Still here after all this time [Alistair]

Les semaines ont passé.
Le calme est revenu. Les journaux ? Les évènements du gala de charité ? Oui, bon. Évidemment qu'Alistair est sur la brèche, attentif à tout ce qu'il peut se passer. Il a trouvé l'arrestation du directeur de la MUL improbable, surtout côté communication – n'oublions pas qu'il est un professionnel de la politique, casquette qu'on lui oublie souvent – et a regardé, de loin et d'un regard particulièrement critique, le reste des choses.
Le traitement du décès de Lyna par la presse, qu'il a trouvé proprement scandaleux.
La démission du Chef du Bureau des Aurors.
La pensée globale que les Deathwings disparaissent, que tout est sous contrôle, largement relayée par les journaux.
Ça sent la propagande à plein nez. Il ne peut pas croire que la population y croit encore. C'est bien trop gros.
Lui ?
Il a réduit drastiquement ses contacts avec le gouvernement britannique. Il a renforcé encore d'un cran la sécurité pour entrer sur son archipel. Il n'accepte plus l'entrée de personne ne s'étant pas annoncées au préalable. Les fouilles sont systématiques. Et la brume magique qui les protègent d'intrusions non-désirées par voie maritime a été épaissie.
Les menaces de rompre les accords économiques ? Il y fait la sourde oreille. Son clan n'a pas besoin de l'Angleterre : ils sont en commerce avec les Scandinaves, la Russie, la France, la Chine même !
Même si son chinois reste laborieux.
Rappelons, notamment, que les îles Féroé sont extrêmement proches, et une véritable porte vers le Grand Nord.
Autant vous dire que s'il doit rendre ses frontières parfaitement imperméables, il ne se gênera pas. À grand renfort de dragons s'il le faut.

En attendant, la vie poursuit son cours : les leçons de Lucàs, les fantômes qui cassent les pieds, la gestion du clan, … Sa vie sociale ? Inexistante. Il n'a pas vu sa fiancée officielle depuis un moment maintenant – mais correspond avec elle, quand même – n'a pas pu recontacter la belle irlandaise qu'il aimerait revoir – au moins pour s'excuser…
A ce sujet, il a bien évidemment eu une pensée pour elle, deux semaines plus tôt. Il a même été le premier surpris de se rendre compte qu'en voyant la date, il a pensé à elle avant de ressentir l'habituel pincement au coeur au souvenir de la mère de son fils.
Il faut qu'il fasse quelque chose à ce sujet. S'il pense ainsi à elle après plusieurs mois sans le moindre contact avec elle, ce n'est pas sain. Au contraire. Ça ne doit pas tourner à la rumination, ni à l'obsession. Il ne doit pas laisser non plus la culpabilité s'installer.
Il faut qu'il songe à crever l'abcès, et éventuellement à passer à autre chose. Tourner la page de cette agréable parenthèse pour reprendre le cours de sa vie.
Rêveur, pris par ses pensées, Alistair cille quand une petite note lui arrive et tapote sur sa tempe pour se signaler. Hmm ? Il l'attrape et lit les quelques mots qui lui sont adressés en gaélique. Son invité est arrivé. Il fait disparaître le petit morceau de parchemin et se lève enfin du fauteuil de son bureau, arrachant son regard au paysage extérieur.
La neige commence à disparaître, plus tôt que d'ordinaire. Mais qu'importe.
Il s'enfonce dans les longs couloirs sombres du château, ignore le Cousin Duncan qui se dresse sur sa route en passant au travers – brr – et dévale les escaliers vers la double porte d'entrée. Cette dernière s'ouvre à peine il s'approche, reconnaissant le priopriétaire des lieux.
Eh ouais.
Magie ancestrale, tout ça, tout ça.
“Xander,” l'accueille-t-il sobrement. Par habitude, il lui donne une brève accolade avant de l'inviter à entrer au chaud. Il a d'ailleurs déjà sa baguette à la main, marmonne une formule en gaélique et un beau feu de cheminée aux couleurs surnaturelles jaillit dans la cheminée. “Sorry I couldna meet you sooner… You ken how busy I can be.”¹
Quelques excuses, quand même. Oh, bien sûr, ils se sont vus à l'enterrement de Lyna. Bien sûr, Alexander aurait pu venir tous les jours ici s'il l'avait voulu. Mais il n'empêche qu'il n'a pas été autant là qu'il l'aurait voulu.
“Please have a seat… Anything to drink ? Scottish tea ?”²
Comprendre : du thé avec une belle lampée de Whisky Pur Feu – qualité MacFusty ! – dedans.
Parce que le whisky, c'est la vie.
“How have you been lately, lad ?”³
______________________
¹Désolé qu'on ne se soit pas vu plus tôt… Tu sais comme je peux être occupé.
²Vas-y, installe toi… Tu bois quelque chose ? Thé écossais ?
³Comment tu vas, dernièrement ?

D'un geste souple, Alistair lève à nouveau sa baguette et deux tasses fumantes apparaissent sur la table basse. Café bien noir pour lui, thé pour son comparse. Avant de s'asseoir, il attrape la bouteille de Whisky Pur Feu posée sur le montant de la cheminée, sans un regard pour les deux photos de familles qui y sont également installée. Il débouche, et verse une belle lampée de whisky dans le thé, puis dans le café avant de reposer la bouteille à sa place.
Là où elle n'aura pas le temps de prendre la poussière.
Et enfin il s'installe dans l'un des fauteuils, face à son ami, pour l'écouter lui faire part des dernières nouvelles. Il y a de quoi être inquiété par les actualités, oui. Le Ministère Britannique, qui est probablement corrompu. L'arrestation grotesque du directeur Johnson. Tout cela était déjà bien assez inquiétant, il faut le dire. Mais lire dans les journaux la démission de Thorn de la direction du bureau des aurors ? Ça l'avait fait tiquer. Il n'a jamais vraiment apprécié cet homme, dont le manque de finesse et de subtilité rend la présence assez insupportable. En revanche, il a la réputation d'être très bon dans son domaine, et son départ en dit long. Est-ce à cause des pressions subies ? Du déshonneur jeté sur son service par la presse depuis la mort de Lyna ? Par protestation ?
Et puis bien sûr, la disparition de Lyna. Ça a été un coup dur pour beaucoup, mais pour Xander plus que d'autres. Lui ? Bien sûr que ça l'a affecté. Elle restait une amie fidèle.
“'Tis okay, not to be able to follow up.” Il boit une gorgée de son café aromatisé – qualité MacFusty ! – et tente d'aborder les déclarations de son ami avec autant de calme que possible. “You dinna hold all the cards. All you can do is try to adapt to what's going on, and keep your friends close.”¹
And your enemies even closer, aurait pu rétorquer un certain auror ronchon.
Bien sûr qu'il voit que ça le travaille. De là à pressentir sa démission, à lui aussi ? Il ne l'imagine pas. Alexander a toujours été quelqu'un qui ne manque pas de courage et qui se bat pour ses convictions, n'est-ce pas ? Et il a une famille – enfin, un mari pour le moment – dont il doit s'occuper, aussi. Sa position actuelle lui offre ces possibilités, n'est-ce pas ?
Ou bien est-ce pour cela que Thorn a claqué la porte ? Parce qu'il ne serait justement plus possible de se battre pour ses convictions au sein de ce ministère ? Si tel est le cas, alors la situation est pire qu'il ne le pensait.
“Y'ken, there isna much of a change around here,” fait-il remarquer dans un demi-sourire. “Lucàs is doing alright, making a fuss about how unfair his life is because he has to follow lessons everyday and laughing whenever one of the ghosts is joking around… Same old, same old.”²
Il s'enfonce un peu plus dans son fauteuil. Heureusement pour lui que Lucàs est là. Il apporte de la joie et de la bonne humeur dans cette grande bâtisse austère, et amène un peu d'imprévu dans leur quotidien, que ce soit par ses tentatives de rebellion ou par ses mauvaises blagues faites à sa gouvernante.
“My màthair isna too happy about the fact that the wedding hasna taken place yet,” poursuit-il d'un ton égal, comme si cela l'ennuyait. “It'll probably take place next summer, even if I'd love it to happen as late as possible.”³
Parce qu'il n'a pas envie de se marier avec la jeune Artémis, surtout. Elle est certes jolie et agréable, mais ce n'est pas vrament ce qu'il peut attendre de la femme avec qui passer sa vie.
C'est qu'il est un peu plus exigeant que ça.
______________________
¹Ce n'est pas grave de ne pas réussir à suivre. Tu n'as pas toutes les cartes en main. Tout ce que tu peux faire c'est essayer de t'adapter à ce qu'il se passe, et garder tes amis près de toi.
²Tu sais, il n'y a rien qui change par ici. Lucàs va bien, entre ses protestations comme quoi sa vie est injuste parce qu'il doit suivre ses lessons tous les jours et ses rires dès qu'un des fantômes fait une blague… Toujours la même rengaine.
³Ma mère n'est pas tellement contente de voir que le mariage n'a pas encore eu lieu. Ça arrivera sans doute cet été, même si j'aimerais le voir se tenir aussi tard que possible.

Des conseils ?
L'intérêt de l'écossais est piqué au vif. Il sait Alexander d'un tempéramment impulsif, et rarement prudent. Qu'il vienne demander conseil auprès d'une personne plus posée et plus raisonnée aurait, en temps normal, été inespéré. Mais en des temps aussi troublés ? Cela ne fait que montrer à quel point le monde sorcier va mal. Il fera bien sûr son possible pour se montrer à la hauteur de la confiance de son vieil ami pour envisager le problème dans son ensemble et en tirer les meilleures sorties possibles.
Mais l'heure est pour l'instant aux dernières nouvelles, aux banalités, aux conversations plus légères. Lucàs, d'abord, bien sûr. La prunelle de ses yeux. Et puis ce mariage, aussi, qui devient plus pesant chaque jour où la Terre voit le Soleil se lever. Il arque un sourcil en entendant Xander lui faire remarquer qu'il ne méritait pas ça. Qui le mérite, de toute façon ? Ce sont des conventions qui ont la dent dure et qui ne sont pas prêtes d'être balayées. Les grandes familles du monde sorcier y tiennent, et pas forcément pour les bonnes raisons. Il n'y a qu'à voir selon quels critères Aoife MacFusty avait choisi Artémis : de sang pur, belle, de bonne famille, et avec une ascendance écossaise. Sur le papier, on n'aurait pu rêver mieux.
En pratique…
Il a un petit rire nerveux.
“You ken my màthair has never quite accepted the fact that I got married to a muggle,” fait-il remarquer. “She loved Ch…” Ah tiens. Depuis combien de temps évites-tu de prononcer son nom, mon lapin ? “She loved her, of course, she's still not over it. That's probably why she wouldn't let me handle it myself.”¹
Pourtant… Il y a bien cette jeune femme, qu'il a en tête. Qui est de sang pur, pour le coup. Il suffirait de pas grand chose pour qu'il puisse faire pencher la balance dans cette direction. Il ne doute pas que les O Ceallaigh accueilleraient la demande avec mesure mais joie – sauf Angus, mais qui se soucie de son opinion ? – puisqu'elle n'est toujours pas mariée à l'heure d'aujourd'hui. Sa mère ? Boh, elle râlerait sans doute qu'il fait son difficile, mais s'en accorderait. Alors quoi ?
Peut-être qu'il ne veut tout simplement pas précipiter les choses.
Et puis ce n'est pas comme s'ils ne s'étaient pas vus, vraiment vus, depuis six mois, aussi.
“Happiness isna really what she has in mind, although I guess she thinks it'll help me mourn.”²
Heureusement qu'il n'a pas attendu là dessus pour faire son deuil. Même s'il n'est de toute évidence pas tout à fait terminé, puisqu'il a encore du mal à prononcer le nom de sa défunte épouse. Il hausse alors les épaules, presque résigné, et revient à son café alors qu'on lui fait part de projets futurs.
Comment ça, quitter les aurors ?
Ah oui, quand même. On est sur de la nouvelle de compétition, là.
Il s'est redressé et écoute attentivement la suite, sourcils froncés cette fois. Il s'était douté que la démission d'un type comme Thorn devait annoncer quelque chose. Il se méfie aussi de ses interlocuteurs, et n'a pas attendu sur qui que ce soit pour fermer son archipel et refuser les visites extérieures non annoncées. Même celles annoncées, d'ailleurs, ont été largement réduites : il n'hésite pas à refuser l'accès. Quelques semaines plus tard, un certain Angus en ferait les frais.
Il pousse un soupir quand son ami conclut, regarde la surface du café restant dans sa tasse. Les temps sont troublés et les manoeuvres bien moins aisées que d'ordinaire.
Parce que bien plus lourdes de conséquences.
Il le sait, et c'est pour ça qu'il a augmenté la sécurité de ses terres de façon progressive. Peut-être faudra-t-il songer à passer au cran au-dessus. Et se préparer à des temps plus sombres encore.
Alistair pose sa tasse sur la table basse et prend un air grave.
“Do what you must,” finit-il par dire, non sans une certaine prudence. “There are other ways to be dedicated to people.”³
Les métiers de protection magique, oui, mais les métiers de la santé, ou de la politique quand on y réfléchit. Enfin la vraie politique, comme lui la conçoit, et non comme Gary Crowley la mène. Ce type est une insulte à toute position incluant des responsabilités et la prise de décision.
Mais il ne peut pas le dire en public. Ça serait un incident diplomatique majeur qu'il préfère ne pas avoir à gérer.
“It might make people think as well, if all the decent aurors are handing in their resignation.”⁴
Il relève les yeux vers son ami, l'air toujours aussi grave. C'est que l'heure elle aussi est grave.
“Have you talked to Aedan about this ? What does he think ?”⁵
______________________
¹Tu sais, ma mère n'a jamais vraiment accepté le fait que je me sois marié à une moldue. Ele adorait Ch… Elle l'adorait, bien sûr, mais elle ne l'a pas avalé. C'est sans doute la raison pour laquelle elle ne veut pas me laisser m'occuper de cela moi-même.
²Le bonheur n'est pas vraiment ce qu'elle a à l'esprit, bien que je la soupçonne de penser que ça m'aiderait dans mon deuil.
³Fais ce que tu dois. Il y a d'autres façons de venir en aide aux autres.
⁴Ca peut aussi faire réfléchir la population, si tous les aurors de confiance donnent leur démission.
⁵Tu en as parlé à Aedan ? Il en pense quoi ?