme. C'est bon, c'est passé, il n'y a plus de danger."

Venant d'un homme qui venait d'assassiner froidement quelqu'un dans la maison d'une presque inconnue, il fallait sacrément de culot pour la sortir celle-là. Mais n'était-ce pas vrai ? Le danger gisait à leurs pieds. Il allait falloir s'en occuper. Mais d'abord, il faudrait que Talulah retrouve ses esprits, n'est-ce pas ?

"Vous n'avez rien de cassé ?"

Elle avait l'air d'avoir bien chuté dans les escaliers quand même. Etait-il vraiment inquiet ? Ou était-ce un peu plus de comédie encore ? Allez savoir...

"Je ne sais pas, je n'ai vu personne... Attendez..."

Il s'avança lorsqu'il la vit, vacillante, commencer à descendre les marches. Et l'attrapa par le bras pour s'assurer qu'elle ne tomberait pas. C'est qu'il y croyait presque lui-même, à son rôle de sauveur. Après tout, il lui avait réellement sauvé la vie. Héroïquement. N'est-ce pas ?

"Là. Doucement. On va retrouver votre elfe de maison, ne vous en faites pas. Il ne peut pas être bien loin."

C'était surprenant que ça soit la première préoccupation de Talulah. Il ne l'aurait pas pensée attachée à des êtres aussi primitifs que les elfes de maison. Comme quoi, il l'avait peut-être jugée un peu vite. La maison était noire désormais, on y distinguait à peine les ombres à la faible lumière de la lune. La jeune femme dans un bras, la baguette dans l'autre, Octave jeta un sort pour lancer quelques boules de lumière en l'air. Le couloir semblait lugubre désormais. Alors même qu'aucun danger ne rôdait plus. Jinx ne se relèverait pas, ça ne faisait pas l'ombre d'un doute.

Ouvrant la marche -il avait bien retenu que Talulah préférait se planquer derrière un preux chevalier -, Octave se dirigea vers l'entrée, où il supposait que Jinx était entrée. Et puis il sentit un léger courant d'air. Une fenêtre entre-ouverte, probablement. Il prit la direction de l'air entrant, baguette pointée en avant, prêt à faire feu. Et finit par sursauter en voyant une silhouette à quelques pas. Le sort manqua de partir avant qu'il ne se rende compte qu'il ne s'agissait pas d'un humain. Et que la silhouette ne bougeait pas.

"Je crois que..." Il s'avança encore. Oui. Ca ressemblait fort à un elfe de maison. Stupefixé. Il lança un Enervatum dans sa direction, tout en restant en première ligne, maintenant Talulah derrière lui. On ne lui reprocherait pas une seconde fois d'être un couard.

"Tout va bien Mme Schwartz. Elle était juste figée. Vous pouvez souffler."

Il la libéra et se tint en retrait mais toujours à l’affût, alors que Talulah retrouvait l'objet de toutes ses craintes. Il semblait qu'elle avait eu plus peur pour cet elfe que pour sa propre vie. Une bien étrange surprise.

Baguette à la main et sur ses gardes, Octave n'avait cependant pas du tout vu venir ce qui allait lui arriver. Un claquement de doigts et il se retrouvait plaqué contre le mur, comme si tous ses membres étaient tirés en arrière et immobilisés. Tous ses muscles. Ceux de la parole y compris. Il n'avait même plus son visage pour protester. Hé... Que... Sa baguette tomba sur le carrelage.

Une petite panique l'envahit. Et s'il restait comme ça, à leur merci ? Et que Talulah découvrait quelque chose de compromettant sur le corps de Jinx ? Il ne devait rien à avoir mais... SI JAMAIS ? Et si elle avait découvert qu'il était responsable ? Et si...
Heureusement, son visage figé, il ne laissait voir aucune de ses interrogations. Et le temps, qui devait se compter en secondes mais lui sembla interminable, finit par reprendre son cours lorsqu'on le libéra. Il reprit son souffle, prenant appui sur ses cuisses un instant. Et se baissa pour ramasser sa baguette, qui avait roulé un peu plus loin.

Pas de merci qui tienne bien sûr. On ne remerciait pas quelqu'un de vous avoir libéré après vous avoir emprisonné à tort quand même. Il se contenta de jeter un regard noir à l'elfe de maison avant qu'elle ne reparte. Il ne l'aurait pas empêchée de se punir elle-même, lui. Mais ça n'était pas son elfe. Il avait fait le choix de ne pas en avoir quand il avait quitté la demeure familiale.

Les lumières se rallumèrent une à une, ôtant petit à petit cette atmosphère lugubre qui s'était installée. Mais laissant en plein jour le cadavre qu'il avait fait tomber. Octave grimaça en la voyant, face contre terre. Il allait falloir qu'il s'occupe de ça.

"C'est naturel Mme Schwartz. Je ne pouvais pas laisser pareille chose arriver. Quand j'ai appris..."

Ah. On commençait un début d'excuse. Bien. Il allait falloir poursuivre dans cette voie désormais. Et ne pas s'emmêler les baguettes. En chemin, il avait déjà cogité à l'histoire qui convaincrait le mieux de son innocence. Mais il n'avait pas eu le temps d'en favoriser une et de l'arrêter. Il lui faudrait improviser, le moment venu. Et c'était... maintenant.

"Je suis soulagé d'être arrivé à temps."

Il soupira. Oui, ça, il le pensait. Au moins une chose qui était sincère là dedans. Il avait réellement sauvé Talulah, rappelons-le. Il suivit la jeune femme et la prit par les épaules lorsqu'ils passèrent devant le corps, pour l'inciter à ne pas rester là et à ne pas regarder. Il enjamba le corps de l'assassin et relâcha Talulah une fois arrivés dans le salon. Octave s'installa dans un fauteuil, attendant que la maîtresse de maison fasse de même.

"On ne peut pas appeler les autorités."

Pour des tas de raisons. Certaines plus personnelles que d'autres. Mais ça n'était pas celles-là qui parleraient à Talulah, bien entendu. Il croisa les bras et prit un air un peu plus sérieux. Il allait falloir gérer cette affaire eux-même. Et qu'il trouve comment se débarrasser du corps. Mais d'abord, il faudrait en convaincre la maîtresse de maison.

"Vous n'êtes pas sans savoir que le Ministère est... bien plus infesté qu'il n'y paraît. Rares sont les personnes de confiance désormais. Les aurors ne sont pas épargnés. Je crains qu'il soit devenu dangereux de s'en remettre aux autorités."

Une fois Marmelade revenue avec la collation, il attrapa un petit four et une tasse de thé encore brûlant. Accuser les pourris du Ministère, ça semblait être une bonne idée. Sans être trop précis toutefois. S'il donnait des noms, il savait que cet alibi serait grillé tôt ou tard.

"C'est une chance que j'ai surpris cette conversation. Je ne connaissais pas ces personnes. Mais ils ont mentionné votre nom. J'ignore si votre époux était la cible de cette attaque."

Il fallait que ça reste flou. C'était peut-être déjà trop de détails. Mais il fallait aussi un peu de matière pour que l'ensemble soit crédible et convaincant. Non seulement dans l'immédiat mais aussi avec un peu plus de repos. Cette affaire ne se tasserait pas si facilement, il le pressentait.

"Pardonnez mon indiscrétion mais votre époux n'est pas présent ?"

Ses informations étaient donc exactes. Un bon point, s'il avait réellement fallu faire assassiner Talulah. Il pourrait se fier à cette source-là.

Ce n'était pas vraiment que ça l'enchantait, de devoir s'occuper lui-même de se débarrasser du corps. Il n'avait jamais fait ça. Les rares fois où il avait dû se servir de ce sort, d'autres s'en étaient occupés. Au point qu'il n'avait même pas idée de la meilleure façon de s'en défaire, d'ailleurs. Quelqu'un de son rang ne devait normalement pas s'occuper de ces basses affaires. Oui mais. C'était ça ou se compromettre encore plus. Et il était déjà dans de beaux draps dont il ne mesurait même pas encore la taille.

"Je pense que c'est la meilleure chose à faire. Je m'en chargerai."

Parce qu'à voir l'air de Talulah, l'idée n'avait pas l'air de l'enchanter, elle non plus. Et on la comprenait. Mais surtout, il sentait bien qu'elle ferait tout pour ne pas devoir s'en charger personnellement. Et il ne faisait confiance à personne d'autre autant qu'à lui-même. Même s'il n'avait aucune idée de la façon dont il allait s'y prendre...

"La soirée est déjà suffisamment éprouvante pour vous."

Ajouta-t-il alors qu'il le constatait, à ses tremblements qu'elle tentait de camoufler. On ne pouvait pas lui en vouloir. Échapper à une tentative d'assassinat, il y avait de quoi se sentir un peu faible et déboussolé.

"C'est une bonne chose qu'il soit mis au courant. Il doit être très inquiet lui aussi."

Et Octave n'avait pas particulièrement hâte de voir le mari de Talulah, qu'il avait sans doute déjà dû croiser sans qu'il ne l'ait particulièrement marqué. Mais le monde des sangs-purs était petit et étriqué. Il attrapa un autre petit four, qu'il mangea sans faim. C'est qu'il n'était pas tout à fait paisible, lui non plus, même s'il tenait à donner le change. Il n'allait pas non plus montrer que toute cette situation le mettait bien mal à l'aise et allait être éprouvante pour ses nerfs.

"J'ai toujours les oreilles qui traînent au théâtre. Vous seriez surprise de savoir tout ce qu'on y entend. Mais la planification d'un assassinat, c'est une première. Je suppose qu'ils comptent sur le bruit ambiant et le monde pour ne pas être repérés."

Il faudrait qu'il peaufine les détails de ce plan, n'est-ce pas ? Lui qui était très méthodique et aimait que les choses soient carrées, définies, bien faites, autant dire que là, il avançait à l'aveugle et ça ne lui plaisait pas du tout. Autre chose ne lui plaisait pas et se rappelait à lui. Le pied qu'il apercevait par l'ouverture de la porte. Il allait falloir qu'il s'occupe de Jinx. Tant que ça ne serait pas fait, il n'aurait pas l'esprit tranquille. Pas dit qu'il l'aurait par la suite non plus... Mais le plan qu'il avait imaginé un peu plus tôt, de s'en occuper plus tard seul, ne lui semblait plus la bonne marche à suivre. Le plus tôt serait le mieux. Il se leva de son fauteuil, après avoir avalé un dernier petit four.

"Il faut que l'on s'en débarrasse au plus vite. Je ne peux pas vous laisser seule ici avec Marmelade, c'est trop dangereux, il a peut-être des complices... Je suis navré mais je vais devoir vous demander de m'accompagner. Vous pourrez rester à distance raisonnable."

A quelques mètres de lui, autrement dit, si elle ne voulait pas voir. Ca ne serait pas forcément joli.
Il ne s'attendait pas à un refus aussi net de sa part. Etaient-ils obligés ? Pour sa propre sécurité, c'était la meilleure alternative, il n'en voyait pas tellement d'autre. Mais il n'allait pas forcer Talulah à le suivre, d'autant qu'il comprenait sa détresse, en partie du moins. Il soupira et se tourna vers le couloir où reposait le corps sans vie de Jinx.

"Je vais faire au plus vite. Soyez sur vos gardes et dites à Marmelade de l'être aussi. Je lancerai un sort de protection sur la maison."

Il s'avança vers le couloir et attrapa le corps, baguette dans l'autre main, prêt à transplaner.

"Je reviens dans un instant, soyez sans crainte."

Il transplana une première fois à l'extérieur de la maison avec le corps, lança un sort de protection sur l'étage où se trouvait Talulah et son elfe et repartit en direction d'une forêt accessible facilement en transplanant mais suffisamment éloignée de Londres et de toute civilisation pour ne courir aucun risque...

Quelques sortilèges plus tard et le corps était décomposé, les os broyés, il n'en restait que de la poussière qu'il enterra sous plusieurs mètres de terre. Jinx ne serait plus qu'un souvenir pour les quelques commanditaires qui avaient pu faire appel à ses services. Pas une larme, pas un chagrin, il était simplement soulagé de s'en être débarrassé. Les remords viendraient peut-être par la suite. A nouveau, il transplana vers la résidence de Schwartz, désactiva le sort et entra dans la maison.

"Me voilà. C'est fait."

Annonça-t-il d'une voix grave avant de s'avancer à nouveau vers le salon. Le thé était encore chaud. Il ne l'avait même pas entamé.

"Au moins, vous n'aurez pas à vous occuper de ça."

Il le constata, un peu froidement, en s'asseyant à nouveau à ses côtés. Et maintenant ?

L'aller retour avait été bref. Le corps ne serait plus un souci. Mais le reste, il commençait à peine à pressentir que ça allait prendre bien plus de temps et d'ennuis. Il y avait fort à parier que dans peu de temps, il le regretterait. Mais seraient-ils pires que ceux qu'il aurait eus à la faire assassiner froidement ? On ne saura jamais. Il paraît que ça ne se fait pas de faire tuer les personnages des autres sans leur consentement.

Il n'était pas passé par chez lui. Octave était directement revenu, au plus vite. Comme si le risque qu'encourait Talulah était réel. A ce rythme, il allait finir par s'en persuader. Il fronça les yeux en regardant la lettre que tenait la jeune femme et qui avait l'air de l'émouvoir. A moins que ça soit tout le reste qui la mette dans un état pareil. Son visage se décrispa un peu en l'entendant.

"Bien entendu. Je vais rester pour la nuit."

C'était évident. Que Talulah le supplie ou non. Mais il faut dire qu'il était presque touché par son air implorant. Ça changeait de sa mesquinerie habituelle, de manière assez radicale.

"Est-ce que vous avez un endroit où je pourrais me rafraîchir les mains ?"

Il n'avait pas touché la terre, ses ongles étaient propres, sa baguette magique avait creusé pour lui. Mais avant ça, il avait dû empoigner le corps de Jinx pour l'emmener avec lui dans la forêt. Et même si ça n'était qu'une main, l'impression d'avoir touché un cadavre le mettait particulièrement mal à l'aise. Il suivit la maîtresse de maison -ou l'elfe- jusqu'à la salle de bain et se nettoya longuement les mains et les bras sous l'eau fraîche. La laissant couler un peu plus qu'il ne le faudrait, le temps de remettre ses idées au clair. Il en profita pour se passer un peu d'eau sur le visage et dans la nuque, histoire de rafraîchir tout ça.

"Ce ne sera pas nécessaire pour la chambre. Je monterai la garde, que l'on soit sûrs que personne ne revienne."

Parce que dans la chambre à l'autre bout du couloir, il ne serait pas d'une grande aide, n'est-ce pas ? Fallait-il qu'il se souvienne encore que Talulah ne craignait plus rien désormais et que la nuit allait être terriblement longue à ne pas mentir pour un mensonge ? Mais c'est qu'il prenait son rôle au sérieux, oubliant presque quelle était l'origine de toute cette histoire. Il retourna dans le grand salon et attrapa la tasse de thé -désormais froid- pour en avaler quelques gorgées. Puis leva le regard vers Talulah.

"Vous n'êtes pas seule, ne vous en faites pas. Je veillerai à votre sécurité jusqu'au retour de votre mari, soyez-en assurée."

Et si avec ça, on ne lui décernait pas une médaille de preux chevalier, il ne saurait plus quoi faire de plus. En attendant, il laissa Talulah le guider dans la maison et se prépara à passer une longue nuit l’œil ouvert. Il avait manqué une occasion de se taire, il semblerait. Une tasse de thé ne serait probablement pas nécessaire. Il aurait mieux fait de s'avaler toute la théière.

Etait-ce excessif de songer à rester éveillé toute la nuit et faire le guet devant la porte de la chambre de Talulah ? Sans l'ombre d'un doute, oui. Surtout quand on savait tout danger écarté. Mais dans la panique, il était légitime de réagir de façon disproportionnée, non ? Octave reconsidéra l'offre quand Talulah le lui fit remarquer.

"Je ne voudrais pas faillir à mes responsabilités."

Celles qu'il s'était données, en tout cas. Car il n'était pas ici pour le tourisme, n'est-ce pas ? Il avait un appartement confortable qui l'attendait à quelques secondes seulement de transplanage. Certes, moins luxueux. Il n'avait pas la fortune des Schwartz. Mais nul doute qu'il y serait plus à l'aise qu'ici. S'il restait là, c'était avant tout pour jouer le jeu jusqu'au bo... protéger Talulah, donc.

"Bien. Je suis certain que votre elfe lancera sur la maison un sort de protection puissant. N'hésitez surtout pas si vous voyez quoi que ce soit d'inhabituel."

Il ne pouvait qu'accepter, n'est-ce pas ? S'ils étaient tous sur leurs gardes, il n'y avait pas de raisons que quoi que ça soit arrive. Surtout qu'ils avaient éliminé l'assassin. Surtout que... oui. Bon. Aucun danger, en somme. Octave remercia la maîtresse de maison et l'elfe pour la chambre et pour leur hospitalité en se dirigeant vers la chambre.

"Bonne nuit Mme Schwartz. Vous pouvez dormir tranquille."

... Je veille sur vous, avait-il encore failli ajouter. Mais c'eût été un peu trop. Il referma la porte de la chambre et se posa un instant sur le lit, le temps de se remettre les idées en place. Puis fit un tour dans la salle de bain attenante, prit une douche rapide et nettoya ses vêtements d'un peu de magie. Un petit brossage de dents -il y avait bien une brosse à dent d'amis dans la chambre, hein ?-, il replia ses vêtements désormais propres sur une chaise, n'enfilant que son boxer pour la nuit. Et le voilà prêt à se glisser dans les draps.

C'était quelque peu étrange, de se retrouver seul dans un lit qui n'était pas le sien. Surtout dans une pareille demeure. Il lui faudrait du temps pour trouver le sommeil. Beaucoup trop de pensées le submergeaient. Avait-il pris la bonne décision ? Il n'en était pas certain. Les conséquences allaient être compliquées, il le redoutait. Mais d'un autre côté... il avait découvert une autre facette de Schwartz qui l'avait touché. Vulnérable et sincère, elle lui avait semblé bien plus ... humaine, tout simplement. Et après l'avoir vue comme ça, il n'était pas certain de regretter. Elle ne méritait pas un châtiment si définitif.

Il avait fini par trouver le sommeil, même si quelque peu agité. Mais c'était avant qu'une fine raie de lumière ne le tire soudainement de ses songes. Octave s'éveilla en un sursaut. Puis coupa sa respiration, se faisant immobile, tâchant de comprendre ce qu'il se passait. Quelqu'un se glissait dans sa chambre. Doucement, il essaya de tendre le bras jusqu'à sa baguette, posée sur la table de nuit. Avant qu'il ne reconnaisse la silhouette qui se dirigeait vers son lit. Schwartz ? Qu'est-ce que... Octave demeura immobile, sur le dos, feignant de dormir. Un instant, il se demanda si elle avait compris et planifiait de l'assassiner dans la nuit. Mais il n'avait pas vu de baguette à sa main. Ce n'est que lorsqu'elle souleva le drap que d'un geste vif, il attrapa sa baguette. Pour la reposer aussitôt, en se décrispant, à ses quelques mots. Oh. Ca n'était que ça.

...

Minute.
"Que" ça ?
Il glissa à nouveau sa main dans le lit mais ne fit pas un geste de plus. Un peu perdu. On ne se glissait pas dans le lit d'un presque inconnu, surtout quand on était mariée. Avait-il loupé un épisode ? Et c'était sans compter qu'il était pratiquement nu, là...

"O... ok. Je suppose que..."

Non, il ne supposait rien du tout, en fait, là. Il était juste perplexe. Et déstabilisé. Qu'était-elle venue faire, là ? De son côté, il était hors de question qu'il touche à une femme mariée -ah oui, la tuer c'est une chose mais la xxx ? Vous n'y pensez pas !-
Et le temps qu'il cogite, elle s'était installée, bien trop collée à lui. Pendant qu'il restait figé, à essayer d'analyser ce qu'il se passait. Comprenez-le, aussi, il venait d'être réveillé en sursaut. Et voilà qu'une femme mariée se glissait dans ses draps, il y avait de quoi être dérouté. Surtout qu'entre la tenue légère de Talulah et ses sous-vêtements, ça ne faisait pas beaucoup de vêtements pour séparer leurs deux corps ...
Il finit par tourner le visage vers elle, distinguant à peine ses traits à la faible lumière du ciel.

"...Vous pouvez .. "

Pouvez ? Mais c'était un accord qu'elle ne lui avait pas demandé, avant de glisser dans ses draps. Il n'avait d'autre choix que d'acquiescer.

"Je veux dire, vous serez mieux pour dormir ici..."

Octave expira longuement, les yeux tournés vers le plafond. Et puis il posa, un peu timidement, sa main sur l'épaule de Talulah, la caressant pour la rassurer. Juste un bref aller retour. Il ne faudrait pas que ça porte à confusion.

"Dormez bien."

Elle serait peut-être mieux pour dormir. Mais lui ? Eh bien disons qu'il ne s'attendait pas à ça, quand il avait envisagé un peu plus tôt de ne pas fermer l'oeil de la nuit. Au moins, il serait aux premières loges s'il devait se passer quelque chose. Prêt à bondir sur le danger. Et Talulah... se sentirait protégée ? Décidément, la nuit allait être longue... Et la journée du lendemain aussi, après s'être privé de sommeil.

On s'habitue à tout. Même aux situations les plus improbables. Et aussi étrange que soit celle-ci, Octave avait fini par se détendre, par reprendre sa respiration, cesser de crisper ses muscles et tenter de trouver un semblant de repos. Tout ce qu'il fallait, c'était oublier que la femme qui se blottissait dans ses bras était Talulah Schwartz, qu'il aurait aimé savoir morte encore le matin même.

Heureusement, fatigue aidant, il était parvenu à mettre cette information de côté. Et le sommeil avait même fini par le gagner. Si bien qu'il dormait, presque paisiblement, lorsqu'il sentit un mouvement brusque contre lui. A son tour, il se réveilla dans un sursaut. Et il lui fallut une poignée de secondes pour se remémorer le cours des évènements et ce qui l'avait mené ici. A moitié assoupi, la situation semblait encore plus bizarre et dérangeante. Il ouvrit les yeux, cherchant à comprendre ce qui l'avait réveillé d'un tel sursaut. Et se surprit à entendre Talulah sangloter. Un mauvais rêve ? L'addition de tout ce qui l'avait ébranlée la veille ? Un mélange de tout ça ? Octave resta quelques secondes silencieux avant de se décider à se redresser à son tour.

"Mme Schwartz ?"

Il inspira profondément avant de passer son bras autour des épaules de la jeune femme. Pour la ramener contre lui et la rassurer. Ils étaient déjà bien proches dans ce même lit, ça n'était plus à ça près, hein.

"Tout va bien ?"

Un mauvais rêve donc. Il raffermit un peu sa prise sur les épaules de Talulah, lui caressant le bras et l'épaule. Et l'incita à s'allonger à nouveau, quand elle le voudrait. Si on lui avait dit qu'il se retrouverait dans un lit en train de réconforter Schwartz.. Et pas du tout pour les raisons que vous croyez... Il aurait eu bien du mal à l'entendre. Mais il n'allait pas la laisser seule face à sa détresse, alors qu'elle se trouvait juste à côté de lui. Petit à petit, leurs respirations se calmèrent. Il sentit celle de Talulah se faire plus régulière, alors que le jour commençait à pointer. Il aurait pu retrouver le sommeil. Mais c'était sans compter des ... excuses qui arrivèrent, presque sorties de nulle part. Octave n'ajouta rien. C'était du passé, c'était derrière eux, non ? Mais il soupira longuement à son interrogation. Cherchant ce qu'il y aurait à répondre à ça.

Avant qu'il n'ait trouvé ses mots, des petits cognements contre la porte le firent sursauter à nouveau. Décidément, ça faisait longtemps qu'il n'avait pas eu une nuit aussi agitée ... pour de si mauvaises raisons. Les yeux d'Octave s'ouvrirent grand à l'évocation du mari de Schwartz. Et avant même qu'il ne réagisse, celle-ci se défaisait de son lit et se levait à la hâte.

A son tour et dans la précipitation, il quitta les draps, non sans avoir attrapé sa baguette, toujours posée sur la table de nuit. Il était un peu paniqué à l'idée que le mari de Talulah découvre qu'ils avaient partagé un lit, même si ça avait été en tout bien tout honneur. La situation risquait de prêter à mal interprétation.

"Bien. Je pense que ma pr..."

Il s'interrompit en se tournant vers elle, la trouvant en train de se changer, devant lui. En perdant un peu ses mots. Elle dût le remarquer car une brume se lit à l'envelopper à ce moment-là, camouflant en partie la peau bien trop dévoilée. Octave détourna le regard aussitôt et marmonna un pardon, avant de poursuivre.

"Que ma présence n'est plus nécessaire donc."

Il s'avança dans la pièce pour attraper ses vêtements, prenant garde de ne pas trop relever le regard pour ne pas importuner Schwartz. Il n'avait pas tellement de raisons de rester d'avantage. Confronter le mari de Talulah ? Non, ça n'était pas vraiment dans ses plans. Mais rien de ce qui s'était déroulé depuis la veille au soir ne faisait partie d'un plan...
Cependant, il s'était engagé à rester et la protéger jusqu'à ce que son mari revienne, il avait tenu sa parole. S'il avait été plus mesquin, il aurait pu lui rappeler que ça aurait pu être l'une de ses deux faveurs. Mais il n'avait pas la tête à ça. Il se contenta d'attraper ses vêtements, de déposer sa main sur l'épaule de Talulah.

"Prenez soin de vous Mme Schwartz."

Il lui glissa à l'oreille, avant de s'apprêter à transplaner loin d'ici, ce qu'il ferait après l'avoir saluée de la main une dernière fois, sauf si elle le retenait de force. Il n'avait qu'une hâte, prendre une bonne douche, regagner son lit pour une heure ou deux et oublier tout ce qui venait d'arriver...