She's my cherry pie ~ Ft. Jesus

Les maigres sous qu'il avait de côté n'allaient pas suffire bien longtemps. Ces dernières semaines, Jesus était sur les rotules. Entre son travail chez Nathanaël, qui pouvait à peine lui donner un peu d'argent de poche, ses potions qu'il tâchait de retravailler pour qu'elles lui coûtent moins cher en matières premières et qu'elles mettent moins longtemps à arriver à maturité et ses quelques heures dans la cafétéria, les journées étaient longues.

Et encore plus lorsqu'il se lançait des défis. Réaliser une tartelette aux fraises, par exemple, plus réussie que sa première. Oui, il gardait Loïs dans un coin de sa tête, peut-être à tort. Et puis c'était une recette qu'il serait fier de montrer à Nathanaël et de parfaire avec lui, aussi. En tout cas, c'est ce qu'il se disait pour se raisonner. Il ne passerait sûrement pas autant de temps pour faire plaisir à cet ingrat de chat. Certainement pas.

Il n'empêche qu'il était rentré de la pâtisserie, épuisé, qu'il s'était occupé de toutes les potions déjà sur le feu, avait fait une sieste express, réveillé par un réveil ensorcelé qui lui avait gueulé dans les oreilles et qu'à la nuit tombée, ingrédients sous le bras, il avait pris le chemin des serres. Il s'était glissé, avec plus d'habitude et d'agilité que la première fois, jusqu'à trouver les plants de fraises et en ramasser un bon panier. Et une fois le larcin accompli, il s'était mis en route vers les cuisines. Pour parfaire sa recette. C'était déjà le deuxième essai. Le premier manquait de tenue et avait régalé ses voisins de chambre, les goinfres les moins difficiles du Londres sorcier.

A cette heure-ci, les cuisines étaient habituellement fermées. Il y avait un service minimum lors des colloques et autres conférences organisés mais c'était tout. Il s'attendait donc à trouver l'endroit entièrement désert. Et s'arrêta aux portes des cuisines en entendant un bruit. Un ustensile qui frottait contre un récipient, il en aurait mis sa main à couper. Il en était certain.

Baguette à la main, il s'avança à pas discrets, jusqu'à se figer, face à un spectacle totalement improbable. Une étudiante qu'il avait déjà croisée mais dont il ne se souvenait pas du nom. Et un horrible déguisement de licorne à paillettes qui donnait la gerbe rien qu'à le regarder. Dire que Loïs accusait ses tartes d'être trop sucrées, il n'avait pas vu ça... Jesus s'approcha jusqu'à être à quelques pas d'elle.

"Bouh ! Je t'ai fait peur ?"

Mais le ton était énervé, pas tellement plaisantin.

"Ca va, ça t'emmerde pas trop de piquer dans les réserves de la MUL en pleine nuit ? C'est pas open bar les cuisines hein !"

Dites, ça faisait longtemps qu'il n'avait pas râlé sur les voleurs des cuisines !

Oh, il n'aimait pas du tout voir la couleur de cheveux de la jeune fille changer de couleur. Depuis sa mauvaise rencontre avec un certain rouquin, Jesus ne portait plus tellement les métamorphomages dans son coeur. Surtout quand ceux-ci se foutaient de lui, comme là. Il la regarda, la dévisageant avec colère alors que son fouet sorti de son plat était de la pâte sur tout le plan de travail. Elle avait intérêt à nettoyer tout ça, il ne la laisserait pas s'en tirer comme ça. Mais en attendant, fallait éclaircir ce qu'elle faisait là. Et râler, pour les réserves de la MUL. Il suffisait qu'il relâche quelques jours son attention pour trouver de nouveaux resquilleurs. Faudrait vraiment penser à mettre une alarme sur les placards !

"Mon... petit... secret ?"

Minute, elle parlait de quoi, là ? Et est-ce qu'elle était en train de vouloir le faire chanter alors qu'il l'avait clairement prise la main dans le sac ? Et voilà qu'elle l'invitait à faire comme chez lui ? Dans SES cuisines ? Enfin celles de la MUL, techniquement. Mais quand même... Elle ne manquait pas de souffle, la licorne en peluche. Jesus, lui, serrait les dents. Se retenant de lui en coller une parce que c'était une fille -bonjour les clichés- et qu'elle avait vraiment l'air d'une gamine. On ne frappait pas les gosses, hein ? Même quand ils sont si énervants que ça ?

"Et pourquoi foutre des cerises dans un gâteau au chocolat ? Ça va pas du tout avec !"

En voilà un qui n'avait jamais goûté la forêt noire. Que voulez-vous, ses connaissances en pâtisserie étrangère restaient encore à parfaire. Il regarda sa pâte, fit venir une cuillère à lui pour en prélever un petit extrait qu'il glissa dans sa bouche. Oui, c'était pas trop mauvais, comme pâte, il fallait le reconnaître. Mais tout de même...

"C'est mes cuisines. C'est là où j'bosse. J'ai pas besoin qu'on me dise de faire comme chez moi. Toi en revanche, t'as rien à y foutre. Alors tu finis fissa ton truc chelou et tu te barres d'ici, ok ?"

Et ça n'avait pas l'air, mais c'était déjà bien aimable de se part. Il aurait pu la foutre simplement dehors et lui demander des comptes pour les ingrédients qu'elle avait piqués, hein ! Il la regarda du coin de l’œil, déposa sa récolte de fraises dans un petit récipient et les rinça avant de les couper en tranches. Non, ça ne lui plaisait pas vraiment d'avoir quelqu'un dans ses cuisines.

"Et ce truc là... c'est tout sauf hygiénique, hein !"

Il pointa cet affreux pyjama, du doigt, non sans grimacer. Lui, râler pour ne rien dire ?

Comment ça, tous les élèves à peu près sains d'esprit de la MUL ? C'était la chef d'une organisation criminelle de trafic dans les cuisines ou quoi ? Pourtant, il rôdait, habituellement. Oh, pas tous les soirs, loin de là. C'était pas son taff non plus. Mais il lui arrivait suffisamment souvent d'oublier un truc ou d'avoir besoin des cuisines de la cafétéria de la MUL pour savoir un peu ce qu'il s'y tramait. En l'occurence, il n'avait pas encore surpris ce genre de trafic.

"Et comme... à peu près tous les élèves, t'as rien à y foutre."

Se contenta-t-il donc de répliquer. Laissant tomber l'histoire des cerises dans le chocolat. Ca resterait une abération culinaire à ses yeux. Que la pâte soit bonne et qu'elle n'aie pas entièrement tort jouait un peu en sa faveur mais pas beaucoup. C'est qu'il aurait fallu admettre avoir tort, sinon. Et ça...ah ça, non. Hors de question. Pas au programme. Déjà, il l'autorisait à rester pour finir son oeuvre, il se trouvait bien charitable. Mais il ne tolèrerait pas tout non plus. En témoigne son visage, qui se renfrogna de plus belle alors qu'elle le remettait -légitimement, la joueuse l'avoue- à sa place. Jesus, lui, était loin d'être de cet avis. D'où elle lui parlait comme ça, hein ?

"J'ai le droit d'accéder aux cuisines quand je veux. Ce que tu n'as pas."

Plus exactement, il prenait ce droit. Ce qui n'était pas explicitement interdit était autorisé, non ?

"Tu cuisines à poil si t'as envie mais chez toi ! Ici y'a des normes d'hygiène. On s'fait pas chier à les respecter pour que des connards viennent tout saboter par derrière !"

De l'eau dans son vin ? Elle était plutôt en train de mettre des dragées de Bertie Crochue dans son Hibou Cola, là. Il n'était pas loin de bouillir, le petit Jesus. Un peu vexé d'avoir si peu d'autorité aussi, peut-être. Il allait falloir qu'il se résigne, s'il voulait avancer sa recette. C'est que la tarte aux fraises ne s'améliorerait pas toute seule, malheureusement. La magie avait ses limites. Et il avait des fraises fraîches qui l'attendaient. Alors poussant un peu les affaires de l'envahisseuse, il s'installa, non sans manifester son mécontentement par un long soupir. Elle était sacrément gonflée, celle-là. Il passa ses fraises sous l'eau et enchanta un couteau pour les équeuter et les couper pendant qu'il commençait la pâte.

"En temps normal, je serais supposé te foutre dehors. Toi, ta tenue à la con et ton gâteau dégueu. Alors arrête de râler et estime toi heureuse de pouvoir finir ton massacre là. Tu peux m'filer le rouleau à pâte ?"

Jesus qui demandait à quelqu'un d'arrêter de râler. On tenait vraiment la palme de la mauvaise foi. Le pire, c'est sans doute qu'il n'en avait pas conscience, lui.

S'il y avait une chose sur laquelle ils étaient d'accord, c'est qu'ils pouvaient vraiment croiser n'importe qui ici. Jesus lui-même leva les yeux au ciel lorsqu'elle lui fit la remarque. Et il ne devait qu'à sa maturité exemplaire -quoi ?- de ne pas lui avoir craché un "c'est celui qui le dit qui l'est" à la gueule. Il n'en pensait pas moins, en trahisse son regard blasé -certes un peu noyé dans son visage renfrogné, je vous l'accorde-.

Quoi qu'il en soit, elle ne semblait pas prête de déguerpir d'ici. Il allait vraiment falloir qu'il en touche un mot aux responsables des cuisines. Ca commençait à être gonflant de faire de la surveillance ici. Et s'ils souhaitaient les laisser ouvertes aux quatres vents, ils seraient gentils de l'en informer. En attendant, il semblait qu'il ne s'en débarrasserait pas comme ça. Il allait falloir faire avec une gamine fringuée en licorne qui s'asseyait sur toutes les règles d'hygiène alimentaires, ce soir. Et il avait une tarte à préparer. Il commença son oeuvre, non sans lâcher de gros soupirs juste pour faire comprendre à la squatteuse qu'il n'appréciait pas beaucoup sa présence. Il ne pouvait même pas chantonner en paix, comme il avait coutume de le faire quand il était seul. La barbe.

"Mais avant que j'te voie j'étais de bonne humeur aussi, figure toi !"

Il chopa le paquet de farine.

"Tu manques vraiment pas d'souffle hein !"

Il continua, en agitant le paquet, non sans en faire voler un peu partout dans la cuisine, dans l'agacement. Oups. Il y en avait même sur le pyjama de la squatteuse. Ca lui ferait peut-être comprendre l'intérêt d'une tenue adéquate, tiens. Il lui fila le paquet sans délicatesse, faisant voler encore un peu de farine sur le plan de travail.

"Et j'grogne pas. J'fais mon boulot, c'est tout."

Non mais on n'allait pas non plus le lui reprocher ! Quoi qu'au point où elle en était, est-ce qu'il fallait encore s'en étonner ou s'en offusquer ? Il étala la pâte, avec un peu trop d'acharnement, dû s'y reprendre à plusieurs fois pour avoir une épaisseur convenable. Et commença le flan. Tout en levant les yeux au ciel à nouveau. Vraiment, qu'est-ce qu'il avait fait pour mériter ça ?

"Jesus. T'as fini avec le fouet ? J'en a besoin."

Il se retint de répéter encore qu'il ne grognait pas. Quand de toute évidence... il grognait. Même son propre prénom avait été articulé entre deux grincements de dents. Il avait bien compris qu'il allait devoir se faire une raison et accepter qu'elle serait dans ses pattes pour un petit moment. Et qu'il fallait y mettre du sien pour que ça soit moins désagréable ?

"Et qu'est-ce qui t'amène à venir ici pour faire un gâteau à cette heure-ci ? C'est quoi, t'avais besoin d'un truc de dernière minute pour pécho ?"

Quoi qu'avec ce pyjama là... Faites qu'elle n'aie pas ça en tête avec ce genre de tenue, ça deviendrait carrément malaisant pour Jesus. Qu'elle veuille un gâteau juste pour elle ? Qu'il n'y aie que lui pour avoir en tête de faire des trucs pareils ? Et qu'il soit en train de se griller de la sorte ? Non, c'était forcément un truc répandu. La preuve, ça avait marché une fois. Et ça fonctionnerait encore. Il était certain que Loïs serait ravi de cette attention. Ouais, il y croyait. Un peu trop, malheureusement pour lui.

Il fallait reconnaître quelque chose, cette gamine était encore plus bornée que lui. Et ce n'était pas souvent qu'il trouvait quelqu'un qui puisse lui faire concurrence là dessus. De toute évidence, elle ne se découragerait pas, quelle que soit la méthode qu'il emploie. Il avait donc décidé de la laisser se servir, tout en se répétant que dès le lendemain, il faudrait que ces choses-là changent. C'était plus possible, d'avoir des visiteurs dans les cuisines qui se croyaient tout permis et qui étaient encore plus insolents que lui. On marchait pas sur ses plates-bandes, non mais ho !

"Alors arrête de la foutre partout et d'agir comme une gamine ! Le bordel que tu mets, c'est toi qui va le nettoyer, j'ai autre chose à foutre que de passer derrière des ... des... licornes ! "

Il s'était retenu de l'insulter, songeant que ça ne ferait qu'empirer les choses. Comme quoi, occasionnellement, ça lui arrivait de penser avant de parler. Malheureusement, ça restait rare. La farine étalée de partout ? Il ne l'avait même pas fait exprès pour l'emmerder -ce n'était pas faute d'en avoir envie-, elle lui avait échappé des mains alors qu'il s'énervait un peu fort avec. Il inspira un grand coup, essaya de se calmer avant de massacrer la tarte qu'il était en train de finir. Ca aurait été dommage, elle partait vraiment bien. Il avait fini sa pâte, en goûta un petit bout pour s'assurer qu'elle était comme il se l'imaginait. Et leva les yeux au ciel lorsqu'elle lui lança le fouet sale et rempli de salive. Mais qui avait élevé cette fille ?

"Te fatigue pas à le laver surtout !"

Heureusement qu'elle ne travaillait pas ici. Enfin elle aurait été évincée en deux jours avec autant de mauvaise foi. Il lâcha la préparation de son flan pour aller nettoyer le fouet.

"Ton pyjama, le seul effet qu'il me fait, c'est d'avoir envie de le brûler"

Il revint avec le fouet propre et séché et reprit la préparation de son flan. Avant d'être interrompu à nouveau par cette petite garce. Jesus inspira et expira très fort pour ne pas lui coller une raclée et pour bien lui faire comprendre à quel point elle l'agaçait. En plus de ça, voilà qu'elle allait lui griller la place dans le four. Il se poussa avec une lenteur exagérée, lui jetant un regard noir.

"Et non, j'ai pas b'soin de gâteau pour pécho. Ni de cours pour séduire, être aussi agaçant que toi ou quoi que ce soit."

Il savait pourtant qu'il pouvait être énervant. Mais elle ? Elle atteignait des sommets. Ce qui n'en faisait pas pour autant un exemple à suivre.

"Déjà, ça t'regarde pas. Ensuite, j'le fais pour m'améliorer. Parce que c'est ce que j'ai envie de faire, t'vois ? J'bosse dans une pâtisserie, j'essaye de progresser."

Et ce n'était pas totalement faux. Même s'il avait bien plus Loïs que Nate en tête en faisant cette tarte, c'était aussi pour prouver au pâtissier qu'il progressait, qu'il s'entraînait avec ardeur et qu'il pouvait lui confier quelques tâches de cuisine. C'était... l'objectif secondaire, dirons nous. Il termina son flan, le recouvrit et le plaça dans le compartiment froid en attendant qu'il puisse finir sa préparation.

"T'en as pour combien de temps à cuire ton truc là ? Tu m'as pas dit pourquoi tu v'nais squatter à cette heure-là, si c'est pas pour pécho... Tu m'diras, c'est plutôt rassurant avec cette tenue-là hein... Mais on a toute ta cuisson à tuer, déjà que tu squattes le four, t'as le temps de m'raconter tout ça."

Lâcha-t-il en terminant de préparer sa pâte, prêt à l'enfourner dès qu'elle en aurait fini avec le four.

"Et t'as le temps de nettoyer tout ton bordel, aussi."

Il ne l'oubliait pas. Hors de question qu'il passe derrière elle, il était déjà bien gentil de la tolérer ici et de ne pas jeter sa préparation hors du four.