Garden of Eden

Une chose qu'on confiait souvent à Nathanael, depuis qu'il n'était plus capable de faire de magie, c'était à quel point il était courageux. Courageux après ce qui était arrivé, courageux de rester dans un monde magique dans lequel il n'avait pas accès à beaucoup trop de choses. On n'imaginait pas à quel point ce Monde était fermé, même pour ceux et celles qui en faisaient parti mais qui n'avait jamais pensé ses infrastructures, ses produits, son quotidien autour de Cracmols, par exemple. De personnes agées, peut être même aussi. Mais c'était sa maison. A lui, et à Hyacinthe. Si février lui avait prouvé quelque chose, c'était que l'autre garçon avait encore besoin de lui. Alors non, ce n'était pas du courage ou un aveuglement têtu, c'était du simple bon sens. Et cette boulangerie... Aussi difficile que ça avait paru, il avait réussi à la transformer à l'aide de son cadet pour qu'il puisse toujours travailler. Mais le Ministère statuait toujours sur son cas, concernant l'emplacement, et ça n'aidait pas ses nuits déjà courtes. Il avait bien un ami dans les murs, maintenant, mais... Il n'allait pas pouvoir se présenter face à lui pour encore un moment.

Mais si ses produits étaient toujours bons, jusqu'à quelques jours encore, ces derniers temps on pouvait y sentir la tristesse d'un pâtissier. On dit toujours que les émotions influencent la magie que l'on produit, et bien c'était la même pour les métiers de bouche. Les gens ne lui avaient pas encore fait remarquer, peut être qu'ils étaient trop polis pour ça. Ou peut être qu'ils avaient un peu pitié, pour d'autres. Quoi qu'il en soit, si lui tentait toujours de faire bonne figure, car il n'y avait rien qu'il ne déteste plus que de faire payer les autres pour ses propres histoires. Oh, il y en avait eu pour oser. On pensait à une petite fan n°1, par exemple, ou une vieille sorcière toujours très indiscrète mais pas méchante... Hyacinthe devait le savoir, mais ne rien dire à son grand frère. Nate n'avait pas perdu la main, il avait juste perdu une partie de lui.

Ce matin, il n'était pas plus énergique que les autres mais il avait décidé de se reprendre un peu en main et de revoir, pour ce faire, son stock de potions médicinales. Ca lui faisait toujours un bien fou, avant, de concocter ces fioles, paumades et autre décoctions qui visaient à soigner les autres. Elles avaient un usage plus restreint depuis plusieurs années, mais il n'avait jamais arrêté. Pour ne pas perdre la main, et pour soigner ses rares proches, aussi. Bien sûr ça voudrait dire adapter certaines recettes qui prendraient bien plus de temps, et aussi faire une croix sur d'autres qui nécessitaient trop de magie. Il s'était penché sur ses vieux livres auxquels il était fidèles, et quelques récents bourrés d'annotations qui lui avaient pris la nuit par moment. Aujourd'hui, il essaierait cette potion d'Essence de Dictame qui lui résistait encore. Il avait bien besoin d'une petite victoire, ces temps ci.

Son manteau sur les épaules, liste en poche, il s'était rendu dans la boutique qu'il connaissait à présent par coeur, même si depuis plusieurs mois, elle avait beaucoup changé. Etait-ce par pitié qu'il venait toujours ici, bien sûr que non, mais le fait que le propriétaire ait été touché par un mal qui l'empêchait de pratiquer la magie correctement orientait peut être son choix, par rapport à une boutique plus luxuriante, plus jeune et mieux entretenue. Car c'était un gros problème, depuis un moment maintenant. L'homme ne pouvait plus se déplacer aussi souvent et les employés qui avaient pris le relais ? Autant dire qu'ils faisaient plus de mal de que bien.

Passant la porte en bois et carreaux de verre, il ne pouvait que constater les dégâts, et ça faisait mal au coeur. Ca faisait un moment que Nate n'était pas venu et... Il ne fallait pas être botaniste pour voir que quelqu'un avait tenté le "looks and quantity over quality". Jamais on n'aurait vu des plantes aussi pimpées, avant. Il ne connaissait bien sûr pas toute l'histoire, mais il soupçonnait la famille de l'homme dans le revirement de situation. Il aperçu alors du coin des yeux la plante qui l'amenait ici. Il n'allait pas juste prendre quelques feuilles, s'il voulait faire plusieurs essais. Mais avec ce buisson ? Il n'allait pas pouvoir faire grand chose. Il avait l'air bien trop jeune... Est-ce qu'ils avaient essayé un charme d'engorgement pour lui donner cet air robuste, alors qu'on voyait que ses racines n'allaient pas bien loin en terre? Pas besoin de magie pour voir ça.

L'employé venait lui faire son laïus et si on observait le visage fermé du pâtissier, on voyait qu'il n'y accordait pas beaucoup de crédit. Mais il n'eut pas tellement le temps de chercher quoi dire pour exprimer son mécontentement, qu'un autre homme -un Américain ?- fit son interruption. Le premier réflexe du pâtissier ? Froncer les sourcils. Il n'est pas extrèmement sociable, en ce moment, et s'il avait pu simplement acheté ce dont il avait besoin et repartir, il l'aurait fait. Il faudrait un jour qu'il demande à Hyacinthe comment fonctionne internet, peut être. S'ils pouvaient l'avoir dans leur cheminée ? Bref, il revint à l'homme qui agaçait le vendeur du dimanche (un lundi). Il avait l'air particulièrement sur de lui, mais surtout, un coup d'oeil à ses chaussures et ses ongles -déformation professionnelle de sa formation de Médicomage auprès des Aurors- suffisait à tirer quelques conclusions.

« I think he knows better than you, what he is talking about. »

Il dit d'une voix posée, calme, mais nullement le ton chaud et amical qu'on lui connaissait. Il regardait la plante qu'on mutilait d'un air déçu, et soupira, ignorant l'air outré de l'autre.

« I'm sorry, you probably got nothing to do with all this and this is just a job for you. But if you're really passionate about this job for your future, I wouldn't listen to your new boss' advice. »

Avait-il totallement ignoré l'américain ? Oui, tout à fait. Il regardait autour de lui ce qu'il pouvait bien prendre qui n'avait pas été altéré avec le temps, les mauvais soins ou autres potions douteuses.

« I'll take this Bubotuber. »

Il dit, désignant la plante peu ragoutante, qu'il aurait certainement pu acheter ailleurs mais il s'agissait d'autre chose, ici. Il se doutait que l'employé, sans doute plus jeune que lui, n'allait pas tout comprendre mais il espérait qu'au fond il ferait la différence entre le management de l'ancien propriétaire, qui aimait vraiment ses plantes, et le nouveau. Il irait chercher son buisson de dictame ailleurs. Il paya quelques pièces ce bronze et le salua, aussi vexé que l'autre soit toujours, ainsi que l'homme qui les avait interrompus.

« Good day, sirs. »

Avant de repartir.


***
Je pense qu'il sait bien mieux que vous, ce qu'il avance.
Mes excuses, vous n'avez probablement rien à voir avec tout ça et c'est simplement un petit boulot pour vous. Mais si vous êtes vraiment passionné par ce travail pour votre avenir, je n'écouterais pas les conseils de votre nouvel employeur.
Je prendrai ce Bubotuber.
Bonne journée, messieurs.

La façon dont il s'était comporté, bien que logique, si on prenait en compte tous les éléments du côté du pâtissier, ne manqua pas de lui revenir en tête alors qu'il partait en quête de la nouvelle boutique qui se faisait connaître un peu plus loin. Il n'avait pas pour habitude de se montrer si froid envers les autres, du moins pas volontairement. En tout cas pas quand les autres ne l'avaient pas mérité. Et sa conscience lui faisait justement remarquer que l'Américain, aussi insupportable qu'ait été son interruption, n'avait probablement pas pensé a mal. Mais cette pensée ne lui resterait pas longtemps. Il avait d'autres soucis, en tête. Depuis le sort de l'ancien propriétaire de la boutique qu'il venait de quitter, le Bubotuber emballé et dans un sachet papier, jusqu'aux autres ingrédients qu'il lui restait a se procurer.

Il avait fait un détour rapide chez l'apothicaire, avant ça. Il lui faudrait un jour rendre visite a la jeune femme qui avait subit le même sort que lui, lorsqu'il aurait passé la période difficile qu'il traversait. Et puis il s'était rendu au Jardin d'Eden, cette superbe boutique qui n'avait rien a envier aux autres. Peut être que c'était sa propre jalousie et inaptitude qui le poussait a faire la charité plutôt qu'à apprécier ce que le capitalisme sorcier faisait de mieux. Ou juste ses principes. Quoi qu'il en soit, il était ressorti avec tout ce qui lui manquait, et s'apprêtait à répartir quand il entendit héler.

Autant dire que lorsqu'il vit l'Américain arriver en courant vers lui, c'est avec les sourcils froncés, l'expression pleine d'incompréhension, mais malgré tout fermée, qu'il l'accueillit. Il ne comprenait pas ce qu'on lui voulait. Il voulait juste rentrer chez lui et tenter de retrouver un peu de ce qui avait fait de lui un sorcier utile toutes ces années. Une partie en tout cas.

« I'm sorry ? »

Il avait demandé comprenant encore moins ce que l'autre lui voulait. Fourmies ? Et c'est quand l'autre attrapa la petite bête que les branchements se firent aux bons étages. Un peu trop tard de son côté, aussi. L'hymenoptere avait fait son œuvre, répondant a l'attaque du géant par une piqûre des plus désagréable, avant de tomber au sol. L'autre homme avait le dard toujours planté et la réaction était plus qu'immédiate, effectivement. Sans réfléchir, l'ancien Médicomage accompagna l'autre homme au sol, contre la devanture de la boutique.

« Do not move, and try to breathe slowly. It's going to be all right. What's your name ? »

Il dit, d'une voix bien plus calme et plus douce qu'auparavant. Son cerveau fusait a toute vitesse. Il n'avait plus sa baguette pour aspirer le surplus de venin, ou brûler ce dernier comme il était parfois recommandé. Avec beaucoup de précision, il avait pris son poignet d'une main ôta le dard de l'autre pour éviter qu'il ne déverse plus de poison. Ensuite, il avait arraché deux feuilles de sa toute nouvelle acquisition, et s'était mis a les mâcher.

« Take your hand like I just did and press your wrist. Not too tight. There... You come here often ? »

IL le regarda dans les yeux, histoire de capter son attention. Le but était d'occuper l'homme avec plusieurs choses pour éviter que son cœur ne s'emballe. Nate pendant ce temps là pouvait réfléchir a comment extraire une infime partie de son Bubotuber pour qu'il soit efficace, sans pour autant couvrir l'autre homme de pustule. Il connaissait tous les secrets de cette plante... La fourmi qui gisait au sol, un peu moins, mais il reconnaissait sa robe malgré tout. Le venin de celle ci était souvent utilisée en potion et comme analgésique, de façon distillée... Une fois qu'il fut certain d'avoir suffisamment -mais pas trop- récupéré du jus de son Bubotuber, il l'appliqua sur la plaie. Ses doigts a lui, l'auriculaire et l'annulaire pour éviter de perdre trop de sa main, développaient de petites pustules d'eau. Il récupéra le bras de l'autre et ajouta les feuilles de dictame par dessus, pressant avec son pouce. Il soupira, priant pour ne pas s'être trompé. Au mieux, l'autre homme n'aurait pas besoin de plus de soin. Au pire il aurait suffisamment ralenti les effets du venin pour qu'il puisse aller a Sainte Mangouste. Il observait la couleur de la peau de son patient, qui maintenant était presque tiré d'affaire.

« It was foolish of you to take it with your bare hands. »

IL ne put s'empêcher de dire, plus sévèrement. Cela dit, s'il ne l'avait pas fait, peut être que lui même aurait été piqué et a un endroit bien plus dangereux comme la carotide...

« But i suppose I should be thanking you. »

Il concéda, après un soupir.


***
Ne bougez pas. Respirez lentement. Tout va bien se passer. Comment vous vous appelez ?
Prenez votre main comme je viens de le faire. Pas trop serré. Vous venez ici souvent ?
C'était idiot de la prendre à main nue.
Mais je suppose que je devrais vous remercier

Travailler sous une certaine forme tension, ça rappelait des souvenirs à Nathanael. Pas qu'à la pâtisserie ce soit de tout repos, il y avait eu des moments où elle ne désemplissait pas et comme il avait beaucoup de mal à déléguer... Mais là, il y avait une tension humaine. Même si, dans une certaine mesure, il lui revenait dans ces moments là ses reflexes de Médicomages qui le détachait suffisamment du patient pour ne se concentrer que sur sa tâche. Tâche qui aurait été autrement plus simple avec sa magie. Il n'était pas sûr de lui, pas sur du tout mais...dans la théorie, c'était ce qu'une piqûre de cette petite bête là requiérait. Et de voir que l'homme s'en remettait validait sa supposition. Ce n'était pas sans soulagement qu'il vit l'effet de son pansement se propager correctement, il souffla même un soupir de soulagement. Quelques personnes s'étaient attroupées au tour, en voyant les deux hommes à terre, mais les curieux n'auraient pas de drames aujourd'hui.

« You don't say. »

Il répondit, non sans un trait d'humour même si son visage dégageait d'avantage la fatigue d'un homme qui ne comprenait pas comment on peut avoir vu la bestiole, sachant ce que c'est, pour la prendre à pleine main ensuite. Il fallait être au moins inconscient, si ce n'était idiot. Il n'arrivait pas à se décider quand à l'autre homme. Noah, donc. Nate regarda les doigts qu'il avait plus ou moins sacrifiés, et qui le brûlaient comme une mauvaise altercation avec des orties corsées.

« Oh, this. »

Il dit, comme si effectivement ça n'était rien.

« I have what I need at home. But you probably should this get checked out by a Medicomagus. »

A proper one, il avait failli ajouter. Il garda son amertume pour lui. Elle n'avait pas lieu d'être. Il avait prouvé, même si on était loin de l'arthère fémorale ouverte, qu'il était encore capable d'aider son prochain, même un prochain aussi urticant -il ne savait pas pourquoi. Enfin en l'occurrence, si il savait, mais c'était un peu démesuré. Il ramassa la fourmi et la pris délicatement dans ses doigts bourrus, la glissant dans un mouchoir qu'il avait dans sa poche.

« You should show them this. They won't survive in this climate but you can never be sure. »

Il avait l'air plus désolé pour la fourmi que pour Noah, en cet instant. Un petit problème de priorité, Nathou ? Il se releva et aida l'autre homme s'il en avait besoin, reprenant son arbuste et ses autres achats.

« Be more careful next time. »

Il lui adressa un signe de tete, et finit par partir sans trop chercher son reste. Il aurait été plus amical, un autre jour. Il aurait possiblement été plus poli et serait resté avec lui pour l'emmener à Sainte Mangouste. Mais ces jours ci, il avait juste envie de s'enfermer dans sa grotte. La perspective de reprendre quelques essais de potions de guérisons aidait en ce sens, il allait sans doute rester le nez dedans un moment mais surtout... Son coeur se serrait à l'idée de parler à n'importe quelle autre personne que qui il avait envie de voir en ce moment. Un certain Auror.


***
Allons donc.
Oh, ça.
J'ai ce dont j'ai besoin à la maison. Mais vous devriez probablement faire vérifier ça par un Medicomage.
Vous devriez leur montrer ça. Elles ne survivront pas dans ce climat mais on ne peut jamais en être sûr.
Soyez plus prudent la prochaine fois.