saskia aznar | emeraude toubia

"Pas la peine de revenir en septembre. Je ne vous vire pas officiellement car cela reviendrait à ébruiter l'affaire mais ne vous avisez pas à vous tourner de nouveau vers l'enseignement car si je venais à l'apprendre - et vous pouvez être sûre que cela arriverait - croyez moi que vous le regretterez. Par ailleurs, il va s'en dire que j'ai signalé votre comportement aux autorités compétentes et que..." Un haussement des épaules accueillit le discours. Saskia s'y attendait, elle avait salement merdé. Mais d'un côté, le petit con d'élève l'avait mérité avec son air de Ken prétentieux et ses paroles en l'air. Qu'est-ce qu'il avait dit déjà ? La sorcière ne s'en rappelait même plus mais en tout cas cela l'avait mis hors d'elle, au point de lui lancer un sortilège de confusion et de l'envoyer voir au sommet de la tour d'astronomie si elle y était. Ça y était, ils avaient couché deux fois ensemble et il se croyait tout permis ? Bien sûr, elle l'avait empêché de tomber, elle ne faisait pas dans le meurtre d'élèves. Toujours était-il que le gosse avait eu la peur de sa vie et que c'était amplement mérité. Et maintenant, maintenant elle était virée et la brune en était presque satisfaite. Être professeure ne lui convenait finalement pas, même si le cadre de Poudlard était à couper le souffle et sa bibliothèque des plus fournies. Puis la Défense Contre les Forces du Mal, c'était un peu surfait comme matière. Si elle en connaissait un rayon, c'était d'ailleurs parce qu'elle s'était plus intéressée aux Forces du Mal elles-même. Elle quitta le château le soir même, sans regret. Elle ne tarda pas d'ailleurs à retrouver un boulot. Vendeuse pour Barjow & Beurk, boutique des plus glauques de l'Allée des Embrumes, chargée d'aller charmer les vieux sang-purs de bonnes familles pour les délester ou leur faire acheter quelques objets. En quatre ans, elle se fit un réseau de relations des plus solides et - comme peu de ceux qu'elle avait escroqué s'en étaient rendus compte - la majeure partie de ses vagues connaissances lui donnerait le bon dieu sans concession.

***

Saskia Aznar Ortiz, raccourci en Saskia Aznar dés son arrivée à Beauxbâtons, avait toujours été une enfant difficile qui flirta avec le invivable à partir de l'année de ses sept ans. Avant-dernière quasi à égalité avec l'avant-avant dernier d'une fratrie de neuf enfants, elle ne se trouva jamais réellement une place dans cette bande de personnes toutes beaucoup plus douées qu'elle dans les domaines politiquement corrects. Les parents étaient de simples sorciers on ne peut plus fréquentables et de bonne famille. Des générations de mages plus ou moins médiocres s'étaient succédés sans qu'une goutte de sang moldu viennent troubler la pureté de celui des Aznar ou des Ortiz jusqu'à l'arrivée de la grand-mère de Saskia, pieuse fleuriste lors de ses jeunes années, décédée un peu avant le deuxième millénaire. Elle n'eut le temps d'apprendre à ses petits enfants que les rudiments du catholicisme tout en priant pour qu'ils ne montrent jamais le moindre signe de sorcellerie afin qu'ils ne deviennent pas des âmes damnées. Longtemps on cru que Saskia allait réaliser les espérances de sa grand-mère. Pas une once de magie involontaire pendant de longues années exceptée l'histoire d'un pneu explosé après qu'elle l'eut visualisé ainsi qu'elle raconte lorsqu'on lui dit qu'elle serait peut-être cracmolle. Il n'y avait bien sûr aucun témoin lors de cet exploit alors on considéra les dires comme un autre mensonge à ajouter à tous les mensonges de Saskia, justifié par le fait que le petit dernier de la famille avait - à cinq ans à peine - montré plus de capacités magiques enfantines que la fratrie entière avant leur entrée à Beauxbâtons.

Saskia, le vilain petit canard de la famille. Saskia, celle qui n'aurait pas d'avenir car pas de pouvoir. Saskia qui répondait à la gentillesse de ses frères et sœurs par des regards froids et des silences éloquents. Saskia qu'on finit par arrêter de surveiller, lui laissant un peu faire ce qu'elle voulait tant qu'elle se tenait loin des routes. Saskia qui fut la seule pas étonnée lorsqu'on annonça son admission à Beauxbâtons. Saskia qui était douée mais pas autant que ses aînés et qui le serait moins que son cadet. Saskia qui emmagasinait de la rancœur sous son apparence de fille fêtarde à qui tout souriait. Saskia qui avait bien failli se foutre en l'air une ou deux fois mais qui avait au final toujours été retenue. Saskia avec sa bande de potes plus ou moins proches avec qui elle enfreignait les couvres-feux pour aller danser et qui revenait en cours le lendemain sans la moindre cerne. A Beauxbâtons, elle était heureuse, indéniablement. Elle y fit la rencontre de Sixtine avec qui elle ne rivalisait pas dans la catégorie enfance de merde. Sixtine, la jolie blonde qui lui racontait tout et à qui Saskia cachait deux-trois choses. Elle s'en fit une amie car la sorcière était l'incarnation de la fille à l'air sage. Avec Sixtine à côté d'elle, son côté sale môme moins douée que ses brillants aînés en était atténué alors elle mit un point d'honneur à la garder dans son périmètre, malgré les disputes, la rivalité sous-jacente, les coups bas et elle finit par s'y attacher. Ensemble, elles commencèrent à s'intéresser à la magie noire. Saskia disait que c'était parce que c'était interdit donc forcément intéressant et que ça permettrait de se débarrasser de ces nuisibles de moldus. Au fond, elle ne mentait pas, elle omettait juste de dire pourquoi la nécromancie était son sujet préféré. Qu'on le mette sur le compte de l'attrait pour le morbide.

***

Aujourd'hui, elle l'avait revu. Les mêmes yeux bleus fuyants, elle le reconnut instantanément. C'était bizarre le destin, on ne cherchait pas forcément à retrouver une personne et il nous la servait sur un plateau d'argent. Après tout qu'elle le tue lui ou un autre, cela n'avait pas d'importance, elle comptait se venger sur tous les moldus du monde. Ils n'étaient de toute façon bon qu'à crever avec leur technologie à la con et leur absence de magie qui l'empêchait d'utiliser la sienne où elle voulait quand elle voulait. Il la reconnut aussi et tandis qu'elle plongeait ses yeux droit dans les siens avec un sourire de mauvais augure il baissa la tête. Oh, elle savait que pour être lâche, il l'était.  Elle le suivit sans qu'il ne la remarque, il était loin d'être serein, cela se voyait à sa démarche. Peut-être qu'il se sentait coupable et qu'il s'en voulait après toutes ses années ? Oh, Saskia en avait pas grand chose à foutre des remords de cette ordure. Il rentra dans une maison de banlieue, le copié-collé de celle d'à côté qui était celui de celle d'en face. Elle déverrouilla la porte d'un coup de baguette avant de pénétrer à l'intérieur à son tour pour tomber nez-à-nez avec un petit garçon de quatre-cinq ans. Elle lui sourit, le doigt sur la bouche pour qu'il se taise avant de murmurer un "Impero". Voilà, elle avait sa marionnette. Elle lui demanda de la mener à son père, ce que le gamin fit sans aucune résistance.

Il eut l'air surpris, l'homme, quand son propre fils lui planta un coup de couteau à pain dans l'aine, au niveau de l'artère. Il le fut encore plus en voyant Saskia qui le regardait avec un air quasi désintéressé. "Maintenant, retire le couteau, va à l'étage, saute par la fenêtre que tu veux." Le tout dit d'un ton plat, les yeux du père s'agrandirent d'horreur. Saskia songea que sa vengeance n'était pas si dénuée de plaisir finalement. Il tenta d'arrêter le gamin mais la peur le paralysait à moitié et le sang qui coula à flot quand le couteau fut retiré finit de le clouer sur place. Il tenta d'endiguer l'hémorragie en faisant pression avec ses mains, elle retira les doigts de la plaie un par un. Oh oui, elle prenait presque son pied. Elle regarda l'homme de nouveau, elle avait son sang un peu partout. Elle lui sourit au moment même où un bruit sourd se fit entendre. Apparemment quelque chose était tombée dans le jardin.

"Cela serait bien de voir du pays maintenant qu'on a notre diplôme, non ?" Et que je me fasse oublier quelque temps... Elle était vautrée sur le lit de Sixtine, quasi nue, à potasser un grimoire sur le vaudou. Saskia releva la tête vers sa meilleure amie, sourire enjôleur aux lèvres. "On pourrait apprendre plein de choses" ajouta-t-elle en soulevant son bouquin pour que la blonde puisse en lire le titre. Le "surtout  la magie noire locale" était sous-entendu. Elle resta pensive quelques instants songeant à une liste des pays à visiter à tout prix, ceux à la pointe niveau nécromancie notamment... Ouais, ce ne serait vraiment pas mal de s'en aller, loin de l'Espagne où elle avait laissé au moins un cadavre, loin de sa famille qui la faisait suer pour qu'elle ne vise pas trop haut - "C'est pour ton bien ma fille, on ne voudrait pas que tu échoues" - là où personne ne tenterait de les empêcher d'apprendre la magie noire.

***

"J'y gagne quoi à vous rejoindre ?" demanda-t-elle en s'allumant une cigarette. Bar sinistre, milieu de la nuit, il n'y avait pas un chat. Il pourrait la tuer facilement, elle pourrait faire de même quoiqu'il y aurait plus de challenge... Il était loin d'avoir tout juste ses vingt-deux ans. Il la regarda en souriant, il la prenait vraiment pour une gamine songeait Saskia mais elle n'en dit rien. Et il lui expliqua, longuement, lui montrant par a et par b qu'il y avait de grandes chances de réussir, qu'il n'y aurait plus de monde sorcier et de monde moldu mais que celui des sorciers, que les mages noirs ne seraient plus traqués, que Grindelwald serait vengé. Grindelwald... Voilà un homme qui intéressait particulièrement Saskia qui n'en laissa rien paraître. Un jour, il faudrait qu'elle mette la main sur ses recherches, en particulier sur celle concernant une certaine relique... "Cela me semble un brin utopique tout de même..." Sourire malicieux. "Je signe où ?" Faudra qu'elle en parle à Sixtine.

Sixtine aka sa meilleure amie depuis Beauxbâtons, sa compagnonne de voyage, sa colocataire maintenant. Saskia n'aimait pas la solitude alors la colocation à Londres, avec la blonde, c'était franchement le pied. Surtout que Sixtine était serveuse alors rien de tel pour avoir quelques coups gratuits de temps à autre. Avec son amie, Saskia se sentait bien. Fallait dire que Sixtine, c'était la comparse idéale de magouille, le bon coup des retours de soirées, la seule personne qui arrivait à la supporter au quotidien. Au fond, elle en était un peu amoureuse de cette blonde que pourtant elle manipulait parfois sans une once de remord, qu'elle entraînait dans toutes ses affaires louches, qu'elle appâtait par des promesses d'action potentiellement mortelle. Mais Sixtine n'avait qu'à pas se laisser embobiner si facilement après tout, puis elle était certainement consentante vu qu'elle n'avait toujours pas fui leur loft, n'est-ce pas ?

***

"Almo ! Almo ! No me deja ! Almo ! No mueras ! Te le ruego, no me deja ! ALMOOOO !" Et la fillette secouait le garçon qui lui ressemblai comme deux gouttes d'eaux, allongé sur le bitume. Ils étaient tous les deux couverts de sang, celui du garçon, et elle avait les yeux brouillés de larmes. Elle le suppliait de ne pas la laisser, de ne pas mourir mais lui était déjà loin et bientôt son regard se fit vitreux. La voiture arrêtée trois mètres plus loin était également maculée de sang. Un homme en sortit, quarantaine, yeux bleus fuyants, transpirant, son visage s'imprima dans les rétines embuées de la petite. "No es mi culpa ! Se tiró debajo del coche !" Ce n'est pas de ma faute ! Il s'est jeté sous la voiture ! Et l'homme prit la fuite, s'éloignant de la vision du gamin mort et de sa jumelle éplorée. Qu'est-ce qu'il pouvait faire de toute façon ? Rien. Il n'y avait plus rien à faire. Alors autant ne pas se faire arrêter, autant s'en aller avant que d'autres n'arrivent. Il avait une famille, un travail, une vie, il n'y avait pas la place pour un procès; voire la prison, tout ça pour une poignée de seconde d'inattention. Il s'en alla donc, à toute vitesse, ne s'arrêtant même pas au "BANG" sonore, témoin de l'éclatement d'un de ces pneus, laissant derrière lui Saskia qui avait cessé de pleurer et qui contemplait la voiture d'un regard plein de haine.

Quand on les retrouva, la petite avait les yeux secs et il était bien entendu trop tard pour Almo. Plus jamais on ne la vit verser de larmes, plus jamais elle ne mentionna son frère à personne avec qui pourtant elle était inséparable même avant la naissance. Cela épouvanta le reste de sa famille qui la crurent absolument sans cœur et dés lors, sa relation avec celle-ci se gâta. Si on avait compris sur le moment que la prétendue indifférence de Saskia n'était qu'une façade, qu'on l'avait fait pleurer un bon coup puis séché ses larmes alors peut-être qu'elle aurait fait le deuil et tout aurait été différent, son allégeance, son utilisation de la magie, ses agissements, ses fréquentations, sa vie. Mais ses parents ne le comprirent pas, préférèrent consoler le petit dernier, l'avorton génial mais hypersensible de la portée, et le fossé entre Saskia et les autres Aznar ne fit que s'agrandir au fil des années. Il ne reste des traces d'Almo dans la vie de Saskia qu'à travers sa réticence pour fêter son anniversaire, sa visite dans une église pour y allumer un cierge une fois par an à la date de l'accident (plus symbolique qu'autre chose mais quelque part elle aimerait croire au paradis même si cela signifierait aller simple en enfer pour elle), sa haine des moldus et, bien sûr, son obsession pour la nécromancie.