Histoire
Son regard azuré se perdait dans l'horizon obscure de la ville, éclairée par les étoiles et les technologies humaines. Le vent venait faire frissonner son être même si, en son fort intérieur, il se demandait si cela était réellement une réaction physique ou s'il ne s'agissait pas plutôt des vestiges de sa vie humaine disparue qui se rappelaient vainement à son bon souvenir comme pour lui rappeler combien, en quelques mois il avait changé. La vague de nostalgie l'envahit alors, cruelle et sans pitié. Parfois, il lui semblait avoir toujours été ainsi, errant de ville en ville, s'attachant à des gens qu'il quittait quelques jours plus tard, de peur de devenir un danger pour eux, ou pour lui même. D'autre fois, c'était l'inverse, il se sentait assailli, harcelé par le visage de ceux qu'il avait perdu: ses parents, sa soeur, sa copine ... Un soupire lui échappa. Il ignorait s'il trouvait le temps passer trop vite ou, au contraire, s'amuser à le torturer en s'écoulant d'une lenteur insoutenable. Aiden. Aiden Ludwig était bien mort. Une forte fièvre ? Une agression ? Une malformation ou un meurtre, il ignorait comment annoncer à ses proches ce qui lui était arrivé: lui l'orphelin, confié alors qu'il n'était qu'un jeune enfant à son parrain désormais sa seule famille. Ce dernier avait l'habitude de le voir disparaitre, et Aiden tentait de garder sa routine habituelle même si, de jour en jour, cela semblait compliqué. Depuis cette nuit là. Cette nuit qu'il ne pourrait jamais oublier. Il ignorait si ce qui était le plus douloureux: imaginer abandonner sa vie, sa famille, ses amis, de rayer son existence de la surface de cette terre et faire le deuil de l'homme qu'il avait été ou bien savoir que la vie continuerait malgré tout, sans lui ? Le plus difficile était la solitude Pauvre enfant, esseulé n'ayant plus personne a qui se confier ... Il y avait tant de chose qu'il aurait aimé faire, tant d'action qu'il aurait pu mener. Et pourtant, même s'il restait en quelque sorte vivant, la vie "normale" s'arrêtait pour lui. Et ses amis, ses proches ... D'ici quelques années que resterait-il d'eux alors qu'il continuerait d'arpenter seul cette terre ? Des cendres ...
Il resserra les pans de sa veste, autour de son corps. Le destin était cruel: il l'avait arraché de son existence tranquille de musicien lambda et l'avait propulsé dans un monde dont il ignorait l'existence jusque là. De sa transformation ? Peu de souvenir. Une douleur, aiguë, revenait en boucle lorsqu'il tentait de forcer sa mémoire. Mémoire sélective qui s'était empressée de dissimuler à sa conscience l'horreur de ce qui lui était arrivé cette nuit là: il souffrait bien assez de ses conséquences. Le destin était cruel. Il se souvenait d'une discussion qu'il avait eut avec un compagnon de voyage alors qu'il se rendait en Ecosse. Le voyageur pouvait passer des mois, des années loin de chez lui, mais il finissait toujours par rentrer. Rentrer où, désormais ? Il n'avait plus de chez lui. Plus d'accroche. Plus d'attache. Aucun si ce n'était Elle ... Blanche ...
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Le soleil déclina dans le ciel, laissant la lune prendre l'ascendant dans le vaste étendu obscur parsemé d'étoiles. La fenêtre de l'appartement ouverte, il s'éveilla, soupirant sous la brise fraiche qui secoua ses boucles blondes. Son premier geste fut de se rendre au plus près de l'ouverture, observant la vie nocturne s'éveiller à son tour: les terrasses des bars s'emplissaient, les lumières des appartements voisin s'allumait. Londres changeait de visage le temps de quelques heures. «
Tu semble bien songeur Aiden. » Son regard quitta la ville pour se poser sur elle, sa créatrice. Ombrella était bien plus âgée que lui et avait été transformé plus tardivement mais elle gardait une beauté bien à elle, élégante et noble à l'image du rang qu'elle avait tenu durant sa vie d'avant. Membre d'une importante famille italienne du XVIIè siècle, elle avait troqué ses longs mèches noires tressées et ornementées, sa peau délicatement hâlée par le soleil et son air ingénue pour une allure féminine plus actuelle. Il secoua négativement la tête. Il ne voulait pas parler de cela, Elle, son unique faiblesse, l'objet des colères de sa créatrice. «
Encore cette sorcière. » comprit immédiatement la vampire, agacée. Dans un soupir, il se détourna.
Plus tard, à l'apogée de la nuit, ses doigts se promenait sur les touches du piano. Il composait depuis toujours mais en faire un métier était loin d'être l'origine de ses talents et de son assiduité musicale. «
Laisse moi t'aider ... » susurra la voix d'Ombrella à son oreille. «
Non. » lui répondit-il simplement, reprenant son activité. La blonde vint s'assoir près de lui, tournant le dos à l'instrument pour observer son visage. Après quelques instants, elle attrapa une mèche du jeune vampire pour dégager son visage. «
Je te connais mieux que quiconque, Aiden ... » commença-t-elle, stoppant immédiatement le blond. «
Tu es mon plus bel enfant et, après deux siècles je sais de quoi je parle. Tu t'es entichée de cette maudite sorcière et elle n'accepte pas le vampire que tu es devenu. Mais c'est ce que tu es ... » Aiden secoua la tête: la perspective de la voir mourir et l'abandonner seul dans ce monde lui était insupportable. Mais l'absence de Blanche se faisait sentir et il ne savait que penser de son silence pesant. Il avait le sentiment d'avoir tout perdu ... Il ne pouvait la perdre
Elle. «
Et bien, si son attitude te fâche, punis là. Elle reviendra, Aiden, ils reviennent toujours ... Mais d'ici là prends une nouvelle maitresse, une femme qui saura t'apprécier à ta juste valeur. Tu sais combien tu compte pour moi ... » Perdu dans l'immensité de ses émotions, il ne parvenait à défendre ce qui l'unissait à Blanche. Il avait refusé de nommer ce qu'il ressentait pour elle, de peur de la faire fuir face à l'officialisation de quelques choses qui pouvait les mettre mal à l'aise et pourtant, depuis qu'elle avait disparu de son existence, il se sentait vide. «
Moi je serai là ... » continua la vampire, chuchotant de plus en plus bas, se rapprochant davantage de lui. «
Te souviens-tu de ce jour où je t'ai transformé ? Il me semble que c'était hier ... » La main féminine glissa le long de sa nuque, arrachant à Aiden une secousse involontaire. Comment oublier les canines de la jeune femme s'enfonçant dans sa chair ? «
Peut être aurais-je du seulement te tuer, tu aurais été entièrement à moi pour l'éternité. » finit-elle par dire sur un ton moins sensuel, reposant un rapide baiser sur ses lèvres avant de se lever. Surpris, il n'aurait su dire qui, du geste ou de a réaction l'avait choqué davantage. Lorsqu'il l'avait retrouvé, plusieurs semaines auparavant, il avait été séduit par son assurance, la manière qu'elle avait de prendre soin de lui, de le guider dans cette nouvelle vie qui était la sienne. Et pourtant ... Ombrella était autoritaire et aimait le contrôle, elle profitait de sa nouvelle vie pour rattraper tout ce que sa condition d'humaine l'avait empêcher de faire.
Et il n'était pas sur d'aimer ça ...