Two sheets to the wind

Two Sheets to the Wind

La nuit a été courte. En fait, il n'y a pas eu de nuit.
Avec le décalage horaire, Isleen a été prévenue de la catastrophe à Poudlard quand la nuit tombait à Hawaï… Et que Londres était déjà bien éveillée. L'Ecosse panse ses plaies d'un symbole national pour la communauté sorcière, pendant que d'autres se relèvent, tant bien que mal, de l'horreur de la nuit.
Le trajet a été long. Moins long que si elle avait dû voyager comme les moldus, mais trouver des Portoloins et passer les différentes frontières avait pris un certain temps. Contacter l'organisme qui lui avait proposé, deux semaines plus tôt, une place de chercheuse n'avait pas été sans mal non plus, mais elle y était parvenue entre deux correspondances.
Et quand enfin elle peut respirer l'air pollué de la capitale anglaise, la journée a bien avancé. On devine déjà l'agitation dans le métro, la cohue dans les rues animées, les restaurants qui éclairent leur devanture.
Le dernier Portoloin fait arriver la jeune fille dans le Chaudron Baveur. La clientèle y est moins nombreuse que d'habitude et elle remarque les traits tirés du tenancier qui lui aussi a dû passer une mauvaise journée. Si l'atmosphère du côté moldu est légère, celle du côté sorcier est lourde comme jamais. Elle sent la douleur et la mort, le désespoir et le deuil.
On est bien loin des plages volcaniques.
D'un signe de tête, la jeune femme salue le barman et fait léviter sa valise derrière elle alors qu'elle s'engage sur le chemin de traverse. Son pas est rapide et assuré : elle sait parfaitement où elle va.
Elle ne va pas pleurer chez ses parents, ni se consoler dans les bras de celui qui habituellement hante ses nuits.
Elle va chez la seule personne qui traverse exactement la même épreuve qu'elle.
Ses pieds battent le pavé alors qu'elle passe devant les échoppes fermées en ce dimanche soir. Elle n'a pas un regard pour la vitrine de sa pâtisserie préférée, et s'engage finalement dans une ruelle étroite qu'elle a traversée de maintes fois.
La dernière fois, elles étaient trois à s'y engouffrer, titubant et riant sous l'effet de l'alcool.
Aujourd'hui, elles ne sont plus que deux.
Isleen ouvre la porte d'un immeuble et monte les étages quatre à quatre. Elle laisse sa valise tomber lourdement sur le pallier et frappe à la porte. Trois petits coups, mais parfaitement audibles.
“Pandy… Pandy, 'tis me… Open the door, please…”¹
Sa voix se brise en un sanglot. Elle a tenu tout le voyage sans qu'une larme ne se verse, focalisée sur le trajet, sur l'urgence. Le pragmatisme a éloigné la peine pendant quelques heures, ne laissant qu'une douleur sourde qui a eu, de fait, le temps de se répandre dans tout son être. Et il est temps désormais pour les digues de céder. Le front contre la porte, le poing encore serré contre le bois, Isleen sent les larmes couler sur ses joues, lavant sa peau dorée par le soleil des îles.
Et la porte s'ouvre.
L'Irlandaise se retrouve face à sa meilleure amie et lit dans ses yeux la même peine, la même détresse que celle qui l'habite.
“I should've never gone… I'm so sorry !”² s'exclame-t-elle alors avant de se jeter dans les bras de la journaliste, la serrant contre elle de toutes ses forces.
Pour s'assurer qu'elle est là.
Pour l'assurer qu'elle ne partira pas.
Plus.
Même si aujourd'hui, leur amitié devra se conjuguer à deux.
________________________
¹ Panpan… Panpan, c'est moi… Ouvre la porte, s'il te plait…
² J'aurais jamais dû partir… Je suis tellement désolée !
 

Two Sheets to the Wind

Oh Merlin, Pandora a une mine épouvantable. Oh, Isleen n'en mène pas large non plus, ne vous leurrez pas, mais elle a au moins l'avantage de ne pas être métamorphomage et de pouvoir planquer tout ça sous une belle couche de maquillage. Sa meilleure amie, elle, porte son chagrin dans ses cheveux d'une couleur que l'irlandaise n'avait encore jamais vue jusqu'ici.
Elle la serre de toutes ses forces contre elle, pleurant à chaudes larmes de concert avec la journaliste. Il paraît que le fardeau est moins lourd quand il est partagé. Pour elle, c'est différent : disons qu'il est moins pénible à supporter quand on a avec soi quelqu'un qui comprend parfaitement ce que l'on traverse. Et elles vivent toutes les deux exactement la même chose.
La perte d'un être cher, du troisième pied du tabouret. Dorénavant, il ne tiendra plus debout, sera aussi bancal que Letha un soir de cuite. Mais elles s'efforceront de changer les pieds en roues, de faire vivre ce tandem de la plus belle façon qui soit.
Parce que c'est ce qu'elle aurait voulu.
Jamais Isleen n'a vu son amie dans cet état. Elle s'écarte à contre-coeur de ses bras pour pousser la porte derrière elle – non sans faire entrer la valise, vous remarquerez comme elle fait comme si elle était chez elle – et leur donner ainsi l'intimité nécessaire à la suite. Elle pousse Pandora jusqu'au canapé, s'installe à côté d'elle et la prend à nouveau contre elle, incapable de s'en séparer très longtemps. Que quelqu'un s'occupe déjà de la jeune femme – genre, son mari ? Aucune importance.
Personne ne comprenait mieux qu'elle ce qu'elle traversait.
Et si elle devait être la dernière du trio à pouvoir faire preuve d'un peu d'optimisme, alors qu'il en soit ainsi. Après tout, elle a toujours été celle qui rayonnait le plus. C'était sa place, son rôle, et elle n'allait pas le lâcher comme ça.
Même si, là, c'est pas facile.
“We will. Cope with it, I mean. It'll take time, but… We will.”¹
Bien que brisée par les sanglots, la voix de la potionniste est assurée. Elle ne sait pas si elle a raison, mais elle a la conviction de devoir avoir raison.
“She would… She would have wanted us to.” Sur ces mots, elle serre son étreinte autour de la jeune femme, pose sa joue contre le haut de sa tête. “There's still the two of us, right ? Together. We can deal with anything as long as we stick together.”²
Cette fois, on dirait plutôt qu'Isleen essaie de se convaincre autant qu'elle veut convaincre son amie. Elle aussi a grand besoin de réconfort, il faut dire. La présence de Pandora est déjà un bon début, parce qu'elles peuvent épancher leur peine ensemble, pleurer dans se juger l'une et l'autre, prendre soin l'une de l'autre, aussi.
Trouver le réconfort dans la présence de l'autre, se reconstruire à deux plutôt que de vivre à trois. En quelques semaines, toute l'alchimie de leur petit groupe s'est retrouvée chamboulée, et elles vont devoir faire le deuil, trouver de nouvelles marques, avancer autrement.
Mais elles y parviendront.
Isleen n'en doute pas.
________________________
¹ On y arrivera. À tenir le coup, j'veux dire. Ca prendra du temps mais… On y arrivera.
² Elle aurait… C'est ce qu'elle aurait voulu. On est encore toutes les deux, non ? Ensemble. On peut tout surmonter tant qu'on fait face ensemble.

Two Sheets to the Wind

Ulysse.
Le mari de Pandora. Cette soirée de folie à Las Vegas. Isleen sent son coeur se serrer. Elle a encore les photos dans son smartphone, mais n'a pas besoin de les consulter pour se souvenir de cette dernière folie : le sourire de Letha, alors qu'elle finissait une énième pinte, leur malchance aux machines à sous, le mariage avec un prêtre Elvis… L'alliance en plastique !
Savoir qu'il ne prend pas ce mariage tant à la légère que ça et qu'il s'est occupé de la jeune femme pendant ces dernières vingt-quatre heures font monter une vague de gratitude dans la poitrine de l'Irlandaise. Elle se promet intérieurement de le remercier comme il se doit quand elle en aura l'occasion. Sans doute avec une tarte aux pommes – c'est bon, les tartes aux pommes.
Et elle préfèrerait pouvoir manger une tarte aux pommes, là. Parce que remuer tous les souvenirs douloureux avec son amie… Chaque mot qu'elle prononce est un nouveau coup de poignard dans sa poitrine, chacun plus insupportable que les autres.
“I do… Oh no, please, Pandy…”
L'album souvenir est déjà là, mais la potionniste pose la main dessus dans un geste brusque mais pas brutal. Elle la laisse courir le long de la couverture et attrape les doigts de son amie, les serre.
“Don't do that. That'll just make us cry,”¹ dit-elle, les larmes aux yeux.
Oui, elles sont déjà plus ou moins en train de pleurer. Mais se remémorer les souvenirs heureux… Elle ne se sent pas prête à ça. Pas plus qu'elle ne se serait sentie prête à enterrer une amie.
Fichus Deathwings.
Ils avaient tout gâché. Ils bousillent tout sur le passage, détruisent des familles, piétinent des amitiés. Cette amie qu'elle aimait tant… Fauchée bien trop tôt pour des idéaux qui n'ont pas lieu d'être. Et combien d'autres avaient perdu la vie, cette nuit là, juste pour qu'ils fassent parler d'eux ?
Pour qu'on les remarque, tels des enfants capricieux ?
“How did…” Elle a pris l'album, et l'a posé sur la table basse. “How did it happen ? La jeune femme se passe la langue sur les lèvres, les mains tremblantes, la voix chevrotante. Elle a besoin de savoir. Pour pouvoir avancer.
“I'm sorry, if you don't want to tell me, I'll… I will understand. I won't mind. But… I'd really like to know.”²
Et dans sa voix, on peut comprendre qu'elle espère entendre que Letha n'est pas morte en vain. Que ce n'est pas un auror qui l'a abattue avant qu'elle ne s'en prenne à quelqu'un. Que ce n'est pas quelqu'un qui protégeait ses enfants, et a dû la neutraliser avant qu'elle ne les tue. Qu'elle n'est pas morte au cours d'un duel avec un de leurs amis.
Qu'elle n'est pas morte avec ce visage qu'on ne lui connaissait pas.
________________________
¹ Je me souviens oui… Oh non, Panpan, s'il te plait… Ne fais pas ça. Ça va juste nous faire pleurer.
² Comment est-ce que… Comment ça s'est passé ? Je suis désolée, si tu veux pas en parler je… Je comprendrais. C'est pas grave. Mais… J'aimerais vraiment savoir.